Les lendemains de l’accord sur le nucléaire iranien

Vendredi 17 Juillet 2015

Après 60 jours de débats intenses à Washington DC et très certainement à Téhéran, le « Plan d’action global conjoint » (JCPOA) signé le 14 juillet par l’Iran et les cinq membres permanents du Conseil de sécurité des Nations Unies, accompagnés par l’Allemagne (le P5+1), devrait selon toute vraisemblance entrer en vigueur. Seulement voilà, nul ne doit considérer cet accomplissement comme une solution pure et simple à la problématique entourant les ambitions nucléaires de l’Iran, ou sa contribution à l’agitation actuelle du Moyen-Orient. Au contraire, en fonction de la manière dont cet accord sera mis en œuvre et exécuté, il pourrait tout à fait aggraver la situation.


Il ne s’agit pas d’affirmer que le JCPOA ne constituerait pas une avancée positive. Il vient en effet plafonner pour les dix prochaines années la quantité et la qualité des centrifugeuses que l’Iran sera en droit d’exploiter, et n’autorise le pays qu’à détenir une quantité réduite d’uranium faiblement enrichi pour les 15 prochaines années. Cet accord établit également, selon la formule utilisée par le président américain Barack Obama, un mécanisme d’inspections effectuées « là où cela est nécessaire, et lorsque cela est nécessaire », permettant potentiellement de vérifier si l’Iran honore ces obligations particulières, ainsi que d’autres engagements.
Le résultat net réside en ce que l’accord devrait prolonger la période nécessaire à l’Iran pour produire une ou plusieurs armes atomiques, en faisant passer cette période de quelques mois à désormais un an, favorisant ainsi la possibilité de déceler une telle intention dans les temps. La principale utilité du JCPOA réside dans la possibilité de priver l’Iran d’armes nucléaires pour les 15 prochaines années. La seule mise en œuvre de sanctions n’aurait pu consolider une telle possibilité, tandis que le recours à la force militaire aurait soulevé des risques considérables, créateurs de conséquences incertaines.
D’un autre côté (comme il en existe toujours en matière diplomatique), cet accord autorise l’Iran à posséder une capacité nucléaire bien supérieure à ce dont le pays aurait besoin si ses intérêts portaient uniquement sur la recherche civile et la volonté de démontrer symboliquement sa capacité à enrichir de l’uranium. L’accord concède également à l’Iran un important allégement des sanctions économiques, ce qui renforce la capacité éventuelle du régime à soutenir diverses forces apparentées au sein du Moyen Orient, à appuyer le gouvernement sectaire de Bagdad, ainsi qu’à prêter main forte au régime du président syrien Bachar el-Assad.
Par ailleurs, le JCPOA n’interdit pas toutes les recherches liée au nucléaire, et ne restreint pas les travaux entourant les missiles. Les ventes de missiles balistiques et autres pièces détachées de missiles à l’Iran sont interdites depuis seulement huit ans, tandis que les ventes d’armes conventionnelles le sont depuis à peine cinq ans.
Le risque existe également de voir l’Iran ne pas respecter certaines dispositions de l’accord, et entreprendre des travaux non autorisés. Étant donné les antécédents de l’Iran, il est compréhensible que cet aspect suscite l’inquiétude, et les critiques à l’égard du passé. Ce qui est important, c’est qu’un tel non-respect des dispositions donne lieu à une réapparition des sanctions, et si nécessaire à une intervention militaire.
Il existe une difficulté encore plus problématique, et pourtant peu abordée : le risque de ce qui arrivera si l’Iran respecte bel et bien  l’accord conclu. À supposer même que l’Iran ne viole aucune disposition, il est possible que le pays fasse en sorte de se libérer de ses contraintes nucléaires une fois expirées les dispositions les plus critiques de l’accord. Peu de choses permettraient alors de contenir le pays, excepté le Traité de non-prolifération des armes nucléaires, quoi qu’il s’agisse d’un accord volontaire ne faisant intervenir aucune sanction en cas de manquement.
Il est important que les États-Unis (dans l’idéal rejoints par d’autres pays) fassent bien comprendre à l’Iran que toute démarche destinée à conférer au pays la capacité de produire des armes nucléaires après expiration de la période de 15 ans ne sera pas tolérée, même si l’accord actuel ne l’interdit pas explicitement. De sévères sanctions doivent pouvoir être réintroduites dès les premiers signes indiquant une volonté iranienne de rupture à l’expiration du JCPOA ; scénario qui n’est pas non plus couvert par l’accord.
De même, l’Iran doit savoir que l’Amérique et à ses alliés seront prêts à lancer des frappes militaires préventives si jamais le pays entend présenter au monde un fait accompli. Ce même monde qui a fauté en laissant la Corée du Nord franchir le seuil nucléaire ne devra pas reproduire cette erreur.
Dans le même temps, un effort majeur devra être fourni afin d’apaiser la crainte des pays voisins de l’Iran, dont certains pourraient bien envisager de se couvrir face à un possible manque de contrôle sur l’Iran dans 15 ans, et chercher à développer leur propre programme nucléaire. Le Moyen Orient est une question suffisamment cauchemardesque, sans que vienne s’y ajouter le risque lié à l’émergence de plusieurs puissances nucléaires aspirantes. Ainsi peut-on considérer comme prématurée l’affirmation d’Obama selon laquelle l’accord vient « stopper la propagation des armes nucléaires dans la région ».
Il sera par ailleurs essentiel de rebâtir une confiance stratégique entre les États-Unis et Israël ; démarche qui devra en effet figurer aux priorités du successeur d’Obama. L’Amérique devra également s’imposer face à la politique étrangère de l’Iran, et à la manière dont le pays traite son propre peuple.
Rien de tout cela ne devra exclure une coopération sélective avec l’Iran, que ce soit en Afghanistan, en Syrie ou en Irak, dès lors qu’interviendront des intérêts communs. Mais ici encore, chacun devra faire preuve de réalisme. Nul ne doit se fonder sur un scénario de base selon lequel l’accord nucléaire conduira l’Iran à modérer son radicalisme, ou à restreindre ses ambitions stratégiques. Tant il est vrai que l’émergence d’un Iran toujours plus capable, et à la nature inchangée, constituera probablement l’un des principaux défis du Moyen-Orient, si ce n’est du monde entier, pour les années à venir.
Traduit de l’anglais par Martin Morel
Richard N. Haass est président du Conseil des relations étrangères
© Project Syndicate 1995–2015
 
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