Après avoir chuté de 100 à 50 dollars, le prix du pétrole est maintenant stationnaire précisément à ce niveau critique. Devons-nous donc nous attendre à ce que 50 dollars soit le prix plancher ou le prix plafond de la nouvelle fourchette de négociation du pétrole ?
La plupart des analystes considèrent 50 dollars comme un plancher, voire même comme un tremplin, parce que le positionnement sur le marché à terme laisse entrevoir une remontée des prix assez rapide à 70 ou 80 dollars. Mais l'économie et l'histoire suggèrent que le prix d'aujourd'hui doit être considéré comme un plafond probable pour une fourchette de négociation bien inférieure, qui peut descendre jusqu'à 20 dollars.
Pour en comprendre les raisons, il faut d'abord examiner l'ironie idéologique au cœur de l'économie actuelle de l'énergie. Le marché du pétrole a toujours été marqué par une lutte entre le monopole et la concurrence. Mais ce que la plupart des commentateurs occidentaux refusent de reconnaître, c'est que le champion de la concurrence de nos jours est l'Arabie saoudite, tandis que les pétroliers épris de liberté du Texas prient pour que l'OPEP réaffirme son pouvoir de monopole.
Maintenant passons à l'histoire, ou pour être plus précis à l'histoire de l'inflation des prix du pétrole depuis 1974, lorsque l'OPEP est apparue. Cette histoire comporte deux régimes de tarification distincts. De 1974 à 1985, le prix de référence du pétrole américain a oscillé entre 50 et 120 dollars constants d'aujourd'hui. De 1986 à 2004, il variait entre 20 et 50 dollars (mis à part deux brèves aberrations après l'invasion du Koweït en 1990 et la dévaluation russe de 1998). Enfin entre 2005 et 2014, le pétrole s'est à nouveau négocié sur la période allant de 1974 à 1985 autour de 50 à 120 dollars, en dehors de deux pointes très brèves au cours de la crise financière de 2008-09.
En d'autres termes, la fourchette de négociation de ces dix dernières années a été similaire à celle de la première décennie de l'OPEP, alors que les 19 années de 1986 à 2004 ont représenté un régime totalement différent. Il semble plausible que la différence entre ces deux régimes puisse s'expliquer par la perte de pouvoir de l'OPEP en 1985, en raison d'exploitations pétrolières en mer du Nord et en Alaska, qui ont provoqué un passage de tarifs monopolistiques à des tarifs compétitifs. Cette période a pris fin en 2005, lorsque la demande chinoise en pleine progression a temporairement entrainé une pénurie mondiale de pétrole, ce qui a permis une restauration de la « discipline » des tarifs de l'OPEP.
Ces relevés indiquent 50 dollars comme une ligne de démarcation possible entre les régimes monopolistiques et concurrentiels. Et l'économie des marchés concurrentiels par rapport aux tarifs de monopole suggère pourquoi 50 dollars sera un plafond, pas un plancher.
Dans un marché concurrentiel, le prix doit être égal aux coûts marginaux. Autrement dit, le prix reflète les coûts qu'un fournisseur efficace doit récupérer en produisant le dernier baril de pétrole nécessaire pour répondre à la demande mondiale. En revanche dans un régime de prix de monopole, le monopoliste peut choisir un prix bien supérieur à ses coûts marginaux, puis diminuer la production pour s'assurer que l'approvisionnement ne dépasse pas la demande (ce qui dans le cas contraire pourrait arriver, à cause du prix artificiellement élevé).
Jusqu'à l'été dernier, le pétrole était exploité sous un régime de prix de monopole, parce que l'Arabie saoudite est devenue un « producteur d'appoint », qui limitait son approvisionnement chaque fois qu'il dépassait la demande. Mais ce régime a créé de puissantes incitations chez les autres producteurs de pétrole, surtout aux États-Unis et au Canada, à développer brusquement leur production. Malgré des coûts de production beaucoup plus élevés, les producteurs nord-américains de gaz de schiste et de gaz pourraient faire des profits considérables, grâce à la garantie des prix saoudiens.
Cependant les Saoudiens pourraient maintenir des prix élevés uniquement en réduisant leur propre production afin de faire une place sur le marché mondial à la production américaine qui augmente de plus en plus. L'automne dernier, les dirigeants saoudiens ont apparemment décidé que c'était une stratégie perdante et ils ont eu raison. Leur conclusion logique a dû être l'émergence de l'Amérique comme premier producteur mondial de pétrole, tandis que l'Arabie saoudite doit sombrer dans l'insignifiance, non seulement à titre d'exportateur de pétrole, mais aussi peut-être comme pays que les États-Unis se sentaient obligés de défendre.
Les potentats pétroliers du Moyen-Orient sont maintenant déterminés à inverser cette perte de statut, comme l'indique clairement leur comportement récent au sein de l'OPEP. Mais la seule façon pour l'OPEP de restaurer ou même de préserver sa part de marché est de faire monter les prix jusqu'à ce que les producteurs américains réduisent drastiquement leur production pour équilibrer l'offre et la demande mondiale. En bref, les Saoudiens doivent cesser d'être un producteur « d'appoint » et au contraire forcer les producteurs de gaz de schiste américains à le devenir.
N'importe quel manuel d'économie recommande exactement ce résultat. Le gaz de schiste est coûteux à extraire et doit donc rester dans le sol jusqu'à ce que l'ensemble des gisements de pétrole conventionnel du monde économique pompent à plein régime. En outre, la production de gaz de schiste peut être activée ou désactivée à moindre coût.
Les conditions du marché concurrentiel veulent donc que l'Arabie saoudite et les autres producteurs à bas prix exploitent toujours à plein rendement, alors que les producteurs de gaz de schiste américains doivent subir des cycles d'expansion et de contraction typiques des marchés des matières premières, et fermer lorsque la demande mondiale est faible ou que de nouveaux approvisionnements à bas prix sont prévus en Irak, en Libye, en Iran ou en Russie, et augmenter la production seulement pendant des booms mondiaux lorsque la demande de pétrole est en forte hausse.
Selon cette logique de la concurrence, le coût marginal du gaz de schiste américain doit devenir un plafond pour les prix mondiaux du pétrole, tandis que les coûts des gisements de pétrole conventionnels relativement lointains et marginaux de l'OPEP et de la Russie doivent servir de plancher. En l'occurrence, les estimations des coûts de production du gaz de schiste se situent pour la plupart autour de 50 dollars, tandis que les gisements de pétrole conventionnels marginaux ont en général un seuil de rentabilité proche de 20 dollars. Ainsi la fourchette de négociation du pétrole concurrentiel dans le meilleur des mondes doit se situer à peu près entre 20 et 50 dollars.
Anatole Kaletsky est président de l'Institute for New Economic Thinking et l'auteur de Capitalism 4.0, The Birth of a New Economy.
© Project Syndicate 1995–2015
La plupart des analystes considèrent 50 dollars comme un plancher, voire même comme un tremplin, parce que le positionnement sur le marché à terme laisse entrevoir une remontée des prix assez rapide à 70 ou 80 dollars. Mais l'économie et l'histoire suggèrent que le prix d'aujourd'hui doit être considéré comme un plafond probable pour une fourchette de négociation bien inférieure, qui peut descendre jusqu'à 20 dollars.
Pour en comprendre les raisons, il faut d'abord examiner l'ironie idéologique au cœur de l'économie actuelle de l'énergie. Le marché du pétrole a toujours été marqué par une lutte entre le monopole et la concurrence. Mais ce que la plupart des commentateurs occidentaux refusent de reconnaître, c'est que le champion de la concurrence de nos jours est l'Arabie saoudite, tandis que les pétroliers épris de liberté du Texas prient pour que l'OPEP réaffirme son pouvoir de monopole.
Maintenant passons à l'histoire, ou pour être plus précis à l'histoire de l'inflation des prix du pétrole depuis 1974, lorsque l'OPEP est apparue. Cette histoire comporte deux régimes de tarification distincts. De 1974 à 1985, le prix de référence du pétrole américain a oscillé entre 50 et 120 dollars constants d'aujourd'hui. De 1986 à 2004, il variait entre 20 et 50 dollars (mis à part deux brèves aberrations après l'invasion du Koweït en 1990 et la dévaluation russe de 1998). Enfin entre 2005 et 2014, le pétrole s'est à nouveau négocié sur la période allant de 1974 à 1985 autour de 50 à 120 dollars, en dehors de deux pointes très brèves au cours de la crise financière de 2008-09.
En d'autres termes, la fourchette de négociation de ces dix dernières années a été similaire à celle de la première décennie de l'OPEP, alors que les 19 années de 1986 à 2004 ont représenté un régime totalement différent. Il semble plausible que la différence entre ces deux régimes puisse s'expliquer par la perte de pouvoir de l'OPEP en 1985, en raison d'exploitations pétrolières en mer du Nord et en Alaska, qui ont provoqué un passage de tarifs monopolistiques à des tarifs compétitifs. Cette période a pris fin en 2005, lorsque la demande chinoise en pleine progression a temporairement entrainé une pénurie mondiale de pétrole, ce qui a permis une restauration de la « discipline » des tarifs de l'OPEP.
Ces relevés indiquent 50 dollars comme une ligne de démarcation possible entre les régimes monopolistiques et concurrentiels. Et l'économie des marchés concurrentiels par rapport aux tarifs de monopole suggère pourquoi 50 dollars sera un plafond, pas un plancher.
Dans un marché concurrentiel, le prix doit être égal aux coûts marginaux. Autrement dit, le prix reflète les coûts qu'un fournisseur efficace doit récupérer en produisant le dernier baril de pétrole nécessaire pour répondre à la demande mondiale. En revanche dans un régime de prix de monopole, le monopoliste peut choisir un prix bien supérieur à ses coûts marginaux, puis diminuer la production pour s'assurer que l'approvisionnement ne dépasse pas la demande (ce qui dans le cas contraire pourrait arriver, à cause du prix artificiellement élevé).
Jusqu'à l'été dernier, le pétrole était exploité sous un régime de prix de monopole, parce que l'Arabie saoudite est devenue un « producteur d'appoint », qui limitait son approvisionnement chaque fois qu'il dépassait la demande. Mais ce régime a créé de puissantes incitations chez les autres producteurs de pétrole, surtout aux États-Unis et au Canada, à développer brusquement leur production. Malgré des coûts de production beaucoup plus élevés, les producteurs nord-américains de gaz de schiste et de gaz pourraient faire des profits considérables, grâce à la garantie des prix saoudiens.
Cependant les Saoudiens pourraient maintenir des prix élevés uniquement en réduisant leur propre production afin de faire une place sur le marché mondial à la production américaine qui augmente de plus en plus. L'automne dernier, les dirigeants saoudiens ont apparemment décidé que c'était une stratégie perdante et ils ont eu raison. Leur conclusion logique a dû être l'émergence de l'Amérique comme premier producteur mondial de pétrole, tandis que l'Arabie saoudite doit sombrer dans l'insignifiance, non seulement à titre d'exportateur de pétrole, mais aussi peut-être comme pays que les États-Unis se sentaient obligés de défendre.
Les potentats pétroliers du Moyen-Orient sont maintenant déterminés à inverser cette perte de statut, comme l'indique clairement leur comportement récent au sein de l'OPEP. Mais la seule façon pour l'OPEP de restaurer ou même de préserver sa part de marché est de faire monter les prix jusqu'à ce que les producteurs américains réduisent drastiquement leur production pour équilibrer l'offre et la demande mondiale. En bref, les Saoudiens doivent cesser d'être un producteur « d'appoint » et au contraire forcer les producteurs de gaz de schiste américains à le devenir.
N'importe quel manuel d'économie recommande exactement ce résultat. Le gaz de schiste est coûteux à extraire et doit donc rester dans le sol jusqu'à ce que l'ensemble des gisements de pétrole conventionnel du monde économique pompent à plein régime. En outre, la production de gaz de schiste peut être activée ou désactivée à moindre coût.
Les conditions du marché concurrentiel veulent donc que l'Arabie saoudite et les autres producteurs à bas prix exploitent toujours à plein rendement, alors que les producteurs de gaz de schiste américains doivent subir des cycles d'expansion et de contraction typiques des marchés des matières premières, et fermer lorsque la demande mondiale est faible ou que de nouveaux approvisionnements à bas prix sont prévus en Irak, en Libye, en Iran ou en Russie, et augmenter la production seulement pendant des booms mondiaux lorsque la demande de pétrole est en forte hausse.
Selon cette logique de la concurrence, le coût marginal du gaz de schiste américain doit devenir un plafond pour les prix mondiaux du pétrole, tandis que les coûts des gisements de pétrole conventionnels relativement lointains et marginaux de l'OPEP et de la Russie doivent servir de plancher. En l'occurrence, les estimations des coûts de production du gaz de schiste se situent pour la plupart autour de 50 dollars, tandis que les gisements de pétrole conventionnels marginaux ont en général un seuil de rentabilité proche de 20 dollars. Ainsi la fourchette de négociation du pétrole concurrentiel dans le meilleur des mondes doit se situer à peu près entre 20 et 50 dollars.
Anatole Kaletsky est président de l'Institute for New Economic Thinking et l'auteur de Capitalism 4.0, The Birth of a New Economy.
© Project Syndicate 1995–2015