La Belgique n’est toutefois pas la seule à avoir joué un rôle dans la sombre histoire du pays. La RDC constitue en effet un cas d’école dans la manière dont une exploitation économique transnationale fondée sur la cupidité peut perdurer durant des siècles. Les entreprises et consommateurs des États-Unis et d’Europe – et plus récemment de Chine, d’Ouganda et du Rwanda – ont immensément et directement tiré profit de la brutalisation du peuple congolais. À l’approche de la visite d’Anthony Blinken en RDC au mois d’août, c’est pour le secrétaire d’État américain l’opportunité de contribuer à empêcher que ne s’écrive un nouveau chapitre d’exploitation dévastatrice du pays.
Ce phénomène débute à la fin du XVe siècle, lorsque les Portugais débarquent sur les côtes de ce que l’on appelle à l’époque le royaume Kongo. Au cours des siècles qui suivront, l’histoire sera marquée par la vente d’environ un tiers de la population du royaume, dans le cadre de la traite des esclaves à travers l’Atlantique. Cette population représentera en fin de compte près d’un quart des esclaves exploités dans les plantations d’Amérique du Sud.
À la fin du XIXe siècle, la demande en caoutchouc et en ivoire conduit le roi des Belges, Léopold II, à faire du Congo son fief personnel. Léopold règnera au moyen d’une importante armée privée, et les Congolais seront plusieurs millions à mourir du travail forcé.
Plus tard, lorsque la Première Guerre mondiale alimentera la demande en cuivre, l’Occident usera à nouveau de procédés violents pour contraindre la population congolaise à puiser dans les réserves massives du pays. Durant la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis l’emporteront sur l’Allemagne nazie dans la prise de contrôle du plus important gisement d’uranium au monde – là encore situé au Congo. L’uranium utilisé dans la fabrication des bombes atomiques larguées par les États-Unis sur le Japon sera celui que les Congolais auront été contraints d’extraire de mines radioactives.
Durant la guerre froide, la course entre l’Amérique et l’URSS pour l’obtention d’uranium, de cuivre et d’autres minerais conduit les États-Unis et la Belgique à fomenter l’assassinat de Lumumba, pour ensuite installer au pouvoir le dictateur kleptocrate Mobutu Sese Seko, qui fera régner une tyrannie violente durant trois décennies. Lorsque Mobutu meurt en 1997, il est l’un des hommes les plus riches au monde, ayant été généreusement récompensé pour avoir permis l’incessant pillage des ressources du Congo par les intérêts américains et européens.
À peu près à la même époque, le développement rapide des téléphones cellulaires, ordinateurs portables et consoles de jeux vidéo engendre une spectaculaire augmentation des prix de l’étain, du tantale, du tungstène et de l’or – qui abondent tous en RDC. Cette nouvelle source de demande de consommation entraînera un nouveau cycle de pillage brutal, qui aura pour point culminant le conflit le plus meurtrier depuis le Seconde Guerre mondiale. Cette fois, ce sont le Rwanda et l’Ouganda qui mèneront le pillage, dont tireront profit plusieurs sociétés multinationales. Plus de cinq millions de personnes périront. Dernièrement, le renouvèlement d’un soutien à plusieurs milices de la part du Rwanda et de l’Ouganda a conduit à une montée des violences dans l’est du Congo, ainsi qu’au possible retour de la guerre entre la RDC et le Rwanda.
Voici aujourd’hui que le secteur en plein essor des véhicules électriques alimente une demande mondiale en cobalt et en cuivre (matières essentielles à la fabrication des batteries lithium-ion), ce qui soulève de nouvelles inquiétudes autour de la corruption, de la sécurité des mines, et du travail des enfants dans les vastes mines congolaises. La RDC produit deux tiers du cobalt mondial, et la Chine est devenue le protagoniste majeur de cette toute dernière ruée vers les ressources. S’ajoute à cela la décision du gouvernement de la RDC de mettre aux enchères plusieurs blocs pétroliers et gaziers, situés dans ses tourbières tropicales, lesquelles renferment d’immenses quantités de carbone, cette nouvelle opportunité majeure de pillage s’accompagnant ainsi d’un risque d’aggravation du réchauffement climatique.
Dans la mesure où les profits réalisés sur cette chaîne d’approvisionnement rongée par la corruption transitent par des banques basées aux États-Unis et en Europe, il existe aujourd’hui une opportunité d’imposer que les bénéficiaires de la machine à piller le Congo rendent enfin des comptes.
Plusieurs signaux semblent également indiquer enfin une prise au sérieux de cette problématique par certains gouvernements et autorités judiciaires. Fin mars, le Département américain du Trésor a sanctionné l’exportateur d’or belge Alain Goetz et son réseau mondial de sociétés, pour avoir « contribué au conflit armé [en RDC de l’Est] en réceptionnant de l’or de RDC sans en questionner l’origine ». Cette décision intervient par ailleurs dans le sillage d’une campagne de sanctions pluriannuelles menée par le Département du Trésor, ayant ciblé le magnat de l’industrie minière Dan Gertler, qui a « usé de son étroite amitié avec l’ancien président de la RDC Joseph Kabila pour agir en tant qu’intermédiaire dans la vente d’actifs miniers en RDC ».
En 500 ans, ces sanctions constituent la tentative la plus directe visant à ce que des comptes soient rendus face au pillage du Congo. Plusieurs évolutions indiquent par ailleurs que les sanctions de ce type peuvent porter leurs fruits, les mesures prises contre le réseau de Gertler ayant par exemple contribué à dissuader Kabila de briguer un troisième mandat inconstitutionnel.
Les États-Unis, l’Union européenne, le Royaume-Uni et les autres acteurs soucieux de défendre les droits de l’homme et la bonne gouvernance au Congo doivent à l’avenir continuer d’accentuer la pression sur les protagonistes influents de ce système de pillage, tout s’efforçant de peser de manière similaire non seulement sur leurs entreprises, mais également sur les entités étrangères qui tirent profit de la corruption et du blanchiment d’argent. La visite de Blinken offre une réelle opportunité de faire avancer les choses.
La restitution de la dent de Lumumba est un rappel des raisons historiques complexes pour lesquelles la RDC a tant souffert d’une corruption massive, de conflits, et de la captation de l’État. Sans la mise en place de sanctions sévères contre le système de pillage, il est difficile d’imaginer comment l’élection de 2023 en RDC pourrait s’avérer crédible, comment les efforts sur la voie de réformes de la gouvernance pourraient aboutir, ou comment le malheur du peuple congolais pourrait prendre fin. Plusieurs milliards de dollars volés s’échappent du pays, pendant que d’autres milliards de dollars d’aide sont injectés pour remédier à la détresse humanitaire. Cette situation ne cessera que lorsque le système kleptocratique d’extorsion de la RDC aura été entièrement démantelé.
Traduit de l’anglais par Martin Morel
John Prendergast est cofondateur de The Sentry .
© Project Syndicate 1995–2022
Ce phénomène débute à la fin du XVe siècle, lorsque les Portugais débarquent sur les côtes de ce que l’on appelle à l’époque le royaume Kongo. Au cours des siècles qui suivront, l’histoire sera marquée par la vente d’environ un tiers de la population du royaume, dans le cadre de la traite des esclaves à travers l’Atlantique. Cette population représentera en fin de compte près d’un quart des esclaves exploités dans les plantations d’Amérique du Sud.
À la fin du XIXe siècle, la demande en caoutchouc et en ivoire conduit le roi des Belges, Léopold II, à faire du Congo son fief personnel. Léopold règnera au moyen d’une importante armée privée, et les Congolais seront plusieurs millions à mourir du travail forcé.
Plus tard, lorsque la Première Guerre mondiale alimentera la demande en cuivre, l’Occident usera à nouveau de procédés violents pour contraindre la population congolaise à puiser dans les réserves massives du pays. Durant la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis l’emporteront sur l’Allemagne nazie dans la prise de contrôle du plus important gisement d’uranium au monde – là encore situé au Congo. L’uranium utilisé dans la fabrication des bombes atomiques larguées par les États-Unis sur le Japon sera celui que les Congolais auront été contraints d’extraire de mines radioactives.
Durant la guerre froide, la course entre l’Amérique et l’URSS pour l’obtention d’uranium, de cuivre et d’autres minerais conduit les États-Unis et la Belgique à fomenter l’assassinat de Lumumba, pour ensuite installer au pouvoir le dictateur kleptocrate Mobutu Sese Seko, qui fera régner une tyrannie violente durant trois décennies. Lorsque Mobutu meurt en 1997, il est l’un des hommes les plus riches au monde, ayant été généreusement récompensé pour avoir permis l’incessant pillage des ressources du Congo par les intérêts américains et européens.
À peu près à la même époque, le développement rapide des téléphones cellulaires, ordinateurs portables et consoles de jeux vidéo engendre une spectaculaire augmentation des prix de l’étain, du tantale, du tungstène et de l’or – qui abondent tous en RDC. Cette nouvelle source de demande de consommation entraînera un nouveau cycle de pillage brutal, qui aura pour point culminant le conflit le plus meurtrier depuis le Seconde Guerre mondiale. Cette fois, ce sont le Rwanda et l’Ouganda qui mèneront le pillage, dont tireront profit plusieurs sociétés multinationales. Plus de cinq millions de personnes périront. Dernièrement, le renouvèlement d’un soutien à plusieurs milices de la part du Rwanda et de l’Ouganda a conduit à une montée des violences dans l’est du Congo, ainsi qu’au possible retour de la guerre entre la RDC et le Rwanda.
Voici aujourd’hui que le secteur en plein essor des véhicules électriques alimente une demande mondiale en cobalt et en cuivre (matières essentielles à la fabrication des batteries lithium-ion), ce qui soulève de nouvelles inquiétudes autour de la corruption, de la sécurité des mines, et du travail des enfants dans les vastes mines congolaises. La RDC produit deux tiers du cobalt mondial, et la Chine est devenue le protagoniste majeur de cette toute dernière ruée vers les ressources. S’ajoute à cela la décision du gouvernement de la RDC de mettre aux enchères plusieurs blocs pétroliers et gaziers, situés dans ses tourbières tropicales, lesquelles renferment d’immenses quantités de carbone, cette nouvelle opportunité majeure de pillage s’accompagnant ainsi d’un risque d’aggravation du réchauffement climatique.
Dans la mesure où les profits réalisés sur cette chaîne d’approvisionnement rongée par la corruption transitent par des banques basées aux États-Unis et en Europe, il existe aujourd’hui une opportunité d’imposer que les bénéficiaires de la machine à piller le Congo rendent enfin des comptes.
Plusieurs signaux semblent également indiquer enfin une prise au sérieux de cette problématique par certains gouvernements et autorités judiciaires. Fin mars, le Département américain du Trésor a sanctionné l’exportateur d’or belge Alain Goetz et son réseau mondial de sociétés, pour avoir « contribué au conflit armé [en RDC de l’Est] en réceptionnant de l’or de RDC sans en questionner l’origine ». Cette décision intervient par ailleurs dans le sillage d’une campagne de sanctions pluriannuelles menée par le Département du Trésor, ayant ciblé le magnat de l’industrie minière Dan Gertler, qui a « usé de son étroite amitié avec l’ancien président de la RDC Joseph Kabila pour agir en tant qu’intermédiaire dans la vente d’actifs miniers en RDC ».
En 500 ans, ces sanctions constituent la tentative la plus directe visant à ce que des comptes soient rendus face au pillage du Congo. Plusieurs évolutions indiquent par ailleurs que les sanctions de ce type peuvent porter leurs fruits, les mesures prises contre le réseau de Gertler ayant par exemple contribué à dissuader Kabila de briguer un troisième mandat inconstitutionnel.
Les États-Unis, l’Union européenne, le Royaume-Uni et les autres acteurs soucieux de défendre les droits de l’homme et la bonne gouvernance au Congo doivent à l’avenir continuer d’accentuer la pression sur les protagonistes influents de ce système de pillage, tout s’efforçant de peser de manière similaire non seulement sur leurs entreprises, mais également sur les entités étrangères qui tirent profit de la corruption et du blanchiment d’argent. La visite de Blinken offre une réelle opportunité de faire avancer les choses.
La restitution de la dent de Lumumba est un rappel des raisons historiques complexes pour lesquelles la RDC a tant souffert d’une corruption massive, de conflits, et de la captation de l’État. Sans la mise en place de sanctions sévères contre le système de pillage, il est difficile d’imaginer comment l’élection de 2023 en RDC pourrait s’avérer crédible, comment les efforts sur la voie de réformes de la gouvernance pourraient aboutir, ou comment le malheur du peuple congolais pourrait prendre fin. Plusieurs milliards de dollars volés s’échappent du pays, pendant que d’autres milliards de dollars d’aide sont injectés pour remédier à la détresse humanitaire. Cette situation ne cessera que lorsque le système kleptocratique d’extorsion de la RDC aura été entièrement démantelé.
Traduit de l’anglais par Martin Morel
John Prendergast est cofondateur de The Sentry .
© Project Syndicate 1995–2022