« L'hémorragie illicite des ressources de l'Afrique représente près de quatre fois sa dette extérieure », constate un rapport conjoint de la Banque africaine de développement (BAD) et de Global Financial Integrity, une ONG américaine. Les flux financiers illicites sont définis comme l'argent gagné illégalement et transféré ailleurs. Il provient généralement d'activités criminelles, de la corruption, de la fraude fiscale, de pots-de-vin et de la contrebande.
Pour le quotidien britannique The Guardian les estimations de la BAD et de l'ONG américaine, aussi élevées soient-elles, sous-estiment sans doute l'importance du problème, puisqu'elles elles ne reflètent pas la perte de fonds occasionnée par le trafic de drogue et la contrebande. Inverser le raisonnement « L'idée dominante a toujours été que l'Occident injecte de l'argent en Afrique, par le biais de l'aide étrangère et aux autres flux de capitaux du secteur privé, sans recevoir grand-chose en retour », estime Raymond Baker, le président de Global Financial Integrity. Pour M. Baker le rapport contredit ce raisonnement. L'Afrique est le créancier net du reste du monde depuis des décennies, analyse-t-il. Pour le professeur Mthuli Ncube, économiste en chef et vice-président de la BAD, qui est du même avis, « le continent africain est riche en ressources naturelles. Avec une bonne gestion des ressources, il serait en mesure de financer en grande partie son propre développement.
La composition de ces flux contredit également d'autres idées reçues. Selon les estimations de Global Financial Integrity, la corruption sous forme de pots-de-vin ou de malversation ne représente que 3 % environ des flux illicites, les activités criminelles telles que le trafic de drogue et la contrebande, 30 % à 35 % et les transactions commerciales des multinationales, pas moins de 60 % à 65 %. L'argent volé par les administrations publiques corrompues est insignifiant comparé aux autres formes de flux illicites, explique M. Baker. L'argent illicite franchit généralement les frontières dans le cadre du commerce international. Des informations incomplètes
Un Groupe de haut niveau de dix membres, présidé par l'ancien Chef d'État sud-africain Thabo Mbeki assisté par Carlos Lopes, Secrétaire exécutif de la Commission économique pour l'Afrique (CEA) étudie la question. Parmi les membres du Groupe figurent le Professeur Baker et l'Ambassadeur nigérian Segun Apata. Selon la CEA, les flux illicites réduisent les recettes fiscales de l'Afrique, fragilisent le commerce et l'investissement, en plus d'aggraver la pauvreté. Le rapport du Groupe sera publié en mars 2014. La mission du Groupe s'annonce difficile. Charles Goredema, chercheur à l'Institut d'études de sécurité basé en Afrique du Sud (ISS), note que dans bon nombre de pays africains, les informations sur les flux financiers illicites « sont sommaires, dissimulées dans une foule d'informations contradictoires et éparpillées à divers endroits ». Il place les centres des impôts et les ministères des mines en tête de liste des organes les plus réticents à communiquer les informations. M. Goredema estime que l'évaluation des flux financiers illicites est le lieu de nombreuses conjectures et les chiffres varient de 50 à 80 milliards de dollars par an. Les estimations de la CEA avancent quant à elles un chiffre supérieur à 900 milliards de dollars pour la période 1970-2008.
« L'absence de consensus s'explique probablement par le fait que la zone concernée est assez vaste, et par le fait que chaque organisation ne peut avoir accès qu'à une partie de celles-ci à un moment donné », écrit M. Goredema.
Manipulation des prix Les groupes de recherche et de pression ayant étudié la question des flux financiers illicites voient néanmoins un lien direct entre ces flux et les efforts de l'Afrique visant à mobiliser ses propres ressources. Malgré une croissance annuelle de 5 % ces dix dernières années le continent peine à mobiliser ses ressources intérieures. Cet élan économique a au contraire provoqué une explosion des flux financiers illicites, déclare l'Ambassadeur nigérian Segun Apata.
Il existe de nombreux moyens de détourner des fonds, notamment la surfacturation ou la sous-facturation de marchés, les prix de transfert et le recours aux centres bancaires et financiers extraterritoriaux et aux paradis fiscaux. Lorsqu'une multinationale décide du montant des bénéfices à attribuer aux différentes branches d'une même société établie dans plusieurs pays, il y a un prix de transfert, puis on détermine le montant des impôts à verser à chaque administration publique. Les multinationales sont impliquées dans près de 60 % du commerce mondial.
« Bon nombre de pays en développement sont dotés d'un régime de prix de transfert faible ou incomplet », déclare The Guardian en s'appuyant sur un document de l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), un groupe de pays à économie développée. D'après ce document, les pays pauvres ne pèsent pas lourd dans les négociations. « Certains [pays] éprouvent des difficultés à appliquer ce régime en raison du caractère lacunaire de la législation, de l'absence ou de la faiblesse des règlements et lignes directrices à l'usage des entreprises », indique le document de l'OCDE, ajoutant que les pays pauvres disposent d'une expertise technique limitée pour évaluer les risques des prix de transfert, ainsi que pour négocier des ajustements avec les multinationales.
Des refuges fiscaux extraterritoriaux D'après le document de l'OCDE, les pays membres ne parviennent pas à identifier les propriétaires des entreprises bénéficiaires du blanchiment d'argent. Il accuse les membres de l'OCDE de ne pas suffisamment sévir contre les flux illicites. L'OCDE recommande à ses membres d'investir dans les systèmes fiscaux et anti-corruption des pays pauvres, pour obtenir de meilleurs résultats. Aujourd'hui, la majeure partie des flux illicites est véhiculée par l'entremise de paradis fiscaux internationaux, déclare la Fondation Thabo Mbeki, une ONG créée par l'ancien président. La fondation accuse les « juridictions opaques » d'abriter des millions de sociétés écran et fictives. « Les pays en voie de développement perdent trois fois plus dans les paradis fiscaux que les aides qu'ils reçoivent », a déclaré Melanie Ward dans les colonnes de The Guardian. Mme Ward est l'une des porte-paroles de la campagne Enough Food for Everyone IF, une coalition d'associations caritatives réclamant des politiques alimentaires plus justes, et responsable du plaidoyer pour ActionAid, organisation de lutte contre la pauvreté. En 2007, un rapport de la Banque mondiale et de l'Office des Nations Unies contre la drogue et le crime estimait qu'avec 100 millions de dollars restitués à un pays en développement, il serait possible de financer de nombreuses urgences. Quelques exemples : jusqu'à 10 millions de moustiquaires imprégnées d'insecticide, 100 millions de traitements curatifs contre le paludisme, le traitement de première intention contre le VIH/sida pour 600 000 personnes pendant un an et le raccordement de 250 000 foyers à l'eau potable ou 240 km de routes goudronnées à double voie.
Le soutien en vue de l'instauration de nouvelles règles visant à limiter les refuges fiscaux extraterritoriaux est venu d'une source inattendue : les dirigeants de huit des plus grandes économies mondiales, le Groupe des Huit (G8). Touchés par la crise financière mondiale de 2008, les dirigeants du G8, réunis lors du sommet de Lough Erne en Irlande du Nord cette année, ont pour la première fois, présenté des lois pour lutter contre l'évasion fiscale. Ces lois obligeront désormais les multinationales à divulguer le montant des impôts qu'elles paient dans les pays où elles sont établies. À l'approche du sommet, des groupes s'étaient mobilisés pour obtenir des pays riches qu'ils établissent des lois pour la transparence de l'impôt sur les sociétés. Parmi eux figurait l'Africa Progress Panel, présidé par l'ancien Secrétaire général de l'ONU, Kofi Annan. La veille du sommet, il publiait son rapport annuel, très critique à l'égard des lois actuelles sur la transparence des multinationales notamment. Actes invraisemblables « Il est invraisemblable que certaines entreprises, souvent soutenues par des fonctionnaires malhonnêtes, pratiquent une évasion fiscale contraire à l'éthique et se servent des prix de transfert et de sociétés anonymes pour maximiser leurs profits, alors que des millions d'Africains sont privés de l'accès à une nutrition adéquate, à la santé et à l'éducation », écrit M. Annan dans l'avant-propos du rapport. Selon lui, l'évasion fiscale est une entrave à la répartition équitable entre les citoyens africains des bénéfices issus de leurs abondantes ressources.
Finalement, le G8 a adopté la Déclaration de Lough Erne, qui en 10 points appelle à la révision des lois. La déclaration incite aussi les autorités à communiquer systématiquement leurs informations fiscales aux autres pays pour lutter contre l'évasion fiscale. Elle souligne que les pays pauvres doivent disposer des informations et des moyens leur permettant de percevoir les impôts qui leur sont dus. La déclaration demande en outre aux sociétés extractives de déclarer les paiements à tous les gouvernements, qui à leur tour doivent les publier. Si le Financial Times a accueilli la déclaration comme « une avancée » dans la transparence des sociétés, Sally Copley, une autre porte-parole de la campagne IF, déclare dans un communiqué : « Le débat public pour une répression de la fraude fiscale a été remporté, mais le combat politique continue. » Elle souhaite que le G8 impose des règles strictes sur l'évasion fiscale.
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Pour le quotidien britannique The Guardian les estimations de la BAD et de l'ONG américaine, aussi élevées soient-elles, sous-estiment sans doute l'importance du problème, puisqu'elles elles ne reflètent pas la perte de fonds occasionnée par le trafic de drogue et la contrebande. Inverser le raisonnement « L'idée dominante a toujours été que l'Occident injecte de l'argent en Afrique, par le biais de l'aide étrangère et aux autres flux de capitaux du secteur privé, sans recevoir grand-chose en retour », estime Raymond Baker, le président de Global Financial Integrity. Pour M. Baker le rapport contredit ce raisonnement. L'Afrique est le créancier net du reste du monde depuis des décennies, analyse-t-il. Pour le professeur Mthuli Ncube, économiste en chef et vice-président de la BAD, qui est du même avis, « le continent africain est riche en ressources naturelles. Avec une bonne gestion des ressources, il serait en mesure de financer en grande partie son propre développement.
La composition de ces flux contredit également d'autres idées reçues. Selon les estimations de Global Financial Integrity, la corruption sous forme de pots-de-vin ou de malversation ne représente que 3 % environ des flux illicites, les activités criminelles telles que le trafic de drogue et la contrebande, 30 % à 35 % et les transactions commerciales des multinationales, pas moins de 60 % à 65 %. L'argent volé par les administrations publiques corrompues est insignifiant comparé aux autres formes de flux illicites, explique M. Baker. L'argent illicite franchit généralement les frontières dans le cadre du commerce international. Des informations incomplètes
Un Groupe de haut niveau de dix membres, présidé par l'ancien Chef d'État sud-africain Thabo Mbeki assisté par Carlos Lopes, Secrétaire exécutif de la Commission économique pour l'Afrique (CEA) étudie la question. Parmi les membres du Groupe figurent le Professeur Baker et l'Ambassadeur nigérian Segun Apata. Selon la CEA, les flux illicites réduisent les recettes fiscales de l'Afrique, fragilisent le commerce et l'investissement, en plus d'aggraver la pauvreté. Le rapport du Groupe sera publié en mars 2014. La mission du Groupe s'annonce difficile. Charles Goredema, chercheur à l'Institut d'études de sécurité basé en Afrique du Sud (ISS), note que dans bon nombre de pays africains, les informations sur les flux financiers illicites « sont sommaires, dissimulées dans une foule d'informations contradictoires et éparpillées à divers endroits ». Il place les centres des impôts et les ministères des mines en tête de liste des organes les plus réticents à communiquer les informations. M. Goredema estime que l'évaluation des flux financiers illicites est le lieu de nombreuses conjectures et les chiffres varient de 50 à 80 milliards de dollars par an. Les estimations de la CEA avancent quant à elles un chiffre supérieur à 900 milliards de dollars pour la période 1970-2008.
« L'absence de consensus s'explique probablement par le fait que la zone concernée est assez vaste, et par le fait que chaque organisation ne peut avoir accès qu'à une partie de celles-ci à un moment donné », écrit M. Goredema.
Manipulation des prix Les groupes de recherche et de pression ayant étudié la question des flux financiers illicites voient néanmoins un lien direct entre ces flux et les efforts de l'Afrique visant à mobiliser ses propres ressources. Malgré une croissance annuelle de 5 % ces dix dernières années le continent peine à mobiliser ses ressources intérieures. Cet élan économique a au contraire provoqué une explosion des flux financiers illicites, déclare l'Ambassadeur nigérian Segun Apata.
Il existe de nombreux moyens de détourner des fonds, notamment la surfacturation ou la sous-facturation de marchés, les prix de transfert et le recours aux centres bancaires et financiers extraterritoriaux et aux paradis fiscaux. Lorsqu'une multinationale décide du montant des bénéfices à attribuer aux différentes branches d'une même société établie dans plusieurs pays, il y a un prix de transfert, puis on détermine le montant des impôts à verser à chaque administration publique. Les multinationales sont impliquées dans près de 60 % du commerce mondial.
« Bon nombre de pays en développement sont dotés d'un régime de prix de transfert faible ou incomplet », déclare The Guardian en s'appuyant sur un document de l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), un groupe de pays à économie développée. D'après ce document, les pays pauvres ne pèsent pas lourd dans les négociations. « Certains [pays] éprouvent des difficultés à appliquer ce régime en raison du caractère lacunaire de la législation, de l'absence ou de la faiblesse des règlements et lignes directrices à l'usage des entreprises », indique le document de l'OCDE, ajoutant que les pays pauvres disposent d'une expertise technique limitée pour évaluer les risques des prix de transfert, ainsi que pour négocier des ajustements avec les multinationales.
Des refuges fiscaux extraterritoriaux D'après le document de l'OCDE, les pays membres ne parviennent pas à identifier les propriétaires des entreprises bénéficiaires du blanchiment d'argent. Il accuse les membres de l'OCDE de ne pas suffisamment sévir contre les flux illicites. L'OCDE recommande à ses membres d'investir dans les systèmes fiscaux et anti-corruption des pays pauvres, pour obtenir de meilleurs résultats. Aujourd'hui, la majeure partie des flux illicites est véhiculée par l'entremise de paradis fiscaux internationaux, déclare la Fondation Thabo Mbeki, une ONG créée par l'ancien président. La fondation accuse les « juridictions opaques » d'abriter des millions de sociétés écran et fictives. « Les pays en voie de développement perdent trois fois plus dans les paradis fiscaux que les aides qu'ils reçoivent », a déclaré Melanie Ward dans les colonnes de The Guardian. Mme Ward est l'une des porte-paroles de la campagne Enough Food for Everyone IF, une coalition d'associations caritatives réclamant des politiques alimentaires plus justes, et responsable du plaidoyer pour ActionAid, organisation de lutte contre la pauvreté. En 2007, un rapport de la Banque mondiale et de l'Office des Nations Unies contre la drogue et le crime estimait qu'avec 100 millions de dollars restitués à un pays en développement, il serait possible de financer de nombreuses urgences. Quelques exemples : jusqu'à 10 millions de moustiquaires imprégnées d'insecticide, 100 millions de traitements curatifs contre le paludisme, le traitement de première intention contre le VIH/sida pour 600 000 personnes pendant un an et le raccordement de 250 000 foyers à l'eau potable ou 240 km de routes goudronnées à double voie.
Le soutien en vue de l'instauration de nouvelles règles visant à limiter les refuges fiscaux extraterritoriaux est venu d'une source inattendue : les dirigeants de huit des plus grandes économies mondiales, le Groupe des Huit (G8). Touchés par la crise financière mondiale de 2008, les dirigeants du G8, réunis lors du sommet de Lough Erne en Irlande du Nord cette année, ont pour la première fois, présenté des lois pour lutter contre l'évasion fiscale. Ces lois obligeront désormais les multinationales à divulguer le montant des impôts qu'elles paient dans les pays où elles sont établies. À l'approche du sommet, des groupes s'étaient mobilisés pour obtenir des pays riches qu'ils établissent des lois pour la transparence de l'impôt sur les sociétés. Parmi eux figurait l'Africa Progress Panel, présidé par l'ancien Secrétaire général de l'ONU, Kofi Annan. La veille du sommet, il publiait son rapport annuel, très critique à l'égard des lois actuelles sur la transparence des multinationales notamment. Actes invraisemblables « Il est invraisemblable que certaines entreprises, souvent soutenues par des fonctionnaires malhonnêtes, pratiquent une évasion fiscale contraire à l'éthique et se servent des prix de transfert et de sociétés anonymes pour maximiser leurs profits, alors que des millions d'Africains sont privés de l'accès à une nutrition adéquate, à la santé et à l'éducation », écrit M. Annan dans l'avant-propos du rapport. Selon lui, l'évasion fiscale est une entrave à la répartition équitable entre les citoyens africains des bénéfices issus de leurs abondantes ressources.
Finalement, le G8 a adopté la Déclaration de Lough Erne, qui en 10 points appelle à la révision des lois. La déclaration incite aussi les autorités à communiquer systématiquement leurs informations fiscales aux autres pays pour lutter contre l'évasion fiscale. Elle souligne que les pays pauvres doivent disposer des informations et des moyens leur permettant de percevoir les impôts qui leur sont dus. La déclaration demande en outre aux sociétés extractives de déclarer les paiements à tous les gouvernements, qui à leur tour doivent les publier. Si le Financial Times a accueilli la déclaration comme « une avancée » dans la transparence des sociétés, Sally Copley, une autre porte-parole de la campagne IF, déclare dans un communiqué : « Le débat public pour une répression de la fraude fiscale a été remporté, mais le combat politique continue. » Elle souhaite que le G8 impose des règles strictes sur l'évasion fiscale.
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