Abdou Cissé Expert en Actuaire et Finance
Quelles sont vos activités et depuis quand êtes-vous installé dans le marché régional ?
Nous accompagnons les banques, les assurances et les autres entreprises dans les domaines de l’actuariat, la finance et spécifiquement, nous intervenons dans les entreprises classiques en évaluation et gestion des engagements de retraite.
Nous sommes en activité depuis dix ans en Afrique car nous avons commencé en 2009.
M. Abdou Cissé vous avez fait un exposé sur l’innovation financière dans la zone UEMOA que vous avez comparée à celle occidentale. Qu’est-ce qui motive cette comparaison à votre niveau?
Notre monnaie est arrimée à l’euro, nous avons un lien historique avec la France et aujourd’hui les obligations que les États européens émettent sur 10 ans sont à taux d’intérêt négatifs. Une situation financière qui est inédite et qui mérite quand même qu’on s’en appesantisse.
J’ai voulu globalement marquer la différence de culture financière entre les anglo-saxons (Angleterre et États-Unis en particulier), les européens de la zone euro et nous africains. Parce qu’on vit un temps où le passé a beaucoup d’importance. Il y a beaucoup de choses qui se sont passées dans le temps et il faudrait qu’on en tienne compte pour pouvoir se projeter demain, voir ce qu’on va faire.
Pour cette différence de culture financière l’idée est simple : quand par exemple un enfant naît aux États Unis, ses parents lui achètent des actions et le prépare à la prise de risque ; à la naissance d’un enfant en France par exemple, ses parents lui ouvrent un compte d’épargne ; donc la culture financière du modèle anglo-saxon est marquée par le risque et le crédit, alors que celle des pays de l’Europe continentale est marquée par l’épargne et la garantie. Pourtant tous ces occidentaux achètent et vendent les mêmes produits financiers sur les marchés ; ce qui explique leurs situations de crises financières à répétition.
En Afrique (subsaharienne par exemple), à la naissance d’un enfant, on organise un baptême en dépensant beaucoup d’argent ; sans oublier l’argent reçu des proches sous forme de solidarité. Donc vous voyez bien que nos cultures financières sont différentes alors que nous utilisons les mêmes véhicules financiers. Ce n’est pas possible. L’idée serait de comprendre que notre culture financière est marquée par la solidarité et la dépense. Or le seul métier qui intègre la solidarité c’est l’assurance ; raison de plus pour axer nos systèmes financiers autour de l’assurance.
Un autre exemple est que dans le monde occidental regroupant à la fois le modèle anglo-saxon et celui de l’Europe continental, quand vous êtes dans cet environnement, vous avez un espace économique qui a un sens. Et dans cet espace économique vous pouvez appliquer des mesures tels que le PIB, la croissance etc. On ne peut appliquer des mesures autre part que dans un espace mesurable. Donc nous avons le devoir de bâtir un espace économique viable avant de nous attarder sur des mesures de croissance et de PIB.
Que voulez-vous dire par là ?
Si je prenais par exemple le centimètre d’un tailleur du marché des HLM et vous demande de mesurer la distance entre Paris et Dakar avec ce centimètre ; vous allez me dire que l’unité de mesure que je vous donne n’est pas appropriée à l’espace dont je vous demande de mesurer ! C’est dire qu’ici en Afrique nous n’avons pas d’espace économique formel. L’Etat ne peut pas mettre la main sur tous les contribuables afin de lever la réalité des impôts. Donc nous devons d’abord construire un espace économique viable.
Tant que nous n’aurons pas cet espace, le FMI ne peut pas venir nous dire que votre croissance c’est 6% sur cinq dernières années, car cela ne veut rien dire. On peut comprendre sur certains agrégats qu’on nous donne le PIB, la croissance mais cela n’est pas dans la réalité des faits. Vous vous réveillez tous les matins et vous fournissez un effort colossal qui ne rentre pas dans le PIB (à l’exemple de l’interview que vous êtes en train de réaliser).
Et comment construire selon vous cet espace économique ?
Il faut produire et pour produire il faut des moyens de production, qui nécessitent des structures et des infrastructures ; et pour ces derniers il faut impérativement accéder à des services publics monétaires. Il faut donc bâtir un modèle monétaire ; j’ai proposé un modèle dans mon article de 2018 (CFA-Obligations, une solution pour accéder aux services publics monétaires) ; dans cet article, je propose de créer une société financière d’Afrique subsaharienne (SFEAS) qu’il suffira juste de remplacer par UMOA-Titres (une agence qui réalise aujourd’hui un travail remarquable pour lequel il faut féliciter Mr Adrien Diouf, directeur général de l’Agence UMOA-Titres).
Qu’est ce qui entrave, de votre point de vue la construction de cet espace économique dont vous parlez ?
Ce qui manque pour que l’espace prenne forme c’est qu’il faut que les États soient dotés de financements au-delà de l’endettement en titres, pour financer leurs besoins primaires. C’est-à-dire, assez d’écoles pour nos enfants, assez d’hôpitaux pour soigner nos malades et le minimum vital pour que les Africains puissent manger à leur faim. Maintenant ce n’est pas en allant emprunter sur les marchés internationaux qu’on règle ces problèmes. Il nous faut ce qu’on appelle une flexibilité monétaire, une relation entre la banque centrale et les pays qui fait une forme de création monétaire mais qui n’est pas à l’aveuglette et est très bien surveillée sur des projets viables pour régler ces problèmes.
Pour créer cet espace économique, ne serait-il pas nécessaire de procéder d’abord par des innovations financières ?
Il est vrai que pour créer cet espace économique il faut innover financièrement. Et c’est dans ce cadre que j’ai expliqué que le modèle de banque sur lequel nous sommes assis aujourd’hui est un modèle qui ne nous appartient pas. La preuve est que sur 15 millions de sénégalais par exemple, il y en a combien qui ont un compte bancaire ? Peut-être 3 ou 4 millions je ne sais pas mais en tout, la moitié n’a pas un compte bancaire. Et même s’ils en avaient, ils ne pourraient pas l’alimenter car ils n’ont aucune activité qui le leur permette. Donc nous avons un modèle bancaire qu’on a calqué. Et c’est pour cela que j’avais demandé à ce qu’on crée des microfinances basées sur des micro-assurances pour pouvoir palier à cela.
Mais aujourd’hui ce qu’on a créé en micro finance c’est un modèle qui se mord la queue par des taux de 12, 15 à 20% pour lesquels il n’est absolument pas possible de financer un projet viable. Ce que nous avons raté, c’est la non compréhension que l’assurance fait partie de notre culture et que la tontine en une réelle illustration. Si vous mettez une tontine d’un milliard ici avec mille femmes sénégalaises, elle va marcher. Parce que les femmes, du fait qu’elles se connaissent toutes, personne ne va rater sa cotisation. Et c’est sur cette forme de confiance-là qu’il faut qu’on bâtisse notre modèle financier. ………
Propos recueillis par Bassirou MBAYE
Nous accompagnons les banques, les assurances et les autres entreprises dans les domaines de l’actuariat, la finance et spécifiquement, nous intervenons dans les entreprises classiques en évaluation et gestion des engagements de retraite.
Nous sommes en activité depuis dix ans en Afrique car nous avons commencé en 2009.
M. Abdou Cissé vous avez fait un exposé sur l’innovation financière dans la zone UEMOA que vous avez comparée à celle occidentale. Qu’est-ce qui motive cette comparaison à votre niveau?
Notre monnaie est arrimée à l’euro, nous avons un lien historique avec la France et aujourd’hui les obligations que les États européens émettent sur 10 ans sont à taux d’intérêt négatifs. Une situation financière qui est inédite et qui mérite quand même qu’on s’en appesantisse.
J’ai voulu globalement marquer la différence de culture financière entre les anglo-saxons (Angleterre et États-Unis en particulier), les européens de la zone euro et nous africains. Parce qu’on vit un temps où le passé a beaucoup d’importance. Il y a beaucoup de choses qui se sont passées dans le temps et il faudrait qu’on en tienne compte pour pouvoir se projeter demain, voir ce qu’on va faire.
Pour cette différence de culture financière l’idée est simple : quand par exemple un enfant naît aux États Unis, ses parents lui achètent des actions et le prépare à la prise de risque ; à la naissance d’un enfant en France par exemple, ses parents lui ouvrent un compte d’épargne ; donc la culture financière du modèle anglo-saxon est marquée par le risque et le crédit, alors que celle des pays de l’Europe continentale est marquée par l’épargne et la garantie. Pourtant tous ces occidentaux achètent et vendent les mêmes produits financiers sur les marchés ; ce qui explique leurs situations de crises financières à répétition.
En Afrique (subsaharienne par exemple), à la naissance d’un enfant, on organise un baptême en dépensant beaucoup d’argent ; sans oublier l’argent reçu des proches sous forme de solidarité. Donc vous voyez bien que nos cultures financières sont différentes alors que nous utilisons les mêmes véhicules financiers. Ce n’est pas possible. L’idée serait de comprendre que notre culture financière est marquée par la solidarité et la dépense. Or le seul métier qui intègre la solidarité c’est l’assurance ; raison de plus pour axer nos systèmes financiers autour de l’assurance.
Un autre exemple est que dans le monde occidental regroupant à la fois le modèle anglo-saxon et celui de l’Europe continental, quand vous êtes dans cet environnement, vous avez un espace économique qui a un sens. Et dans cet espace économique vous pouvez appliquer des mesures tels que le PIB, la croissance etc. On ne peut appliquer des mesures autre part que dans un espace mesurable. Donc nous avons le devoir de bâtir un espace économique viable avant de nous attarder sur des mesures de croissance et de PIB.
Que voulez-vous dire par là ?
Si je prenais par exemple le centimètre d’un tailleur du marché des HLM et vous demande de mesurer la distance entre Paris et Dakar avec ce centimètre ; vous allez me dire que l’unité de mesure que je vous donne n’est pas appropriée à l’espace dont je vous demande de mesurer ! C’est dire qu’ici en Afrique nous n’avons pas d’espace économique formel. L’Etat ne peut pas mettre la main sur tous les contribuables afin de lever la réalité des impôts. Donc nous devons d’abord construire un espace économique viable.
Tant que nous n’aurons pas cet espace, le FMI ne peut pas venir nous dire que votre croissance c’est 6% sur cinq dernières années, car cela ne veut rien dire. On peut comprendre sur certains agrégats qu’on nous donne le PIB, la croissance mais cela n’est pas dans la réalité des faits. Vous vous réveillez tous les matins et vous fournissez un effort colossal qui ne rentre pas dans le PIB (à l’exemple de l’interview que vous êtes en train de réaliser).
Et comment construire selon vous cet espace économique ?
Il faut produire et pour produire il faut des moyens de production, qui nécessitent des structures et des infrastructures ; et pour ces derniers il faut impérativement accéder à des services publics monétaires. Il faut donc bâtir un modèle monétaire ; j’ai proposé un modèle dans mon article de 2018 (CFA-Obligations, une solution pour accéder aux services publics monétaires) ; dans cet article, je propose de créer une société financière d’Afrique subsaharienne (SFEAS) qu’il suffira juste de remplacer par UMOA-Titres (une agence qui réalise aujourd’hui un travail remarquable pour lequel il faut féliciter Mr Adrien Diouf, directeur général de l’Agence UMOA-Titres).
Qu’est ce qui entrave, de votre point de vue la construction de cet espace économique dont vous parlez ?
Ce qui manque pour que l’espace prenne forme c’est qu’il faut que les États soient dotés de financements au-delà de l’endettement en titres, pour financer leurs besoins primaires. C’est-à-dire, assez d’écoles pour nos enfants, assez d’hôpitaux pour soigner nos malades et le minimum vital pour que les Africains puissent manger à leur faim. Maintenant ce n’est pas en allant emprunter sur les marchés internationaux qu’on règle ces problèmes. Il nous faut ce qu’on appelle une flexibilité monétaire, une relation entre la banque centrale et les pays qui fait une forme de création monétaire mais qui n’est pas à l’aveuglette et est très bien surveillée sur des projets viables pour régler ces problèmes.
Pour créer cet espace économique, ne serait-il pas nécessaire de procéder d’abord par des innovations financières ?
Il est vrai que pour créer cet espace économique il faut innover financièrement. Et c’est dans ce cadre que j’ai expliqué que le modèle de banque sur lequel nous sommes assis aujourd’hui est un modèle qui ne nous appartient pas. La preuve est que sur 15 millions de sénégalais par exemple, il y en a combien qui ont un compte bancaire ? Peut-être 3 ou 4 millions je ne sais pas mais en tout, la moitié n’a pas un compte bancaire. Et même s’ils en avaient, ils ne pourraient pas l’alimenter car ils n’ont aucune activité qui le leur permette. Donc nous avons un modèle bancaire qu’on a calqué. Et c’est pour cela que j’avais demandé à ce qu’on crée des microfinances basées sur des micro-assurances pour pouvoir palier à cela.
Mais aujourd’hui ce qu’on a créé en micro finance c’est un modèle qui se mord la queue par des taux de 12, 15 à 20% pour lesquels il n’est absolument pas possible de financer un projet viable. Ce que nous avons raté, c’est la non compréhension que l’assurance fait partie de notre culture et que la tontine en une réelle illustration. Si vous mettez une tontine d’un milliard ici avec mille femmes sénégalaises, elle va marcher. Parce que les femmes, du fait qu’elles se connaissent toutes, personne ne va rater sa cotisation. Et c’est sur cette forme de confiance-là qu’il faut qu’on bâtisse notre modèle financier. ………
Propos recueillis par Bassirou MBAYE