L'aversion idéologique vis-à-vis de l'investissement du secteur public, de même que la prédominance d'un mode de pensée à court terme de la part de ceux qui rédigent les budgets, ont abaissé les dépenses jusqu'à des niveaux bien insuffisants en matières d'autoroutes, d'aéroports, de chemins de fer, de réseaux de télécommunications et de production d'électricité. Seulement voilà, cette problématique ne peut plus être ignorée. Si les États-Unis n'agissent pas rapidement afin de conférer de solides fondations à leur reprise économique fragile, le pays pourrait à nouveau glisser lentement vers la stagnation.
La logique la plus évidente voudrait en principe qu'une économie développée procède judicieusement et continuellement à des investissements dans les biens publics. Or, au vu de la situation infrastructurelle des États-Unis, il semble que tous les acteurs décisionnels ne partagent pas cette conception. Dans le rapport 2013 de l'American Society of Civil Engineers, le pays n'obtient qu'une piètre note globale de D+ pour ses infrastructures. Le rapport énumère de nombreuses insuffisances spécifiques à chaque état, relevant par exemple la présence de « 88 barrages à risque élevé et 1 298 ponts structurellement défaillants » dans le Michigan, ou encore un besoin de financement à hauteur de « 44,5 milliards aux fins de la mise à niveau des systèmes d'eau potable » de Californie.
Ce rapport conclut en énonçant que 3 600 milliards $ d'investissements (soit environ un cinquième du PIB annuel du pays) seront nécessaires d'ici 2020 pour élever la qualité des infrastructures américaines, en remédiant aux « retards significatifs de maintenance [ainsi qu'au] besoin urgent de modernisation ». À défaut, les infrastructures croulantes du pays seront vouées à peser sur la croissance économique pour les années à venir.
Ce besoin critique de l'Amérique en infrastructures modernes survient d'une certaine manière à un moment opportun. À l'heure où la reprise économique du pays demeure fragile, la mise en œuvre d'un programme infrastructurel publiquement financé pourrait faire évoluer significativement les perspectives des travailleurs américains, faisant naître de nouvelles opportunités d'emploi pour la main-d’œuvre faiblement et sous-qualifiée.
Dans le même temps, les dépenses engagées dans la mise à niveau des infrastructures pourraient fournir une opportunité souvent négligée aux investisseurs institutionnels à long terme. Aux États-Unis, les fonds de pension, sociétés d'assurance et autres fonds communs de placement gèrent au total pour 30 000 milliards d'actifs, et peinent à dénicher des investissements susceptibles de satisfaire à leurs obligations à long terme. La persistance de faibles taux d'intérêt se révèle particulièrement problématique pour les fonds de pension, qui sont confrontés à une augmentation des passifs (selon un calcul effectué sur une base actualisée).
Le déploiement d'un programme à long terme de dynamisation des infrastructures déclinantes du pays constituerait un grand pas vers la résolution de l'écart entre actifs et dettes, en conférant aux fonds de pension un certain nombre d’investissements à horizons lointains (garantissant ainsi les revenus des retraités de demain), tout en exploitant les capitaux privés aux fins du bien commun. En réalité, ces fonds de pension investissent déjà dans les infrastructures, mais ils le font au Canada, en Australie, au Royaume-Uni, ou encore aux Pays-Bas.
Il faut malheureusement s’attendre à ce que les objections idéologiques et la politique partisane jonchent d’obstacles le chemin en direction de la modernisation des infrastructures américaines, ainsi que de la création de telles opportunités au sein du pays. La question de l’investissement du secteur public ne cesse de raviver un conflit ancestral entre, d’une part, ceux qui insistent pour que l’État ne s’ingère pas dans les efforts de création d’emplois, et d’autre part ceux qui estiment que l’État aurait notamment pour responsabilité de donner du travail à une main-d’œuvre insuffisamment sollicitée.
L’une des manières d’éviter ce goulot d’étranglement consisterait pour le président américain Barack Obama à mettre en place une commission bipartisane en matière d’infrastructures, chargée de trouver des solutions au problème. Cette entité pourrait fonctionner à la manière de la Commission nationale chargée des budgets et réformes, institution bipartisane créée en 2010 afin d’appréhender les défis budgétaires de l’Amérique, ou à la manière des commissions sur la fermeture des bases militaires des années 1980 et 1990. En divisant la responsabilité entre les deux principaux partis du pays, cette commission pourrait ainsi libérer ses membres des pressions liées à la politique du quotidien, et leur permettre de se concentrer sur la santé de l’économie. Le Congrès pourrait ensuite procéder à un vote favorable ou défavorable, sur recommandation de la commission.
Chacun sait depuis bien longtemps combien les infrastructures constituent les fondamentaux des perspectives économiques d’un pays. En négligeant ces investissements pourtant nécessaires, l’Amérique s’est engagée sur un chemin précaire, susceptible d’aboutir à une situation de stagnation et de déclin, qui serait alors difficile à inverser.
Les dirigeants politiques américains n’ont aucun intérêt à suivre cette voie. La faiblesse des taux d’intérêt, le maintien du dollar en tant que principale monnaie de réserve mondiale, ainsi que la capacité du secteur public à accroître ses dépenses, sont autant d’arguments à l’appui de plus grandes dépenses dans les infrastructures. Au XXe siècle, le gouvernement américain a investi plusieurs milliards de dollars dans la reconstruction de l’économie européenne. En cette première moitié de nouveau siècle, l’heure est venue pour l’Amérique d’en faire de même sur son propre territoire.
Traduit de l’anglais par Martin Morel
Dambisa Moyo est l’auteur des ouvrages intitulés Dead Aid , Winner Take All , et How the West was Lost .
La logique la plus évidente voudrait en principe qu'une économie développée procède judicieusement et continuellement à des investissements dans les biens publics. Or, au vu de la situation infrastructurelle des États-Unis, il semble que tous les acteurs décisionnels ne partagent pas cette conception. Dans le rapport 2013 de l'American Society of Civil Engineers, le pays n'obtient qu'une piètre note globale de D+ pour ses infrastructures. Le rapport énumère de nombreuses insuffisances spécifiques à chaque état, relevant par exemple la présence de « 88 barrages à risque élevé et 1 298 ponts structurellement défaillants » dans le Michigan, ou encore un besoin de financement à hauteur de « 44,5 milliards aux fins de la mise à niveau des systèmes d'eau potable » de Californie.
Ce rapport conclut en énonçant que 3 600 milliards $ d'investissements (soit environ un cinquième du PIB annuel du pays) seront nécessaires d'ici 2020 pour élever la qualité des infrastructures américaines, en remédiant aux « retards significatifs de maintenance [ainsi qu'au] besoin urgent de modernisation ». À défaut, les infrastructures croulantes du pays seront vouées à peser sur la croissance économique pour les années à venir.
Ce besoin critique de l'Amérique en infrastructures modernes survient d'une certaine manière à un moment opportun. À l'heure où la reprise économique du pays demeure fragile, la mise en œuvre d'un programme infrastructurel publiquement financé pourrait faire évoluer significativement les perspectives des travailleurs américains, faisant naître de nouvelles opportunités d'emploi pour la main-d’œuvre faiblement et sous-qualifiée.
Dans le même temps, les dépenses engagées dans la mise à niveau des infrastructures pourraient fournir une opportunité souvent négligée aux investisseurs institutionnels à long terme. Aux États-Unis, les fonds de pension, sociétés d'assurance et autres fonds communs de placement gèrent au total pour 30 000 milliards d'actifs, et peinent à dénicher des investissements susceptibles de satisfaire à leurs obligations à long terme. La persistance de faibles taux d'intérêt se révèle particulièrement problématique pour les fonds de pension, qui sont confrontés à une augmentation des passifs (selon un calcul effectué sur une base actualisée).
Le déploiement d'un programme à long terme de dynamisation des infrastructures déclinantes du pays constituerait un grand pas vers la résolution de l'écart entre actifs et dettes, en conférant aux fonds de pension un certain nombre d’investissements à horizons lointains (garantissant ainsi les revenus des retraités de demain), tout en exploitant les capitaux privés aux fins du bien commun. En réalité, ces fonds de pension investissent déjà dans les infrastructures, mais ils le font au Canada, en Australie, au Royaume-Uni, ou encore aux Pays-Bas.
Il faut malheureusement s’attendre à ce que les objections idéologiques et la politique partisane jonchent d’obstacles le chemin en direction de la modernisation des infrastructures américaines, ainsi que de la création de telles opportunités au sein du pays. La question de l’investissement du secteur public ne cesse de raviver un conflit ancestral entre, d’une part, ceux qui insistent pour que l’État ne s’ingère pas dans les efforts de création d’emplois, et d’autre part ceux qui estiment que l’État aurait notamment pour responsabilité de donner du travail à une main-d’œuvre insuffisamment sollicitée.
L’une des manières d’éviter ce goulot d’étranglement consisterait pour le président américain Barack Obama à mettre en place une commission bipartisane en matière d’infrastructures, chargée de trouver des solutions au problème. Cette entité pourrait fonctionner à la manière de la Commission nationale chargée des budgets et réformes, institution bipartisane créée en 2010 afin d’appréhender les défis budgétaires de l’Amérique, ou à la manière des commissions sur la fermeture des bases militaires des années 1980 et 1990. En divisant la responsabilité entre les deux principaux partis du pays, cette commission pourrait ainsi libérer ses membres des pressions liées à la politique du quotidien, et leur permettre de se concentrer sur la santé de l’économie. Le Congrès pourrait ensuite procéder à un vote favorable ou défavorable, sur recommandation de la commission.
Chacun sait depuis bien longtemps combien les infrastructures constituent les fondamentaux des perspectives économiques d’un pays. En négligeant ces investissements pourtant nécessaires, l’Amérique s’est engagée sur un chemin précaire, susceptible d’aboutir à une situation de stagnation et de déclin, qui serait alors difficile à inverser.
Les dirigeants politiques américains n’ont aucun intérêt à suivre cette voie. La faiblesse des taux d’intérêt, le maintien du dollar en tant que principale monnaie de réserve mondiale, ainsi que la capacité du secteur public à accroître ses dépenses, sont autant d’arguments à l’appui de plus grandes dépenses dans les infrastructures. Au XXe siècle, le gouvernement américain a investi plusieurs milliards de dollars dans la reconstruction de l’économie européenne. En cette première moitié de nouveau siècle, l’heure est venue pour l’Amérique d’en faire de même sur son propre territoire.
Traduit de l’anglais par Martin Morel
Dambisa Moyo est l’auteur des ouvrages intitulés Dead Aid , Winner Take All , et How the West was Lost .