Un appel aux armes antimicrobiennes

Mardi 24 Février 2015

En décembre, j’ai publié les premières conclusions du Comité d’étude sur la résistance aux antimicrobiens que je dirige. Les nouvelles ne sont pas bonnes : les infections résistantes revendiquent chaque année plus de 700 000 décès. À moins d’agir, la résistance aux antimicrobiens causera la mort de dix millions de personnes par an en 2050 – soit un chiffre supérieur à celui des décès dus au cancer. Ce qui entraînera aussi un coût cumulé d’au moins 100 mille milliards de dollars, soit une fois et demi le PIB mondial annuel.


Un appel aux armes antimicrobiennes
Les efforts pour combattre ce danger sont insuffisants. Le monde doit impérativement concevoir de nouvelles molécules pour remplacer les antibiotiques, les traitements anti-malaria, les anti-rétroviraux du sida, les traitements du VIH, et les traitements contre la tuberculose, dont l’efficacité est en recul. Mais nous n’investissons pas assez dans la recherche et le développement. Il faut absolument trouver de nouvelles sources de soutien financier pour les chercheurs universitaires et les petites entreprises dont les découvertes sont à la base des médicaments de demain.
C’est pourquoi j’en appelle aux donneurs internationaux – qu’ils soient philanthropes ou gouvernementaux – pour qu’ils travaillent avec le Comité d’étude sur la résistance aux antimicrobiens afin de créer un nouveau fonds de soutien à la recherche et au développement dans ce domaine important. Le fonds accordera des subventions pour la recherche fondamentale et fonctionnera comme un incubateur à but non lucratif pour les découvertes prometteuses. Dans les mois à venir, le Comité déterminera les détails qui permettront un fonctionnement efficace d’un tel fonds.
Le problème est clair : passer d’une découverte scientifique, quelle que soit sa valeur, à un médicament commercialisable requière un très gros travail. Et dans la mesure où les antibiotiques génèrent habituellement des retours sur investissements plutôt faibles, ou même négatifs, pour les fabricants qui les développent, de nombreuses sociétés et fonds de capital-risque s’en détournent. Le Comité étudie les moyens de mettre en adéquation les incitations financières pour le développement de traitements antimicrobiens et la véritable valeur sociale de ces traitements.
Mais le temps presse. Il faut des décennies pour découvrir et développer de nouveaux médicaments. Même si nous parvenions à résoudre l’ensemble des problématiques aujourd’hui soulevées dans le développement, il nous faudrait au moins dix années supplémentaires avant que les premiers antibiotiques n’obtiennent leur autorisation de mise sur le marché. Le Comité proposera dans les mois à venir une série de recommandations concernant les incitations pour le développement de nouveaux antibiotiques ainsi que pour la recherche de potentielles alternatives à l’usage de ces molécules dans l’agriculture – comme les vaccins par exemple. Le Comité présentera également certaines approches innovantes pour répondre à la résistance.
Dans un article publié récemment, le Comité identifiait des mesures spécifiques qui pourraient constituer un point de départ dans la lutte contre la résistance aux antimicrobiens. La première est la création de ce fonds d’innovation pour soutenir la recherche préliminaire. Le fonds participerait financièrement aux efforts de développement de nouveaux traitements mais il devrait aussi encourager la recherche en matière d’outils de diagnostique, de méthodes de veille, de techniques permettant de faire reculer les seuils de résistance, et d’études sociales et économiques du comportement des consommateurs. Ce type de recherches élémentaires est le fondement de la recherche médicale. Et elles peuvent faire la différence avec des moyens financiers raisonnables.
Nous devrions aussi investir plus dans les hommes et les femmes qui vont résoudre ce problème. Certains éléments semblent indiquer que les jeunes chercheurs et les jeunes docteurs hésitent à s’aventurer dans les domaines rattachés à la résistance aux antimicrobiens. Nous devons encourager la prochaine génération d’enseignants, de chercheurs, de personnels hospitaliers et de techniciens de laboratoire.
Pour leur part, les gouvernements devraient travailler étroitement avec les sociétés qui développent les outils de diagnostique et les techniques de veille, et soutenir les technologies jugées utiles tout au long de leur élaboration. Il est essentiel que les pays travaillent ensemble pour mieux comprendre les différentes utilisations qui sont faites des antimicrobiens partout dans le monde.
Et enfin, il faut que nous développions de nouveaux traitements utilisant des doses alternatives et des combinaisons de molécules existantes. De même, nous devrions réétudier le potentiel des formules n’ayant pas obtenu leur autorisation de mise sur le marché en raison d’effets secondaires qui sont aujourd’hui susceptibles d’être neutralisés.
Dans les mois à venir, je me rendrai en Inde et en Chine pour discuter de la résistance aux antimicrobiens avec les autorités et les entreprises compétentes. Ces deux pays sont particulièrement vulnérables. La résistance aux antimicrobiens pourrait imposer un coût économique cumulé de 20 mille milliards de dollars à la Chine d’ici 2050 – soit environ deux ans de son actuel PIB. Mais plus inquiétant, un million d’individus pourrait mourir chaque année en Chine en raison de la résistance des bactéries et des microbes. En Inde, le nombre de décès pourrait atteindre deux millions par an.
Ces statistiques m’ont convaincu d’une chose : la lutte contre la résistance aux antimicrobiens doit être considérée comme une priorité dans l’ordre du jour du G20. J’espère que la Chine jouera un rôle constructif dans ce sens lorsqu’elle en assumera la présidence  en 2016.
Le problème n’est pas tant l’argent. Il est fort probable qu’une solution au problème de la résistance aux antimicrobiens ne coûte qu’une toute petite fraction du PIB mondial, soit bien moins que 0,1%. En comparaison à l’alternative qui s’offre à nous – 100 mille milliards de dollars en perte de production en 2050 et dix millions de décès chaque année – cet investissement est indubitablement l’un des meilleurs que nous puissions envisager. 
Traduit de l’anglais par Frédérique Destribats.
Jim O’Neill, ancien directeur de gestion d’actifs chez Goldman Sachs, est Professeur Honoraire en économie à l’Université de Manchester, membre invité du groupe de réflexion économique Bruegel, et membre du Center for Rising Powers de l’Université de Cambridge.
 
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