John F. Kerry, ancien sénateur américain du Massachussetts et président du Comité sénatorial des relations étrangères, est le Secrétaire d’état américain
Les décennies depuis lui ont donné raison. Et tout comme notre relation transatlantique s’est à la fois renforcée et étendue, il en a été de même pour la démocratie, la prospérité et la stabilité en Europe, aux Etats-Unis, et partout dans le monde.
Mais alors que ce lien transatlantique est aujourd’hui aussi fort et important que jamais, il ne fait aucun doute que nous nous trouvons à un moment déterminant de notre partenariat. Nous sommes confrontés à de multiples épreuves, dont deux méritent une attention toute particulière, parce qu’elles menacent le droit international, les mécanismes multilatéraux, et l’ordre mondial que nous forgeons et maintenons depuis maintenant soixante-dix ans.
La première épreuve est évidemment l’Ukraine, où la Russie menace la sécurité territoriale de l’Europe centrale et de l’est, d’abord par l’occupation illégale de la Crimée et maintenant par ses efforts répétés visant à déstabiliser l’est du pays.
Cet épreuve m’a récemment conduite à Kiev pour y rencontrer le président Petro Poroshenko, le Premier ministre Arseniy Yatsenyuk, et le ministre des Affaires Étrangères Pavlo Klimkin, tandis que la Chancelière allemande Angela Merkel et le président français François Hollande se sont rendus à Kiev puis à Moscou dans le but d’établir un plan qui permettrait de calmer la situation. Nous sommes tous convaincus que la force militaire ne mettra pas fin à ce problème – la diplomatie plus sûrement.
Mais plus cette démarche tardera à produire ses effets, plus le monde n’aura d’autre choix que d’intensifier les pressions sur la Russie et ses amis. Les Etats-Unis, la France, l’Allemagne, et nos alliés et partenaires feront front pour soutenir l’Ukraine et défendre le principe fondamental selon lequel les frontières internationales ne sauraient être modifiées par la force, que ce soit en Europe ou partout ailleurs. Nous en sommes tous fondamentalement convaincus.
La deuxième épreuve à laquelle nous sommes confrontés est la montée de la violence extrémiste. La nouvelle vidéo de l’État Islamique montrant l’immolation sauvage du pilote jordanien constitue un nouveau seuil dans la dépravation. Et la semaine dernière, l’Organisation des Nations Unies faisait état de ce que nous étions déjà nombreux à savoir : ce groupe diabolique crucifie les enfants, les enterre vivants, et utilise des jeunes gens mentalement handicapés en tant que bombes humaines pour des attaques suicides.
L’État Islamique n’est pas le seul groupe extrémiste. Le mois dernier, les responsables pakistanais ont rendu public des photos datées de l’École publique de l’armée avant et après le massacre des talibans qui a coûté la mort à 145 personnes (dont 132 enfants) en décembre dernier. La salle qui était pleine d’enfants sagement assis, fut transformée en une chambre mortelle – du sang, des lunettes cassées, des cahiers éparpillés, des vestes déchirées, et de jeunes corps sans vie. La directrice de l’école a tenté de sauver ces enfants. Face aux assassins, elle a montré du doigt les enfants en déclarant : « je suis leur mère. » Ce furent ses derniers mots.
Le monde ne peut pas et ne veut pas céder devant un tel extrémisme, où qu’il s’exprime, que se soit au Sahel, au Nigéria, en Irak, ou en Syrie. Aujourd’hui la coalition internationale combattant l’État Islamique compte soixante membres actifs. Depuis le mois de septembre, nous avons repris 700 kilomètres carrés de territoire. Nous avons privé le groupe de l’usage – et donc des revenus – de 200 installations gazières et pétrolières. Nous avons bouleversé sa structure de commandement, fragilisé sa propagande, et ses finances, fait prisonnier la moitié de ses chefs, mis hors d’état de fonctionner ses réseaux d’approvisionnement, et dispersé ses membres.
Prenons le cas de Kobani à la frontière entre la Syrie et la Turquie, menacée de destruction après que l’État Islamique ait pris possession de plus de 300 villages Kurdes alentours. Les militants contrôlaient déjà différents quartiers de la ville, convaincus, tout comme la presse internationale, d’une victoire facile. Mais grâce à la coopération diplomatique entre les partenaires de la coalition, des attaques aériennes ciblées et le soutien sur le terrain des forces Kurdes irakiennes, ils ont été chassés après avoir perdu environ un millier de combattants.
Mais vaincre l’État Islamique n’est que le début. La lutte contre la violence extrémiste ne se fera pas uniquement sur le terrain. Elle se décidera aussi à l’école, sur le lieu de travail, dans les centres confessionnels ou communautaires, au coin des rues des villes et dans les antichambres gouvernementales. Et elle se décidera en fonction du succès des efforts que nous entreprendrons pour mettre un terme au recrutement des terroristes ; répondre à l’intolérance, au désespoir économique, et à l’exclusion, qui contribuent à créer les vides dont l’extrémisme s’empare ; et créer des alternatives crédibles, visibles, et constructives à la violence extrémiste dans les pays concernés.
Ces dernières années, il était de bon ton de considérer ce type d’épreuves en pontifiant sur un soi-disant écroulement du système international. Je ne suis pas du tout d’accord avec cette façon de penser. En fait, je considère que c’est plutôt le contraire. Je vois des pays qui œuvrent ensemble pour négocier de nouveaux pactes, et qui représentent près de 70% du PIB global. Je vois un monde qui travaille de concert pour mettre fin à l’épidémie d’Ebola. Je vois les efforts consentis pour parvenir à une résolution pacifique à la menace posée par le programme nucléaire de l’Iran. Je vois la coopération mise en œuvre pour parvenir à un accord mondial ambitieux sur le changement climatique, et pour limiter les conflits en République Centrafricaine, en Colombie, et en République Démocratique du Congo.
Oui, nous traversons des temps difficiles. Mais je vois des pays partout dans le monde qui viennent à bout de l’extrême pauvreté, facilitent l’accès aux soins de santé pour les mères, soutiennent l’alimentation des enfants, élargissent l’accès à l’éducation de base, et rallongent l’espérance de vie de leurs populations. Jamais dans notre histoire a-t-on vu autant d’êtres humains accéder, ou se rapprocher, de la prospérité. Et en dépit de la menace posée par la violence extrémiste, le pourcentage d’individus morts par violence n’a jamais été aussi faible dans l’ère moderne. Tout ceci s’est déroulé ou se déroule grâce à l’ordre international. Il nous faut juste contribuer à développer cette réalité là où aujourd’hui elle semble à des années lumières.
Nous avons la chance d’être les descendants d’innovateurs, de faiseurs, d’individus qui ont vaincu l’esclavage, les épidémies, les dépressions, les guerres mondiales et le totalitarisme – des individus qui n’avaient absolument pas peur de ces défis majeurs et qui ont su les relever avec succès.
C’est aujourd’hui à notre tour. Les épreuves auxquelles nous sommes confrontés nous obligent à nous préparer et à planifier, à s’unir, et à défendre notre avenir collectif contre la paranoïa atavique des terroristes et des voyous. L’avenir appartient toujours aux valeurs universelles de civilité, de raison et d’autorité de la loi.
Traduit de l’anglais par Frédérique Destribats
John F. Kerry, ancien sénateur américain du Massachussetts et président du Comité sénatorial des relations étrangères, est le Secrétaire d’état américain. Ce commentaire est une adaptation d’un discours prononcé cette année dans le cadre de la Conférence sur la sécurité de Munich.
Mais alors que ce lien transatlantique est aujourd’hui aussi fort et important que jamais, il ne fait aucun doute que nous nous trouvons à un moment déterminant de notre partenariat. Nous sommes confrontés à de multiples épreuves, dont deux méritent une attention toute particulière, parce qu’elles menacent le droit international, les mécanismes multilatéraux, et l’ordre mondial que nous forgeons et maintenons depuis maintenant soixante-dix ans.
La première épreuve est évidemment l’Ukraine, où la Russie menace la sécurité territoriale de l’Europe centrale et de l’est, d’abord par l’occupation illégale de la Crimée et maintenant par ses efforts répétés visant à déstabiliser l’est du pays.
Cet épreuve m’a récemment conduite à Kiev pour y rencontrer le président Petro Poroshenko, le Premier ministre Arseniy Yatsenyuk, et le ministre des Affaires Étrangères Pavlo Klimkin, tandis que la Chancelière allemande Angela Merkel et le président français François Hollande se sont rendus à Kiev puis à Moscou dans le but d’établir un plan qui permettrait de calmer la situation. Nous sommes tous convaincus que la force militaire ne mettra pas fin à ce problème – la diplomatie plus sûrement.
Mais plus cette démarche tardera à produire ses effets, plus le monde n’aura d’autre choix que d’intensifier les pressions sur la Russie et ses amis. Les Etats-Unis, la France, l’Allemagne, et nos alliés et partenaires feront front pour soutenir l’Ukraine et défendre le principe fondamental selon lequel les frontières internationales ne sauraient être modifiées par la force, que ce soit en Europe ou partout ailleurs. Nous en sommes tous fondamentalement convaincus.
La deuxième épreuve à laquelle nous sommes confrontés est la montée de la violence extrémiste. La nouvelle vidéo de l’État Islamique montrant l’immolation sauvage du pilote jordanien constitue un nouveau seuil dans la dépravation. Et la semaine dernière, l’Organisation des Nations Unies faisait état de ce que nous étions déjà nombreux à savoir : ce groupe diabolique crucifie les enfants, les enterre vivants, et utilise des jeunes gens mentalement handicapés en tant que bombes humaines pour des attaques suicides.
L’État Islamique n’est pas le seul groupe extrémiste. Le mois dernier, les responsables pakistanais ont rendu public des photos datées de l’École publique de l’armée avant et après le massacre des talibans qui a coûté la mort à 145 personnes (dont 132 enfants) en décembre dernier. La salle qui était pleine d’enfants sagement assis, fut transformée en une chambre mortelle – du sang, des lunettes cassées, des cahiers éparpillés, des vestes déchirées, et de jeunes corps sans vie. La directrice de l’école a tenté de sauver ces enfants. Face aux assassins, elle a montré du doigt les enfants en déclarant : « je suis leur mère. » Ce furent ses derniers mots.
Le monde ne peut pas et ne veut pas céder devant un tel extrémisme, où qu’il s’exprime, que se soit au Sahel, au Nigéria, en Irak, ou en Syrie. Aujourd’hui la coalition internationale combattant l’État Islamique compte soixante membres actifs. Depuis le mois de septembre, nous avons repris 700 kilomètres carrés de territoire. Nous avons privé le groupe de l’usage – et donc des revenus – de 200 installations gazières et pétrolières. Nous avons bouleversé sa structure de commandement, fragilisé sa propagande, et ses finances, fait prisonnier la moitié de ses chefs, mis hors d’état de fonctionner ses réseaux d’approvisionnement, et dispersé ses membres.
Prenons le cas de Kobani à la frontière entre la Syrie et la Turquie, menacée de destruction après que l’État Islamique ait pris possession de plus de 300 villages Kurdes alentours. Les militants contrôlaient déjà différents quartiers de la ville, convaincus, tout comme la presse internationale, d’une victoire facile. Mais grâce à la coopération diplomatique entre les partenaires de la coalition, des attaques aériennes ciblées et le soutien sur le terrain des forces Kurdes irakiennes, ils ont été chassés après avoir perdu environ un millier de combattants.
Mais vaincre l’État Islamique n’est que le début. La lutte contre la violence extrémiste ne se fera pas uniquement sur le terrain. Elle se décidera aussi à l’école, sur le lieu de travail, dans les centres confessionnels ou communautaires, au coin des rues des villes et dans les antichambres gouvernementales. Et elle se décidera en fonction du succès des efforts que nous entreprendrons pour mettre un terme au recrutement des terroristes ; répondre à l’intolérance, au désespoir économique, et à l’exclusion, qui contribuent à créer les vides dont l’extrémisme s’empare ; et créer des alternatives crédibles, visibles, et constructives à la violence extrémiste dans les pays concernés.
Ces dernières années, il était de bon ton de considérer ce type d’épreuves en pontifiant sur un soi-disant écroulement du système international. Je ne suis pas du tout d’accord avec cette façon de penser. En fait, je considère que c’est plutôt le contraire. Je vois des pays qui œuvrent ensemble pour négocier de nouveaux pactes, et qui représentent près de 70% du PIB global. Je vois un monde qui travaille de concert pour mettre fin à l’épidémie d’Ebola. Je vois les efforts consentis pour parvenir à une résolution pacifique à la menace posée par le programme nucléaire de l’Iran. Je vois la coopération mise en œuvre pour parvenir à un accord mondial ambitieux sur le changement climatique, et pour limiter les conflits en République Centrafricaine, en Colombie, et en République Démocratique du Congo.
Oui, nous traversons des temps difficiles. Mais je vois des pays partout dans le monde qui viennent à bout de l’extrême pauvreté, facilitent l’accès aux soins de santé pour les mères, soutiennent l’alimentation des enfants, élargissent l’accès à l’éducation de base, et rallongent l’espérance de vie de leurs populations. Jamais dans notre histoire a-t-on vu autant d’êtres humains accéder, ou se rapprocher, de la prospérité. Et en dépit de la menace posée par la violence extrémiste, le pourcentage d’individus morts par violence n’a jamais été aussi faible dans l’ère moderne. Tout ceci s’est déroulé ou se déroule grâce à l’ordre international. Il nous faut juste contribuer à développer cette réalité là où aujourd’hui elle semble à des années lumières.
Nous avons la chance d’être les descendants d’innovateurs, de faiseurs, d’individus qui ont vaincu l’esclavage, les épidémies, les dépressions, les guerres mondiales et le totalitarisme – des individus qui n’avaient absolument pas peur de ces défis majeurs et qui ont su les relever avec succès.
C’est aujourd’hui à notre tour. Les épreuves auxquelles nous sommes confrontés nous obligent à nous préparer et à planifier, à s’unir, et à défendre notre avenir collectif contre la paranoïa atavique des terroristes et des voyous. L’avenir appartient toujours aux valeurs universelles de civilité, de raison et d’autorité de la loi.
Traduit de l’anglais par Frédérique Destribats
John F. Kerry, ancien sénateur américain du Massachussetts et président du Comité sénatorial des relations étrangères, est le Secrétaire d’état américain. Ce commentaire est une adaptation d’un discours prononcé cette année dans le cadre de la Conférence sur la sécurité de Munich.