Beaucoup espèrent donc que la ZLECA, en créant un marché unique de 55 pays représentant une population totale de plus de 1,3 milliard d'habitants et un PIB combiné de 3,4 billions de dollars, catalysera l'industrialisation, les entreprises profitant des économies d'échelle pour répartir le risque lié aux investissements dans des marchés de petite taille. À cette fin, l'accord commercial éliminera les droits de douane sur 90 % des marchandises (l'objectif ultime étant une libéralisation à 97 %).
La ZLECA stimulera probablement les investissements directs étrangers en Afrique – les données empiriques montrent que l'adhésion à une zone de libre-échange peut les augmenter d'environ un quart – et se concentrera davantage sur les industries manufacturières à forte intensité de main-d'œuvre plutôt que sur les ressources naturelles. En outre, le pacte a le potentiel de transformer les économies africaines, d'augmenter de manière significative la part du continent dans le commerce mondial et de renforcer son pouvoir de négociation dans les négociations commerciales internationales.
Cependant, même si de nombreuses personnes ont vanté les mérites de la ZLECA comme un changement de donne pour l'Afrique, la libéralisation du commerce à elle seule ne garantit pas nécessairement la réussite économique.
Certes, l'accord a suscité, à juste titre, une grande attention dans les milieux universitaires et politiques. La Banque mondiale, le Fonds monétaire international, la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement et la Banque africaine d'import-export ont tous compilé des études approfondies sur l'impact potentiel de la ZLECA. Le Journal of African Trade a récemment publié un numéro spécial intitulé « La ZLECA et le commerce africain », dont j'ai assuré la codirection avec Andrew Mold, de la Commission économique des Nations unies pour l'Afrique.
Toutes ces analyses soulignent l'impact significatif et positif de l'accord sur le développement économique. Plus précisément, les résultats empiriques obtenus à l'aide de modèles d'équilibre général calculable – qui tiennent compte des effets de réorganisation des flux commerciaux existants et de création de nouveaux flux suite aux chocs tarifaires et non tarifaires en exploitant les avantages comparatifs des pays et les ajustements de prix – sont très encourageants. Les estimations globales dérivées de ces modèles montrent que la ZLECA augmenterait le PIB de l'Afrique de 0,5 % après sa mise en œuvre complète en 2045, par rapport à un scénario sans intégration commerciale continentale.
Les salaires réels augmenteraient à la fois pour les travailleurs qualifiés et non qualifiés, et surtout pour ces derniers, ce qui suggère une évolution vers une croissance plus inclusive. La Banque mondiale estime que la ZLECA pourrait sortir 30 millions de personnes de l'extrême pauvreté et environ 68 millions de la pauvreté modérée d'ici 2035, les femmes en bénéficiant davantage que les hommes. L'intégration commerciale pourrait également avoir un impact significatif au niveau des ménages et des entreprises : les dépenses combinées des consommateurs et des entreprises devraient atteindre 6,7 trillions de dollars d'ici 2030.
Le commerce intra-africain devrait connaître une forte croissance dans le cadre de la ZLECA, les exportations intracontinentales augmentant de 34 % (soit environ 133 milliards de dollars par an) par rapport à un scénario sans accord. En outre, environ deux tiers des gains commerciaux intra-africains seront probablement réalisés dans le secteur manufacturier – historiquement le moyen le plus efficace de sortir une population de la pauvreté. Cela ouvrirait la voie à une relation d'amélioration du bien-être et de renforcement mutuel entre le commerce intrarégional et l'industrialisation, qui se traduirait par une croissance durable d'emplois manufacturiers bien rémunérés, tout en élargissant l'assiette fiscale des pays et en améliorant leurs comptes extérieurs.
Cependant, les barrières non tarifaires, les différences réglementaires et les normes sanitaires, phytosanitaires et techniques divergentes augmentent les coûts du commerce transfrontalier en Afrique d'environ 14,3 %, bien au-delà du tarif moyen de 6,9 %. La suppression de ces contraintes et l'approfondissement de l'intégration des entreprises africaines dans les chaînes de valeur mondiales stimuleront considérablement le commerce intra-africain et la croissance. La Banque mondiale estime que la mise en œuvre complète de la ZLECA pourrait augmenter le revenu réel de l'Afrique de 7 % (environ 450 milliards de dollars) d'ici 2035, et que les mesures de facilitation des échanges visant à réduire les formalités administratives et à simplifier les procédures douanières seront responsables de 292 milliards de dollars de cette augmentation.
Le fait de surmonter le déficit chronique de l'Afrique en matière d'infrastructures – tant physiques que numériques – renforcera le pouvoir de création de nouveaux flux commerciaux et contribuera à la réussite de la mise en œuvre de la ZLECA. En s'attaquant aux contraintes du continent en matière d'offre, les décideurs politiques peuvent améliorer à la fois la production et la logistique dans une région qui compte plus de pays enclavés (16) que toute autre. Les investisseurs cherchant à tirer parti des économies d'échelle offertes par la ZLECA, l'intégration des marchés et l'amélioration de la connectivité doivent être une priorité absolue.
La clarification des règles d'origine de la ZLECA – qui déterminent si les produits sont exempts de droits de douane dans le cadre de l'accord – est également essentielle pour accélérer l'industrialisation et le développement des chaînes de valeur régionales. Malgré les défis posés par la COVID-19, les négociateurs ont fait des progrès significatifs sur l'accord relatif aux règles d'origine, qui devrait être conclu plus tard cette année. Cela ouvrira la voie aux négociations de la phase 2 sur les principaux moteurs de la croissance future, notamment les protocoles sur l'investissement, la politique de concurrence et les droits de propriété intellectuelle.
Mais, comme le suggère la hâte de conclure des accords commerciaux bilatéraux avec des pays tiers, le défi le plus important de l'intégration commerciale de l'Afrique pourrait être celui, permanent, de faire passer l'intérêt collectif de la région en premier. Bien que la ZLECA n'interdise pas aux pays membres d'entamer de telles négociations, les accords bilatéraux avec des tiers pourraient affecter la structure du commerce africain et créer des précédents pour les règles régionales en matière de commerce et d'investissement. En pratique, ils pourraient entraîner un détournement des flux commerciaux, étant donné que la clause de la nation la plus favorisée de la ZLECA étend automatiquement aux membres de la ZLECA les concessions tarifaires accordées à une tierce partie.
Comme l'a affirmé Jeffrey Sachs, « sans aucun doute, si l'Afrique s'intègre économiquement, elle sera un leader mondial et la plus grande région économique du monde ». À ce jour, 41 pays ont ratifié la ZLECA. Mais pour que le pacte devienne la rampe de lancement d'une intégration plus poussée de l'Afrique dans l'économie mondiale, les gouvernements doivent compléter la libéralisation des échanges par de solides mesures de facilitation du commerce et renforcer la coordination régionale afin de s'engager auprès de partenaires extérieurs en tant que bloc commercial unifié.
Traduit de l’anglais par Timothée Demont
Hippolyte Fofack est économiste en chef et directeur de la recherche à la Banque africaine d'import-export (Afreximbank).
© Project Syndicate 1995–2022
La ZLECA stimulera probablement les investissements directs étrangers en Afrique – les données empiriques montrent que l'adhésion à une zone de libre-échange peut les augmenter d'environ un quart – et se concentrera davantage sur les industries manufacturières à forte intensité de main-d'œuvre plutôt que sur les ressources naturelles. En outre, le pacte a le potentiel de transformer les économies africaines, d'augmenter de manière significative la part du continent dans le commerce mondial et de renforcer son pouvoir de négociation dans les négociations commerciales internationales.
Cependant, même si de nombreuses personnes ont vanté les mérites de la ZLECA comme un changement de donne pour l'Afrique, la libéralisation du commerce à elle seule ne garantit pas nécessairement la réussite économique.
Certes, l'accord a suscité, à juste titre, une grande attention dans les milieux universitaires et politiques. La Banque mondiale, le Fonds monétaire international, la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement et la Banque africaine d'import-export ont tous compilé des études approfondies sur l'impact potentiel de la ZLECA. Le Journal of African Trade a récemment publié un numéro spécial intitulé « La ZLECA et le commerce africain », dont j'ai assuré la codirection avec Andrew Mold, de la Commission économique des Nations unies pour l'Afrique.
Toutes ces analyses soulignent l'impact significatif et positif de l'accord sur le développement économique. Plus précisément, les résultats empiriques obtenus à l'aide de modèles d'équilibre général calculable – qui tiennent compte des effets de réorganisation des flux commerciaux existants et de création de nouveaux flux suite aux chocs tarifaires et non tarifaires en exploitant les avantages comparatifs des pays et les ajustements de prix – sont très encourageants. Les estimations globales dérivées de ces modèles montrent que la ZLECA augmenterait le PIB de l'Afrique de 0,5 % après sa mise en œuvre complète en 2045, par rapport à un scénario sans intégration commerciale continentale.
Les salaires réels augmenteraient à la fois pour les travailleurs qualifiés et non qualifiés, et surtout pour ces derniers, ce qui suggère une évolution vers une croissance plus inclusive. La Banque mondiale estime que la ZLECA pourrait sortir 30 millions de personnes de l'extrême pauvreté et environ 68 millions de la pauvreté modérée d'ici 2035, les femmes en bénéficiant davantage que les hommes. L'intégration commerciale pourrait également avoir un impact significatif au niveau des ménages et des entreprises : les dépenses combinées des consommateurs et des entreprises devraient atteindre 6,7 trillions de dollars d'ici 2030.
Le commerce intra-africain devrait connaître une forte croissance dans le cadre de la ZLECA, les exportations intracontinentales augmentant de 34 % (soit environ 133 milliards de dollars par an) par rapport à un scénario sans accord. En outre, environ deux tiers des gains commerciaux intra-africains seront probablement réalisés dans le secteur manufacturier – historiquement le moyen le plus efficace de sortir une population de la pauvreté. Cela ouvrirait la voie à une relation d'amélioration du bien-être et de renforcement mutuel entre le commerce intrarégional et l'industrialisation, qui se traduirait par une croissance durable d'emplois manufacturiers bien rémunérés, tout en élargissant l'assiette fiscale des pays et en améliorant leurs comptes extérieurs.
Cependant, les barrières non tarifaires, les différences réglementaires et les normes sanitaires, phytosanitaires et techniques divergentes augmentent les coûts du commerce transfrontalier en Afrique d'environ 14,3 %, bien au-delà du tarif moyen de 6,9 %. La suppression de ces contraintes et l'approfondissement de l'intégration des entreprises africaines dans les chaînes de valeur mondiales stimuleront considérablement le commerce intra-africain et la croissance. La Banque mondiale estime que la mise en œuvre complète de la ZLECA pourrait augmenter le revenu réel de l'Afrique de 7 % (environ 450 milliards de dollars) d'ici 2035, et que les mesures de facilitation des échanges visant à réduire les formalités administratives et à simplifier les procédures douanières seront responsables de 292 milliards de dollars de cette augmentation.
Le fait de surmonter le déficit chronique de l'Afrique en matière d'infrastructures – tant physiques que numériques – renforcera le pouvoir de création de nouveaux flux commerciaux et contribuera à la réussite de la mise en œuvre de la ZLECA. En s'attaquant aux contraintes du continent en matière d'offre, les décideurs politiques peuvent améliorer à la fois la production et la logistique dans une région qui compte plus de pays enclavés (16) que toute autre. Les investisseurs cherchant à tirer parti des économies d'échelle offertes par la ZLECA, l'intégration des marchés et l'amélioration de la connectivité doivent être une priorité absolue.
La clarification des règles d'origine de la ZLECA – qui déterminent si les produits sont exempts de droits de douane dans le cadre de l'accord – est également essentielle pour accélérer l'industrialisation et le développement des chaînes de valeur régionales. Malgré les défis posés par la COVID-19, les négociateurs ont fait des progrès significatifs sur l'accord relatif aux règles d'origine, qui devrait être conclu plus tard cette année. Cela ouvrira la voie aux négociations de la phase 2 sur les principaux moteurs de la croissance future, notamment les protocoles sur l'investissement, la politique de concurrence et les droits de propriété intellectuelle.
Mais, comme le suggère la hâte de conclure des accords commerciaux bilatéraux avec des pays tiers, le défi le plus important de l'intégration commerciale de l'Afrique pourrait être celui, permanent, de faire passer l'intérêt collectif de la région en premier. Bien que la ZLECA n'interdise pas aux pays membres d'entamer de telles négociations, les accords bilatéraux avec des tiers pourraient affecter la structure du commerce africain et créer des précédents pour les règles régionales en matière de commerce et d'investissement. En pratique, ils pourraient entraîner un détournement des flux commerciaux, étant donné que la clause de la nation la plus favorisée de la ZLECA étend automatiquement aux membres de la ZLECA les concessions tarifaires accordées à une tierce partie.
Comme l'a affirmé Jeffrey Sachs, « sans aucun doute, si l'Afrique s'intègre économiquement, elle sera un leader mondial et la plus grande région économique du monde ». À ce jour, 41 pays ont ratifié la ZLECA. Mais pour que le pacte devienne la rampe de lancement d'une intégration plus poussée de l'Afrique dans l'économie mondiale, les gouvernements doivent compléter la libéralisation des échanges par de solides mesures de facilitation du commerce et renforcer la coordination régionale afin de s'engager auprès de partenaires extérieurs en tant que bloc commercial unifié.
Traduit de l’anglais par Timothée Demont
Hippolyte Fofack est économiste en chef et directeur de la recherche à la Banque africaine d'import-export (Afreximbank).
© Project Syndicate 1995–2022