Le président George Bush père avait déjà promu- en théorie seulement - l'idée d'un « compassionate capitalism » au siècle dernier. Une crise financière et économique plus tard, la finance reprend aujourd'hui le flambeau, avec le concept de « social impact investing ».
Sous ce jargon se cache l'ambition de faire des investissements qui rapportent, évidemment, mais en ayant un impact social et environnemental positif. Simple oxymore pour certains, l'idée est pourtant une réalité pour d'autres
De fait, banques, assurances, fonds de pension, de part et d'autre de l'Atlantique et jusqu'en Asie, s'intéressent désormais de près à cette nouvelle classe d'actifs financiers. Les montants investis de la sorte, qui pourraient passer de 400 à 1.000 milliards de dollars de 2015 à 2020, ne cessent de croître. Ainsi, selon la dernière étude de la banque américaine JP Morgan (en association avec le Global Impact Investing Network) auprès des 125 plus grandes institutions actives dans le domaine (totalisant 46 milliards de dollars d'actifs sous gestion), les montants qui seront injectés cette année, soit quelque 12,7 milliards de dollars, dépasseront de 19 % ceux de l'an dernier.
L'engouement du public semble certain, puisque les mêmes institutions annoncent des objectifs de levée de fonds doubles, à 4,5 milliards de dollars cette année, contre 2,8 milliards récoltés l'an dernier. Toujours selon l'étude de JP Morgan, 91 % des investisseurs interrogés et qui souhaitent, pour la moitié d'entre eux, des retours sur investissements compétitifs déclarent avoir obtenu des rendements égaux ou supérieurs à leurs attentes, tandis que 99 % estiment que l'impact social et environnemental observé a, lui aussi, été égal ou supérieur à leurs attentes.
Du coup, le public en redemande, et les institutions chargées de choisir les cibles se lamentent : elles ne trouvent paradoxalement pas assez de sociétés répondant aux critères pour y investir De quoi susciter des vocations...
Il n'en reste pas moins que le concept se développe aussi rapidement dans l'Hexagone. Mieux, les Français font, comme M. Jourdain, de « l'impact investing » sans le savoir Par le biais de l'épargne salariale solidaire, nombreux sont les salariés qui privilégient désormais ce type d'investissements gagnant-gagnant. D'autant que les employeurs ont l'obligation de proposer à leurs salariés des fonds investis à hauteur de 5 à 10 % dans des entreprises solidaires.
En conséquence, les banques, en particulier, proposent de plus en plus de produits allant dans ce sens, et les fonds collectés ont grimpé. Chez BNP Paribas, le montant de l'épargne salariale investi dans des fonds solidaires est passé, entre 2010 et 2013, de 100 millions à 600 millions d'euros.
« L'investissement socialement responsable [ISR], dont certains fonds thématiques contribuent à "l'impact investing", devient une classe d'actifs attrayante, confirme ainsi Laurence Pessez, responsable de la RSE pour le groupe BNP Paribas. Alors que la décollecte, sur l'ensemble de nos actifs sous gestion, a été de 8,6 % l'an dernier, celle qui a visé les fonds ISR n'a été que de 1,7 % », fait-elle remarquer.
« Dans le contexte post-crise, les investisseurs, et surtout les jeunes, sont à la recherche de sens, et cette classe d'actifs en revêt un évident. De plus, ils privilégient la sécurité par rapport au risque et aux forts rendements », explique encore Laurence Pessez.
Ce qui n'empêche pas certains fonds ISR de la banque, comme ceux concentrés sur l'eau, le développement humain ou le financement des institutions de microfinance, de performer. Au contraire, ils font mieux que certains fonds traditionnels. Mais pour cela, encore faut-il bien choisir les sociétés ciblées. Les fonds ont donc établi des critères stricts, afin de ne pas se faire gruger par des effets d'affichage de la part de certaines entreprises tentées par le « social washing ». L'une annonce créer des emplois, mais ses activités polluent : comment alors la déclarer socialement responsable, par exemple ?
Au-delà de la traditionnelle bonne gouvernance, les critères de base sont donc souvent, et en particulier en France, la création d'emplois, mais aussi le type de services rendus. Un microcrédit pour qu'une personne démunie puisse s'autoemployer, un centre d'appel adapté aux malentendants, autant d'initiatives qui, en revanche, passeront le test.
Cela dit, lorsqu'il s'agit de jauger, le plus objectivement possible, l'impact réel des activités d'une entreprise sur ses salariés, son secteur, l'environnement, la société dans son ensemble, voire le monde entier, les choses ne sont pas toujours simples...
« Il n'y a pas de critères universels », admet Jacky Prudhomme, responsable de l'intégration des critères ESG (environnement, social, gouvernance) et de l'investissement solidaire de BNP Paribas Investment Partners.
Certains investisseurs, comme Le Comptoir de l'innovation (lire l'entretien avec Nicolas Hazard, ci-contre) ont adopté un système de rating comprenant des dizaines de critères, afin d'établir des notes et répondre à la réalité de l'impact social et environnemental. Et à mesure que les critères s'installent, ils se déportent vers les investissements traditionnels.
« Nous avons l'ambition de proposer un bilan d'impact social de nos investissements solidaires au titre de l'épargne salariale en fin d'année », confirme d'ailleurs Jacky Prudhomme.
Les fonds d'investissement social ont été encouragés par diverses initiatives, dont celle du G8, qui a tenu à Londres un forum sur le social impact investing en juin 2013, et créé un groupe de réflexion dans la foulée. En septembre prochain, ses experts rendront leur rapport et offriront des recommandations pour développer ce nouveau marché, qui pourrait rendre des services que les États, trop endettés, ne peuvent ou ne veulent plus assumer, sans oublier, avec les créations d'emploi, la promesse d'une croissance économique renouvelée.
Laurence Pessez, la responsable de la RSE pour le groupe BNP Paribas, a déjà quelques idées pour dynamiser l'imact investing :
« Il faut imaginer un fléchage de l'investissement vers les entreprises qui font de l'impact social une priorité », dit-elle. Et pour cela, rien de tel qu'une incitation fiscale...
Ainsi, la création des contrats d'assurance-vie euro-croissance prévoit-elle une incitation à consacrer une part à l'économie sociale et au logement. Mais on est encore loin de la banalisation d'un secteur dynamique qui obtient enfin droit de cité, avec le vote final ces jours-ci de la loi préparée par Benoît Hamon (naguère ministre de l'Économie sociale et solidaire) sur l'ESS, projet de loi désormais porté par la secrétaire d'État Valérie Fourneyron devant la Chambre des députés, où les débats ont débuté mardi 13 mai. Faute de marges fiscales, les vraies incitations au développement de l'ESS tardent néanmoins à venir, et c'est donc surtout de l'initiative du secteur financier que dépend désormais le changement de culture en faveur de l'économie sociale et solidaire.
Latribune.fr
Sous ce jargon se cache l'ambition de faire des investissements qui rapportent, évidemment, mais en ayant un impact social et environnemental positif. Simple oxymore pour certains, l'idée est pourtant une réalité pour d'autres
De fait, banques, assurances, fonds de pension, de part et d'autre de l'Atlantique et jusqu'en Asie, s'intéressent désormais de près à cette nouvelle classe d'actifs financiers. Les montants investis de la sorte, qui pourraient passer de 400 à 1.000 milliards de dollars de 2015 à 2020, ne cessent de croître. Ainsi, selon la dernière étude de la banque américaine JP Morgan (en association avec le Global Impact Investing Network) auprès des 125 plus grandes institutions actives dans le domaine (totalisant 46 milliards de dollars d'actifs sous gestion), les montants qui seront injectés cette année, soit quelque 12,7 milliards de dollars, dépasseront de 19 % ceux de l'an dernier.
L'engouement du public semble certain, puisque les mêmes institutions annoncent des objectifs de levée de fonds doubles, à 4,5 milliards de dollars cette année, contre 2,8 milliards récoltés l'an dernier. Toujours selon l'étude de JP Morgan, 91 % des investisseurs interrogés et qui souhaitent, pour la moitié d'entre eux, des retours sur investissements compétitifs déclarent avoir obtenu des rendements égaux ou supérieurs à leurs attentes, tandis que 99 % estiment que l'impact social et environnemental observé a, lui aussi, été égal ou supérieur à leurs attentes.
Du coup, le public en redemande, et les institutions chargées de choisir les cibles se lamentent : elles ne trouvent paradoxalement pas assez de sociétés répondant aux critères pour y investir De quoi susciter des vocations...
A chacun sa manière de « redonner à la société »
Si Anglais et Américains bénéficient d'une tradition bien ancrée en ce qui concerne la philanthropie et le fait de « redonner à la société » ce qu'elle a bien voulu offrir aux plus chanceux, les Français, fiers de leur propre modèle, redistributif et facteur de cohésion sociale, ne sont pas en reste. Certes, leur rapport à l'argent est différent, et certains mécènes n'apprécieraient d'ailleurs pas le développement de ces investissements d'un nouveau genre, de nature à disqualifier leurs propres actions philanthropiques, qui ne rapportent rien par définition, si ce n'est de la publicité, sans oublier une meilleure conscience.Il n'en reste pas moins que le concept se développe aussi rapidement dans l'Hexagone. Mieux, les Français font, comme M. Jourdain, de « l'impact investing » sans le savoir Par le biais de l'épargne salariale solidaire, nombreux sont les salariés qui privilégient désormais ce type d'investissements gagnant-gagnant. D'autant que les employeurs ont l'obligation de proposer à leurs salariés des fonds investis à hauteur de 5 à 10 % dans des entreprises solidaires.
En conséquence, les banques, en particulier, proposent de plus en plus de produits allant dans ce sens, et les fonds collectés ont grimpé. Chez BNP Paribas, le montant de l'épargne salariale investi dans des fonds solidaires est passé, entre 2010 et 2013, de 100 millions à 600 millions d'euros.
« L'investissement socialement responsable [ISR], dont certains fonds thématiques contribuent à "l'impact investing", devient une classe d'actifs attrayante, confirme ainsi Laurence Pessez, responsable de la RSE pour le groupe BNP Paribas. Alors que la décollecte, sur l'ensemble de nos actifs sous gestion, a été de 8,6 % l'an dernier, celle qui a visé les fonds ISR n'a été que de 1,7 % », fait-elle remarquer.
Performance et quête de sens, c'est possible !
Mieux, 40 % de la nouvelle collecte réalisée auprès des particuliers en France en 2013 a eu lieu dans la gamme épargne responsable. BNP Paribas a beau n'avoir que 3 % de ces actifs sous gestion investis en ISR, la banque y croit.« Dans le contexte post-crise, les investisseurs, et surtout les jeunes, sont à la recherche de sens, et cette classe d'actifs en revêt un évident. De plus, ils privilégient la sécurité par rapport au risque et aux forts rendements », explique encore Laurence Pessez.
Ce qui n'empêche pas certains fonds ISR de la banque, comme ceux concentrés sur l'eau, le développement humain ou le financement des institutions de microfinance, de performer. Au contraire, ils font mieux que certains fonds traditionnels. Mais pour cela, encore faut-il bien choisir les sociétés ciblées. Les fonds ont donc établi des critères stricts, afin de ne pas se faire gruger par des effets d'affichage de la part de certaines entreprises tentées par le « social washing ». L'une annonce créer des emplois, mais ses activités polluent : comment alors la déclarer socialement responsable, par exemple ?
Au-delà de la traditionnelle bonne gouvernance, les critères de base sont donc souvent, et en particulier en France, la création d'emplois, mais aussi le type de services rendus. Un microcrédit pour qu'une personne démunie puisse s'autoemployer, un centre d'appel adapté aux malentendants, autant d'initiatives qui, en revanche, passeront le test.
Cela dit, lorsqu'il s'agit de jauger, le plus objectivement possible, l'impact réel des activités d'une entreprise sur ses salariés, son secteur, l'environnement, la société dans son ensemble, voire le monde entier, les choses ne sont pas toujours simples...
« Il n'y a pas de critère universels »
L'université de Stanford, en Californie, s'est ainsi interrogée, à l'automne 2013, lors d'un débat intitulé « Quand "l'impact investing" a-t-il un impact réel ? », sur des problèmes concrets soulevés par ce secteur, tels que :« Une entreprise qui crée des emplois, mais de mauvaise qualité, répond-elle alors aux critères ? » ou encore : « Fournir de l'eau à des populations pauvres en Afrique a-t-il plus de valeur sociale que la création d'emplois dans la Silicon Valley ? »...« Il n'y a pas de critères universels », admet Jacky Prudhomme, responsable de l'intégration des critères ESG (environnement, social, gouvernance) et de l'investissement solidaire de BNP Paribas Investment Partners.
Certains investisseurs, comme Le Comptoir de l'innovation (lire l'entretien avec Nicolas Hazard, ci-contre) ont adopté un système de rating comprenant des dizaines de critères, afin d'établir des notes et répondre à la réalité de l'impact social et environnemental. Et à mesure que les critères s'installent, ils se déportent vers les investissements traditionnels.
« Nous avons l'ambition de proposer un bilan d'impact social de nos investissements solidaires au titre de l'épargne salariale en fin d'année », confirme d'ailleurs Jacky Prudhomme.
Les fonds d'investissement social ont été encouragés par diverses initiatives, dont celle du G8, qui a tenu à Londres un forum sur le social impact investing en juin 2013, et créé un groupe de réflexion dans la foulée. En septembre prochain, ses experts rendront leur rapport et offriront des recommandations pour développer ce nouveau marché, qui pourrait rendre des services que les États, trop endettés, ne peuvent ou ne veulent plus assumer, sans oublier, avec les créations d'emploi, la promesse d'une croissance économique renouvelée.
Laurence Pessez, la responsable de la RSE pour le groupe BNP Paribas, a déjà quelques idées pour dynamiser l'imact investing :
« Il faut imaginer un fléchage de l'investissement vers les entreprises qui font de l'impact social une priorité », dit-elle. Et pour cela, rien de tel qu'une incitation fiscale...
Ainsi, la création des contrats d'assurance-vie euro-croissance prévoit-elle une incitation à consacrer une part à l'économie sociale et au logement. Mais on est encore loin de la banalisation d'un secteur dynamique qui obtient enfin droit de cité, avec le vote final ces jours-ci de la loi préparée par Benoît Hamon (naguère ministre de l'Économie sociale et solidaire) sur l'ESS, projet de loi désormais porté par la secrétaire d'État Valérie Fourneyron devant la Chambre des députés, où les débats ont débuté mardi 13 mai. Faute de marges fiscales, les vraies incitations au développement de l'ESS tardent néanmoins à venir, et c'est donc surtout de l'initiative du secteur financier que dépend désormais le changement de culture en faveur de l'économie sociale et solidaire.
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