«Le nouveau visage du secteur bancaire africain»

Samedi 9 Août 2014

Dans cette interview Paul Derreumaux, président d’honneur du groupe Bank of Africa (BOA), décrypte les principales nouveautés du secteur bancaire africain. Un secteur qui connaît de nombreuses mutations, en termes de fusions-acquisitions, de rachats, de concurrence.


Paul Derreumaux, président d’honneur du groupe Bank of Africa (BOA
Paul Derreumaux, président d’honneur du groupe Bank of Africa (BOA
Dans cette interview Paul Derreumaux, président d’honneur du groupe Bank of Africa (BOA), décrypte les principales nouveautés du secteur bancaire africain. Un secteur qui connaît de nombreuses mutations, en termes de fusions-acquisitions, de rachats, de concurrence...


Les Afriques : Le bancaire africain est très animé depuis quelques années. Aujourd’hui, peut-on peut parler de boom dans ce secteur ?
Paul Derreumaux : Boom ça donne l’impression que c’est momentané. Ce qui est remarquable, c’est que c’est une croissance qui dure et qui s’amplifie même depuis une vingtaine d’années. La croissance a été progressive. Donc, je dirais simplement que c’est l’un des secteurs qui accompagnent et qui portent la croissance économique que tout le monde reconnaît maintenant au continent africain.



LA : Quelle analyse faites-vous de l’évolution du secteur bancaire en Afrique ?
P.D. : Depuis une vingtaine d’années, le secteur bancaire évolue très favorablement, aussi bien en taille et en volume d’activité qu’en rentabilité. Le secteur a connu des taux de progression très importants et affiche actuellement des bénéfices très attractifs dans la plupart des pays, pour un grand nombre de banques. C’est quelque chose de très important, surtout dans l’Afrique subsaharienne francophone, parce que les années 80 et 90 ont été des années très difficiles.
L’autre caractéristique sans doute, c’est que depuis une dizaine d’années, le système bancaire subit une structuration, notamment dans l’Afrique subsaharienne que je connais mieux. Le secteur a connu une structuration autour d’un nombre de grands groupes qui sont devenus tous des groupes régionaux et panafricains. Ces groupes reposent sur un système d’expansion géographique sous forme de réseaux présents dans de nombreux pays.
Parmi eux, il y a des groupes marocains, sud-africains, nigérians, et des groupes d’autres nationalités qui sont en train de prendre de l’importance. Cela a été caractérisé surtout dans la période 2005-2006. Dans l’ensemble, il y a eu beaucoup de fluctuation.
Mais, depuis 2006, il y a eu un certain ralentissement de la croissance du secteur bancaire en Afrique, surtout au niveau des groupes les plus importants. Et un effort de restructuration et de consolidation, de digestion de toutes ces expansions, de tous ces rachats qui s’étaient faits dans la période précédente.



LA : Quel est le poids des banques panafricaines par rapport aux grandes banques internationales présentes en Afrique ? Est-ce qu’elles arrivent à faire face à ces grandes banques internationales ?
P.D. : Qu’est-ce que c’est qu’une banque panafricaine d’abord ? Ce n’est pas facile à définir. Pour moi, on peut considérer qu’une banque est panafricaine quand elle est présente dans les deux parties de l’Afrique, c’est-à-dire l’Afrique anglophone et l’Afrique francophone. Parce que travailler dans deux parties, c’est travailler dans deux environnements différents. Et c’est vraiment difficile, parce que ça suppose un surcroît d’organisation, d’adaptation aux contraintes règlementaires qui sont différentes. Mais malgré tout, il y a effectivement quelques banques qui sont de ce type-là. Il y a Ecobank, Bank of Africa, UBA, Diamond Bank, etc., et tous les autres qui sont de grands groupes régionaux et qui n’ont pas encore franchi le pas d’être dans tous les pays du continent.
Et comment résistent-elles à la concurrence des grandes banques internationales ? Je crois qu’elles résistent très bien parce qu’elles sont bien adaptées aux clientèles locales, parce qu’elles ont fait de gros efforts de modernisation et d’amélioration de leur fonctionnement. Tout cela fait qu’elles sont tout à fait performantes.



LA : Est-ce que le secteur a encore un potentiel de croissance ? Y a-til encore de la place pour de nouveaux acteurs ?
P.D. : Bien sûr que oui. C’est vrai dans les deux sens qui sont l’offre en direction des particuliers et en direction des entreprises. Pour les particuliers, le taux de bancarisation reste encore faible en Afrique. Dans l’Afrique de l’Ouest francophone par exemple, il se situe autour de 10%. Dans l’Afrique de l’Est anglophone, qui est toujours en avance, il est à mon avis autour de 30%. Donc, il y a encore des marges d’évolution très importantes.
De même qu’il y a eu une évolution très forte et très rapide avec un taux de l’ordre de 30 à 35% il n’y a même pas une dizaine d’années et qui a beaucoup augmenté depuis. Donc, il y a encore une marge de croissance considérable avec une politique d’agences, de produits aux particuliers, de segmentation de la clientèle, etc. Et du côté des entreprises, on peut dire que toutes les entreprises se plaignent de la frilosité des banques. Les banques peuvent donc faire de gros chiffres de croissance dans cette direction, et d’ailleurs quand on voit le poids des crédits par rapport au PIB dans ces pays, on voit qu’il reste toujours très faible par rapport au ratio de ce type dans les pays émergents ou dans les pays développés. Il y a beaucoup de marge de croissance des deux côtés.



LA : Beaucoup de gens se plaignent des taux d’intérêt très élevés en Afrique subsaharienne. Qu’est-ce qui justifie une telle politique du coût de crédit ?
P.D. : Je pense qu’il y a deux principales raisons. Une raison qui existait auparavant, c’est que la masse monétaire qui était dans les banques (la monnaie scripturale) était trop faible. Et on considérait que le fait de proposer des taux d’intérêt assez élevés pour la collecte des dépôts était de nature à augmenter le poids de la monnaie scripturale. Donc, si vous avez des dépôts qui sont chers, vous avez également des crédits qui sont plus chers. Car il faut payer le coût des ressources. À mon avis, cette raison a disparu pour l’essentiel maintenant puisque la bancarisation se fait sur la base d’autres raisonnements. En revanche, ce qui reste vrai, c’est le coût du crédit qui reste très élevé avec les risques qui sont élevés dans cette zone pour diverses raisons. Parce que les entreprises sont plus fragiles, parce que la justice ne fonctionne pas bien, etc. Donc, il y a un coût du risque qui reste très élevé et qui oblige à avoir des taux de sortie pour des crédits assez hauts. Mais ces taux sont en train de baisser partout. Et c’est absolument certain qu’ils vont continuer à baisser sous la pression de la concurrence, des autorités, etc.
Dans certains pays d’Afrique francophone, pour les très grosses entreprises, les taux de crédit spot peuvent descendre en dessous de 5%. En revanche, vous avez encore des crédits particuliers ou aux petites entreprises qui dans certains pays peuvent être encore sensiblement supérieurs à 10%. Et dans tous les cas, cela baisse et dépend beaucoup des pays. Alors, on va vers une baisse régulière de ces taux d’intérêt débiteurs.



LA : Ces taux d’intérêt élevés ne constituent-ils pas un frein pour le développement du secteur bancaire ?
P.D. : C’est vrai, ça reste un frein. Mais pour les banques, il n’est pas possible d’aller trop vite, dans la mesure où ces taux d’intérêt élevés ne consistent pas à empêcher de faire du crédit, c’est plutôt une nécessité à cause du coût du risque qui reste très lourd.
Les banques doivent faire un effort, c’est vrai. Mais les autres acteurs aussi doivent faire un effort pour faire baisser le coût du risque : les entreprises en étant mieux gérées, les États en faisant marcher correctement la justice, en améliorant un certain nombre de données, etc. Donc, un effort est à faire de tous les côtés.



LA : L’afflux des banques africaines et internationales va-t-il contribuer au développement du secteur ?
P.D. : On voit actuellement que la compétition est un élément fort de tout le bouleversement qui existe dans le système bancaire. Chacun est obligé de gagner sa place. De la gagner chèrement. C’est une compétition qui est dure, mais qui n’empêche pas les acteurs de vivre, parce qu’il y a beaucoup de marge de croissance.



LA : Quelles sont les nouveautés en termes de structuration ou de restructuration du secteur ?
P.D. : À mon avis, la situation est différente à deux niveaux. On constate au niveau des groupes les plus puissants, qui sont présents avec un réseau plus large, qu’il y a un ralentissement des mouvements, parce que les occasions sont plus rares, parce que les gens consolident ce qu’ils ont créé ou acquis.
En dessous, vous avez en revanche des groupes un peu moins grands et qui sont en train de tenter de rattraper leur retard avec à la fois des rachats et des créations. Donc, il y a une course qui se poursuit avec des acteurs qui sont en deuxième rang, qui essaient de se rapprocher des autres qui sont en première ligne.



LA : Les banques financent-elles suffisamment l’économie africaine ?
P.D. : Les banques financent les entreprises de taille nationale, elles participent aussi dans les grands financements consortiaux pour des filiales de grandes entreprises internationales. Elles financent de plus en plus aussi l’immobilier.



LA : Quels sont les changements que vous voyez à l’horizon dans ce secteur ?
P.D. : Je pense qu’il y a plusieurs choses qui vont continuer à bouger très fort. D’abord, il devrait y avoir quasiment une révolution dans les moyens de paiement, avec le mobile banking qui va continuer à grandir. Il y a une forte pression des sociétés de télécommunication qui sont actuellement des leaders et qui vont arriver sur le terrain des banques. Je crois que de ce côté-là ça va bouger très fort dans les années à venir.
Je crois aussi qu’il va continuer à avoir un renforcement de l’intégration financière régionale, parce que c’est une orientation politique forte, parce que la politique de création de réseau va se poursuivre.
Il y aura également à mon sens un durcissement des règlementations. On le voit dans tous les pays, dans toutes les zones, les conditions deviennent dures. Il va y avoir des changements en termes de capital minimum pour les banques, de ratios qui doivent être respectés, etc., et puis un développement du secteur financier non bancaire, notamment dans les pays francophones où celui-ci est encore très peu présent. Les pays anglophones sont encore une fois en avance. Je pense qu’on assistera aussi à un progrès de ce secteur notamment au niveau des marchés financiers qui sont de plus en plus actifs.



LA : Est-ce qu’on peut s’attendre à un élargissement des réseaux bancaires avec la création des banques de proximité et de guichets bancaires comme on le voit dans certains pays du Maghreb comme le Maroc ?
P.D. : Absolument. On voit une volonté de proximité avec le public des particuliers chez toutes les banques, aussi bien les banques à grands réseaux que les banques panafricaines et même les petites banques, à travers la création de nouvelles agences. C’est pour cela que le taux de bancarisation augmente rapidement.



LA : Que pensez-vous de l’avenir des petites banques nationales ? Sont-elles vouées à disparaitre ou vont-elles continuer à exister ?
P.D. : Je pense que beaucoup risquent d’être intégrées dans des réseaux bancaires plus importants, il est tout à fait possible que certaines continuent à exister, parce qu’elles peuvent vivre avec de la clientèle de particuliers et de petites entreprises. Mais il faudra qu’elles soient très bien gérées et qu’elles proposent des produits qui soient suffisamment diversifiés. Sur cette base, je crois que c’est possible.

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