Tel le serpent, la douane fait sa mue

Mardi 18 Février 2014

A l'instar de son jumeau des impôts-et-domaines, le douanier sénégalais se servira bientôt d’un nouveau bréviaire pour bien parlementer avec les milieux d'affaires, collecter plus de recettes et mieux protéger la compétitivité de l'économie. Toutefois, les résultats tiendront-ils la promesse des innovations du nouveau Code des douanes du Sénégal, surtout à l’épreuve du récent compromis politico-économique régional trouvé avec l'Union européenne (UE).


Tel le serpent, la douane fait sa mue
En gestation depuis, pratiquement, trois ans, le nouveau Code des douanes du Sénégal aura l'avantage de simplifier encore la législation fiscale, de faciliter l'appropriation de la réglementation douanière en la mettant surtout en harmonie avec ce qui se fait de mieux. Pour tout cela, il a fallu de bonnes doses d’intelligence alliant précision et souplesse. Deux principes pour donner des résultats dans un contexte économique assez malaisé pour l’Etat et les affaires.

Présentant le projet de loi n°23/2013 portant Code des douanes du Sénégal --adopté par le Conseil des ministres le 13 novembre 2013, la Direction générale des douanes souligne que ce texte vise, entre autres, la mise en place et la promotion d’un instrument juridique adapté aux multiples défis de l’heure et aux mutations touchant notamment, les procédures de dédouanement, le partenariat avec le secteur privé, la dématérialisation des transactions commerciales, la lutte contre la fraude et les trafics illicites.

"Dans le cadre de son élaboration, le projet de Code des douanes a fait l'objet d'une démarche inclusive associant toutes les parties prenantes", surtout avec les opérateurs du secteur privé, selon la douane qui vante l’effet de nouveauté dudit projet. Après celui de 1932 et celui de 1974, le troisième et actuel Code des douanes date du 28 décembre 1987, soit 25 ans d’application sans modifications majeures de ses dispositions alors que la région a changé. Le monde aussi.

Selon un gradé, "deux innovations majeures" marquent le quatrième Code des douanes sénégalaises. "Quand on fait passer la contrefaçon en délit douanier, c'est une innovation majeure. Aussi quand on permet à une personne qui a de la marchandise de la dédouaner chez son déclarant ou dans un autre lieu qui n'est pas l'environnement côtier, c'est une facilitation extraordinaire", selon le commandant Mamadou Guèye, chef du bureau de la réglementation douanière.

"Quand on permet à une personne de pouvoir télécharger avant l'arrivée des marchandises au Sénégal toute sa cargaison dans une plateforme, c'est une innovation majeure. Quand on permet à une personne de lever une déclaration sans que les marchandises ne soient au Sénégal, obtenir son +bon+ avant même l'arrivée des marchandises", ajoutait-il, lors de la Foire internationale de Dakar (FIDAK), en décembre dernier. 

L'autre innovation majeure du prochain Code concerne le mandat de dépôt qui frappait les usagers fraudeurs ayant par devers eux des marchandises d'une valeur de 2,5 millions francs de CFA. "Actuellement, si une marchandise a une valeur estimée à deux millions et demi, le propriétaire risque un mandat de dépôt auprès du procureur qui a un peu les mains liées. Avec les observations qu'on a reçues de la part de nos partenaires privés, nous avons effectué quelques concessions qui ont permis de rehausser ce montant à 10 millions francs."

En janvier 2013, lors de l’audience solennelle de rentrée des cours et tribunaux, le bâtonnier de l’Ordres des avocats, Me Alioune Badara Fall, se félicitait du toilettage annoncé du Code des douanes, en faisant part d'un souci de respect des droits humains. "Disons le clairement : En bien des points, le Code sénégalais des douanes viole les droits fondamentaux des citoyens par une présomption de culpabilité qui s’impose au juge et neutralise les défenses."

La mise à jour de la législation douanière du Sénégal permettra aussi de corriger les distorsions majeures constatées avec le règlement du 20 novembre 2001, portant Code des douanes de l'Union économique et monétaire ouest africaine (UEMOA). "Ces dispositions vont à l'encontre du principe de la hiérarchie des normes qui réaffirme la primauté des textes internationaux et régionaux sur le droit national", commentait un ancien ministre délégué au Budget du Sénégal.

Le Doing Business 2013, une enquête annuelle sur l’état des lois et règlements s’appliquant aux entreprises d’une économie au cours de leur cycle de vie, mentionnait l'urgence à procéder à la réforme du bréviaire des douaniers sénégalais. Elaboré dans un contexte de changement politique, ce rapport annuel de la Banque mondiale préconisait aux nouvelles autorités du Sénégal l’adoption d’une réforme fiscale incitative en plaidant pour le lifting du Code des douanes, du Code des investissements, Code minier, et du Code général des impôts (en vigueur depuis janvier 2013).

Pour les auteurs du Doing Business, la réforme de la législation douanière est une pièce maîtresse dans l’amélioration du climat des affaires, surtout le commerce transfrontalier où les changements se mesurent à l'aune de l'avancée de l'intégration régionale. Cependant, son application ne manquera pas de subir l'impatience de constater ses (bons) résultats, au point de frustrer quelques acteurs et parfois pas des moindres. Le nouveau Code général des impôts en est la preuve.

En effet, les exigences de la collecte de recettes et le besoin de hausse de la compétitivité de l'économie locale ne lui laisseront guère le temps de se réaliser comme prévu par les porteurs du projet de réforme du Code des douanes. En 2013, la douane sénégalaise a collecté 575 milliards de francs CFA, pour un objectif de recettes de 543 milliards. Les défis du développement, la progression des charges de l’Etat ainsi que le coût des fonds de l’extérieur ne manqueront pas de provoquer le relèvement du plafond en matière de collecte de recettes douanières. 

Certes, le Sénégal tire tant bien que mal son épingle du jeu de sa position de pays côtier pour faire son commerce avec l'Europe, les Amériques et le reste du monde, mais cet avantage n'a pas la même valeur par rapport à l'hinterland ouest africain. Faisant partie des huit pays membres de l'UEMOA et des 15 de la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO), l'économie sénégalaise souffre d'un certain isolement dans la région, à cause de la qualité du transport routier, ferroviaire et aérien. 

Sur ce point, l’attractivité du nouveau Code des douanes pourra prévaloir avec un effet balancier pour compenser les pertes de compétitivité consécutives à ce désavantage régional. Grâce à ses facilités, le texte --dès qu'il entrera en vigueur-- est susceptible de retourner l'avantage au Sénégal afin de consolider ses progrès économiques. D'autant que les échanges du pays avec le reste de l'Afrique s'améliorent plus vite qu'avec ses partenaires traditionnels, notamment les pays d’Europe. 

Actuellement, le Sénégal a plus à gagner en renforçant son attractivité et ses capacités exportatrices sur le marché africain, même si son économie subira, à l’instar des 15 autres pays d’Afrique de l’Ouest, l’effet de la douche froide provenant du récent Accord de partenariat économique (APE) conclu entre l’UE et le bloc UEMOA-CEDEAO-Mauritanie. Ce compromis porte des risques de pertes de recettes douanières malgré tout toutes les assurances à son égard.

Outre l’ouverture tous azimuts de l’industrie locale à la rompue concurrence des Européens, de mauvais résultats douaniers sont en vue. Peut-être moins redoutés que pendant la décennie de négociation, mais, par l’effet de cet arrangement politico-économique régional, ils viendraient compromettre de belles performances douanières au Sénégal, lesquelles seraient probablement le résultat d’une bonne mise à l’épreuve du nouveau Code des douanes.

Quand viendra le moment de mesurer les performances du commerce extérieur, sera-t-il aisé de faire la part des résultats de chacun des deux instruments, en l'occurrence l'APE et le Code des douanes du Sénégal? Un solde positif favorable à l'économie nationale pourrait certainement "dédouaner" les innovateurs de l'Administration des douanes pour leur éviter de faire les frais des récriminations d'opérateurs économiques qui, en désespoir de cause, n'hésiteraient pas à mélanger torchons et serviettes.
Serigne Adama Boye, APS
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