La frustration des pays du Sud est compréhensible. À bien des égards, ces États payent le prix de la prospérité des autres. Alors qu’ils devraient monter en puissance, ils redoutent que les ressources promises ne soient redirigées vers la reconstruction de l’Ukraine, ils ont l’impression que leurs aspirations sont contraintes par des règles énergétiques qui ne s’appliquent pas de manière universelle, et ils craignent qu’une génération naissante ne se retrouve prise au piège de la pauvreté.
La vérité, c’est que nous ne pouvons pas nous permettre une nouvelle période de croissance à forte intensité d’émissions. Nous devons trouver le moyen de financer un monde différent, dans lequel la résilience climatique soit solide, les pandémies gérables, l’alimentation abondante, la fragilité et la pauvreté vaincues.
Nos défis ignorent les frontières, et ne pourront pas être surmontés de manière fragmentée. Ils nous affectent tous – mais nous en ressentons différemment les effets. Au sein des pays du Nord, le changement climatique signifie la réduction des émissions, tandis que dans les pays du Sud, il est une question de survie, les ouragans devenant de plus en plus violents, les semences résistante à la chaleur se faisant rares, les sécheresses détruisant exploitations agricoles et villages, et les inondations anéantissant plusieurs décennies de progrès.
Au milieu de tout cela se trouve la Banque mondiale. Tout en remettant en question sa pertinence, le monde compte sur cette institution vieille de 78 ans pour proposer des solutions à grande échelle. Pour y parvenir, il est nécessaire que la Banque adopte une nouvelle vision et mission, à la hauteur de nos aspirations communes. À mon sens, la vision de la Banque mondiale est simple : créer un monde sans pauvreté, sur une planète vivable.
Cette vision est cependant menacée par ces crises entremêlées – et nous menons une course contre la montre. Cette urgence nous impose d’élaborer une nouvelle approche, qui produise un développement significatif, afin d’aboutir à une meilleure qualité de vie ainsi qu’à des emplois pour les populations.
Notre approche doit s’adresser à tous, y compris aux femmes et aux jeunes, et le développement qu’elle sous-tend doit être résilient face aux chocs liés notamment au changement climatique, à la perte de biodiversité, aux pandémies, ainsi qu’aux conflits et à la fragilité. Elle doit également être durable, produisant croissance économique régulière et création d’emplois, avancées en matière de santé et d’éducation, gestion crédible des budgets et de la dette, sécurité alimentaire, ainsi qu’accès à un air propre, à l’eau et à une énergie abordable.
Quiconque a étudié comme moi la Banque mondiale sait qu’elle mérite l’admiration, l’institution étant parvenue à émerger d’un conflit pour canaliser les énergies des pays, et passer de la guerre à la poursuite de la paix. Mais notre histoire et notre héritage ne nous aideront pas aujourd'hui ; nous devons gagner notre légitimité chaque jour à travers l’impact exercé par la Banque.
La semaine prochaine, un ensemble varié de dirigeants issus des 20 plus grandes économies de la planète se réuniront en Inde dans le cadre du G20 des ministres des Finances, ainsi que de la Réunion des gouverneurs des banques centrales. À l’ordre du jour figureront la réforme de toutes les banques multilatérales de développement, conformément à ce que nous appelons la feuille de route Évolution.
La mise en œuvre de cette feuille de route ne saurait suivre une cadence habituelle ; urgence, détermination et implication comparable à un effort de guerre sont nécessaires. La Banque mondiale est pleinement en phase avec cette période de changement.
Nous travaillons d’ores et déjà pour identifier de nouvelles efficiences qui nous permettront d’accomplir davantage en moins de temps – en incitant les extrants, et non les intrants, ainsi qu’en veillant à ce que notre attention ne soit pas seulement axée sur les sommes mobilisées, mais également sur le nombre de jeunes filles scolarisées, d’emplois créés, de tonnes d’émissions de dioxyde de carbone évitées, ou encore de dollars investis en provenance du secteur privé.
Nous avons élaboré un plan de travail visant à tirer le maximum de chaque dollar mobilisé, tout en préservant notre notation de crédit AAA. Nous puisons au fond de nous-mêmes pour renforcer notre capacité de prêt, en trouvant les moyens de mobiliser des capitaux remboursables par anticipation, ainsi qu’en créant de nouveaux mécanismes de type capitaux hybrides susceptibles de libérer d’immenses ressources afin de produire des résultats. Nous entendons étendre et faire évoluer les financements préférentiels, afin que ceux-ci puissent permettre aux pays à revenu faible d’atteindre leurs objectifs de développement, tout en faisant preuve de créativité concernant les utilisations qui inciteront à la coopération transfrontalière, et qui permettront de remédier à des défis partagés.
Presque toutes les estimations indiquent néanmoins que plusieurs milliers de milliards de dollars seront nécessaires chaque année pour réaliser les avancées suffisantes. C’est pourquoi nous ouvrons nos portes aux partenaires du secteur privé, en travaillant en tandem pour soutenir les progrès significatifs et durables qui nous échappent jusqu’à présent.
La mobilisation des ressources nécessaires pour créer de la croissance et des emplois, meilleur moyen de faire diminuer la pauvreté, constitue un travail difficile qui mettra à l’épreuve nos sincérité et nos capacités communes. Notre institution est fort heureusement conçue pour affronter des défis de taille. Pour autant, si nous sommes aujourd'hui déterminés à bâtir une Banque meilleure, nous aurons besoin le moment venu d’une Banque de plus grande envergure.
La Banque mondiale n’est en fin de compte qu’un instrument reflétant l’ambition de ceux sur la générosité desquels elle repose, et les avancées auxquelles nous aspirons ont un coût. Si nos origines sont ancrées dans une certaine sagesse, c’est parce que les défis les plus monumentaux exigent une réponse unifiée à grande échelle.
Reporter le développement, c’est priver de développement. C’est pourquoi nous devons surmonter les effets du multilatéralisme inefficace, de la compétition géopolitique, ainsi que de cette méfiance qui se généralise dans les pays du Sud. La Banque mondiale doit être un refuge loin de ces forces, un sanctuaire de coopération, de collaboration et de créativité. Si nous parvenons à bâtir une telle Banque, nous pourrons accomplir de grandes choses ensemble. Nous pouvons éradiquer la pauvreté, sur une planète vivable.
Traduit de l’anglais par Martin Morel
Ajay Banga est président du Groupe de la Banque mondiale.
© Project Syndicate 1995–2023
La vérité, c’est que nous ne pouvons pas nous permettre une nouvelle période de croissance à forte intensité d’émissions. Nous devons trouver le moyen de financer un monde différent, dans lequel la résilience climatique soit solide, les pandémies gérables, l’alimentation abondante, la fragilité et la pauvreté vaincues.
Nos défis ignorent les frontières, et ne pourront pas être surmontés de manière fragmentée. Ils nous affectent tous – mais nous en ressentons différemment les effets. Au sein des pays du Nord, le changement climatique signifie la réduction des émissions, tandis que dans les pays du Sud, il est une question de survie, les ouragans devenant de plus en plus violents, les semences résistante à la chaleur se faisant rares, les sécheresses détruisant exploitations agricoles et villages, et les inondations anéantissant plusieurs décennies de progrès.
Au milieu de tout cela se trouve la Banque mondiale. Tout en remettant en question sa pertinence, le monde compte sur cette institution vieille de 78 ans pour proposer des solutions à grande échelle. Pour y parvenir, il est nécessaire que la Banque adopte une nouvelle vision et mission, à la hauteur de nos aspirations communes. À mon sens, la vision de la Banque mondiale est simple : créer un monde sans pauvreté, sur une planète vivable.
Cette vision est cependant menacée par ces crises entremêlées – et nous menons une course contre la montre. Cette urgence nous impose d’élaborer une nouvelle approche, qui produise un développement significatif, afin d’aboutir à une meilleure qualité de vie ainsi qu’à des emplois pour les populations.
Notre approche doit s’adresser à tous, y compris aux femmes et aux jeunes, et le développement qu’elle sous-tend doit être résilient face aux chocs liés notamment au changement climatique, à la perte de biodiversité, aux pandémies, ainsi qu’aux conflits et à la fragilité. Elle doit également être durable, produisant croissance économique régulière et création d’emplois, avancées en matière de santé et d’éducation, gestion crédible des budgets et de la dette, sécurité alimentaire, ainsi qu’accès à un air propre, à l’eau et à une énergie abordable.
Quiconque a étudié comme moi la Banque mondiale sait qu’elle mérite l’admiration, l’institution étant parvenue à émerger d’un conflit pour canaliser les énergies des pays, et passer de la guerre à la poursuite de la paix. Mais notre histoire et notre héritage ne nous aideront pas aujourd'hui ; nous devons gagner notre légitimité chaque jour à travers l’impact exercé par la Banque.
La semaine prochaine, un ensemble varié de dirigeants issus des 20 plus grandes économies de la planète se réuniront en Inde dans le cadre du G20 des ministres des Finances, ainsi que de la Réunion des gouverneurs des banques centrales. À l’ordre du jour figureront la réforme de toutes les banques multilatérales de développement, conformément à ce que nous appelons la feuille de route Évolution.
La mise en œuvre de cette feuille de route ne saurait suivre une cadence habituelle ; urgence, détermination et implication comparable à un effort de guerre sont nécessaires. La Banque mondiale est pleinement en phase avec cette période de changement.
Nous travaillons d’ores et déjà pour identifier de nouvelles efficiences qui nous permettront d’accomplir davantage en moins de temps – en incitant les extrants, et non les intrants, ainsi qu’en veillant à ce que notre attention ne soit pas seulement axée sur les sommes mobilisées, mais également sur le nombre de jeunes filles scolarisées, d’emplois créés, de tonnes d’émissions de dioxyde de carbone évitées, ou encore de dollars investis en provenance du secteur privé.
Nous avons élaboré un plan de travail visant à tirer le maximum de chaque dollar mobilisé, tout en préservant notre notation de crédit AAA. Nous puisons au fond de nous-mêmes pour renforcer notre capacité de prêt, en trouvant les moyens de mobiliser des capitaux remboursables par anticipation, ainsi qu’en créant de nouveaux mécanismes de type capitaux hybrides susceptibles de libérer d’immenses ressources afin de produire des résultats. Nous entendons étendre et faire évoluer les financements préférentiels, afin que ceux-ci puissent permettre aux pays à revenu faible d’atteindre leurs objectifs de développement, tout en faisant preuve de créativité concernant les utilisations qui inciteront à la coopération transfrontalière, et qui permettront de remédier à des défis partagés.
Presque toutes les estimations indiquent néanmoins que plusieurs milliers de milliards de dollars seront nécessaires chaque année pour réaliser les avancées suffisantes. C’est pourquoi nous ouvrons nos portes aux partenaires du secteur privé, en travaillant en tandem pour soutenir les progrès significatifs et durables qui nous échappent jusqu’à présent.
La mobilisation des ressources nécessaires pour créer de la croissance et des emplois, meilleur moyen de faire diminuer la pauvreté, constitue un travail difficile qui mettra à l’épreuve nos sincérité et nos capacités communes. Notre institution est fort heureusement conçue pour affronter des défis de taille. Pour autant, si nous sommes aujourd'hui déterminés à bâtir une Banque meilleure, nous aurons besoin le moment venu d’une Banque de plus grande envergure.
La Banque mondiale n’est en fin de compte qu’un instrument reflétant l’ambition de ceux sur la générosité desquels elle repose, et les avancées auxquelles nous aspirons ont un coût. Si nos origines sont ancrées dans une certaine sagesse, c’est parce que les défis les plus monumentaux exigent une réponse unifiée à grande échelle.
Reporter le développement, c’est priver de développement. C’est pourquoi nous devons surmonter les effets du multilatéralisme inefficace, de la compétition géopolitique, ainsi que de cette méfiance qui se généralise dans les pays du Sud. La Banque mondiale doit être un refuge loin de ces forces, un sanctuaire de coopération, de collaboration et de créativité. Si nous parvenons à bâtir une telle Banque, nous pourrons accomplir de grandes choses ensemble. Nous pouvons éradiquer la pauvreté, sur une planète vivable.
Traduit de l’anglais par Martin Morel
Ajay Banga est président du Groupe de la Banque mondiale.
© Project Syndicate 1995–2023