Selon les Nations unies, 25 gouvernements consacrent aujourd'hui plus d'un cinquième de leurs recettes au service de la dette – le chiffre le plus élevé depuis l'énorme crise de la dette des années 1980 et 1990. Les paiements d'intérêts dépassent désormais les dépenses d'éducation ou de santé dans des pays où vivent 3,3 milliards de personnes.
Les institutions de Bretton Woods ont été créées il y a 80 ans précisément pour soutenir les pays en développement par un financement public anticyclique lorsque le secteur privé réduit ses investissements. Le Fonds monétaire international était destiné à fournir des liquidités à court terme, tandis que la Banque mondiale était censée se concentrer sur le financement de la croissance à long terme et faciliter les changements structurels afin d'éviter les pénuries de liquidités.
Ces institutions existent toujours, bien sûr, mais elles ne sont plus en phase avec les réalités économiques mondiales. Les pompiers financiers du monde entier – le FMI, la Banque mondiale et d'autres banques multilatérales de développement (BMD) – tentent d'éteindre les incendies dans les pays en développement avec des seaux plutôt qu'avec des lances à eau.
Pour garantir des liquidités suffisantes aux marchés émergents et aux économies en développement, l'architecture financière internationale doit être transformée afin que le FMI, la Banque mondiale et les autres institutions multilatérales soient plus importantes, plus équitables et moins axées sur l'austérité. Des réglementations coordonnées devraient être mises en place pour orienter, en période d'expansion, les capitaux privés vers la croissance productive et les changements structurels dans les marchés émergents et les économies en développement (EMDE, selon le sigle anglais), et des incitations devraient être mises en place pour maintenir les capitaux dans ces pays en période de récession.
Les transferts nets vers les EMDE, à l'exclusion de la Chine, sont devenus négatifs en 2022, ce qui signifie que les coûts du service de la dette ont dépassé les nouveaux décaissements. Cet écart était particulièrement important pour les banques commerciales et les détenteurs d'obligations, atteignant 193 milliards de dollars en 2023. Si le FMI et les BMD ont pu compenser les retraits du secteur privé, le financement non concessionnel a été négatif, à - 2,7 milliards de dollars, et le financement concessionnel a été positif mais insuffisant, n'atteignant que 20 milliards de dollars en 2023.
Bien que la taille des programmes du FMI ait été multipliée par quatre depuis la crise financière mondiale de 2008, l'adéquation des ressources du Fonds reste inférieure aux niveaux historiques. La récente 16e révision générale des quotes-parts, qui s'est achevée en décembre 2023, n'a entraîné aucune augmentation nette de la capacité de prêt du FMI.
Alors que les économies avancées ont accès à un réseau illimité de swaps de devises, la plupart des pays émergents ne peuvent s'adresser qu'au FMI pour obtenir des liquidités. Cette situation aggrave l'inégalité du filet de sécurité financier mondial, la source de financement d'urgence comprenant le FMI, les accords de financement régionaux et les swaps des banques centrales. Pour compenser cette inégalité mondiale, le FMI – la seule institution mondiale du « Global Financial Safety Net » (GFSN) – devrait augmenter sa capacité de prêt d'environ 500 milliards de dollars à 1 000 milliards de dollars.
Quant aux BMD, elles accordent actuellement des prêts équivalant à seulement 0,5 % du revenu national brut des pays en développement, alors qu'elles avaient atteint un sommet de 0,7 % dans les années 1990. Selon les estimations récentes du groupe d'experts indépendants du G20, les BMD doivent tripler leur financement d'ici 2030 pour atteindre les objectifs communs en matière de climat et de développement.
En outre, les programmes du FMI imposent souvent des conditions strictes aux pays, les forçant à adopter des mesures d'austérité. Le mythe de la « fée de la confiance »– la croyance selon laquelle l'austérité rétablira la confiance des marchés et stimulera la croissance économique – refuse de mourir, malgré de nombreuses études montrant que les conditions de prêt du FMI augmentent la pauvreté, les inégalités et les troubles sociaux , au lieu d'améliorer la stabilité économique. De même, il a été démontré que les financements de la Banque mondiale ne favorisent pas la croissance.
Les récents bouleversements sociaux au Kenya en sont un excellent exemple. Malgré l'espoir que les prêts du FMI et de la Banque mondiale encouragent le refinancement du secteur privé, les nouvelles émissions d'obligations ont été assorties d'un taux d'intérêt exorbitant de plus de 10%, ce qui a aggravé la vulnérabilité de la dette. Le projet de loi de finances récemment proposé par le gouvernement kenyan, qui prévoyait des augmentations d'impôts pour atteindre les objectifs de recettes du FMI, a déclenché des manifestations qui ont fait au moins 39 morts.
Les pays en développement en difficulté financière ont besoin d'une approche axée sur la croissance qui stabilise l'économie sans réduire les dépenses publiques essentielles. Homi Kharas et Charlotte Rivard, de la Brookings Institution, ont constaté que les plans de relance conduiraient à une croissance plus élevée et éloigneraient les EMDE des schémas structurels qui déclenchent les crises de liquidité. Après tout, c'est ainsi que les économies avancées font face aux chocs. La réponse budgétaire des États-Unis à la pandémie de Covid-19, par exemple, s'est élevée à plus de 25 % du PIB, alors que le ratio dette/PIB dépassait 120 %. En revanche, l'Afrique subsaharienne, avec un ratio dette/PIB de 58 %, a pu se permettre une réponse à la pandémie qui n'a représenté que 3 % du PIB et se débat aujourd'hui avec ses obligations de remboursement.
Le système financier mondial doit permettre aux EMDE de mettre en œuvre des politiques anticycliques sans austérité, faute de quoi la crise actuelle pourrait très bien se terminer par un allègement massif de la dette, un défaut de paiement pur et simple ou des troubles sociaux généralisés. Les économies avancées doivent capitaliser les banques multilatérales de développement et contribuer à accroître leur efficacité, reconstituer les fonds concessionnels tels que l'Association internationale de développement, et augmenter le financement du FMI. Le Fonds, pour sa part, devrait revoir son utilisation de la conditionnalité et émettre une nouvelle série de droits de tirage spéciaux, son actif de réserve.
La santé de l'économie mondiale et les moyens de subsistance de milliards de personnes dépendent de pompiers financiers plus nombreux et plus efficaces. Si leur capacité reste limitée, la légitimité des institutions de Bretton Woods s'affaiblira et les progrès sur les défis mondiaux tels que le changement climatique resteront difficiles à réaliser.
Marina Zucker-Marques, chercheuse universitaire principale au Global Development Policy Center de l'université de Boston, est coprésidente du thème « règles et réglementations financières » de la task force 3 du T20 Brésil sur la réforme de l'architecture financière internationale. Kevin P. Gallagher est professeur de politique de développement mondial à l'université de Boston et directeur du Boston University Global Development Policy Center.
© Project Syndicate 1995–2024
Les institutions de Bretton Woods ont été créées il y a 80 ans précisément pour soutenir les pays en développement par un financement public anticyclique lorsque le secteur privé réduit ses investissements. Le Fonds monétaire international était destiné à fournir des liquidités à court terme, tandis que la Banque mondiale était censée se concentrer sur le financement de la croissance à long terme et faciliter les changements structurels afin d'éviter les pénuries de liquidités.
Ces institutions existent toujours, bien sûr, mais elles ne sont plus en phase avec les réalités économiques mondiales. Les pompiers financiers du monde entier – le FMI, la Banque mondiale et d'autres banques multilatérales de développement (BMD) – tentent d'éteindre les incendies dans les pays en développement avec des seaux plutôt qu'avec des lances à eau.
Pour garantir des liquidités suffisantes aux marchés émergents et aux économies en développement, l'architecture financière internationale doit être transformée afin que le FMI, la Banque mondiale et les autres institutions multilatérales soient plus importantes, plus équitables et moins axées sur l'austérité. Des réglementations coordonnées devraient être mises en place pour orienter, en période d'expansion, les capitaux privés vers la croissance productive et les changements structurels dans les marchés émergents et les économies en développement (EMDE, selon le sigle anglais), et des incitations devraient être mises en place pour maintenir les capitaux dans ces pays en période de récession.
Les transferts nets vers les EMDE, à l'exclusion de la Chine, sont devenus négatifs en 2022, ce qui signifie que les coûts du service de la dette ont dépassé les nouveaux décaissements. Cet écart était particulièrement important pour les banques commerciales et les détenteurs d'obligations, atteignant 193 milliards de dollars en 2023. Si le FMI et les BMD ont pu compenser les retraits du secteur privé, le financement non concessionnel a été négatif, à - 2,7 milliards de dollars, et le financement concessionnel a été positif mais insuffisant, n'atteignant que 20 milliards de dollars en 2023.
Bien que la taille des programmes du FMI ait été multipliée par quatre depuis la crise financière mondiale de 2008, l'adéquation des ressources du Fonds reste inférieure aux niveaux historiques. La récente 16e révision générale des quotes-parts, qui s'est achevée en décembre 2023, n'a entraîné aucune augmentation nette de la capacité de prêt du FMI.
Alors que les économies avancées ont accès à un réseau illimité de swaps de devises, la plupart des pays émergents ne peuvent s'adresser qu'au FMI pour obtenir des liquidités. Cette situation aggrave l'inégalité du filet de sécurité financier mondial, la source de financement d'urgence comprenant le FMI, les accords de financement régionaux et les swaps des banques centrales. Pour compenser cette inégalité mondiale, le FMI – la seule institution mondiale du « Global Financial Safety Net » (GFSN) – devrait augmenter sa capacité de prêt d'environ 500 milliards de dollars à 1 000 milliards de dollars.
Quant aux BMD, elles accordent actuellement des prêts équivalant à seulement 0,5 % du revenu national brut des pays en développement, alors qu'elles avaient atteint un sommet de 0,7 % dans les années 1990. Selon les estimations récentes du groupe d'experts indépendants du G20, les BMD doivent tripler leur financement d'ici 2030 pour atteindre les objectifs communs en matière de climat et de développement.
En outre, les programmes du FMI imposent souvent des conditions strictes aux pays, les forçant à adopter des mesures d'austérité. Le mythe de la « fée de la confiance »– la croyance selon laquelle l'austérité rétablira la confiance des marchés et stimulera la croissance économique – refuse de mourir, malgré de nombreuses études montrant que les conditions de prêt du FMI augmentent la pauvreté, les inégalités et les troubles sociaux , au lieu d'améliorer la stabilité économique. De même, il a été démontré que les financements de la Banque mondiale ne favorisent pas la croissance.
Les récents bouleversements sociaux au Kenya en sont un excellent exemple. Malgré l'espoir que les prêts du FMI et de la Banque mondiale encouragent le refinancement du secteur privé, les nouvelles émissions d'obligations ont été assorties d'un taux d'intérêt exorbitant de plus de 10%, ce qui a aggravé la vulnérabilité de la dette. Le projet de loi de finances récemment proposé par le gouvernement kenyan, qui prévoyait des augmentations d'impôts pour atteindre les objectifs de recettes du FMI, a déclenché des manifestations qui ont fait au moins 39 morts.
Les pays en développement en difficulté financière ont besoin d'une approche axée sur la croissance qui stabilise l'économie sans réduire les dépenses publiques essentielles. Homi Kharas et Charlotte Rivard, de la Brookings Institution, ont constaté que les plans de relance conduiraient à une croissance plus élevée et éloigneraient les EMDE des schémas structurels qui déclenchent les crises de liquidité. Après tout, c'est ainsi que les économies avancées font face aux chocs. La réponse budgétaire des États-Unis à la pandémie de Covid-19, par exemple, s'est élevée à plus de 25 % du PIB, alors que le ratio dette/PIB dépassait 120 %. En revanche, l'Afrique subsaharienne, avec un ratio dette/PIB de 58 %, a pu se permettre une réponse à la pandémie qui n'a représenté que 3 % du PIB et se débat aujourd'hui avec ses obligations de remboursement.
Le système financier mondial doit permettre aux EMDE de mettre en œuvre des politiques anticycliques sans austérité, faute de quoi la crise actuelle pourrait très bien se terminer par un allègement massif de la dette, un défaut de paiement pur et simple ou des troubles sociaux généralisés. Les économies avancées doivent capitaliser les banques multilatérales de développement et contribuer à accroître leur efficacité, reconstituer les fonds concessionnels tels que l'Association internationale de développement, et augmenter le financement du FMI. Le Fonds, pour sa part, devrait revoir son utilisation de la conditionnalité et émettre une nouvelle série de droits de tirage spéciaux, son actif de réserve.
La santé de l'économie mondiale et les moyens de subsistance de milliards de personnes dépendent de pompiers financiers plus nombreux et plus efficaces. Si leur capacité reste limitée, la légitimité des institutions de Bretton Woods s'affaiblira et les progrès sur les défis mondiaux tels que le changement climatique resteront difficiles à réaliser.
Marina Zucker-Marques, chercheuse universitaire principale au Global Development Policy Center de l'université de Boston, est coprésidente du thème « règles et réglementations financières » de la task force 3 du T20 Brésil sur la réforme de l'architecture financière internationale. Kevin P. Gallagher est professeur de politique de développement mondial à l'université de Boston et directeur du Boston University Global Development Policy Center.
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