La crise de l'euro du FMI

Mercredi 29 Juillet 2015

Au cours des dernières décennies, le Fonds Monétaire International a tiré six leçons importantes sur la façon de gérer les crises de déficit public. Pourtant dans sa réponse à la crise grecque, le FMI n'a tenu compte d'aucune de ces leçons.


La participation du Fonds à l'effort de sauvetage de la zone euro aurait pu redorer son blason et séduire les Européens. Mais son échec, ainsi que celui de ses actionnaires européens à se conformer à ses propres meilleures pratiques, risquent finalement de causer sa perte.
Une leçon clé a été ignorée dans la débâcle de la Grèce : quand un plan de renflouement est nécessaire, il doit être mis en œuvre une bonne fois pour toutes. Le FMI a appris cela en 1997, quand un renflouement insuffisant en Corée du Sud  a contraint à un second tour de négociations. En Grèce, le problème est encore plus grave, car le plan de renflouement de 86 milliards d'euros (soit 94 milliards de dollars) actuellement à l'étude suit un plan de renflouement de 110 milliards en 2010 et un plan de sauvetage de 130 milliards en 2012.
Le FMI, livré à lui-même, subit de fortes contraintes. Ses prêts sont limités à une multiplicité de contributions des pays à son capital, et de ce fait ses prêts vers la Grèce sont plus importants que tous ceux de son histoire. Néanmoins, les gouvernements de la zone euro n'étant pas soumis à ces contraintes, étaient donc libres de mettre en place un programme qui aurait été durable.
Une autre leçon qui a été ignorée a été de ne pas renflouer les banques. Le FMI a appris à la dure dans les années 1980, quand il a transféré des créances bancaires douteuses aux gouvernements latino-américains sur ses propres registres et sur ceux d'autres gouvernements. En Grèce, les créances douteuses émises par les banques françaises et allemandes ont été déplacées sur les registres publics, en transférant ainsi l'exposition non seulement aux contribuables européens, mais à l'ensemble des membres du FMI.
La troisième leçon que le FMI a été incapable d'appliquer en Grèce est que l'austérité mène souvent à un cercle vicieux, car des réductions des dépenses provoquent une contraction beaucoup plus importante de l'économie par rapport à la normale. Parce que le FMI prête de l'argent sur une base à court terme, il y avait une incitation à ignorer les effets de l'austérité afin d'arriver à des projections de croissance qui impliquent une capacité à rembourser. En attendant, les autres membres de la zone euro, cherchant à justifier un plus faible financement, ont également trouvé commode de négliger l'impact calamiteux de l'austérité.
Quatrièmement, le FMI a appris que les réformes ont plus de chances d'être mises en place quand elles sont peu nombreuses et bien ciblées. Quand un pays a besoin d'aide, il est tentant pour les prêteurs d'insister sur une longue liste de réformes. Mais un gouvernement ravagé par la crise aura du mal à gérer des demandes multiples.
En Grèce, le FMI, en collaboration avec ses partenaires européens, a exigé que le gouvernement non seulement réduise les dépenses, mais encore qu'il entreprenne des réformes ambitieuses en matière fiscale, de retraite, en matière de justice et de marché du travail. Et même si ces mesures très urgentes n'auront pas un effet immédiat sur les finances de la Grèce, le FMI n'a pas d'autre choix que d'insister sur les réductions des dépenses à court terme pour augmenter les chances de remboursement, même lorsque cela rend des réformes à plus long terme plus difficiles à mettre en œuvre.
Une cinquième leçon est qu'il est peu probable de réussir des réformes à moins que le gouvernement ne s'engage à les mener à bien. Les conditions perçues comme étant imposées depuis l'étranger ont de grandes chances d'échouer. Dans le cas de la Grèce, des considérations politiques intérieures ont poussé les gouvernements européens à se donner en spectacle, au moment où ils mettaient le couteau sous la gorge du gouvernement. Le FMI a également cherché à démontrer qu'il avait été aussi dur avec la Grèce qu'il avait pu l'être avec le Brésil, l'Indonésie et la Zambie, même si cela s'est finalement révélé contre-productif.
La sixième leçon que le FMI a balayé d'un revers de main, c'est que renflouer des pays qui ne contrôlent pas complètement leur monnaie comporte des risques supplémentaires. Comme le Fonds l'a appris dans le cas de l'Argentine et de l'Afrique occidentale, de tels pays manquent d'une des méthodes les plus faciles pour résoudre une crise de la dette : la dévaluation.
Ayant échoué à avertir la Grèce, le Portugal, l'Irlande et l'Espagne sur les dangers de l'adhésion à un bloc monétaire, le FMI aurait dû se soucier de savoir s'il était approprié ou nécessaire pour lui d'intervenir dans la crise de la zone euro. La justification de son engagement souligne les risques associés à sa décision.
La raison la plus évidente des actions du FMI est que l'Europe ne pouvait pas résoudre seule ses propres problèmes et qu'elle avait assez de pouvoir et d'influence pour entraîner le Fonds dans sa chute. La fonction de Directeur général du FMI a toujours été occupée par un Européen et les pays européens profitent d'une part disproportionnée des votes au Conseil d'administration du FMI.
Il est tout aussi important de noter que le FMI a pris sa décision en faisant face à une crise existentielle. Historiquement, la plus grande menace à l'encontre du FMI est son inutilité. Il a été presque rendu superflu dans les années 1970, quand les États-Unis ont laissé flotter le dollar, pour être sauvés en 1982 par la crise de la dette mexicaine qui les a propulsés dans le rôle de sauveteur financier mondial.
Une décennie plus tard, l'utilité du FMI a commencé à décliner à nouveau, mais a été relancée par son rôle dans la transformation des anciennes économies du bloc soviétique. À l'heure de la crise de l'euro, le Fonds pataugeait une fois de plus au lendemain de la crise de l'Asie du Sud-Est, car ses clients privés ont fait tout leur possible pour éviter d'en subir les conséquences.
La participation du FMI à la crise de la zone euro donne à présent aux puissantes économies émergentes une autre raison d'être désabusées. Après que les États-Unis aient fait obstacle à leurs demandes  pour une plus grande influence au sein du Fonds, ils trouvent maintenant que l'organisation est aux ordres de l'Europe. Le FMI va avoir du mal à regagner la confiance de ces membres qui occupent une place de plus en plus importante. À moins que les États-Unis et l'UE ne relâchent leur emprise, la dernière prétention à l'utilité du Fonds risque bien d'être la dernière.
Ngaire Woods est doyen de l'École de gouvernement Blavatnik et directeur du programme de gouvernance économique mondiale à l'Université d'Oxford.
© Project Syndicate 1995–2015
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