En effet la continuité, comme résultat de ces élections, semble quasiment exclue à coup sûr. À moins que les sondages d'opinion ne se trompent à un point sans précédent dans l'histoire britannique, les deux partis qui composent le gouvernement de coalition, les conservateurs du Premier ministre David Cameron et les libéraux-démocrates, n'ont presque aucune chance d'obtenir une majorité parlementaire conjointe.
Une possibilité (avec une probabilité légèrement supérieure à 50% selon les sondages), est que la Grande-Bretagne, berceau du thatchérisme et porte-étendard de l'économie néolibérale de l'UE, élise prochainement un gouvernement à majorité travailliste déterminé à lever les plus fortes taxes depuis 1970. En outre, en raison des particularités propres au système électoral britannique et à la montée du nationalisme en Écosse et au pays de Galles, la survie d'un gouvernement travailliste risque de dépendre de son soutien par des partis ayant des programmes économiques encore plus radicaux et dédiés au démantèlement du Royaume-Uni.
Un autre scénario, presque aussi probable qu'une coalition sous direction travailliste, est un gouvernement conservateur faible et instable. À en juger d'après les sondages d'opinion, le meilleur espoir de Cameron consiste à obtenir davantage de sièges parlementaires que les travaillistes. Il devra en outre tenter de former un gouvernement minoritaire, capable de se maintenir aussi longtemps que les autres partis seront incapables de se liguer contre lui. Ceci est possible, parce que les démocrates libéraux et le Parti nationaliste écossais peuvent trouver des avantages à laisser au pouvoir un gouvernement conservateur faible, au moins dans un premier temps.
Mais un gouvernement conservateur minoritaire peut entraîner des incertitudes et des risques supplémentaires. Cameron serait plus vulnérable que tout autre dirigeant de l'histoire britannique d'après-guerre au chantage par les dissidents et les extrémistes de son propre parti, qui considèrent comme leur mission historique ce projet de faire sortir la Grande-Bretagne de l'UE. Et un gouvernement minoritaire serait incapable d'adopter toute loi controversée à laquelle les nationalistes écossais seraient opposés.
En outre, les institutions politiques de Grande-Bretagne risquent d'être incapables de faire face. La constitution non écrite du Royaume-Uni est entièrement fondée sur la tradition et sur la jurisprudence. Cet arrangement a toujours présupposé des gouvernements forts, dotés de mandats clairs. Une telle constitution convient si mal à des gouvernements par des coalitions et des minorités, que certains juristes se demandent si la Reine doit faire un discours au Parlement, au nom de « son » nouveau gouvernement, s'il risquait d'être renversé au bout de quelques semaines ou de quelques mois.
Et pourtant, bien que les pronostics électoraux tiennent un gouvernement centriste stable pour quasi impossible (dans le sens où il doit être capable de maintenir les mesures actuelles de la Grande-Bretagne sur le plan fiscal, sur celui de la gestion économique et de l'Europe), la continuité est le résultat auquel s'attendent la plupart des dirigeants et des hommes d'affaires internationaux.
La meilleure preuve de cela est visible sur les marchés financiers. Bien que la livre ait baissé d'environ 10% depuis son pic à 1,70 dollar en septembre dernier, la faiblesse de la livre sterling n'a fait que traduire la force du dollar. Durant la même période, la livre sterling a augmenté de près de 10% par rapport à l'euro, alors que les prix des actions britanniques ont battu tous les records et que les obligations d'État ont généré de meilleurs rendements en Grande-Bretagne qu'aux États-Unis, qu'en Allemagne ou qu'au Japon.
Qu'est-ce qui explique cette apparente indifférence (perceptible aussi chez les politiciens européens), face aux risques politiques qui se profilent en Grande-Bretagne ?
De nombreux observateurs internationaux estiment que la politique de la Grande-Bretagne n'a plus vraiment d'importance, parce que l'économie est fondamentalement saine et qu'elle montre les signes d'une croissance assez saine. Mais cet argument est dangereusement complaisant.
Certes la Grande-Bretagne a bien enregistré la croissance économique la plus rapide parmi les grands pays de l'OCDE en 2014 et son taux de chômage est inférieur de 50% à la moyenne de l'UE. Mais ces indicateurs favorables cachent une source de risque énorme : l'un des plus forts déficits extérieurs au monde, financé l'année dernière par des apports de capitaux étrangers à hauteur de 160 milliards de dollars. L'écart du compte courant à 5,5% du PIB est de loin le plus élevé parmi les principaux pays de l'OCDE et se situe à un niveau associé depuis longtemps (aussi bien au Royaume-Uni qu'ailleurs) à l'apparition des crises financières.
Tant que la Grande-Bretagne était un havre de stabilité et de mesures fiscales favorables aux investisseurs étrangers, il n'avait aucun problème pour attirer les flux de capitaux. Mais les changements imminents dans la politique de la Grande-Bretagne et dans ses relations avec l'UE risquent d'attirer l'attention sur l'extrême dépendance de l'économie vis-à-vis des financements étrangers.
Un gouvernement travailliste utilisant des propositions fiscales spécifiquement conçues pour cibler les investisseurs étrangers privés, pourrait bien décourager les apports. Mais les investisseurs internationaux pourraient tout aussi bien être rebutés par la faiblesse d'un gouvernement conservateur dominé par l'aile europhobe du parti. Dans les deux cas, la croissance du PIB est susceptible de diminuer la confiance des entreprises, de ralentir la consommation et de mettre à mal les prix du logement, soit par de nouvelles taxes sous un gouvernement travailliste, soit par des incertitudes au sujet de l'adhésion à l'UE sous un gouvernement conservateur.
Une autre raison pour laquelle les observateurs internationaux ignorent peut-être des risques aussi évidents, c'est qu'ils sont en ce moment préoccupés par des événements plus dramatiques en Grèce et en Ukraine. Les politiciens, les analystes financiers et les politologues disposent d'un temps et d'une attention limitée. Ils ont tendance à se concentrer sur ce qui semble être le sujet le plus urgent : la politique britannique n'a pas ce statut en ce moment.
Là encore, de nombreux analystes apparemment perspicaces sont peut-être tout simplement dans un état de déni psychologique. Les sondages sur les entreprises et sur l'opinion financière en Grande-Bretagne accordent des majorités claires à ces groupes qui s'attendent à un élan soudain vers les conservateurs dans les derniers jours de la campagne électorale, qui pourraient mettre en place un gouvernement de coalition stable et de la continuité dans le contexte économico-politique.
Un tel changement de dernière minute dans les intentions de vote est possible, mais le temps est compté. En fait, l'opinion publique britannique est restée étrangement stable, non seulement pendant la campagne électorale officielle, mais au cours des 12 derniers mois. Il n'y a tout simplement pas de fondement rationnel pour s'attendre à ce que les conservateurs ou les travaillistes remportent la victoire décisive nécessaire pour former un gouvernement stable.
Les prochaines élections vont donc marquer le début (plutôt que la fin) d'une période d'incertitude pour la politique britannique, pour l'économie et la finance. Et la foi persistante dans la stabilité n'y changera probablement rien.
Anatole Kaletsky est président de l'Institute for New Economic Thinking et l'auteur de Capitalism 4.0, The Birth of a New Economy .
© Project Syndicate 1995–2015
Une possibilité (avec une probabilité légèrement supérieure à 50% selon les sondages), est que la Grande-Bretagne, berceau du thatchérisme et porte-étendard de l'économie néolibérale de l'UE, élise prochainement un gouvernement à majorité travailliste déterminé à lever les plus fortes taxes depuis 1970. En outre, en raison des particularités propres au système électoral britannique et à la montée du nationalisme en Écosse et au pays de Galles, la survie d'un gouvernement travailliste risque de dépendre de son soutien par des partis ayant des programmes économiques encore plus radicaux et dédiés au démantèlement du Royaume-Uni.
Un autre scénario, presque aussi probable qu'une coalition sous direction travailliste, est un gouvernement conservateur faible et instable. À en juger d'après les sondages d'opinion, le meilleur espoir de Cameron consiste à obtenir davantage de sièges parlementaires que les travaillistes. Il devra en outre tenter de former un gouvernement minoritaire, capable de se maintenir aussi longtemps que les autres partis seront incapables de se liguer contre lui. Ceci est possible, parce que les démocrates libéraux et le Parti nationaliste écossais peuvent trouver des avantages à laisser au pouvoir un gouvernement conservateur faible, au moins dans un premier temps.
Mais un gouvernement conservateur minoritaire peut entraîner des incertitudes et des risques supplémentaires. Cameron serait plus vulnérable que tout autre dirigeant de l'histoire britannique d'après-guerre au chantage par les dissidents et les extrémistes de son propre parti, qui considèrent comme leur mission historique ce projet de faire sortir la Grande-Bretagne de l'UE. Et un gouvernement minoritaire serait incapable d'adopter toute loi controversée à laquelle les nationalistes écossais seraient opposés.
En outre, les institutions politiques de Grande-Bretagne risquent d'être incapables de faire face. La constitution non écrite du Royaume-Uni est entièrement fondée sur la tradition et sur la jurisprudence. Cet arrangement a toujours présupposé des gouvernements forts, dotés de mandats clairs. Une telle constitution convient si mal à des gouvernements par des coalitions et des minorités, que certains juristes se demandent si la Reine doit faire un discours au Parlement, au nom de « son » nouveau gouvernement, s'il risquait d'être renversé au bout de quelques semaines ou de quelques mois.
Et pourtant, bien que les pronostics électoraux tiennent un gouvernement centriste stable pour quasi impossible (dans le sens où il doit être capable de maintenir les mesures actuelles de la Grande-Bretagne sur le plan fiscal, sur celui de la gestion économique et de l'Europe), la continuité est le résultat auquel s'attendent la plupart des dirigeants et des hommes d'affaires internationaux.
La meilleure preuve de cela est visible sur les marchés financiers. Bien que la livre ait baissé d'environ 10% depuis son pic à 1,70 dollar en septembre dernier, la faiblesse de la livre sterling n'a fait que traduire la force du dollar. Durant la même période, la livre sterling a augmenté de près de 10% par rapport à l'euro, alors que les prix des actions britanniques ont battu tous les records et que les obligations d'État ont généré de meilleurs rendements en Grande-Bretagne qu'aux États-Unis, qu'en Allemagne ou qu'au Japon.
Qu'est-ce qui explique cette apparente indifférence (perceptible aussi chez les politiciens européens), face aux risques politiques qui se profilent en Grande-Bretagne ?
De nombreux observateurs internationaux estiment que la politique de la Grande-Bretagne n'a plus vraiment d'importance, parce que l'économie est fondamentalement saine et qu'elle montre les signes d'une croissance assez saine. Mais cet argument est dangereusement complaisant.
Certes la Grande-Bretagne a bien enregistré la croissance économique la plus rapide parmi les grands pays de l'OCDE en 2014 et son taux de chômage est inférieur de 50% à la moyenne de l'UE. Mais ces indicateurs favorables cachent une source de risque énorme : l'un des plus forts déficits extérieurs au monde, financé l'année dernière par des apports de capitaux étrangers à hauteur de 160 milliards de dollars. L'écart du compte courant à 5,5% du PIB est de loin le plus élevé parmi les principaux pays de l'OCDE et se situe à un niveau associé depuis longtemps (aussi bien au Royaume-Uni qu'ailleurs) à l'apparition des crises financières.
Tant que la Grande-Bretagne était un havre de stabilité et de mesures fiscales favorables aux investisseurs étrangers, il n'avait aucun problème pour attirer les flux de capitaux. Mais les changements imminents dans la politique de la Grande-Bretagne et dans ses relations avec l'UE risquent d'attirer l'attention sur l'extrême dépendance de l'économie vis-à-vis des financements étrangers.
Un gouvernement travailliste utilisant des propositions fiscales spécifiquement conçues pour cibler les investisseurs étrangers privés, pourrait bien décourager les apports. Mais les investisseurs internationaux pourraient tout aussi bien être rebutés par la faiblesse d'un gouvernement conservateur dominé par l'aile europhobe du parti. Dans les deux cas, la croissance du PIB est susceptible de diminuer la confiance des entreprises, de ralentir la consommation et de mettre à mal les prix du logement, soit par de nouvelles taxes sous un gouvernement travailliste, soit par des incertitudes au sujet de l'adhésion à l'UE sous un gouvernement conservateur.
Une autre raison pour laquelle les observateurs internationaux ignorent peut-être des risques aussi évidents, c'est qu'ils sont en ce moment préoccupés par des événements plus dramatiques en Grèce et en Ukraine. Les politiciens, les analystes financiers et les politologues disposent d'un temps et d'une attention limitée. Ils ont tendance à se concentrer sur ce qui semble être le sujet le plus urgent : la politique britannique n'a pas ce statut en ce moment.
Là encore, de nombreux analystes apparemment perspicaces sont peut-être tout simplement dans un état de déni psychologique. Les sondages sur les entreprises et sur l'opinion financière en Grande-Bretagne accordent des majorités claires à ces groupes qui s'attendent à un élan soudain vers les conservateurs dans les derniers jours de la campagne électorale, qui pourraient mettre en place un gouvernement de coalition stable et de la continuité dans le contexte économico-politique.
Un tel changement de dernière minute dans les intentions de vote est possible, mais le temps est compté. En fait, l'opinion publique britannique est restée étrangement stable, non seulement pendant la campagne électorale officielle, mais au cours des 12 derniers mois. Il n'y a tout simplement pas de fondement rationnel pour s'attendre à ce que les conservateurs ou les travaillistes remportent la victoire décisive nécessaire pour former un gouvernement stable.
Les prochaines élections vont donc marquer le début (plutôt que la fin) d'une période d'incertitude pour la politique britannique, pour l'économie et la finance. Et la foi persistante dans la stabilité n'y changera probablement rien.
Anatole Kaletsky est président de l'Institute for New Economic Thinking et l'auteur de Capitalism 4.0, The Birth of a New Economy .
© Project Syndicate 1995–2015