LAMPEDUSA : Le sale business de l'accueil

Dimanche 22 Décembre 2013

Au lendemain de la diffusion d'une vidéo choc montrant le traitement épouvantable des migrants dans le centre d'accueil de Lampedusa, le grand quotidien national dénonce le cynique et juteux marché de l'accueil des immigrés et demandeurs d'asile en Italie


LAMPEDUSA : Le sale business de l'accueil
Plus ils sont entassés dans les dortoirs, mieux c’est. Plus ils restent, mieux c’est. Et s’ils sont mineurs, c’est la cerise sur le gâteau : l’État paie encore plus. Chaque fois qu’un bateau de migrants accoste, les "professionnels de l’accueil" sortent leurs calculatrices. Et les chiffres ont souvent beaucoup de zéros.

En 2013, l'Italie a déboursé plus de 1,8 million d’euros par jour pour accueillir les 40 244 migrants qui ont débarqué sur ses côtes. Lit, repas, vêtements, médicaments et argent de poche, la dépense moyenne se monte à 45 euros par immigré reçu dans l’un des 27 centres d’accueil, d’identification et d’expulsion (CIE) ou d’asile. L’addition atteint 70 euros pour les mineurs (ils sont 8 000 à avoir posé le pied en Italie cette année) en raison de l'attention particulière qui doit leur être accordée.

C’est une part de gâteau gargantuesque que se partagent depuis dix ans les géants du business de l’accueil : la Legacoop [Ligue nationale des coopératives et mutuelles], les entreprises du mouvement catholique Communion et Libération, les sociétés proches de la Ligue et quelques multinationales. Les appels d’offres du ministère de l’Intérieur sont généralement adjugés aux enchères avec un rabais moyen de 30 %. Mais les migrants restent parqués pendant des mois dans des centres qui sont surchargés au double ou au triple de leur capacité. Au détriment des conditions de vie, que beaucoup considèrent comme étant dignes des camps de concentration, mais au bénéfice des responsables de ces centres.

“Tout cela est possible parce qu’en Italie, la plupart des services à l’immigration sont attribués en fonction d’un seul principe : celui de l’offre la plus avantageuse financièrement. Ce commerce de l’immigration est inacceptable. On parle là de commande de plusieurs millions d’euros grâce auxquelles les dirigeants s’enrichissent, alors que les droits de la personne sont bafoués”, dénonce Christopher Hein, directeur du Conseil italien pour les réfugiés.

Univers contrationnaire

Ceux qui aspirent au statut de réfugié constituent la part la plus importante du gâteau. C’est ainsi que le centre d’accueil pour les demandeurs d’asile (CARA) de Mineo [dans la commune de Catane en Sicile] est devenu une véritable ville dans la ville. Mineo, le "village des oranges", abritait autrefois les militaires américains déployés dans la base aérienne de Sigonella [près de Catane, en Sicile]. Depuis, le CARA s’est imposé comme moteur de l’économie dans la région. Quatre mille personnes issues de 50 ethnies, soit deux fois plus que le centre ne peut en accueillir, rapportent quelque 50 millions d’euros par an au consortium Calatino Terre di accoglienza [Calatino, terres d’accueil]. 

Ce groupe rassemble des entreprises telles que Sisifo (Legacoop) qui gère le centre de Lampedusa, la coopérative Senis Hospes, Cascina Global Service (lié à Communion et Libération), la Croix rouge, le consortium Casa Solidale (proche de l’ancien parti de Berlusconi Peuple de la liberté). Sans oublier la famille parmesane Pizzarotti, propriétaire des bâtiments réquisitionnés en échange de 6 millions d’euros par an en 2011, quand l’état d’urgence humanitaire avait été déclaré en raison de l’afflux massif de migrants venus d’Afrique du Nord. L’état d’urgence terminé, les Pizzarotti ont intégré à leur tour le consortium.

Ce que Silvio Berlusconi [alors président du Conseil] présentait il y a deux ans comme un modèle d’accueil des migrants en Europe s’est aujourd’hui transformé, à en croire les accusations des associations humanitaires, en un univers contrationnaire. Il y a quelques jours à peine, un jeune Syrien qui attendait son permis de séjour depuis des mois s’y est suicidé. Retenir les demandeurs d’asile plus que de raison est l’une des nombreuses "astuces" déployées par les responsables des différents CARA. 

À Sant'Angelo di Brolo (dans la commune de Messine), le parquet a conclu que certains migrants étaient restés 300 jours après avoir obtenu leur permis de séjour, ce qui aurait rapporté 468 000 euros dans les caisses de Sisifo, qui a également remporté l’appel d’offres des centres d’Elmas (près de Cagliari en Sardaigne), de Foggia (dans les Pouilles) et de Lampedusa, où sont passés plus de 100 000 migrants. 

L’appel d’offres prévoyait 2,5 millions d’euros pour les 250 places correspondant à la capacité officielle du centre. Pour chaque personne supplémentaire, le ministère de l’Intérieur sort le chéquier. Et c’est partout pareil : la coopérative Auxilium à Potenza, dirigée par les entrepreneurs Pietro et Angelo Chiorazzo, touche bien plus des 40 millions d’euros prévus pour la gestion des centres de Bari Palese, de Ponte Galeria à Rome et de Pian del Lago à Caltanissetta (en Sicile).

La bonne affaire

L’entreprise française Gepsa [du groupe GDF-Suez, elle a en partie géré le centre de rétention italien de Gradisca d’Isonzo, Frioul-Vénétie Julienne], spécialisée dans les services aux établissements pénitentiaires, a également flairé la bonne affaire. Tout comme la multinationale Cofely Italia, qui ne nie pas collaborer avec l’association culturelle Acuarinto d’Agrigente (Sicile) et la coopérative sociale Synergasia pour gérer le CARA de Castelnuovo di Porto (Rome) et le centre d’expulsion de Gradisca d’Isonzo. Enfin, le prêtre-entrepreneur d’Isola Capo Rizzuto (Calabre) a aussi sa part de gâteau. Sa Fraternité de la Miséricorde gère depuis dix ans, en échange de 28 millions d’euros par an, un CARA où les migrants dorment pour la plupart entassés par dizaines dans de vieux conteneurs.
La Republica
 
 
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