Les arguments favorables à une hausse des taux sont pertinents. L'économie des États-Unis gagne du terrain. Le Fonds Monétaire International prévoit 3% de croissance annuelle en 2015 et 2016, suivis respectivement par des taux d'inflation de 0,1% et 1,5%. Lorsqu'une économie revient à la normale, il est raisonnable de réduire les mesures expansionnistes du type de celles qui ont été mises en place après la crise de 2008. Puisque la Fed a clairement indiqué son désir d'évoluer progressivement vers des politiques moins expansionnistes, sa crédibilité pourrait être mise à mal si cette déclaration n'était pas suivie d'effet.
Mais il y a de bonnes raisons pour la Fed reporte les hausses de taux d'intérêt et pour qu'elle freine la politique monétaire expansionniste au cours des prochains trimestres. Tout d'abord, la reprise américaine reste faible. Historiquement, une croissance de 3% lors d'une reprise est loin d'être un taux impressionnant. Pour d'autres reprises récentes, la croissance a souvent atteint 4% ou même 5% quand une utilisation accrue des capacités a entraîné une hausse de la productivité et des investissements.
Au cours des trois dernières décennies, les États-Unis ont pu bénéficier d'une croissance à un taux annuel moyen d'environ 2,5%. Certaines commentateurs imputent une croissance relativement lente à certains facteurs démographiques, qui ont contribué à réduire la main-d'œuvre, ainsi qu'à affaiblir les niveaux de production déjà bas.
Mais on a pu sous-estimer la production potentielle des États-Unis, tout comme on a pu exagérer leur propension à l'inflation. Le marché du travail des États-Unis fonctionne bien. Le taux de chômage est tombé à 5%, sans aucun signe de surchauffe. L'indice du coût de l'emploi suggère que les augmentations salariales sont jusqu'à présent étonnamment basses.
Une raison à cela est que la flexibilité du marché du travail a augmenté au cours de la reprise. Le travail indépendant, les contrats à court terme ou les aménagements du travail à temps partiel expliquent la création de plusieurs emplois ces dernières années. Les emplois à temps plein dotés d'un régime complet d'avantages sociaux sont à présent beaucoup plus rares. Cette « Uberisation » en cours du marché du travail américain signifie que l'équilibre dans le processus de fixation des salaires a changé. En conséquence il faudra plus de temps que par le passé pour que la demande se répercute sur les salaires et sur l'inflation.
En outre, l'économie subit une évolution technologique en cours, qui résulte de la numérisation et de la mondialisation. Les estimations de Citigroup indiquent que près de la moitié de tous les emplois seront perturbés dans les prochaines décennies. Les emplois qui exigent des compétences plus faibles et moins de formation sont particulièrement vulnérables. Mais il est également clair que de nombreuses autres catégories professionnelles (dont l'administration, la comptabilité, la logistique, les services bancaires et diverses activités de services), risquent d'être affectées. Les entreprises pourront réduire leurs effectifs et leurs coûts de production tout en améliorant leurs services à la clientèle : ce phénomène, tout comme l'Uberisation, va affecter le processus de fixation des salaires.
Il me semble que les directeurs des banques centrales sous-estiment actuellement l'impact de ce changement structurel. Dans les économies plus orientées vers la technologie, comme aux États-Unis, au Royaume-Uni et dans les pays nordiques, il y a un risque que les modèles macro-économiques traditionnels surestiment à l'avenir la pression de la main-d'œuvre.
Une autre raison pour laquelle la Fed doit reporter une hausse des taux est que les turbulences financières sur les marchés émergents, notamment en Chine, pourraient avoir un impact considérable sur l'économie mondiale, avec des implications évidentes sur l'économie américaine. En particulier, les prix plus bas de l'énergie et des matières premières vont probablement atténuer la pression inflationniste. Quand l'inflation est basse pendant une longue période, les estimations d'inflation ont également tendance à être basses. Si l'on ajoute à cela la baisse des prix des matières premières et de l'énergie, il existe alors un risque que les estimations d'inflation restent trop basses pour soutenir une reprise équilibrée.
Les répercussions mondiales des devises faibles sur les marchés émergents sont également susceptibles d'être déflationnistes. L'impact direct est qu'un dollar plus fort réduit le coût des marchandises importées. L'effet indirect et potentiellement important, est une augmentation concurrentielle de l'industrie légère sur les marchés émergents. Cela renforcerait la pression déflationniste de la mondialisation dans les années à venir.
Il y a également un risque d'une plus grande volatilité sur le marché des devises, si la Fed brûle les étapes lors de l'augmentation des taux. Les politiques monétaires non conventionnelles de la Fed ont été nécessaires pour les États-Unis. Mais parce qu'elles ont inondé les marchés mondiaux de liquidités, de grands flux de portefeuille ont déménagé dans les pays émergents, dont les monnaies ne sont souvent pas aussi liquides que le dollar. Lorsque les investissements sont reconvertis en dollars, les fluctuations de devises dans ces marchés moins liquides peuvent devenir excessives.
La Fed a clairement la responsabilité d'examiner dans quelles mesures ses décisions de politique affectent le système financier mondial. Une excessive volatilité des monnaies n'est pas dans l'intérêt des États-Unis, notamment parce que de fortes dépréciations des taux de change sur les marchés émergents pourraient bien amplifier les effets de la mondialisation sur l'emploi, sur les salaires et sur l'inflation aux États-Unis, d'autant plus que les plus faibles devises étrangères font de l'externalisation une solution plus viable économiquement.
Une autre raison pour la Fed reconsidère la hausse des taux est que la légitimité des institutions de Bretton Woods dépend du bon fonctionnement du système financier mondial. Le centre de gravité de l'économie mondiale se déplace vers l'Asie, l'Amérique latine et l'Afrique, mais le FMI et la Banque mondiale semblent toujours refléter la réalité des années 1950. Si la Fed est perçue comme le déclencheur d'une crise majeure dans les marchés émergents, cela va presque à coup sûr causer des dégâts à long terme sur le système financier mondial.
La Fed doit considérer la baisse du prix des matières premières, la réduction des pressions inflationnistes, les évolutions sur le marché du travail et davantage d'évolutions technologiques perturbatrices comme autant d'arguments suffisamment convaincants pour reporter une hausse des taux. Ajoutez à cela le risque de volatilité excessive dans le système financier mondial et cet équilibre devient encore plus instable.
La Fed a tout le temps de signaler que l'orientation de sa politique a changé et le conclave de Jackson Hole est une excellente occasion d'inaugurer cette communication. Si les faits ont changé, les implications politiques doivent également changer. Quand les décideurs essaient d'ignorer des réalités changeantes, une plus grande perte de crédibilité s'ensuit toujours.
Anders Borg, ancien ministre des Finances de la Suède, Directeur de la Global Financial System Initiative au Forum économique mondial.
© Project Syndicate 1995–2015
Mais il y a de bonnes raisons pour la Fed reporte les hausses de taux d'intérêt et pour qu'elle freine la politique monétaire expansionniste au cours des prochains trimestres. Tout d'abord, la reprise américaine reste faible. Historiquement, une croissance de 3% lors d'une reprise est loin d'être un taux impressionnant. Pour d'autres reprises récentes, la croissance a souvent atteint 4% ou même 5% quand une utilisation accrue des capacités a entraîné une hausse de la productivité et des investissements.
Au cours des trois dernières décennies, les États-Unis ont pu bénéficier d'une croissance à un taux annuel moyen d'environ 2,5%. Certaines commentateurs imputent une croissance relativement lente à certains facteurs démographiques, qui ont contribué à réduire la main-d'œuvre, ainsi qu'à affaiblir les niveaux de production déjà bas.
Mais on a pu sous-estimer la production potentielle des États-Unis, tout comme on a pu exagérer leur propension à l'inflation. Le marché du travail des États-Unis fonctionne bien. Le taux de chômage est tombé à 5%, sans aucun signe de surchauffe. L'indice du coût de l'emploi suggère que les augmentations salariales sont jusqu'à présent étonnamment basses.
Une raison à cela est que la flexibilité du marché du travail a augmenté au cours de la reprise. Le travail indépendant, les contrats à court terme ou les aménagements du travail à temps partiel expliquent la création de plusieurs emplois ces dernières années. Les emplois à temps plein dotés d'un régime complet d'avantages sociaux sont à présent beaucoup plus rares. Cette « Uberisation » en cours du marché du travail américain signifie que l'équilibre dans le processus de fixation des salaires a changé. En conséquence il faudra plus de temps que par le passé pour que la demande se répercute sur les salaires et sur l'inflation.
En outre, l'économie subit une évolution technologique en cours, qui résulte de la numérisation et de la mondialisation. Les estimations de Citigroup indiquent que près de la moitié de tous les emplois seront perturbés dans les prochaines décennies. Les emplois qui exigent des compétences plus faibles et moins de formation sont particulièrement vulnérables. Mais il est également clair que de nombreuses autres catégories professionnelles (dont l'administration, la comptabilité, la logistique, les services bancaires et diverses activités de services), risquent d'être affectées. Les entreprises pourront réduire leurs effectifs et leurs coûts de production tout en améliorant leurs services à la clientèle : ce phénomène, tout comme l'Uberisation, va affecter le processus de fixation des salaires.
Il me semble que les directeurs des banques centrales sous-estiment actuellement l'impact de ce changement structurel. Dans les économies plus orientées vers la technologie, comme aux États-Unis, au Royaume-Uni et dans les pays nordiques, il y a un risque que les modèles macro-économiques traditionnels surestiment à l'avenir la pression de la main-d'œuvre.
Une autre raison pour laquelle la Fed doit reporter une hausse des taux est que les turbulences financières sur les marchés émergents, notamment en Chine, pourraient avoir un impact considérable sur l'économie mondiale, avec des implications évidentes sur l'économie américaine. En particulier, les prix plus bas de l'énergie et des matières premières vont probablement atténuer la pression inflationniste. Quand l'inflation est basse pendant une longue période, les estimations d'inflation ont également tendance à être basses. Si l'on ajoute à cela la baisse des prix des matières premières et de l'énergie, il existe alors un risque que les estimations d'inflation restent trop basses pour soutenir une reprise équilibrée.
Les répercussions mondiales des devises faibles sur les marchés émergents sont également susceptibles d'être déflationnistes. L'impact direct est qu'un dollar plus fort réduit le coût des marchandises importées. L'effet indirect et potentiellement important, est une augmentation concurrentielle de l'industrie légère sur les marchés émergents. Cela renforcerait la pression déflationniste de la mondialisation dans les années à venir.
Il y a également un risque d'une plus grande volatilité sur le marché des devises, si la Fed brûle les étapes lors de l'augmentation des taux. Les politiques monétaires non conventionnelles de la Fed ont été nécessaires pour les États-Unis. Mais parce qu'elles ont inondé les marchés mondiaux de liquidités, de grands flux de portefeuille ont déménagé dans les pays émergents, dont les monnaies ne sont souvent pas aussi liquides que le dollar. Lorsque les investissements sont reconvertis en dollars, les fluctuations de devises dans ces marchés moins liquides peuvent devenir excessives.
La Fed a clairement la responsabilité d'examiner dans quelles mesures ses décisions de politique affectent le système financier mondial. Une excessive volatilité des monnaies n'est pas dans l'intérêt des États-Unis, notamment parce que de fortes dépréciations des taux de change sur les marchés émergents pourraient bien amplifier les effets de la mondialisation sur l'emploi, sur les salaires et sur l'inflation aux États-Unis, d'autant plus que les plus faibles devises étrangères font de l'externalisation une solution plus viable économiquement.
Une autre raison pour la Fed reconsidère la hausse des taux est que la légitimité des institutions de Bretton Woods dépend du bon fonctionnement du système financier mondial. Le centre de gravité de l'économie mondiale se déplace vers l'Asie, l'Amérique latine et l'Afrique, mais le FMI et la Banque mondiale semblent toujours refléter la réalité des années 1950. Si la Fed est perçue comme le déclencheur d'une crise majeure dans les marchés émergents, cela va presque à coup sûr causer des dégâts à long terme sur le système financier mondial.
La Fed doit considérer la baisse du prix des matières premières, la réduction des pressions inflationnistes, les évolutions sur le marché du travail et davantage d'évolutions technologiques perturbatrices comme autant d'arguments suffisamment convaincants pour reporter une hausse des taux. Ajoutez à cela le risque de volatilité excessive dans le système financier mondial et cet équilibre devient encore plus instable.
La Fed a tout le temps de signaler que l'orientation de sa politique a changé et le conclave de Jackson Hole est une excellente occasion d'inaugurer cette communication. Si les faits ont changé, les implications politiques doivent également changer. Quand les décideurs essaient d'ignorer des réalités changeantes, une plus grande perte de crédibilité s'ensuit toujours.
Anders Borg, ancien ministre des Finances de la Suède, Directeur de la Global Financial System Initiative au Forum économique mondial.
© Project Syndicate 1995–2015