Une affiche appelant à manifester le 8 novembre dernier pour défendre le service public -
Au départ, l'Irlande devait bénéficier d'un programme de sauvegarde [une ligne de "crédit de précaution" pour sortir du plan d'aide], et les négociations irlandaises devaient nous guider vers les nôtres. Comme disait le vice-Premier ministre Paulo Portas, "mieux vaut être celte que grec".
Mais l'Irlande nous a filé entre les doigts : elle a décidé d'en appeler aux marchés, et nous avons perdu notre cicérone. On dit que c'est Dublin qui a décidé de prendre ce risque. Mais une autre version circule : l'Allemagne et la Finlande ont fait mine de tergiverser, et les Irlandais, qui bénéficient de taux acceptables sur les marchés, ont préféré ne pas risquer plusieurs mois supplémentaires d'incertitude. Voilà qui tend à confirmer que ces décisions dépendent moins des pays concernés par les plans d'aide, que de facteurs qui leur sont extérieurs.
Le gouvernement portugais a donc dû adapter son discours, avec la nouvelle thèse suivante : c'est la preuve que l'austérité fonctionne. Ainsi, si nous n'avons pas fait appel aux marchés en juillet, c'est parce que nous avons appliqué la recette de la troïka [UE-FMI-BCE, représentant les créanciers du Portugal] avec moins de rigueur que les Irlandais. Ou, ajoutent certains, parce que nous avons commencé les coupes trop tard.
Les victimes de l'austérité
Premier mensonge : l'austérité a porté ses fruits en Irlande. Le sauvetage de l'Irlande, que celle-ci a voulu refuser, avait pour seul objectif de sauver son secteur bancaire. Sur ce point, oui, il a fonctionné. Mais la situation financière irlandaise est bien loin du modèle défendu par la troïka. Alors que son plan d'ajustement a pris fin, l'Irlande affiche aujourd'hui une dette publique équivalente à la nôtre, une croissance médiocre et un déficit qui tourne autour de 8 %.
Si le Portugal cumulait ces mêmes indicateurs, nos taux d'intérêt dépasseraient allègrement les 6 % actuels. Mais l'Irlande peut se permettre de prendre le risque d'aller sur les marchés, car elle bénéficie de taux à 3,5 %. Et si les taux lui sont si favorables, c'est parce que, malgré l'austérité et le déséquilibre de ses comptes publics, Dublin affiche un volume d'exportations supérieur à 100 % de son PIB et jouit de facilités d'accès au marché financier nord-américain – tout cela grâce à l'anglais, que les Irlandais ont en commun avec les Etats-Unis.
Ainsi, le gouffre dans lequel l'Irlande était tombée - et où elle se trouve encore, à certains égards - n'est pas le résultat, comme la crise portugaise, de fragilités structurelles de l'économie aggravées d'abord par l'euro, puis par la crise financière internationale. Il est le résultat de ce vaste BPN [banque portugaise nationalisée après de nombreux scandales] qu'était devenu le système bancaire irlandais. De ce fait, la voie que prendra l'Irlande pour sortir de ce gouffre ne sera pas la même que la nôtre. Et, aussi nombreuses que soient dans ce pays les victimes de l'austérité, elle sera également plus facile.
Un tableau d'honneur macabre
Autre mensonge : les Irlandais ont fait de plus grands sacrifices. C'est tout l'inverse. La part des salaires de la fonction publique est passée en Irlande de 12,8 % du PIB à 11,2 %. Au Portugal, elle a dégringolé de 12,7 % à 10,6 %. L'Etat irlandais a procédé à des coupes moins importantes dans les pensions. Et il n'a quasiment pas touché aux impôts sur les revenus du travail. L'Irlande a grosso modo appliqué l'austérité telle qu'elle était prévue au départ. Nous, au Portugal, avons dû faire deux fois plus d'efforts.
Il faut aussi examiner par où a commencé cette austérité. En Grèce, la première mesure a consisté à diminuer le nombre d'emplois publics et à baisser les salaires. Et ce pays est aujourd'hui dans la situation que l'on sait. Car la Grèce, elle aussi, n'est ni le Portugal, ni l'Irlande. Car ses problèmes ont pour origine première une dette publique hors de tout contrôle, avant même que n'éclate la crise internationale.
De notre côté, les problèmes du Portugal s'expliquaient avant tout par une dette extérieure due à des dysfonctionnements profonds de notre économie et de notre intégration à l'euro. Nous ne sommes pas grecs. Nous ne sommes pas celtes. Mais nous avons en commun avec les Grecs et les Celtes d'être les victimes de l'aveuglement européen et de l'austérité. Nous sommes les sans-emploi, nous sommes les émigrés forcés, nous sommes les appauvris. Qu'on nous épargne donc cette pathétique compétition autour d'un tableau d'honneur si macabre.
Courrier International
Mais l'Irlande nous a filé entre les doigts : elle a décidé d'en appeler aux marchés, et nous avons perdu notre cicérone. On dit que c'est Dublin qui a décidé de prendre ce risque. Mais une autre version circule : l'Allemagne et la Finlande ont fait mine de tergiverser, et les Irlandais, qui bénéficient de taux acceptables sur les marchés, ont préféré ne pas risquer plusieurs mois supplémentaires d'incertitude. Voilà qui tend à confirmer que ces décisions dépendent moins des pays concernés par les plans d'aide, que de facteurs qui leur sont extérieurs.
Le gouvernement portugais a donc dû adapter son discours, avec la nouvelle thèse suivante : c'est la preuve que l'austérité fonctionne. Ainsi, si nous n'avons pas fait appel aux marchés en juillet, c'est parce que nous avons appliqué la recette de la troïka [UE-FMI-BCE, représentant les créanciers du Portugal] avec moins de rigueur que les Irlandais. Ou, ajoutent certains, parce que nous avons commencé les coupes trop tard.
Les victimes de l'austérité
Premier mensonge : l'austérité a porté ses fruits en Irlande. Le sauvetage de l'Irlande, que celle-ci a voulu refuser, avait pour seul objectif de sauver son secteur bancaire. Sur ce point, oui, il a fonctionné. Mais la situation financière irlandaise est bien loin du modèle défendu par la troïka. Alors que son plan d'ajustement a pris fin, l'Irlande affiche aujourd'hui une dette publique équivalente à la nôtre, une croissance médiocre et un déficit qui tourne autour de 8 %.
Si le Portugal cumulait ces mêmes indicateurs, nos taux d'intérêt dépasseraient allègrement les 6 % actuels. Mais l'Irlande peut se permettre de prendre le risque d'aller sur les marchés, car elle bénéficie de taux à 3,5 %. Et si les taux lui sont si favorables, c'est parce que, malgré l'austérité et le déséquilibre de ses comptes publics, Dublin affiche un volume d'exportations supérieur à 100 % de son PIB et jouit de facilités d'accès au marché financier nord-américain – tout cela grâce à l'anglais, que les Irlandais ont en commun avec les Etats-Unis.
Ainsi, le gouffre dans lequel l'Irlande était tombée - et où elle se trouve encore, à certains égards - n'est pas le résultat, comme la crise portugaise, de fragilités structurelles de l'économie aggravées d'abord par l'euro, puis par la crise financière internationale. Il est le résultat de ce vaste BPN [banque portugaise nationalisée après de nombreux scandales] qu'était devenu le système bancaire irlandais. De ce fait, la voie que prendra l'Irlande pour sortir de ce gouffre ne sera pas la même que la nôtre. Et, aussi nombreuses que soient dans ce pays les victimes de l'austérité, elle sera également plus facile.
Un tableau d'honneur macabre
Autre mensonge : les Irlandais ont fait de plus grands sacrifices. C'est tout l'inverse. La part des salaires de la fonction publique est passée en Irlande de 12,8 % du PIB à 11,2 %. Au Portugal, elle a dégringolé de 12,7 % à 10,6 %. L'Etat irlandais a procédé à des coupes moins importantes dans les pensions. Et il n'a quasiment pas touché aux impôts sur les revenus du travail. L'Irlande a grosso modo appliqué l'austérité telle qu'elle était prévue au départ. Nous, au Portugal, avons dû faire deux fois plus d'efforts.
Il faut aussi examiner par où a commencé cette austérité. En Grèce, la première mesure a consisté à diminuer le nombre d'emplois publics et à baisser les salaires. Et ce pays est aujourd'hui dans la situation que l'on sait. Car la Grèce, elle aussi, n'est ni le Portugal, ni l'Irlande. Car ses problèmes ont pour origine première une dette publique hors de tout contrôle, avant même que n'éclate la crise internationale.
De notre côté, les problèmes du Portugal s'expliquaient avant tout par une dette extérieure due à des dysfonctionnements profonds de notre économie et de notre intégration à l'euro. Nous ne sommes pas grecs. Nous ne sommes pas celtes. Mais nous avons en commun avec les Grecs et les Celtes d'être les victimes de l'aveuglement européen et de l'austérité. Nous sommes les sans-emploi, nous sommes les émigrés forcés, nous sommes les appauvris. Qu'on nous épargne donc cette pathétique compétition autour d'un tableau d'honneur si macabre.
Courrier International