Les élections de la liberté en Hongrie

Mardi 22 Février 2022

Lorsque les Hongrois se rendront aux urnes en avril, c'est la démocratie libérale qui va se jouer – et pas seulement en Hongrie. L'ancien président américain Donald Trump soutient la candidature du Premier ministre populiste Viktor Orbán. Tucker Carlson, la personnalité la plus regardée en direct sur Fox News, s'est rendu à Budapest pour promouvoir la version du nationalisme ethnique façon Orbán. Orbán fait face toutefois à son défi le plus sérieux depuis son retour au pouvoir en 2010.


Péter Márki-Zay,  maire conservateur de Hódmezővásárhely, une petite ville rurale du centre duHongrie
Péter Márki-Zay, maire conservateur de Hódmezővásárhely, une petite ville rurale du centre duHongrie
L'opposition hongroise, normalement rétive, s'est enfin unie derrière un seul candidat  : Péter Márki-Zay, le maire conservateur de Hódmezővásárhely, une petite ville rurale du centre du pays. Chrétien dévot et père de sept enfants, Márki-Zay se présente sur une plate-forme pro-européenne, pro-État de droit et anti-corruption. Il se décrit  lui-même comme étant « tout ce que Viktor Orbán prétend être ».

Orbán, aujourd'hui âgé de 58 ans, était un fauteur de troubles réformiste il y a 30 ans. Mais au cours de la dernière décennie, il a transformé la Hongrie en « démocratie illibérale  » où seule sa voix représente le peuple. Lors de son premier mandat de Premier ministre en 1998-2002, Orbán a fait entrer la Hongrie dans l'OTAN et l'Union européenne. Mais après avoir été vaincu en 2002, il a promis de ne plus jamais risquer une défaite électorale. En se débarrassant de son ancien programme pro-européen et pro-démocratique, il a embrassé la politique de l'ethno-nationalisme et des griefs anti-mondialistes.

Lors de son retour au pouvoir en 2010 avec une majorité parlementaire des deux tiers, Orbán a réécrit la constitution et les lois électorales de la Hongrie afin de consolider son poste au pouvoir. Son parti, Fidesz, a rapidement contrôlé les médias  et le système judiciaire  du pays – notamment la Cour constitutionnelle. Et Orbán et ses acolytes sont devenus très riches.

Pour se préparer aux élections de cette année, Orbán a organisé des rassemblements en accusant  l'UE de tenter « d'arracher la Hongrie des mains de la Vierge Marie, pour la jeter aux pieds de Bruxelles ». Pourtant, malgré ses diatribes et ses violations flagrantes des règles et des valeurs de l'UE, la Hongrie reste un pays membre du bloc. La bureaucratie compliquée de l'UE n'a tout simplement pas été construite pour s'occuper d'un autocrate comme Orbán. Il lui manque un mécanisme pour le mettre au pas, en grande partie parce qu'il a pu compter sur le propre gouvernement illibéral de la Pologne pour opposer son veto à toute action entreprise contre lui.

En tant que hongroise de naissance, les élections de cette année m'affectent personnellement. J'avais six ans en 1955 lorsque j'ai ouvert la porte de notre appartement à Budapest et fait face à trois hommes en bleus de travail. L'un d'eux a menti en me disant : « Nous venons relever le compteur de gaz. Va chercher ta mère. » J'ai appelé le nom de ma mère, je suis retournée dans ma chambre et je ne l'ai pas revue (ni mon père, qui était déjà emprisonné) pendant près de deux ans. Mes parents, les derniers journalistes indépendants de la Hongrie sous contrôle soviétique, ont été condamnés pour espionnage et à de longues peines de prison.

Même selon les normes de la Guerre froide, le fait d'emprisonner un couple avec deux jeunes enfants était suffisamment choquant pour mériter un article en première page  dans le New York Times. Heureusement, mes parents ont été libérés 18 mois plus tard, juste à temps pour couvrir le soulèvement hongrois d'octobre 1956. Mais la révolution de cette année a été brutalement écrasée par les chars et l'armée soviétiques, inaugurant une occupation qui devait durer jusqu'en 1989. « Budapest, a déclaré  le président Dwight D. Eisenhower lors de son deuxième discours inaugural de janvier 1957, n'est plus seulement le nom d'une ville : désormais, c'est un nouveau symbole brillant de la soif de liberté de l'homme ».

J'étais encore une petite fille lorsque nous avons commencé notre voyage vers l'Ouest l'année suivante. Mais je suis restée extrêmement fière du pays que nous avons été forcés d'abandonner. Le 16 juin 1989, j'ai rencontré 300 000 Hongrois sur la place des Héros à Budapest, pour le réenterrement de ceux qui étaient morts lors de la révolution manquée.
Émue aux larmes par la cérémonie solennelle, je me souviens encore du dernier orateur, un homme maigre et barbu de 26 ans, qui a déclaré  : « Si nous sommes assez déterminés, nous pouvons forcer le Parti [communiste] au pouvoir à faire face à des élections libres. » Avec ces mots encore vibrants, le jeune Orbán a lancé son ascension politique. En quelques mois, il avait quitté Budapest pour étudier à l'Université d'Oxford grâce à une subvention  du philanthrope financier américain George Soros, qu'Orbán qualifie aujourd'hui encore de bouc émissaire à tout propos.

En 1995, alors que les démagogues de la région nourrissaient une guerre génocidaire dans les Balkans, j'ai choisi ma ville natale pour épouser le diplomate Richard Holbrooke, qui était encore en train de négocier la fin de ce conflit. Dans son discours de mariage, flanqué du président hongrois Árpád Göncz, mon nouveau mari a déclaré : « Avec ce mariage, je souhaite également la bienvenue à la Hongrie dans la famille européenne des démocraties – à cette place qui lui revient ».

Richard et moi avons eu des relations amicales avec Orbán au cours de son premier mandat et nous l'avons même invité à dîner chez nous. Bien qu'il ne soit pas un dictateur sanguinaire à la manière du président russe Vladimir Poutine, il manque de convictions profondes et ne vise qu'à augmenter son pouvoir pour son propre compte. Son génie consiste à attiser les sentiments de nationalisme contrarié, en assurant aux Hongrois qu'il est le seul à pouvoir les défendre contre un monde hostile et non chrétien. J'ai souvent entendu ce même discours des seigneurs de guerre des Balkans il y a 25 ans.

La Hongrie ne peut plus emprisonner les journalistes indépendants, mais le régime d'Orbán a fait taire les voix critiques de manière plus subtile et tout aussi efficace, par exemple en refusant les licences  de diffusion et en consolidant  les organes de presse dans la détention de sociétés gérées par les alliés d'Orbán. Les troupes soviétiques qui patrouillaient autrefois dans mon voisinage ont disparu depuis longtemps. En revanche, en Orbán, Poutine a un allié au sein de l'UE – alors même que le Kremlin menace la sécurité de la Hongrie depuis l'Est, en Ukraine.

Orbán s'est montré inapte à réaliser la promesse qu'il avait formulée sur la place des Héros en 1989. Lorsque 90 % des médias hongrois sont contrôlés par l'État, il est difficile de qualifier les élections de « libres ». Néanmoins, le choix ce printemps ne dépend pas de Trump, de Carlson ni même d'Orbán, mais des électeurs hongrois.

Près d'un demi-million de Hongrois (sur une population de dix millions d'habitants) ont choisi d'émigrer  depuis qu'Orbán est arrivé au pouvoir. Aujourd'hui, nous, la diaspora hongroise, avons la responsabilité particulière de faire entendre notre voix, afin que les Hongrois de demain n'aient pas à réaliser leur potentiel ailleurs.

Pour la deuxième fois de ma vie, la Hongrie a l'occasion d'être « un symbole brillant de la soif de liberté de l'homme ». Mais les Hongrois doivent s'en emparer tant qu'il ne soit trop tard.
Kati Marton, présidente du Conseil consultatif fondateur de Action for Democracy. Elle a publié dernièrement The Chancellor:  The Remarkable Odyssey of Angela Merkel  (William Collins, 2021).
© Project Syndicate 1995–2022
 
chroniques



1.Posté par mossuo le 23/02/2022 10:36
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