RUSSIE : Des pilotes étrangers aux commandes des avions ?

Dimanche 1 Décembre 2013

Le gouvernement veut autoriser des étrangers à piloter les avions des compagnies russes. Elles manquent aujourd'hui de centaines de pilotes civils professionnels, ce qui peut conduire à des tragédies comme celle, récente, du Boeing de la compagnie Tatarstan, à Kazan


RUSSIE : Des pilotes étrangers aux commandes des avions ?
Début décembre, le gouvernement pourrait lever l'interdiction de travail pour les pilotes étrangers en Russie, a annoncé le ministre des Transports Maxime Sokolov lors du Conseil des ministres. Le projet serait actuellement en examen à la direction juridique de l'administration présidentielle. Pour l'instant, les compagnies russes n'ont pas le droit d'embaucher des pilotes étrangers, bien que des tentatives, infructueuses, pour changer le droit dans ce domaine aient été faites ces dernières années.
Cette question est relancée notamment après le crash à l'atterrissage à l'aéroport de Kazan du Boeing 737 de la compagnie Tatarstan en provenance de Moscou, dimanche 17 novembre. Cet accident a ôté la vie aux six membres de l'équipage et à quarante-quatre passagers. Les raisons officielles n'ont pas encore été divulguées. Néanmoins, d'après les premières informations, les pilotes auraient commis une erreur au moment de l'atterrissage et auraient manqué de qualification pour piloter des appareils de ce type. Le comité d'enquête du parquet a saisi des documents de la société chargée de la formation continue de ces pilotes.
Un salaire mensuel de 445 euros
Selon le ministre des Transports, les pilotes du Boeing 737 ont réduit leur vitesse de façon critique lors de l'approche du deuxième tour, à une altitude de 700 mètres, ce qui a fait faire à l'avion un piqué avec un tangage de 75 degrés. L'avion a heurté le sol à une vitesse supérieure à 450 km/h, pratiquement à la verticale. Des informations concernant les problèmes importants de la compagnie Tatarstan ont été assez rapidement diffusées sur Internet. Au sujet notamment de sa dette et des probables économies faites sur les salaires des pilotes, de l'ordre de 20 000 roubles [445 euros] par mois (les salaires sont environ dix fois supérieurs dans les grandes compagnies). Les pilotes du Boeing 737 auraient auparavant volé en tant que navigateur et ingénieur de bord sur un Tu-154M et n'auraient simplement pas su comment agir en cas d'urgence. Le parquet et les autorités de l'aviation civile ont immédiatement lancé les procédures de contrôle du transporteur aérien Tatarstan. Une mesure du taux d'alcoolémie sera pratiquée sur les restes du pilote.
Cependant, les problèmes de la compagnie Tatarstan, et notamment ceux relatifs aux pilotes, sont loin d'être uniques, quelle qu'en soit leur réelle gravité. La Russie connaît une sérieuse pénurie de pilotes professionnels, et ce depuis l'effondrement de l'URSS. L'Union soviétique avait une aviation civile importante, qui avait transporté 90 millions de personnes. Parmi le nombre croissant de diplômés des écoles d'aviation, il n'y avait pas que des pilotes, mais aussi des ingénieurs de bord et des navigateurs, ainsi que d'autres professionnels indispensables eu égard aux caractéristiques techniques des appareils de la génération d'alors.
Mais au cours des années 1990, des failles sont apparues dans ce secteur, comme dans beaucoup d'autres. En 1991, il y a eu pléthore de pilotes, en raison notamment de l'ouverture de deux nouvelles écoles supérieures d'aviation (à Aktioubinsk et à Kirovograd). Les établissements d'enseignement supérieur ont vu leurs filières spécialisées diminuer. Dix ans plus tard, la situation avait sérieusement changé. Lorsque, dans les années 1990, le volume du transport par avion a commencé à augmenter (il a été multiplié par trois en quelques années), de plus en plus de compagnies régionales sont apparues et on a commencé à manquer de pilotes. Un programme de reconversion des navigateurs et des ingénieurs de bord a été mis en œuvre, mais la pénurie a perduré.
Et puis un autre sérieux problème a surgi : le renouvellement de la flotte a contraint les pilotes à se former à la navigation sur les avions de production étrangère. D'après les spécialistes, le manque de commandants de bord atteint son maximum au cours des deux-trois premières années qui suivent le début de l'exploitation d'un type donné d'appareil – c'est-à-dire les années nécessaires à la formation et à l'entrée en fonction des premières promotions de commandants.
Un manque d'expérience des pilotes
En 2008, à Perm s'était produit l'accident d'un vol passager sur un Boeing 737-500 de la compagnie Aeroflot-Nord (qui s'appelle aujourd'hui Nordavia). Parmi les diverses causes figurait aussi “le niveau insuffisant de formation professionnelle de l'équipage en matière de technique de pilotage d'un aéronef”. Ces pilotes avaient jusqu'alors navigué essentiellement sur des appareils de fabrication russe. Des mesures ont été mises en œuvre par le ministère des Transports dans ce domaine, il y a cinq ans, mais elles n'ont été qu'une goutte d'eau dans l'océan, constate Andreï Kramarenko, consultant en transports aériens. “La pénurie de pilotes se chiffre à plusieurs centaines. Cette situation oblige les compagnies à jouer sur l'attractivité pécuniaire, en proposant aux pilotes des avantages en terme d'actions de la compagnie et de salaires”, explique le chef du service des analyses de l'agence Aviaport, Oleg Panteleev.
Le problème est encore plus aigu pour les pilotes les plus qualifiés, c'est-à-dire les commandants de bord. Il existe des plans pour augmenter le nombre d'étudiants. “Mais les diplômés ne peuvent commencer leur carrière qu'en tant que copilotes. Ce qui ne résout pas le problème de la pénurie de commandants puisque le copilote doit absolument voler environ trois ans avant de s'asseoir sur le siège de commandant”, précise Panteleev. D'après ses calculs, chacune des compagnies comme Aeroflot, Transaero et UTair a besoin de 150 à 200 pilotes par an, y compris les commandants. Or jusqu'en 2009 le nombre annuel de pilotes diplômés s'élevait à 120 environ  – 160 pour l'ensemble des établissements de formation. Ce nombre est d'à peine 500 aujourd'hui.
Il n'y a pas eu d'investissements supplémentaires dans la reconversion pour le moment et les exigences concernant les équipages baissent même parfois. C'est ainsi que des pilotes travaillent fréquemment jusqu'à 65 ans, font remarquer les experts (interviewés). Les compagnies n'ont pas le choix : le transport augmente rapidement et l'année dernière le flux de voyageurs en Russie s'est accru de 14 %.
Bien entendu, les plus grandes compagnies peuvent proposer des salaires plus importants. Et les petites compagnies, tournées surtout sur le transport régional, ont du mal à concurrencer les plus grandes. ‘'En période de grande pénurie, les compagnies sont prêtes à se contenter de personnel qui présente toutes les garanties sur le papier, notamment en ce qui concerne les commandants de bord. Si elles avaient davantage de choix, elles essaieraient de recruter les meilleurs parmi les meilleurs'', constate Panteleev.  
A ces difficultés s'ajoute le fait que la loi, basée évidemment sur des considérations de la sécurité d'Etat, interdit aux compagnies russes d'engager des pilotes étrangers. La solution du problème pourrait consister à recruter des étrangers, ne serait-ce que pour une période déterminée. Ce ne serait donc qu'une mesure temporaire. A l'avenir, il faudra absolument rétablir rapidement un système de formation de nos propres pilotes.
 Courrier International
Actu-Economie


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