Ce type de conclusion laisse à penser que le travail va disparaître. Cette idée, confortée par l'évolution des "petits boulots", est soutenue avant tout par les entreprises. Mais si les travailleurs et les syndicats avaient davantage droit au chapitre, l'avenir du travail pourrait être très différent.
Trois hypothèses répandues introduisent un biais dans les prévisions relatives à l'impact de l'automatisation sur l'emploi. Il faut examiner chacune d'entre elles pour protéger le droit des travailleurs et modifier le point de vue fataliste qui domine aujourd'hui.
- Première hypothèse : dans un futur proche, l'automatisation complète des postes de travail va mettre les travailleurs au chômage. Mais cette idée est contestable, d'autant que les mêmes données peuvent conduire à des conclusions différentes. Ainsi une étude de 2017 réalisée par l'Institut McKinsey qui utilise des données similaires à celles utilisées par les professeurs d'Oxford conclut qu'aux USA, seulement 5% des postes de travail pourront être entièrement automatisés, mais que 60% pourront l'être partiellement. Autrement dit, l'automatisation ne signifie pas obligatoirement la disparition des emplois, mais qu'ils seront plus productifs.
Quoi qu'il en soit, les tendances actuelles montrent qu'il faut démocratiser le processus d'automatisation des emplois. Ainsi l'innovation pour accélérer la production (par exemple le recours à l'informatique par Amazon pour chronométrer les salariés dans ses entrepôts) peut avoir des conséquences inattendues et se traduire par une baisse de productivité. Pour beaucoup de travailleurs, la manière d'utiliser la technologie compte autant, sinon plus, que la technologie elle-même.
- Deuxième hypothèse : avec l'automatisation, la plupart des travailleurs seront perdants. Mais ce sont les citoyens et la politique - et non les machines - qui vont décider du sort des travailleurs. Si nous acceptons l'idée que la technologie va améliorer la productivité (ce qui est contestable au vu de la faible croissance de la productivité au sein des pays de l'OCDE depuis une dizaine d'années), les travailleurs et les décideurs politiques devraient chercher un meilleur équilibre entre travail et vie personnelle. La lutte pour une journée de travail de 8 heures date de plus d'un siècle, aussi les discussions en cours devraient-elles faire une place à des négociations sur la diminution du temps de travail. Certains syndicats font déjà cela, et d'autres devraient suivre.
- Troisième hypothèse : l'automatisation serait le problème majeur auquel sont confrontés les travailleurs aujourd'hui. On fait beaucoup de bruit autour de l'introduction des nouvelles technologies ; il est vrai qu'elles peuvent entraîner des perturbations, mais pour le moment les plus grands problèmes des travailleurs sont ceux auxquels ils sont confrontés directement : le chômage, la stagnation des salaires et la précarité de l'emploi. Selon le rapport Emploi et questions sociales dans le monde - Tendances 2018 de l'Organisation mondiale du travail (OIT), 1,4 milliards de personnes dans le monde occupent des emplois vulnérables dans le secteur informel, et 192 millions sont sans emploi.
Certes, les nouvelles technologies affectent les travailleurs. Ce n'est pas nouveau, et les travailleurs vont continuer à passer d'un secteur d'activité à un autre. L'innovation technologique crée de nouvelles opportunités, mais elle peut conduire à une réduction du droit des travailleurs et à une augmentation de l'insécurité économique, ainsi qu'on le voit notamment dans le secteur des petits boulots ou chez les autoentrepreneurs. Les craintes des travailleurs sont bien réelles, c'est pourquoi les syndicats se battent pour défendre ceux qui sont les plus exposés. Etendre à l'introduction des nouvelles technologies le concept de "transition juste " utilisé aujourd'hui en relation avec le changement climatique serait une précieuse innovation. Cela permettrait d'éviter que certains restent sur le bord de la route.
Nous ne devrions pas accepter le discours anxiogène annonceur d'un monde sans travail. La technologie et le développement économique sont sujet à débat, aussi les syndicats devraient-ils s'intéresser davantage à l'amélioration des conditions de travail, à organiser les travailleurs dans les nouveaux secteurs et à contester les modèles d'entreprise autoritaires qui ne laissent guère leurs employés s'exprimer.
Des signes positifs apparaissent. Les revendications des travailleurs se font de plus en plus entendre dans le secteur des services. Dans certaines des plus grandes entreprises du monde les salariés souhaitent un meilleur salaire. Et aux USA les travailleurs se battent pour un salaire décent - souvent avec succès. L'avenir du travail n'est pas écrit, il est en train de s'écrire. Comme toujours, la grande question est de savoir qui manie la plume.
Bruno Dobrusin est coordinateur de la campagne Un million d'emplois pour le climat du Réseau pour une économie verte.
© Project Syndicate 1995–2019
Trois hypothèses répandues introduisent un biais dans les prévisions relatives à l'impact de l'automatisation sur l'emploi. Il faut examiner chacune d'entre elles pour protéger le droit des travailleurs et modifier le point de vue fataliste qui domine aujourd'hui.
- Première hypothèse : dans un futur proche, l'automatisation complète des postes de travail va mettre les travailleurs au chômage. Mais cette idée est contestable, d'autant que les mêmes données peuvent conduire à des conclusions différentes. Ainsi une étude de 2017 réalisée par l'Institut McKinsey qui utilise des données similaires à celles utilisées par les professeurs d'Oxford conclut qu'aux USA, seulement 5% des postes de travail pourront être entièrement automatisés, mais que 60% pourront l'être partiellement. Autrement dit, l'automatisation ne signifie pas obligatoirement la disparition des emplois, mais qu'ils seront plus productifs.
Quoi qu'il en soit, les tendances actuelles montrent qu'il faut démocratiser le processus d'automatisation des emplois. Ainsi l'innovation pour accélérer la production (par exemple le recours à l'informatique par Amazon pour chronométrer les salariés dans ses entrepôts) peut avoir des conséquences inattendues et se traduire par une baisse de productivité. Pour beaucoup de travailleurs, la manière d'utiliser la technologie compte autant, sinon plus, que la technologie elle-même.
- Deuxième hypothèse : avec l'automatisation, la plupart des travailleurs seront perdants. Mais ce sont les citoyens et la politique - et non les machines - qui vont décider du sort des travailleurs. Si nous acceptons l'idée que la technologie va améliorer la productivité (ce qui est contestable au vu de la faible croissance de la productivité au sein des pays de l'OCDE depuis une dizaine d'années), les travailleurs et les décideurs politiques devraient chercher un meilleur équilibre entre travail et vie personnelle. La lutte pour une journée de travail de 8 heures date de plus d'un siècle, aussi les discussions en cours devraient-elles faire une place à des négociations sur la diminution du temps de travail. Certains syndicats font déjà cela, et d'autres devraient suivre.
- Troisième hypothèse : l'automatisation serait le problème majeur auquel sont confrontés les travailleurs aujourd'hui. On fait beaucoup de bruit autour de l'introduction des nouvelles technologies ; il est vrai qu'elles peuvent entraîner des perturbations, mais pour le moment les plus grands problèmes des travailleurs sont ceux auxquels ils sont confrontés directement : le chômage, la stagnation des salaires et la précarité de l'emploi. Selon le rapport Emploi et questions sociales dans le monde - Tendances 2018 de l'Organisation mondiale du travail (OIT), 1,4 milliards de personnes dans le monde occupent des emplois vulnérables dans le secteur informel, et 192 millions sont sans emploi.
Certes, les nouvelles technologies affectent les travailleurs. Ce n'est pas nouveau, et les travailleurs vont continuer à passer d'un secteur d'activité à un autre. L'innovation technologique crée de nouvelles opportunités, mais elle peut conduire à une réduction du droit des travailleurs et à une augmentation de l'insécurité économique, ainsi qu'on le voit notamment dans le secteur des petits boulots ou chez les autoentrepreneurs. Les craintes des travailleurs sont bien réelles, c'est pourquoi les syndicats se battent pour défendre ceux qui sont les plus exposés. Etendre à l'introduction des nouvelles technologies le concept de "transition juste " utilisé aujourd'hui en relation avec le changement climatique serait une précieuse innovation. Cela permettrait d'éviter que certains restent sur le bord de la route.
Nous ne devrions pas accepter le discours anxiogène annonceur d'un monde sans travail. La technologie et le développement économique sont sujet à débat, aussi les syndicats devraient-ils s'intéresser davantage à l'amélioration des conditions de travail, à organiser les travailleurs dans les nouveaux secteurs et à contester les modèles d'entreprise autoritaires qui ne laissent guère leurs employés s'exprimer.
Des signes positifs apparaissent. Les revendications des travailleurs se font de plus en plus entendre dans le secteur des services. Dans certaines des plus grandes entreprises du monde les salariés souhaitent un meilleur salaire. Et aux USA les travailleurs se battent pour un salaire décent - souvent avec succès. L'avenir du travail n'est pas écrit, il est en train de s'écrire. Comme toujours, la grande question est de savoir qui manie la plume.
Bruno Dobrusin est coordinateur de la campagne Un million d'emplois pour le climat du Réseau pour une économie verte.
© Project Syndicate 1995–2019