Bienvenue en zone CIMA (Conférence Interafricaine des Marchés d’Assurance), la zone des assureurs braves, à féliciter voire même à décorer pour la simple raison qu’ils arrivent à pratiquer leur métier sans disposer d’assez de primes (une seule branche réellement obligatoire, l’assurance automobile).
Notre modèle d’assurance dérive naturellement du modèle français qui a connu toutes sortes de mutations avant de converger de Solvabilité 1 vers solvabilité 2 (Solvency II), autour d’un projet qui aura duré plus de quinze années dans la douleur des compagnies d’assurance européennes.
Avant de passer à Solvency II, l’introduction progressive sur le marché français des provisions de type PAF, PGG, PRE, PDD, PRC, PE (*) et autres, avait pour objectif de créer des mesures prudentielles pour couvrir certains risques (occurrence d’évènements adverses aux anticipations inscrites dans le tarif des compagnies). Nombre de ces provisions prudentielles contribuaient à corriger le bilan historique en poussant l’assureur à mette un surplus de Fonds Propres pour gérer l’activité en temps réel ou avant un évènement de crise.
Cette correction peut être vue comme une forme d’émergence de la Valeur Economique d’une compagnie d’assurance dans son bilan historique. A noter que les provisions de type PRC sont venues combler des manques en non-vie lorsque la structure du tarif (lissés) pouvait générer des déséquilibres entre ressources et charges.
Nous pensons que souvent les experts ne parlent pas de la même chose lorsqu’ils évoquent le concept de Valeur Economique. Pour nous, s’agissant d’un assureur, la Valeur Economique qu’il est intéressant d’analyser ressort du caractère durable de la valeur extraite des observations présentes et non de la manifestation de phénomènes volatils et furtifs. C’est en cela que nous parlons d’émergence de la Valeur Economique au travers des provisions prudentielles.
L’expérience vécue sur le marché ainsi que la capitalisation des évènements survenus entre 1999 et 2021, nous ont amenés à l’idée que l’autorité de contrôle en France veillait à éviter qu’une des trois marges composantes du résultat ne perturbe l’équilibre technico-financier d’une compagnie. Dans ce contexte, le suivi de la marge d’exploitation est passé par la PGG, celui de la marge financière par la PAF, la PRE et la PDD et celui de la marge technique par la PRC, la PE et éventuellement d’autres provisions.
La réforme Solvency II est arrivée avec une conception de la Valeur Economique qui capte les tendances durables, furtives et volatiles de l’économie de la zone d’exercice des assureurs ; l’idée étant d’optimiser la marge économique (marge Actif/Passif ou encore la valeur économique de la compagnie) comme la somme de trois marges actualisées (valeur présente des profits futurs). Ainsi l’esprit de la PGG s’est fondu dans la simulation de la marge d’exploitation sur la duration du contrat, la PAF, la PRE et la PDD dans celle de la marge financière et la PRC et la PE dans celle de la marge technique, par le suivi à très court terme de ces trois marges.
Dans cette nouvelle vision globale, toutes les provisions prudentielles sont intégrées dans le bilan économique ; ce qui se voit réellement dans le calcul de la valeur présente des profits futurs ou encore la différence entre l’actif et le passif (Equity). Un resserrement de cette différence induit des problèmes de couverture de l’exigence de marge de solvabilité. Avec une bonne périodicité d’évaluation de son bilan économique, l’assureur peut voir ses problèmes en continu ; ce qui n’est pas le cas en bilan historique, où il existe un effet retard pour constater les facteurs déclenchants de certaines provisions prudentielles (bien que l’information soit fournie en annexe du bilan en solvabilité 1).
La CIMA, dans sa conception du contrôle des compagnies, tient beaucoup aux respects des trois piliers : engagements correctement évalués, actifs suffisants et de bonne qualité pour les couvrir et la capacité de disposer d’une marge de solvabilité pour gérer les éventuels évènements exceptionnels (dérive des engagements, baisse brutale des actifs, une réassurance non adaptée ou une tarification non appropriée). Ce souhait de maintenir l’équilibre technico-financier a donné naissance à une succession de réformes en zone CIMA, certes nécessaires, mais dont les objectifs visés méritent aussi un recul de notre part, pour éviter qu’un modèle imposé aux compagnies ne finisse par déclencher ce déséquilibre redouté, en ignorant nos réalités économiques.
Le groupe CISCO NSULTING-SOLVISEO a suivi les réformes intervenues en zone CIMA sur les douze dernières années et souhaite en déduire, par une démarche markovienne, une réflexion pour l’avenir de notre marché d’assurance selon une autre vision de la Valeur Economique (qui capte les tendances durables de l’environnement économique des zones CEDEAO et CEMAC). En effet, la couverture statique des engagements et la mesure déterministe de la solvabilité ne suffisent pas pour jauger la bonne santé d’une compagnie. Notre lecture des dernières réformes est que la CIMA souhaite amener les assureurs à mettre en pratique l’optimisation de leur marge Actif-Passif, qui se traduit par :
-Limiter les coûts de Fonds Propres relatifs à la réalisation de leurs risques ;
-Mettre en pratique une gestion rigoureuse de leur Marge de Solvabilité ;
-Mettre en pratique la mesure de la Richesse Patrimoniale de leur entreprise par la valorisation économique et prospective ;
-Créer une valeur actionnariale croissante et régulière.
La CIMA demande donc implicitement aux compagnies de mettre en pratique la Gestion Actif-Passif.
Une solution consisterait à passer au bilan économique spécifique à la zone CIMA, pour une mesure prospective de la trésorerie par l’application du principe d’adéquation entre l’actif et le passif. Ce nouveau bilan économique aura un sens prospectif et son introduction peut s’effectuer même en absence de marché financier organisé, en tenant compte de nos réalités africaines, dès lors qu’on choisit une courbe des taux bien calée sur :
– les paramètres intrinsèques de l’économie de la zone CIMA (inflation, croissance,…) qui induisent le taux de rendement interne de la zone Afrique Subsaharienne ;
– les paramètres intrinsèques de l’assureur (taux de rendement interne de son actif général ou encore taux de replacement de l’actif).
La différence entre le taux de rendement interne de l’assureur et le taux de rendement de l’économie représente le Spread de crédit de l’assureur, ou encore plus précisément la qualité de ses placements.
Ce spread sera regardé comme une prime de risque de l’actif général, calculé ex ante, suivi dans un tube modulo et fixé par un comité semestriel de taux. La règle d’actualisation des flux d’actifs et de passifs passera par le taux de rendement interne, avec une vision simple : les flux de passifs actualisés au taux de rendement interne du marché économique où l’assureur exerce son activité (TRImarché) et les flux d’actifs actualisés aux taux de rendement interne de la compagnie d’assurance (TRIass) ; plus précisément, un Spread négatif ou nul tend vers une augmentation de l’actif, et au cas contraire on assiste à la baisse de l’actif. Une étude spécifique pourra être menée sur ces taux de rendement.
Cette solution par le bilan économique obligera nos assureurs à pratiquer la gestion actif-passif (vision prospective du bilan), par rapport à une référence de taux de rendement interne et non par rapport à une référence de marchés financiers à l’occidental, marchés qui déraillent depuis 2008 avec de faux prix (taux de change et taux d’intérêt faux), des valeurs d’actions insensées et des valeurs d’entreprises insensées. Cette innovation, par un bilan économique non corrélé aux fluctuations des marchés financiers, sera une première construction pour la zone CIMA, avec une vision économique au sens où le modèle sera relié à des facteurs économiques objectifs. Le passif d’assurance sera couvert par un actif de même qualité et de même durée d’engagement (en bonne pratique de gestion actif-passif).
Nous irons même jusqu’à préconiser cette méthode des taux de rendement interne aux assureurs français ; ce qui les débarrasserait aujourd’hui de l’actualisation de leurs flux futurs avec une courbe de taux plate à zéro voir négatifs sur les premières maturités, pour entrer dans la réalité de leur économie par les taux de rendement interne, avec beaucoup plus de signification économique. Cette méthode conduit à une mesure économique correcte, avec une référence de taux indiscutables et comparables ; cette approche par les taux de rendement interne (une vision au premier ordre des déflateurs) permettra aussi de ramener l’Occident à des références conventionnelles.
La convergence vers un bilan économique pourra régler non seulement la question des provisions règlementaires, mais aussi celle du besoin de capital. En effet, la CIMA peut autoriser les assureurs, comme c’est le cas en Europe, à couvrir sans limite leur exigence de marge de solvabilité avec leur valeur actionnariale classique (Capital Social + Réserves + Report à nouveau) complétée par le Fonds de Commerce de la compagnie (Valeur Actuelle des Profits Futurs nets de coût du capital et nets d’impôts). Cette valeur actionnariale complète (encore appelée valeur libre d’engagement) est considérée sous la norme Solvabilité 2, comme des capitaux propres de première qualité. Une telle mesure est acceptée sur le plan international et se justifie financièrement. Cette valeur actionnariale complète, en vision économique du bilan, mesure exactement la marge Actif-Passif de l’assureur.
La CIMA pourra mettre en place un projet commun à toute la zone, transitoire, en attendant la maturité du marché financier ; en partant d’une pratique calculatoire de marge économique avec 5 scénarii au maximum, probabilisés, risque-neutralisés, mis à jour tous les 6 mois et renouvelables en cas de variations économiques importantes, pour un calibrage en continu. En effet, la risque-neutralisation se manifeste par l’actualisation des flux de l’actif aux taux de rendements internes de la compagnie (si la prime de risque est positive pour une compagnie, alors ses actifs sont plus risqués que le marché et en actualisant au TRI alors elle baisse son actif ; si la prime de risque (Spread) est négative, elle prend moins de risque que le marché et en actualisant au TRI elle augmente son actif).
La CIMA pourrait faire très attention aux orientations stochastiques qui ont généré en France, avec Solvabilité 2, des modèles internes divers et variés, incomparables, sur un marché financier non efficient qui lui-même a généré des paramètres implicites qui rendent instable, furtive et volatile la mesure du capital de solvabilité requis (SCR).
Certes, en différentiant une fonction de deux variables dont l’une dépend de l’autre, ITO (mathématicien japonais) a révolutionné la finance de marché ; mais les excès de la modélisation stochastique se sont révélés en 2008, nous rappelant que les lois du mouvement brownien ne représentent pas parfaitement le comportement des marchés car les variations de ce processus ne sont pas finies ; ce sont ses variations quadratiques qui convergent avec un pas de temps bien choisi (raison pour laquelle l’intégrale stochastique n’a pas pu être définie comme une intégrale ordinaire). Ainsi, sans une maîtrise parfaite, il est autant déconseillé de s’aventurer dans les modèles stochastiques en finance qu’en assurance. La maîtrise et l’harmonisation des méthodes de mesure et de gestion des risques liés à l’assurance en Europe ont certainement contribué à la mise en place du projet Solvabilité 2. Ce projet a permis aux compagnies européennes de comprendre qu’elles n’avaient pas compris leurs risques, mais la zone CIMA doit surtout éviter de tomber dans certaines folies de ce projet (qui part du postulat que le marché́ est à la fois la meilleure façon d’allouer les ressources, l’outil de pilotage le plus efficace pour gérer les entreprises et le guide ultime d’une économie florissante). Les assureurs européens se sont retrouvés dans une dictature de devoir gérer la valeur de leur compagnie selon les fluctuations du marché financier, comme s’ils voulaient vendre leur entreprise à tout instant de cotation, à l’enchère ou à la casse ; ce qui est totalement absurde. Les actuaires, les financiers et autres observateurs avertis reconnaissent aujourd’hui que le marché français de l’assurance a perdu une dizaine d’années dans cette réforme, techniquement mal ficelée, marquée par l’erreur d’imprévision de scénarii des taux d’intérêt négatifs et par la forte volatilité de la mesure de la marge ; ce qui a déstabilisé l’assurance vie et surtout détruit la conception française de l’épargne et de la garantie.
Cette erreur sur les taux négatifs est incompréhensible car l’Europe subit depuis plus de 30 ans une baisse de ses taux d’intérêts nominaux et de ses taux réels (corrigés de l’inflation) ; un indicateur qui est en perpétuelle baisse depuis autant d’années a forcément une probabilité non nulle de passer en dessous de zéro, et c’est ce qui s’est passé. Que des cas de taux négatifs ne soient pas correctement pondérés comme scénario de catastrophe, explique très bien que le modèle Actif-Passif de solvabilité 2 n’est pas robuste. Il faudra ainsi chercher ce manque de robustesse dans la non-conformité du projet avec les réalités culturelle et économique de l’Europe, qui subit les conséquences de la guerre des normes (valeur historique et sens pratique versus valeur de marché et théories).
Pour mieux conduire les réformes attendues sur notre marché des assurances, la CIMA et la FANAF doivent nécessairement accepter leurs erreurs du passé et éviter les erreurs des européens. En effet, considérer aujourd’hui que les réformes récentes sur le capital minimal et sur la provision globale de gestion ont eu un impact positif, c’est refuser de prendre en compte les avis des assureurs de la zone qui ont perdu les cinq dernières années à courir derrière un capital qu’ils n’ont pas la capacité de rémunérer. Une augmentation de capital doit suivre un développement du marché avec une croissance soutenue de l’activité des assureurs.
En 2016, lorsque la FANAF nous avait associé à un groupe de réflexion sur une mise en place de la PGG à soumettre à la CIMA, nous avions proposé la démarche suivante :
-Eviter de fournir une méthodologie clé en main aux compagnies, mais plutôt inviter les directions techniques à participer activement à un vaste PROJET dans le même contexte que les études d’impacts (QIS) de Solvabilité 2, qui ont permis aux assureurs européens de comprendre leurs risques ; nos assureurs seront ainsi en face des réalités du problème et ne pourront pas contester la mise en place de la réforme ;
-Mettre en place ce PROJET qui redéfinit la fonction actuarielle sur le marché pour que les jeunes actuaires comprennent leurs tâches ; ces derniers n’ayant bénéficié d’aucun héritage hiérarchique, méritent d’être encadrés. Les compagnies ayant pris la mesure de se doter d’actuaires, nous avons donc le devoir de les mettre au travail, les accompagner dans les règles de l’art (car le métier d’assurance restera toujours technique) ; il est nécessaire de sortir de ce contexte d’actuariat à l’ordre 1, puisque nos jeunes actuaires ont été formés pour maîtriser le passif et l’actif d’assurance et surtout pour passer à l’analyse actif/passif qui est fondamentale à la survie d’une compagnie.
La FANAF n’avait pas adopté notre proposition et trois ans après, la CIMA était obligée de prendre un cabinet pour réaliser des études d’impacts que nous avions bien préconisés. Depuis le début de la réforme sur le capital à 5 milliards, nous avons toujours proposé la prise en compte de la valeur actionnariale comme ci-dessus.
Conclusion
– Il ne sera pas possible d’apporter des solutions à un problème mal posé.
– La zone CIMA n’a aucune obligation de repasser par tous les chemins de l’assurance française (l’Afrique d’en bas est passée au téléphone portable sans passer par le téléphone fixe).
– Nous avons besoin de faire un saut quantique car dans un monde qui avance à la vitesse de la lumière, la règlementation CIMA ne peut pas rester sur des bases actuarielles et financières d’ordre .
Pour réformer en profondeur la zone CIMA, il est nécessaire de réaliser des études d’impacts tant qualitatives que quantitatives, à travers des projets auxquels les cadres techniques des compagnies d’assurances seront associés. Aussi, La CIMA et la FANAF doivent impérativement tracer une trajectoire pour inciter les Etats africains à s’investir dans le marché des assurances (en rendant obligatoire certaines garanties) ; en effet, tant que le chiffre d’affaires des compagnies n’aura pas atteint un certain niveau, le secteur ne jouera pas son rôle dans l’émergence économique.
PAR CISSE ABDOU et BAROS CLAUDE
Financialafrik
Notre modèle d’assurance dérive naturellement du modèle français qui a connu toutes sortes de mutations avant de converger de Solvabilité 1 vers solvabilité 2 (Solvency II), autour d’un projet qui aura duré plus de quinze années dans la douleur des compagnies d’assurance européennes.
Avant de passer à Solvency II, l’introduction progressive sur le marché français des provisions de type PAF, PGG, PRE, PDD, PRC, PE (*) et autres, avait pour objectif de créer des mesures prudentielles pour couvrir certains risques (occurrence d’évènements adverses aux anticipations inscrites dans le tarif des compagnies). Nombre de ces provisions prudentielles contribuaient à corriger le bilan historique en poussant l’assureur à mette un surplus de Fonds Propres pour gérer l’activité en temps réel ou avant un évènement de crise.
Cette correction peut être vue comme une forme d’émergence de la Valeur Economique d’une compagnie d’assurance dans son bilan historique. A noter que les provisions de type PRC sont venues combler des manques en non-vie lorsque la structure du tarif (lissés) pouvait générer des déséquilibres entre ressources et charges.
Nous pensons que souvent les experts ne parlent pas de la même chose lorsqu’ils évoquent le concept de Valeur Economique. Pour nous, s’agissant d’un assureur, la Valeur Economique qu’il est intéressant d’analyser ressort du caractère durable de la valeur extraite des observations présentes et non de la manifestation de phénomènes volatils et furtifs. C’est en cela que nous parlons d’émergence de la Valeur Economique au travers des provisions prudentielles.
L’expérience vécue sur le marché ainsi que la capitalisation des évènements survenus entre 1999 et 2021, nous ont amenés à l’idée que l’autorité de contrôle en France veillait à éviter qu’une des trois marges composantes du résultat ne perturbe l’équilibre technico-financier d’une compagnie. Dans ce contexte, le suivi de la marge d’exploitation est passé par la PGG, celui de la marge financière par la PAF, la PRE et la PDD et celui de la marge technique par la PRC, la PE et éventuellement d’autres provisions.
La réforme Solvency II est arrivée avec une conception de la Valeur Economique qui capte les tendances durables, furtives et volatiles de l’économie de la zone d’exercice des assureurs ; l’idée étant d’optimiser la marge économique (marge Actif/Passif ou encore la valeur économique de la compagnie) comme la somme de trois marges actualisées (valeur présente des profits futurs). Ainsi l’esprit de la PGG s’est fondu dans la simulation de la marge d’exploitation sur la duration du contrat, la PAF, la PRE et la PDD dans celle de la marge financière et la PRC et la PE dans celle de la marge technique, par le suivi à très court terme de ces trois marges.
Dans cette nouvelle vision globale, toutes les provisions prudentielles sont intégrées dans le bilan économique ; ce qui se voit réellement dans le calcul de la valeur présente des profits futurs ou encore la différence entre l’actif et le passif (Equity). Un resserrement de cette différence induit des problèmes de couverture de l’exigence de marge de solvabilité. Avec une bonne périodicité d’évaluation de son bilan économique, l’assureur peut voir ses problèmes en continu ; ce qui n’est pas le cas en bilan historique, où il existe un effet retard pour constater les facteurs déclenchants de certaines provisions prudentielles (bien que l’information soit fournie en annexe du bilan en solvabilité 1).
La CIMA, dans sa conception du contrôle des compagnies, tient beaucoup aux respects des trois piliers : engagements correctement évalués, actifs suffisants et de bonne qualité pour les couvrir et la capacité de disposer d’une marge de solvabilité pour gérer les éventuels évènements exceptionnels (dérive des engagements, baisse brutale des actifs, une réassurance non adaptée ou une tarification non appropriée). Ce souhait de maintenir l’équilibre technico-financier a donné naissance à une succession de réformes en zone CIMA, certes nécessaires, mais dont les objectifs visés méritent aussi un recul de notre part, pour éviter qu’un modèle imposé aux compagnies ne finisse par déclencher ce déséquilibre redouté, en ignorant nos réalités économiques.
Le groupe CISCO NSULTING-SOLVISEO a suivi les réformes intervenues en zone CIMA sur les douze dernières années et souhaite en déduire, par une démarche markovienne, une réflexion pour l’avenir de notre marché d’assurance selon une autre vision de la Valeur Economique (qui capte les tendances durables de l’environnement économique des zones CEDEAO et CEMAC). En effet, la couverture statique des engagements et la mesure déterministe de la solvabilité ne suffisent pas pour jauger la bonne santé d’une compagnie. Notre lecture des dernières réformes est que la CIMA souhaite amener les assureurs à mettre en pratique l’optimisation de leur marge Actif-Passif, qui se traduit par :
-Limiter les coûts de Fonds Propres relatifs à la réalisation de leurs risques ;
-Mettre en pratique une gestion rigoureuse de leur Marge de Solvabilité ;
-Mettre en pratique la mesure de la Richesse Patrimoniale de leur entreprise par la valorisation économique et prospective ;
-Créer une valeur actionnariale croissante et régulière.
La CIMA demande donc implicitement aux compagnies de mettre en pratique la Gestion Actif-Passif.
Une solution consisterait à passer au bilan économique spécifique à la zone CIMA, pour une mesure prospective de la trésorerie par l’application du principe d’adéquation entre l’actif et le passif. Ce nouveau bilan économique aura un sens prospectif et son introduction peut s’effectuer même en absence de marché financier organisé, en tenant compte de nos réalités africaines, dès lors qu’on choisit une courbe des taux bien calée sur :
– les paramètres intrinsèques de l’économie de la zone CIMA (inflation, croissance,…) qui induisent le taux de rendement interne de la zone Afrique Subsaharienne ;
– les paramètres intrinsèques de l’assureur (taux de rendement interne de son actif général ou encore taux de replacement de l’actif).
La différence entre le taux de rendement interne de l’assureur et le taux de rendement de l’économie représente le Spread de crédit de l’assureur, ou encore plus précisément la qualité de ses placements.
Ce spread sera regardé comme une prime de risque de l’actif général, calculé ex ante, suivi dans un tube modulo et fixé par un comité semestriel de taux. La règle d’actualisation des flux d’actifs et de passifs passera par le taux de rendement interne, avec une vision simple : les flux de passifs actualisés au taux de rendement interne du marché économique où l’assureur exerce son activité (TRImarché) et les flux d’actifs actualisés aux taux de rendement interne de la compagnie d’assurance (TRIass) ; plus précisément, un Spread négatif ou nul tend vers une augmentation de l’actif, et au cas contraire on assiste à la baisse de l’actif. Une étude spécifique pourra être menée sur ces taux de rendement.
Cette solution par le bilan économique obligera nos assureurs à pratiquer la gestion actif-passif (vision prospective du bilan), par rapport à une référence de taux de rendement interne et non par rapport à une référence de marchés financiers à l’occidental, marchés qui déraillent depuis 2008 avec de faux prix (taux de change et taux d’intérêt faux), des valeurs d’actions insensées et des valeurs d’entreprises insensées. Cette innovation, par un bilan économique non corrélé aux fluctuations des marchés financiers, sera une première construction pour la zone CIMA, avec une vision économique au sens où le modèle sera relié à des facteurs économiques objectifs. Le passif d’assurance sera couvert par un actif de même qualité et de même durée d’engagement (en bonne pratique de gestion actif-passif).
Nous irons même jusqu’à préconiser cette méthode des taux de rendement interne aux assureurs français ; ce qui les débarrasserait aujourd’hui de l’actualisation de leurs flux futurs avec une courbe de taux plate à zéro voir négatifs sur les premières maturités, pour entrer dans la réalité de leur économie par les taux de rendement interne, avec beaucoup plus de signification économique. Cette méthode conduit à une mesure économique correcte, avec une référence de taux indiscutables et comparables ; cette approche par les taux de rendement interne (une vision au premier ordre des déflateurs) permettra aussi de ramener l’Occident à des références conventionnelles.
La convergence vers un bilan économique pourra régler non seulement la question des provisions règlementaires, mais aussi celle du besoin de capital. En effet, la CIMA peut autoriser les assureurs, comme c’est le cas en Europe, à couvrir sans limite leur exigence de marge de solvabilité avec leur valeur actionnariale classique (Capital Social + Réserves + Report à nouveau) complétée par le Fonds de Commerce de la compagnie (Valeur Actuelle des Profits Futurs nets de coût du capital et nets d’impôts). Cette valeur actionnariale complète (encore appelée valeur libre d’engagement) est considérée sous la norme Solvabilité 2, comme des capitaux propres de première qualité. Une telle mesure est acceptée sur le plan international et se justifie financièrement. Cette valeur actionnariale complète, en vision économique du bilan, mesure exactement la marge Actif-Passif de l’assureur.
La CIMA pourra mettre en place un projet commun à toute la zone, transitoire, en attendant la maturité du marché financier ; en partant d’une pratique calculatoire de marge économique avec 5 scénarii au maximum, probabilisés, risque-neutralisés, mis à jour tous les 6 mois et renouvelables en cas de variations économiques importantes, pour un calibrage en continu. En effet, la risque-neutralisation se manifeste par l’actualisation des flux de l’actif aux taux de rendements internes de la compagnie (si la prime de risque est positive pour une compagnie, alors ses actifs sont plus risqués que le marché et en actualisant au TRI alors elle baisse son actif ; si la prime de risque (Spread) est négative, elle prend moins de risque que le marché et en actualisant au TRI elle augmente son actif).
La CIMA pourrait faire très attention aux orientations stochastiques qui ont généré en France, avec Solvabilité 2, des modèles internes divers et variés, incomparables, sur un marché financier non efficient qui lui-même a généré des paramètres implicites qui rendent instable, furtive et volatile la mesure du capital de solvabilité requis (SCR).
Certes, en différentiant une fonction de deux variables dont l’une dépend de l’autre, ITO (mathématicien japonais) a révolutionné la finance de marché ; mais les excès de la modélisation stochastique se sont révélés en 2008, nous rappelant que les lois du mouvement brownien ne représentent pas parfaitement le comportement des marchés car les variations de ce processus ne sont pas finies ; ce sont ses variations quadratiques qui convergent avec un pas de temps bien choisi (raison pour laquelle l’intégrale stochastique n’a pas pu être définie comme une intégrale ordinaire). Ainsi, sans une maîtrise parfaite, il est autant déconseillé de s’aventurer dans les modèles stochastiques en finance qu’en assurance. La maîtrise et l’harmonisation des méthodes de mesure et de gestion des risques liés à l’assurance en Europe ont certainement contribué à la mise en place du projet Solvabilité 2. Ce projet a permis aux compagnies européennes de comprendre qu’elles n’avaient pas compris leurs risques, mais la zone CIMA doit surtout éviter de tomber dans certaines folies de ce projet (qui part du postulat que le marché́ est à la fois la meilleure façon d’allouer les ressources, l’outil de pilotage le plus efficace pour gérer les entreprises et le guide ultime d’une économie florissante). Les assureurs européens se sont retrouvés dans une dictature de devoir gérer la valeur de leur compagnie selon les fluctuations du marché financier, comme s’ils voulaient vendre leur entreprise à tout instant de cotation, à l’enchère ou à la casse ; ce qui est totalement absurde. Les actuaires, les financiers et autres observateurs avertis reconnaissent aujourd’hui que le marché français de l’assurance a perdu une dizaine d’années dans cette réforme, techniquement mal ficelée, marquée par l’erreur d’imprévision de scénarii des taux d’intérêt négatifs et par la forte volatilité de la mesure de la marge ; ce qui a déstabilisé l’assurance vie et surtout détruit la conception française de l’épargne et de la garantie.
Cette erreur sur les taux négatifs est incompréhensible car l’Europe subit depuis plus de 30 ans une baisse de ses taux d’intérêts nominaux et de ses taux réels (corrigés de l’inflation) ; un indicateur qui est en perpétuelle baisse depuis autant d’années a forcément une probabilité non nulle de passer en dessous de zéro, et c’est ce qui s’est passé. Que des cas de taux négatifs ne soient pas correctement pondérés comme scénario de catastrophe, explique très bien que le modèle Actif-Passif de solvabilité 2 n’est pas robuste. Il faudra ainsi chercher ce manque de robustesse dans la non-conformité du projet avec les réalités culturelle et économique de l’Europe, qui subit les conséquences de la guerre des normes (valeur historique et sens pratique versus valeur de marché et théories).
Pour mieux conduire les réformes attendues sur notre marché des assurances, la CIMA et la FANAF doivent nécessairement accepter leurs erreurs du passé et éviter les erreurs des européens. En effet, considérer aujourd’hui que les réformes récentes sur le capital minimal et sur la provision globale de gestion ont eu un impact positif, c’est refuser de prendre en compte les avis des assureurs de la zone qui ont perdu les cinq dernières années à courir derrière un capital qu’ils n’ont pas la capacité de rémunérer. Une augmentation de capital doit suivre un développement du marché avec une croissance soutenue de l’activité des assureurs.
En 2016, lorsque la FANAF nous avait associé à un groupe de réflexion sur une mise en place de la PGG à soumettre à la CIMA, nous avions proposé la démarche suivante :
-Eviter de fournir une méthodologie clé en main aux compagnies, mais plutôt inviter les directions techniques à participer activement à un vaste PROJET dans le même contexte que les études d’impacts (QIS) de Solvabilité 2, qui ont permis aux assureurs européens de comprendre leurs risques ; nos assureurs seront ainsi en face des réalités du problème et ne pourront pas contester la mise en place de la réforme ;
-Mettre en place ce PROJET qui redéfinit la fonction actuarielle sur le marché pour que les jeunes actuaires comprennent leurs tâches ; ces derniers n’ayant bénéficié d’aucun héritage hiérarchique, méritent d’être encadrés. Les compagnies ayant pris la mesure de se doter d’actuaires, nous avons donc le devoir de les mettre au travail, les accompagner dans les règles de l’art (car le métier d’assurance restera toujours technique) ; il est nécessaire de sortir de ce contexte d’actuariat à l’ordre 1, puisque nos jeunes actuaires ont été formés pour maîtriser le passif et l’actif d’assurance et surtout pour passer à l’analyse actif/passif qui est fondamentale à la survie d’une compagnie.
La FANAF n’avait pas adopté notre proposition et trois ans après, la CIMA était obligée de prendre un cabinet pour réaliser des études d’impacts que nous avions bien préconisés. Depuis le début de la réforme sur le capital à 5 milliards, nous avons toujours proposé la prise en compte de la valeur actionnariale comme ci-dessus.
Conclusion
– Il ne sera pas possible d’apporter des solutions à un problème mal posé.
– La zone CIMA n’a aucune obligation de repasser par tous les chemins de l’assurance française (l’Afrique d’en bas est passée au téléphone portable sans passer par le téléphone fixe).
– Nous avons besoin de faire un saut quantique car dans un monde qui avance à la vitesse de la lumière, la règlementation CIMA ne peut pas rester sur des bases actuarielles et financières d’ordre .
Pour réformer en profondeur la zone CIMA, il est nécessaire de réaliser des études d’impacts tant qualitatives que quantitatives, à travers des projets auxquels les cadres techniques des compagnies d’assurances seront associés. Aussi, La CIMA et la FANAF doivent impérativement tracer une trajectoire pour inciter les Etats africains à s’investir dans le marché des assurances (en rendant obligatoire certaines garanties) ; en effet, tant que le chiffre d’affaires des compagnies n’aura pas atteint un certain niveau, le secteur ne jouera pas son rôle dans l’émergence économique.
PAR CISSE ABDOU et BAROS CLAUDE
Financialafrik