En cette époque qui voit les crises s'entremêler et s'aggraver, l'ordre international semble de plus en plus fracturé, et il règne une profonde incertitude quant au rôle même de l'ONU. Où pouvons-nous trouver l'élan et la direction nécessaires pour restaurer le multilatéralisme ?
La réponse à cette question nécessite une compréhension plus profonde des mentalités, des préoccupations et des espoirs des populations à travers le monde. Pour y contribuer, les Open Society Foundations, l'organisation philanthropique que je dirige, a récemment mené l'une des plus grandes études d'opinion publique mondiale jamais réalisées. Notre baromètre Open Society a interrogé plus de 36 000 personnes issues d’un groupe diversifié de 30 pays, représentant environ deux tiers de la population mondiale.
Leurs réponses apportent un éclairage sur les valeurs et les objectifs fédérateurs qui manquent cruellement à notre système actuel de gouvernance mondiale. Elles révèlent que les individus à travers le monde croient encore en la démocratie, mais qu’en cette époque de crises et d’inégalités, ils attendent d’elle qu’elle produise des améliorations tangibles dans leur propre vie.
Les chiffres en provenance d'Afrique sont particulièrement frappants. Huit des 30 pays que nous avons sondés – l'Égypte, l'Éthiopie, le Ghana, le Kenya, le Nigeria, le Sénégal, l'Afrique du Sud et la Tunisie – font partie de ce continent. Bien entendu, les réponses varient considérablement sur certaines questions, reflétant différentes situations historiques et politiques. À titre d’illustration, 63 % des Égyptiens pensent que la gouvernance militaire est une bonne manière de diriger un pays, contre 40 % des Éthiopiens et seulement 20 % des Sénégalais. Dans le même temps, une proportion encore plus élevée d'Égyptiens aspire à la démocratie ; manifestement, les Égyptiens ne sont pas certains que leur brève expérience de la démocratie puisse être considérée comme un succès.
Il convient de noter que si la majorité des répondant parmi les 30 pays sondés exprime des sentiments d'insécurité et d'injustice, c’est en Afrique que ce ressenti et le plus prononcé. De même, les répondants du continent comptent parmi les plus inquiets face à l'impact négatif du changement climatique sur leur vie et leurs moyens de subsistance. Au Kenya et en Éthiopie, par exemple, 83 % des répondants expriment ces préoccupations.
Parmi les cinq pays dans lesquels nos sondages révèlent le plus de peur quant au risque de voir les troubles politiques conduire à des violences au cours de l’année à venir, quatre se situent en Afrique : le Kenya, l'Afrique du Sud, le Nigeria et le Sénégal. Les Africains sont également les plus enclins à considérer que les inégalités entre les États constituent aujourd'hui un plus grand défi qu’en 2022. Ce sentiment est particulièrement exprimé en Éthiopie, au Kenya et au Sénégal, même si les huit pays africains figurent tous dans la moitié supérieure de nos sondages sur cette question.
De même, bien qu’une majorité de répondants dans la plupart des pays partagent certaines convictions sur la nécessité de changements mondiaux, c’est généralement en Afrique que ces majorités sont les plus nombreuses. Les répondants africains, notamment nigérians et kényans, sont par exemple les plus enclins à affirmer que « les droits de l’homme correspondent aux valeurs auxquelles je crois », et ceux qui considèrent le plus que « des mécanismes de type interdictions de voyage et gel des comptes bancaires constituent des moyens utiles de soumettre à la justice ceux qui violent les droits de l’homme ».
Plus que les répondants d'autres continents, les Africains considèrent que les États devraient proposer davantage de voies sûres et légales pour les réfugiés. Les habitants du continent sont extrêmement favorables à un rééquilibrage des institutions internationales, nombre d’entre eux plaidant pour que les pays à faible revenu pèsent davantage dans la prise de décisions au niveau mondial. Sept des dix groupes nationaux les plus en phase avec l’affirmation « les pays à revenu élevé devraient verser plus d'argent à la Banque mondiale » se situent en Afrique.
Observés dans leur ensemble, ces résultats révèlent une Afrique semblable au reste du monde – mais une Afrique plus convaincue que les autres. Le continent se situant en première ligne de ce que l’on appelle la « polycrise », les Africains ressentent ses effets de manière plus immédiate qu’ailleurs. Mais ils sont également les plus susceptibles d'adopter les solutions nécessaires, telles que la réforme des structures de la gouvernance mondiale et de l'architecture financière internationale, la stabilisation de l'interdépendance chaotique actuelle, ou encore la réalisation de nouveaux investissements massifs dans le développement durable.
Au niveau mondial, le sondage révèlent que les individus se montrent beaucoup plus progressistes que leurs dirigeants politiques dans leurs attentes vis-à-vis du multilatéralisme. Ils aspirent à des solutions internationales efficaces aux problèmes immédiats qui impactent leur existence. Cette espérance s’observe en Afrique plus que partout ailleurs.
Pour ceux d'entre nous qui sont à la recherche des idées de demain et des représentants futurs de la réforme multilatérale, la nécessité apparaît évidente de porter le regard au-delà des protagonistes habituels – les gouvernements occidentaux protégeant jalousement leur pouvoir et leurs privilèges – et de puiser davantage dans le vivier des pays du Sud. C’est là que réside l’avenir.
Mark Malloch-Brown, ancien secrétaire général adjoint de l’ONU, et coprésident de la Fondation des Nations Unies, est président des Open Society Foundations.
© Project Syndicate 1995–2023
La réponse à cette question nécessite une compréhension plus profonde des mentalités, des préoccupations et des espoirs des populations à travers le monde. Pour y contribuer, les Open Society Foundations, l'organisation philanthropique que je dirige, a récemment mené l'une des plus grandes études d'opinion publique mondiale jamais réalisées. Notre baromètre Open Society a interrogé plus de 36 000 personnes issues d’un groupe diversifié de 30 pays, représentant environ deux tiers de la population mondiale.
Leurs réponses apportent un éclairage sur les valeurs et les objectifs fédérateurs qui manquent cruellement à notre système actuel de gouvernance mondiale. Elles révèlent que les individus à travers le monde croient encore en la démocratie, mais qu’en cette époque de crises et d’inégalités, ils attendent d’elle qu’elle produise des améliorations tangibles dans leur propre vie.
Les chiffres en provenance d'Afrique sont particulièrement frappants. Huit des 30 pays que nous avons sondés – l'Égypte, l'Éthiopie, le Ghana, le Kenya, le Nigeria, le Sénégal, l'Afrique du Sud et la Tunisie – font partie de ce continent. Bien entendu, les réponses varient considérablement sur certaines questions, reflétant différentes situations historiques et politiques. À titre d’illustration, 63 % des Égyptiens pensent que la gouvernance militaire est une bonne manière de diriger un pays, contre 40 % des Éthiopiens et seulement 20 % des Sénégalais. Dans le même temps, une proportion encore plus élevée d'Égyptiens aspire à la démocratie ; manifestement, les Égyptiens ne sont pas certains que leur brève expérience de la démocratie puisse être considérée comme un succès.
Il convient de noter que si la majorité des répondant parmi les 30 pays sondés exprime des sentiments d'insécurité et d'injustice, c’est en Afrique que ce ressenti et le plus prononcé. De même, les répondants du continent comptent parmi les plus inquiets face à l'impact négatif du changement climatique sur leur vie et leurs moyens de subsistance. Au Kenya et en Éthiopie, par exemple, 83 % des répondants expriment ces préoccupations.
Parmi les cinq pays dans lesquels nos sondages révèlent le plus de peur quant au risque de voir les troubles politiques conduire à des violences au cours de l’année à venir, quatre se situent en Afrique : le Kenya, l'Afrique du Sud, le Nigeria et le Sénégal. Les Africains sont également les plus enclins à considérer que les inégalités entre les États constituent aujourd'hui un plus grand défi qu’en 2022. Ce sentiment est particulièrement exprimé en Éthiopie, au Kenya et au Sénégal, même si les huit pays africains figurent tous dans la moitié supérieure de nos sondages sur cette question.
De même, bien qu’une majorité de répondants dans la plupart des pays partagent certaines convictions sur la nécessité de changements mondiaux, c’est généralement en Afrique que ces majorités sont les plus nombreuses. Les répondants africains, notamment nigérians et kényans, sont par exemple les plus enclins à affirmer que « les droits de l’homme correspondent aux valeurs auxquelles je crois », et ceux qui considèrent le plus que « des mécanismes de type interdictions de voyage et gel des comptes bancaires constituent des moyens utiles de soumettre à la justice ceux qui violent les droits de l’homme ».
Plus que les répondants d'autres continents, les Africains considèrent que les États devraient proposer davantage de voies sûres et légales pour les réfugiés. Les habitants du continent sont extrêmement favorables à un rééquilibrage des institutions internationales, nombre d’entre eux plaidant pour que les pays à faible revenu pèsent davantage dans la prise de décisions au niveau mondial. Sept des dix groupes nationaux les plus en phase avec l’affirmation « les pays à revenu élevé devraient verser plus d'argent à la Banque mondiale » se situent en Afrique.
Observés dans leur ensemble, ces résultats révèlent une Afrique semblable au reste du monde – mais une Afrique plus convaincue que les autres. Le continent se situant en première ligne de ce que l’on appelle la « polycrise », les Africains ressentent ses effets de manière plus immédiate qu’ailleurs. Mais ils sont également les plus susceptibles d'adopter les solutions nécessaires, telles que la réforme des structures de la gouvernance mondiale et de l'architecture financière internationale, la stabilisation de l'interdépendance chaotique actuelle, ou encore la réalisation de nouveaux investissements massifs dans le développement durable.
Au niveau mondial, le sondage révèlent que les individus se montrent beaucoup plus progressistes que leurs dirigeants politiques dans leurs attentes vis-à-vis du multilatéralisme. Ils aspirent à des solutions internationales efficaces aux problèmes immédiats qui impactent leur existence. Cette espérance s’observe en Afrique plus que partout ailleurs.
Pour ceux d'entre nous qui sont à la recherche des idées de demain et des représentants futurs de la réforme multilatérale, la nécessité apparaît évidente de porter le regard au-delà des protagonistes habituels – les gouvernements occidentaux protégeant jalousement leur pouvoir et leurs privilèges – et de puiser davantage dans le vivier des pays du Sud. C’est là que réside l’avenir.
Mark Malloch-Brown, ancien secrétaire général adjoint de l’ONU, et coprésident de la Fondation des Nations Unies, est président des Open Society Foundations.
© Project Syndicate 1995–2023