Ebola, une course contre la mort !

Dimanche 26 Octobre 2014

Le virus Ebola s'est imposé comme une urgence de santé publique. Bonne nouvelle, des progrès sont déjà accomplis, avec l'annonce d'un vaccin canadien et la mise au point par des chercheurs français d'un test rapide de dépistage. Mais les traitements, encore expérimentaux, ne seront au point que dans plusieurs mois, au mieux.


Ebola, une course contre la mort !
Depuis samedi dernier, les voyageurs en provenance de Guinée voient leur température contrôlée par des agents à leur arrivée à Roissy, une mesure jugée coûteuse et peu efficace par l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Avec l'accroissement du nombre de cas de contamination au virus Ebola hors d'Afrique, l'inquiétude grandit dans les pays développés. Certains parlent de « nouvelle peste » qui pourrait mettre un coup d'arrêt à la mondialisation, en bloquant le trafic aérien et les échanges. Tant aux États-Unis qu'en Europe et en France, les autorités de santé publique multiplient les mesures d'information et les messages pour rassurer la population et éviter la propagation d'une psychose plus rapide à s'étendre qu'une épidémie.
Certes, l'annonce, le 21 octobre, que des chercheurs français du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) ont mis au point un test de diagnostic rapide - moins de quinze minutes - de la maladie, est une avancée porteuse d'espoir. Mais il est vrai aussi qu'à ce jour il n'existe pas de médicament spécifique contre ce virus, découvert il y a trente-huit ans sur les berges de la rivière Ebola au Congo. Les principaux traitements administrés aujourd'hui sont des molécules expérimentales ou des médicaments antiviraux développés pour d'autres affections. Des traitements dont on espère qu'ils marcheront aussi sur Ebola.

Fragilité des systèmes de santé africains

Passé quasiment inaperçu depuis sa découverte, ce virus s'est imposé dans toutes les conversations. De fait, pour une épidémie infectieuse tropicale rare, il affiche des « performances » inattendues. Déjà plus de 4 500 morts en neuf mois (chiffre sans doute sous-estimé), soit 20 fois plus que la moyenne des épidémies de même type. Et une capacité à tuer 50 % de ses victimes moins de dix jours après l'apparition des symptômes (contre une mortalité de 10 % pour le Sras). Cela signifie que ceux qui y résistent guérissent spontanément.
Les premiers décès dus aux fièvres hémorragiques provoquées par Ebola sont apparus en Afrique de l'Ouest fin 2013, selon Médecins sans frontières (MSF). Rapidement, la multiplication des cas s'est transformée en épidémie dans des pays où les structures de soins sont particulièrement vétustes ou dévastées par des années de guerre civile. Même si certains pays résistent - tel le Nigeria qui n'est plus concerné par l'épidémie -, la fragilité des systèmes de santé fait planer la menace d'une perte de contrôle susceptible de ruiner les pays concernés (la Banque mondiale a évoqué, en fourchette haute, un coût de 33 milliards de dollars en 2014 et 2015 pour les 15 pays concernés). Aujourd'hui, du Liberia à la Sierra Leone en passant par la Guinée-Conakry, la propagation est difficile à maîtriser et on craint de passer à un rythme de 10000 cas par semaine d'ici peu.
Pourtant, sur l'échelle de mesure de la contagion, Ebola n'est pas dans le haut du classement. Avec un risque de contamination évalué à deux personnes par patient infecté, il est 20 fois moins contagieux que la rougeole. Comme le rappelle le Dr Bruno Marchou, chef du service des maladies infectieuses à l'hôpital Purpan de Toulouse :
« C'est un défi que l'on ne pourra relever que par la prise de conscience de l'absolue nécessité d'une solidarité planétaire. Si l'on s'en réfère aux chiffres, le seul paludisme tue plus de 1500 enfants chaque jour sans que cela suscite une grande émotion dans nos pays... »
Pour les Big Pharma, les grandes sociétés pharmaceutiques mondiales, cette épidémie devrait donc être une opportunité de marché comme les autres. Sauf que pour lutter contre ce virus, les médicaments candidats ne se bousculent pas. Presque quarante ans après son apparition, l'industrie pharmaceutique s'est peu investie dans la recherche sur Ebola : ses précédentes épidémies ne concernaient que quelques villages de brousse.
« Face à la progression, les experts de l'OMS ont répertorié cinq molécules expérimentales et deux vaccins à développer, explique Bernadette Murgue, directrice adjointe de l'Institut de microbiologie et maladies infectieuses. À cause de l'urgence, ces molécules font l'objet de procédures allégées. Si la première phase des essais cliniques pour repérer les effets secondaires n'a pas eu lieu, l'OMS en a quand même autorisé l'emploi dans le cadre d'essais cliniques contrôlés auprès de personnes contaminées. »
Passer directement en phase 2 sans mesurer les risques d'effets secondaires, voilà le calendrier « TGV » face à l'épidémie.
Parmi ces traitements moléculaires expérimentaux, le ZMapp associe trois anticorps dits « monoclonaux ». Il a été mis au point par la société Mapp Biopharmaceutical Inc. basée à San Diego. Bien que le ZMapp n'ait été testé que sur des primates, il a commencé à être administré aux malades, tout comme la molécule canadienne TKM-Ebola. En France, la ministre de la Santé, Marisol Touraine, a autorisé l'usage de trois médicaments, dont l'antiviral Avigan produit par la firme japonaise Toyama Chemical (filiale de FujiFilm). Déjà commercialisé au Japon pour des grippes atypiques, celui-là a déjà passé les deux phases cliniques et ne déclenche pas d'effets secondaires nocifs. Mais se montrera-t-il efficace contre Ebola ?
Si les anticorps ZMapp ou TKM-Ebola sont presque au point, il s'agit en réalité d'un coup de chance - ou d'une aubaine - plus que d'une stratégie de santé. Après les attentats du 11 septembre 2001 et les quelques enveloppes contaminées à l'Anthrax reçues par des membres du gouvernement américain, le président George W. Bush avait lancé un programme de défense contre le bioterrorisme.

Des traitements « non rentables »

Le virus Ebola - que les Américains appellent désormais le fear-bola, le virus de la peur - a alors figuré en bonne place parmi les agents infectieux pouvant devenir des « bonnes » armes biologiques. Le Pentagone a donc financé des recherches afin que des petits laboratoires trouvent des traitements et vaccins contre ce virus.
« On estime ce budget défense contre le bioterrorisme à 15 milliards de dollars aux ÉtatsUnis, observe Didier Raoult, directeur de l'unité de recherche sur les maladies infectieuses et tropicales émergentes à la faculté de Marseille. Des sommes indispensables pour développer des médicaments qui n'auront pas forcément de rentabilité à court terme. »
Dans l'actuelle course contre la montre, un passage en production industrielle des traitements, même expérimentaux, permettrait de rassurer les populations, à commencer par les soignants. Hélas, dans l'art d'assembler les molécules et de cultiver les anticorps, les technologies des start-up peuvent se révéler très complexes.
« Pour le ZMapp, les anticorps sont produits dans des feuilles de plants de tabac génétiquement modifiés, précise Julien Potet, responsable des maladies tropicales négligées au sein de la campagne d'accès aux médicaments essentiels de MSF. Les petites biotechs qui les développent n'ont pas les moyens de les produire en quantité. Mais devant l'urgence, on ne peut pas rester dans la logique de "business as usual". Le gouvernement américain travaille à transférer leurs technologies vers d'autres sociétés et à mettre au point des moyens de production plus simples. »
Pour cet humanitaire, il est urgent de trouver de nouveaux modèles économiques afin de produire des traitements ponctuels et non rentables, en couvrant les risques d'inefficacité ou d'absence de marché.
« Un des produits prometteurs développé par la biotech américaine Sarepta Therapeutics a été abandonné au moment de la réduction du budget de défense des États-Unis, regrette-t-il. Du coup, ses équipes ne disposaient que d'une centaine de doses en septembre dernier. »
Dans la recherche Ebola, d'autres pistes commencent à émerger. Comme la sérothérapie, soit l'utilisation de la partie liquide du sang.
« À partir du plasma des patients qui ont guéri du virus, il est possible d'isoler les anticorps que leurs organismes ont développés pour se défendre et qui ont eu raison d'Ebola, explique le Pr Yazdan Yazdanpanah, chef du service des maladies infectieuses et tropicales de l'hôpital Bichat-Claude-Bernard. Cela permettrait de produire du sérum "hyperimmun" pour aider les personnes contaminées à guérir. L'Établissement français du sang, l'Inserm et nos partenaires européens sont actuellement mobilisés pour cette recherche. »
Le dossier est suivi de près par le ministère de Marisol Touraine.
« Cette recherche sera menée principalement dans les pays touchés par le virus, précise Benoît Vallet, directeur général de la santé. Mais il faudra assurer la sécurité des échantillons utilisés, car les populations de ces pays peuvent être porteuses d'autres pathologies tropicales. Cela peut prendre plusieurs mois. »
Autre piste de recherche citée par Benoît Vallet, un laboratoire lyonnais travaillerait également sur le développement d'un traitement de sérothérapie à partir de plasma de cheval. En France, le Centre international de recherche en infectiologie (Ciri) est le seul institut de recherche impliqué dans l'étude de ce type de virus à fièvre hémorragique. Quatre de ses équipes travaillent actuellement sur Ebola au laboratoire P4 Inserm-JeanMérieux.

Deux rivaux pour l'élaboration du vaccin

Reste l'espoir d'un vaccin autour duquel semblent concourir deux principaux candidats : le sérum expérimental mis au point par le gouvernement canadien VSV-Ebov et celui du géant pharmaceutique britannique GlaxoSmithKline (GSK) ChAd3. Alors que ces deux vaccins sont encore en essais cliniques de phase 1 (l'étude des effets secondaires) et que leurs résultats sont attendus pour la fin de l'année, le Canada vient de marquer un point dans la guerre de communication. En s'engageant, le 20 octobre, à expédier 800 fioles de son VSV-Ebov à l'OMS, le gouvernement canadien laisse entendre que le vaccin dont il possède la propriété intellectuelle est le premier sur le marché. Mais son sérum, dont la licence de commercialisation est détenue par la société américaine NewLink Genetics, devra attendre une décision de l'OMS pour être autorisé. Et si son utilisation devait être élargie, elle se ferait toujours dans le cadre d'essais cliniques, mais sur un plus grand nombre de personnes souffrant de la maladie. Même programme chez GSK dont le vaccin termine aussi ses essais de phase 1 et pourrait être utilisé au début de l'année 2015 dans les mêmes conditions.
« Normalement, il faut dix à trente ans pour un nouveau vaccin, rappelle Emmanuel Hanon, responsable de la recherche de la division vaccins. Nous accélérons toutes les procédures, pour fournir l'ensemble des données nécessaires sur ce vaccin, mais aussi pour augmenter les capacités de production. L'urgence et la complexité du projet justifient un travail en partenariat avec différents instituts de recherche et autorités de régulation pour accélérer le développement clinique et l'obtention d'une licence. »
Au-delà de toutes ces recherches, pour Didier Raoult, cette épidémie repose la question de la durée de vie des brevets des molécules, une durée fixée à vingt ans.
« Comme il faut dix ans pour transformer un brevet de molécule en médicament commercialisé, il ne reste aux groupes pharmaceutiques que dix ans pour rentabiliser leurs investissements de recherche, avant de devoir affronter la concurrence des génériques. Du coup, certaines molécules prometteuses ne font pas l'objet de recherche car les grands groupes pensent qu'elles ne seraient pas assez rentables dans le délai fixé. »
Faut-il allonger la durée des brevets pharmaceutiques pour favoriser les recherches ? Les États doivent-ils financer le développement des molécules pour les virus rares et les maladies orphelines ? Autant de questions que soulève également la lutte contre Ebola.
Latribune.fr
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