L'épée de Damoclès de la corruption en Afrique du Sud

Lundi 28 Mars 2022

Le 2 janvier, les Sud-Africains se sont réveillés en apprenant une triste nouvelle : le bâtiment du Parlement du pays était en feu. Quelques jours plus tard paraissait un rapport de 800 pages détaillant la corruption endémique et la mauvaise gouvernance en Afrique du Sud. Puis plusieurs portes et fenêtres en verre ont été brisées à la Cour constitutionnelle. Ce fut un début inquiétant pour un pays qui pleure encore la perte de sa « boussole morale », l'archevêque Desmond Tutu.


Le rapport – le premier d'un groupe de trois  attendu par la Commission d'enquête judiciaire sur les allégations de captation de l'État, connu sous le nom de Commission Zondo après que son président, le Vice-président de la Cour constitutionnelle Raymond Zondo – a confirmé ce que l'on soupçonnait depuis longtemps : la captation de l'État est endémique en Afrique du Sud. La corruption politique systémique a bénéficié à la très influente famille Gupta, par exemple, ainsi qu'à une gamme de conseillers auprès de la fonction publique et des ministères du pays.

Le rapport révèle des abus systématiques à presque tous les stades des marchés publics. Lorsque les professionnels des ministères ou des entreprises publiques ont résisté, ils ont été remplacés par des fonctionnaires plus conciliants. De l'avis de la commission, l'Afrique du Sud a besoin d'une agence indépendante de lutte contre la corruption, capable d'exercer ses fonctions sans craintes ni faveurs.

Le président sud-africain Cyril Ramaphosa, qui a fait campagne en promettant de lutter contre la corruption  et d'améliorer la gouvernance, a déclaré que les conclusions de la Commission Zondo devraient être utilisées pour aider le pays à réformer ses institutions et à demander des comptes aux responsables. « Nous devons nous assurer [d'utiliser les résultats] pour protéger ces institutions à l'avenir afin qu'elles ne puissent plus jamais être captées », notait Ramaphosa dans son bulletin hebdomadaire.

Mais les déclarations des autres membres du parti au pouvoir, le Congrès national africain, n'ont pas été aussi résolues. S'adressant aux dirigeants communautaires et religieux d'une province rurale peu après la publication du rapport, le vice-président David Mabuza a été évasif sur les mesures que le gouvernement pourrait prendre. « Nous nous engageons à mener une réflexion approfondie et nous allons changer », a-t-il déclaré.

Mais la « réflexion » pourrait bien ne pas être à la hauteur de l'obligation de rendre des comptes. Le président national de l'ANC, Gwede Mantache, s'est opposé  à l'utilisation du rapport pour poursuivre les dirigeants du parti. La position de l'ANC, associée à des institutions étatiques affaiblies, a conduit au scepticisme quant à la capacité et à la volonté du gouvernement d'agir de manière significative sur les recommandations du rapport.

Les réactions mitigées au rapport de la commission doivent être considérées dans le contexte des luttes intestines de l'ANC. Alors que le parti se prépare à sa Conférence électorale nationale  en décembre, les conflits internes entre factions sont plus exacerbés que jamais. Ramaphosa, qui devrait se présenter pour un second mandat en tant que chef du parti, est confronté à une vive compétition de la part de la faction Radical Economic Transformation (Transformation économique radicale) et va devoir équilibrer ses aspirations politiques avec les besoins du parti et les intérêts à long terme du pays. Il sera difficile de mettre en œuvre les recommandations du rapport sans porter atteinte à la réputation de l'ANC.

En outre, la démocratie constitutionnelle de l'Afrique du Sud est confrontée à des menaces qui vont au-delà de la corruption révélée par la Commission Zondo. Comme le note le rapport : « L'emprise de l'État a attaqué de manière agressive un système déjà affaibli par des comorbidités de longue date, » notamment des niveaux élevés d'inégalité, de pauvreté et de chômage.

Compte tenu de cet état de fait, les événements de début janvier, comme les émeutes et les pillages de juillet dernier, ne devraient pas nous surprendre. Bien qu'ils ne fassent peut-être pas partie d'un effort coordonné pour déstabiliser le pays, ils sont les symptômes évidents de la désintégration démocratique.

Certains semblent avoir pactisé avec cet état de fait. Dans un commentaire récent, Lindiwe Sisulu, ministre du tourisme et députée depuis 1994, a remis en question les avantages de la « primauté du droit » et a qualifié la constitution du pays de « palliatif » pour les pauvres.

Les commentaires de Sisulu ont été dénoncés comme une nouvelle attaque  contre les institutions démocratiques sud-africaines. Mais il est vrai que les libertés politiques contenues dans la constitution étaient censées être accompagnées de mesures visant à réduire les inégalités économiques, qui sont les plus marquées au monde. Vingt-huit ans de régime démocratique ont apporté des progrès négligeables sur ce front.

La constitution représente un contrat social entre tous les Sud-Africains. La démocratie qu'elle envisage exige le soutien des citoyens ordinaires et des dirigeants politiques. Mais les droits qu'elle garantit dépendent en grande partie de l'État.

En février, l'Afrique du Sud a été confrontée à une deuxième évaluation  du Mécanisme africain d'évaluation par les pairs (MAEP), une entente volontaire mise en place par les membres de l'Union africaine, sur l'état de sa gouvernance. Cette évaluation a suggéré des réformes crédibles, en proposant une autre occasion de réfléchir aux graves problèmes qui ont été mis en lumière.

L'Afrique du Sud a besoin d'une action audacieuse et décisive pour rétablir la confiance dans des institutions comme la National Prosecuting Authority (l'Autorité chargée des poursuites), afin de professionnaliser la fonction publique et de renforcer les normes de transparence. Les idéaux de la constitution doivent être mis en pratique. Une bonne manière d'entamer ce processus serait d'agir consciencieusement selon les recommandations de la Commission d'enquête judiciaire sur les allégations de captation de l'État.
Cayley Clifford, chercheur au Programme de gouvernance et de diplomatie africaines de l'Institut sud-africain des affaires internationales (SAIIA).
© Project Syndicate 1995–2022
 
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