Au Sénégal, nous avons longtemps préféré les raccourcis et autres expédients (Volontaires, Contractuels) au travail soutenu à la base avec Monsieur l’Instituteur, ce premier chevalier de l’ordre des accoucheurs d’esprits. Nous avons longtemps laissé des grèves sauvages émousser la tension vers le savoir. Nous avons naïvement permis au numérique ludique de se substituer subrepticement aux activités intellectuelles des sociétés savantes d’antan (clubs de Philosophie, de Mathématiques, d’Anglais), au lieu de profiter des gains de productivité cognitive créés par la manne informatique. Que dire de l’éducation physique, la grande oubliée, au moment où l’INSEPS forme des cadres sportifs de très haut niveau? L’émergence au Sénégal d’une élite sportive respectée en Afrique a coïncidé avec l’apogée de l’UASSU dans les années 60-70 quand les lycées et collèges étaient le creuset de l’élite sportive et intellectuelle qui nous a donné beaucoup de fierté et des sportifs-intellectuels accomplis (Sakhir Thiam et feu Jacques Fowler du DUC, Abdoulaye Makhtar Diop du Club Hibiscus du Lycée Blaise Diagne)! Si les USA règnent en leader incontesté sur le sport mondial, c’est grâce à une élite sportive couvée dans les lycées et universités équipés d’infrastructures. Chez nous, la faillite du sport scolaire et universitaire a livré la jeunesse aux ivresses de la rue et aux sirènes des arènes de lutte où elles lui construisent des chimères sur les autels de l’irrationnel, avortant ainsi tout projet de jeunesse saine, lucide, à l’aise aussi bien avec le ballon qu’avec le crayon! Enfin, pendant longtemps nous avons négligé la formation continue, instrument de réhabilitation et de régulation des savoirs disciplinaires et pédagogiques, sans oublier la désarticulation cacophonique entre l’IGEN (Inspection Générale), les IEMS (Inspecteurs de l’Enseignement Moyen Secondaire) et les CRFPE (Centres Régionaux de Formation de Personnels de l’Education). Au regard de ces déboires et des clarifications que nous allons apporter, il faudra requalifier le concept de « Lycée Scientifique d’Excellence » pour améliorer son attractivité.
En cultivant un fétichisme autour des matières scientifiques seules dignes d’excellence, le concept perd tout caractère inclusif et marginalise implicitement l’excellence dans les filières littéraires, boucs émissaires de l’échec de notre système scolaire. En outre, il fait une grave confusion épistémologique entre un savoir savant disciplinaire (Mathématiques, Physique), sa didactique, la langue qui structure ce savoir et surtout la transversalité des savoirs par l’intégration des connaissances : on ne peut pas isoler les «sciences» du français, langue de construction et de transmission de ces savoirs! Blaise Pascal n’était pas uniquement mathématicien; il était capable de théoriser philosophiquement l’infiniment petit et l’infiniment grand, préfigurant ainsi les grands débats en astrophysique moderne entre la théorie de la relativité générale de Einstein et la théorie de la mécanique quantique. C’est aussi un déni de réalité historique ou pure cécité pédagogique que de refuser d’assumer le poids du français dans notre culture scientifique, langue qui irrigue toute notre pensée moderne depuis trois siècles. Le Professeur Moussa Daff, Facl, nous rappelle pertinemment que « Le français étant la langue des apprentissages, s’il n’est pas maitrisé, l’ensemble des autres apprentissages en souffrira.» Que dire de l’anglais que même la France, dépouillée d’orgueil ethnocentriste, adopte progressivement comme langue d’enseignement universitaire? Certes le Sénégal a l’intention d’enseigner les STEM (Sciences, Technology, Engineering and Mathematics) en Anglais, mais faudrait-il dès à présent asseoir la culture linguistique anglo-saxonne par la généralisation de l’anglais au primaire et ne pas la parachuter, deus ex-machina, à l’Université comme tel semble être le cas. Si ces langues doivent porter l’excellence, n’ont-elles pas aussi besoin d’excellence? Les ingénieurs et mathématiciens de la République devraient méditer cette belle réflexion du psychologue Russe Vygotsky: «C’est dans le langage extériorisé que la pensée s’incarne dans la parole.» Aujourd’hui cette parole c’est le français; demain ce sera l’anglais, et demain c’est déjà aujourd’hui! Etre un bon didacticien des mathématiques ou de la physique suppose une maîtrise du discours scientifique qui doit, tel un vecteur (le signifiant), porter le savoir scientifique (le signifié) dans les espaces d’apprentissage pour une appropriation intelligible du savoir enseigné par les apprenants. Les mathématiciens que j’ai connus dans les années 70 m’ont toujours fasciné par leur maîtrise du Français! Relisez les analyses de Maguette Thiam et de Samba Diouldé Thiam dans And Soppi, journal des années 70/80 ou écoutez-les aujourd’hui! C’est pourquoi il convient de revisiter avec circonspection la fameuse réflexion de Boileau qui disait que «Tout ce qui se conçoit bien s’énonce clairement et les mots pour le dire arrivent aisément!» Cela n’est vrai que si la langue d’énonciation est maitrisée comme une langue maternelle. En d’autres termes, pour verbaliser la pensée (scientifique) surtout dans un espace d’apprentissage, il faut maitriser l’outil linguistique sous ses déclinaisons stylistiques les plus pertinentes, sous ses nuances lexicales et subtilités syntaxiques les plus appropriées. Tel n’est pas le cas aujourd’hui au Sénégal où le Français est une langue seconde qui devient insidieusement une langue aussi étrange qu’étrangère devant les assauts identitaires des langues nationales! Les échecs que nous enregistrons et la baisse des niveaux sont en partie dus à une maitrise approximative du français, langue d’exposition, par des enseignants qui la parlent de moins en moins même dans les espaces d’apprentissage. Paradoxe troublant, lorsqu’un angliciste se voit obligé de défendre le Français en lieu et place des didacticiens de la discipline qui ne se sont pas encore émus des velléités hégémoniques des scientifiques! Existent-ils d’autres alternatives? Nous avons déjà modestement suggéré une idée dans un article publié par le Soleil du 6 Aout 2015, intitulé « Un Elitisme Inclusif pour Restaurer la Qualité dans l’Ecole Sénégalaise ». A l’heure de l’Acte III de la décentralisation, il faut territorialiser l’excellence par la création de Pôles d’Excellence Scolaire (cinq pôles), des incubateurs territoriaux, répartis à travers le pays, ouverts aux élèves du primaire et du secondaire, garçons et filles tous recrutés sur une base très sélective dans leur localité et astreints au régime d’internat. Les enseignants recrutés par voie de concours (c’est le cas déjà pour le projet de Diourbel!) et périodiquement évalués, bénéficieront d’un statut particulier dans un espace pacifié où la grève sera prohibée sous peine de licenciement. L’élitisme inclusif est une option plus républicaine et plus valorisante parce que plus respectueuse de la multiplicité des intelligences; ce n’est pas un concept pétri dans la condescendance et le fétichisme des sciences par des « Scientifiques » qui semblent dire aux moins-pensants: « Sans nous, il n’est point de salut! » C’est encore moins un concept prédateur qui écrème le système éducatif, dévalorise les autres intelligences pour laisser dans la précarité intellectuelle un corps rachitique qui, paradoxalement, devra préparer les « génies » du Lycée Scientifique! D’autre part, il faudra que le discours contempteur des filières littéraires cède la place à une prise en charge résolue du Français, de sa didactique orientée vers la construction du discours scientifique, selon le genre et le registre de la discipline. Cette préoccupation devrait imposer une collaboration interdisciplinaire entre les départements de Français et de Sciences de la FASTEF dans la formation des enseignants scientifiques et devenir un projet de recherches pour l’Inspection Générale et l’Association des professeurs de lettres! Dernière préconisation salutaire à caractère systémique, c’est la prise en charge résolue de la formation continue pour rectifier, corriger les pratiques de classe et installer une culture d’excellence pédagogique sans laquelle l’excellence scientifique risque d’être chimérique. Les personnels et les structures existent déjà; il suffit de les réorganiser de manière cohérente, systémique et leur donner les moyens de leurs missions.
Si d’une part ces défis sont progressivement relevés, et d’autre part ces « Lycées » requalifiés et refondés sur le socle d’une culture d’excellence inclusive pour les meilleurs enfants de la nation, nous verrons dans le long terme l’émergence d’une élite intellectuelle multidisciplinaire capable de relever les défis du développement. « Le Lycée Scientifique d’Excellence » est une greffe sur un corps malade, une thérapie palliative, un raccourci conceptuel à la rescousse d’un système contre-performant, alors que l’une des vertus d’un raccourci est de créer l’illusion de rapidité sans se soucier des pertes cyniquement appelées résiduelles! Un «Lycée Scientifique d’Excellence» valorise l’intelligence scientifique d’une minorité là où un « Lycée d’Excellence Territorialisé » valorise les meilleures intelligences de la majorité, et
c’est cela la République car elle est garante de la norme d’équité par l’égalité des chances d’épanouissement pour tous à travers le territoire national. C’est la structuration de l’excellence à la base par l’épanouissement de toutes les intelligences qui favorise l’émergence d’un élitisme inclusif et structurel. Et d’ailleurs, cette structuration de l’excellence inclusive est possible en articulant les deux modèles, les Lycées d’Excellence servant de pépinières à d’autres institutions d’excellence disciplinaire capables d’accommoder toutes les intelligences à travers le territoire national. En attendant, c’est le modèle « Mariama Ba » fierté nationale et espace d’épanouissement de toutes les intelligences, élargi par la mixité, qui doit essaimer pour répondre à cette exigence d’équité républicaine.
Mathiam Thiam
Inspecteur Général (Anglais)
FASTEF, UCAD, Dédié au Professeur Cheikh Faty Faye, un militant de l’Ecole.
En cultivant un fétichisme autour des matières scientifiques seules dignes d’excellence, le concept perd tout caractère inclusif et marginalise implicitement l’excellence dans les filières littéraires, boucs émissaires de l’échec de notre système scolaire. En outre, il fait une grave confusion épistémologique entre un savoir savant disciplinaire (Mathématiques, Physique), sa didactique, la langue qui structure ce savoir et surtout la transversalité des savoirs par l’intégration des connaissances : on ne peut pas isoler les «sciences» du français, langue de construction et de transmission de ces savoirs! Blaise Pascal n’était pas uniquement mathématicien; il était capable de théoriser philosophiquement l’infiniment petit et l’infiniment grand, préfigurant ainsi les grands débats en astrophysique moderne entre la théorie de la relativité générale de Einstein et la théorie de la mécanique quantique. C’est aussi un déni de réalité historique ou pure cécité pédagogique que de refuser d’assumer le poids du français dans notre culture scientifique, langue qui irrigue toute notre pensée moderne depuis trois siècles. Le Professeur Moussa Daff, Facl, nous rappelle pertinemment que « Le français étant la langue des apprentissages, s’il n’est pas maitrisé, l’ensemble des autres apprentissages en souffrira.» Que dire de l’anglais que même la France, dépouillée d’orgueil ethnocentriste, adopte progressivement comme langue d’enseignement universitaire? Certes le Sénégal a l’intention d’enseigner les STEM (Sciences, Technology, Engineering and Mathematics) en Anglais, mais faudrait-il dès à présent asseoir la culture linguistique anglo-saxonne par la généralisation de l’anglais au primaire et ne pas la parachuter, deus ex-machina, à l’Université comme tel semble être le cas. Si ces langues doivent porter l’excellence, n’ont-elles pas aussi besoin d’excellence? Les ingénieurs et mathématiciens de la République devraient méditer cette belle réflexion du psychologue Russe Vygotsky: «C’est dans le langage extériorisé que la pensée s’incarne dans la parole.» Aujourd’hui cette parole c’est le français; demain ce sera l’anglais, et demain c’est déjà aujourd’hui! Etre un bon didacticien des mathématiques ou de la physique suppose une maîtrise du discours scientifique qui doit, tel un vecteur (le signifiant), porter le savoir scientifique (le signifié) dans les espaces d’apprentissage pour une appropriation intelligible du savoir enseigné par les apprenants. Les mathématiciens que j’ai connus dans les années 70 m’ont toujours fasciné par leur maîtrise du Français! Relisez les analyses de Maguette Thiam et de Samba Diouldé Thiam dans And Soppi, journal des années 70/80 ou écoutez-les aujourd’hui! C’est pourquoi il convient de revisiter avec circonspection la fameuse réflexion de Boileau qui disait que «Tout ce qui se conçoit bien s’énonce clairement et les mots pour le dire arrivent aisément!» Cela n’est vrai que si la langue d’énonciation est maitrisée comme une langue maternelle. En d’autres termes, pour verbaliser la pensée (scientifique) surtout dans un espace d’apprentissage, il faut maitriser l’outil linguistique sous ses déclinaisons stylistiques les plus pertinentes, sous ses nuances lexicales et subtilités syntaxiques les plus appropriées. Tel n’est pas le cas aujourd’hui au Sénégal où le Français est une langue seconde qui devient insidieusement une langue aussi étrange qu’étrangère devant les assauts identitaires des langues nationales! Les échecs que nous enregistrons et la baisse des niveaux sont en partie dus à une maitrise approximative du français, langue d’exposition, par des enseignants qui la parlent de moins en moins même dans les espaces d’apprentissage. Paradoxe troublant, lorsqu’un angliciste se voit obligé de défendre le Français en lieu et place des didacticiens de la discipline qui ne se sont pas encore émus des velléités hégémoniques des scientifiques! Existent-ils d’autres alternatives? Nous avons déjà modestement suggéré une idée dans un article publié par le Soleil du 6 Aout 2015, intitulé « Un Elitisme Inclusif pour Restaurer la Qualité dans l’Ecole Sénégalaise ». A l’heure de l’Acte III de la décentralisation, il faut territorialiser l’excellence par la création de Pôles d’Excellence Scolaire (cinq pôles), des incubateurs territoriaux, répartis à travers le pays, ouverts aux élèves du primaire et du secondaire, garçons et filles tous recrutés sur une base très sélective dans leur localité et astreints au régime d’internat. Les enseignants recrutés par voie de concours (c’est le cas déjà pour le projet de Diourbel!) et périodiquement évalués, bénéficieront d’un statut particulier dans un espace pacifié où la grève sera prohibée sous peine de licenciement. L’élitisme inclusif est une option plus républicaine et plus valorisante parce que plus respectueuse de la multiplicité des intelligences; ce n’est pas un concept pétri dans la condescendance et le fétichisme des sciences par des « Scientifiques » qui semblent dire aux moins-pensants: « Sans nous, il n’est point de salut! » C’est encore moins un concept prédateur qui écrème le système éducatif, dévalorise les autres intelligences pour laisser dans la précarité intellectuelle un corps rachitique qui, paradoxalement, devra préparer les « génies » du Lycée Scientifique! D’autre part, il faudra que le discours contempteur des filières littéraires cède la place à une prise en charge résolue du Français, de sa didactique orientée vers la construction du discours scientifique, selon le genre et le registre de la discipline. Cette préoccupation devrait imposer une collaboration interdisciplinaire entre les départements de Français et de Sciences de la FASTEF dans la formation des enseignants scientifiques et devenir un projet de recherches pour l’Inspection Générale et l’Association des professeurs de lettres! Dernière préconisation salutaire à caractère systémique, c’est la prise en charge résolue de la formation continue pour rectifier, corriger les pratiques de classe et installer une culture d’excellence pédagogique sans laquelle l’excellence scientifique risque d’être chimérique. Les personnels et les structures existent déjà; il suffit de les réorganiser de manière cohérente, systémique et leur donner les moyens de leurs missions.
Si d’une part ces défis sont progressivement relevés, et d’autre part ces « Lycées » requalifiés et refondés sur le socle d’une culture d’excellence inclusive pour les meilleurs enfants de la nation, nous verrons dans le long terme l’émergence d’une élite intellectuelle multidisciplinaire capable de relever les défis du développement. « Le Lycée Scientifique d’Excellence » est une greffe sur un corps malade, une thérapie palliative, un raccourci conceptuel à la rescousse d’un système contre-performant, alors que l’une des vertus d’un raccourci est de créer l’illusion de rapidité sans se soucier des pertes cyniquement appelées résiduelles! Un «Lycée Scientifique d’Excellence» valorise l’intelligence scientifique d’une minorité là où un « Lycée d’Excellence Territorialisé » valorise les meilleures intelligences de la majorité, et
c’est cela la République car elle est garante de la norme d’équité par l’égalité des chances d’épanouissement pour tous à travers le territoire national. C’est la structuration de l’excellence à la base par l’épanouissement de toutes les intelligences qui favorise l’émergence d’un élitisme inclusif et structurel. Et d’ailleurs, cette structuration de l’excellence inclusive est possible en articulant les deux modèles, les Lycées d’Excellence servant de pépinières à d’autres institutions d’excellence disciplinaire capables d’accommoder toutes les intelligences à travers le territoire national. En attendant, c’est le modèle « Mariama Ba » fierté nationale et espace d’épanouissement de toutes les intelligences, élargi par la mixité, qui doit essaimer pour répondre à cette exigence d’équité républicaine.
Mathiam Thiam
Inspecteur Général (Anglais)
FASTEF, UCAD, Dédié au Professeur Cheikh Faty Faye, un militant de l’Ecole.