Monsieur le Ministre, le Plan Sénégal Émergent (PSE) constitue le référentiel de la politique économique et sociale sur le moyen et le long terme pour accélérer la marche vers l’émergence du Sénégal à l’horizon 2035. Après plusieurs années de mise en œuvre, quel bilan à mi-parcours (état d’avancement) pourrons nous en tirer globalement sur le plan économique et social ?
Pour s’inscrire sur la trajectoire de l’émergence, le Sénégal a pris l’option, en 2014, d’adopter le Plan Sénégal émergent (PSE) comme modèle de pilotage de sa politique économique et sociale. Cette volonté politique ainsi affichée a permis d’enclencher une dynamique d’expansion économique visant à assurer l’amélioration du bien-être des populations, finalité de toute action de développement.
Au cours de la première phase 2014-2018, des résultats probants et significatifs ont été enregistrés, à la suite de la mise en œuvre de programmes, projets et réformes majeurs. En effet, le Sénégal a affiché des niveaux de croissance économique élevés (6,0% en moyenne sur la période 2014-2019). Par ailleurs, le raffermissement des investissements publics dans l’agriculture et les infrastructures (routes, énergie, transport, etc.), conjugué à la relance du secteur industriel, a permis le relèvement substantiel de la croissance économique. Il s’y ajoute un assainissement du cadre macroéconomique avec une réduction progressive du déficit budgétaire. Des efforts soutenus ont aussi été engagés pour améliorer les conditions de vie des populations, notamment celles des couches les plus vulnérables.
La deuxième phase 2019-2023 sera mise à profit pour lever ou atténuer les contraintes au maintien d’une dynamique de croissance forte, inclusive et durable. Il s’agit, en particulier, des contraintes qui, en inhibant le processus de transformation économique souhaité, pourraient entraver la capture du dividende démographique, ralentir la croissance ou réduire l’efficacité des mécanismes d’inclusion sociale qui vise à ne « laisser personne en rade ». Les choix stratégiques retenus accéléreront le processus de transformation de l’économie, à travers l’accroissement de la productivité et de l’emploi, gage d’une croissance forte, inclusive et durable. En outre, cette mutation a besoin d’être accompagnée par la poursuite d’une politique conséquente portant sur le capital humain et les infrastructures de base. L’efficacité et l’efficience des politiques publiques sont examinées sous le prisme des objectifs de développement du pays et des engagements internationaux (ODD, Agenda 2063, etc.). À cet égard, l’appréciation des réponses apportées par le système économique trouve tout son intérêt face à une demande sociale marquée surtout par la question de l’insertion des jeunes et d’un accès encore insuffisant à des services sociaux de qualité.
Par ailleurs, la crise du coronavirus a affecté considérablement le pays à travers une contraction de la demande intérieure et extérieure. Sur le plan extérieur, elle se manifeste à travers ses liens commerciaux avec la Chine, la Zone euro et la mobilisation de ressources externes. Après des niveaux de croissance économique élevés (6,0% en moyenne sur la période 2014- 2019), la pandémie a fait chuter l’activité économique. En effet, en 2020, la croissance est de 1,5%, alors qu’elle était initialement projetée à 7,7% dans le PSE et à 6,8% dans la Loi de Finances initiale (LFI 2020).
En ce qui concerne les 27 projets phares du PSE, figure la création de 3 agropoles intégrées. Pourquoi ce modèle économique ? Quels sont les impacts attendus ?
Je voudrais préciser que ce projet phare, placé sous la tutelle du Ministère du Développement Industriel et des Petites et Moyennes Entreprises, compte actuellement en plus des trois agropoles initialement prévues au « Sud (Ziguinchor, Kolda et Sédhiou) au Centre (Kaolack, Kaffrine, Fatick et Diourbel) et au Nord (Saint Louis, Matam et Louga) », deux nouvelles composantes : Est (Tambacounda, Kédougou) et Ouest (Sandiara, Malicounda et N’Guéniène).
Pour rappel, les agropoles visent à renforcer la valeur ajoutée des produits agricoles et à réduire la dépendance aux importations de produits agroalimentaires. Il s’agit de la création de pôles de transformation agroalimentaire avec des vocations définies autour des filières de l’agriculture et de l’élevage, combinant des infrastructures et des services partagés et un cadre incitatif attractif et simplifié.
A ce titre, elles contribuent également à l’aménagement dynamique et équilibré des territoires et facilitent la mise en réseau de tous les acteurs des chaînes de valeurs avec des capacités et des compétences accrues.
Ces agropoles devront contribuer au renforcement de l’industrialisation du Sénégal à travers les chaînes de valeur agricoles grâce à la mise à disposition d’infrastructures durables et d’équipements d’exploitation. En termes de délais, quel est le rétroplanning pour les rendre opérationnels ?
A date, la structuration technique et financière des agropoles Sud et Centre est bouclée et la Cellule d’Exécution du Projet Agropole mise en place.
Concernant l’agropole Sud, le financement d’un montant de 57 milliards FCFA est entièrement mobilisé. Le modèle de gestion, un partenariat public privé, est effectif avec la création par le FONSIS de la Société de Construction et d’Exploitation (SCE). Le recrutement du partenaire stratégique de la SCE est en cours et celui des entreprises chargées de la construction des modules et du cabinet de maitrise d’ouvrage délégué soumis à la validation de la BAD qui ne saurait tarder. Le démarrage effectif des travaux interviendra au plus tard durant le premier trimestre 2022, permettant ainsi le démarrage progressif de l’installation des entreprises dès fin 2022.
Pour l’agropole Centre, une partie du financement d’un montant de 15 milliards FCFA est mobilisée sous forme de don grâce à la coopération belge. La BAD vient d’effectuer une mission d’évaluation et compte contribuer au financement public à rechercher d’un montant de 37 milliards FCFA. En outre, les sites des modules régionaux sont sécurisés, le recrutement de l’entreprise pour la réalisation du module de Mbellacadio lancé et l’objectif reste un démarrage des activités en 2023.
S’agissant des réformes qui sont au nombre de 17, le volet « financement de l’économie » reste encore un grand défi au regard de la faible bancarisation et de l’accès encore difficile des TPE et PME au crédit classique. Ces réformes ne semblent donc pas achevées ?
Les réformes phares du PSE prenant en charge le financement de l’économie sont en cours de mise en œuvre. Il s’agit de la réforme visant à bancariser les bas revenus et celle permettant l’accès des TPE et des PME au crédit et au financement.
En ce qui concerne la première réforme sur la bancarisation des bas revenus, des efforts importants sont faits pour aider les systèmes financiers décentralisés à avoir accès au guichet de refinancement de la banque centrale. De plus, toujours avec l’aide de la BCEAO, des initiatives importantes sont mises en place pour appuyer la digitalisation de la bancarisation et le paiement par monnaie électronique. La lettre de politique sectorielle de la Microfinance et de l’Economie Sociale et Solidaire a été adoptée et des efforts sont actuellement faits pour son financement. Pour finir, la stratégie nationale d’inclusion financière qui est en attente de validation par le Conseil des Ministres, sera un cadre harmonisé des interventions et permettra le renforcement du secteur de la microfinance.
Concernant l’accès des TPE et PME aux crédits et aux financements, conscient que le développement du secteur privé sénégalais repose sur celui de ses très petites, petites et moyennes entreprises, l’Etat du Sénégal a depuis longtemps mis en place un dispositif d’appui aux PME, avec l’ADEPME, l’ASEPEX pour les entreprises exportatrices, le Bureau de mise à Niveau, etc. Ces structures jouent aujourd’hui leur rôle et appuient favorablement les entreprises. Aujourd'hui des efforts sont faits pour un déploiement plus important dans les zones les plus reculés du Sénégal, pour que partout les entreprises aient accès à leur appui.
Sur le volet de l’accès au financement, des actes importants ont été posés par le Président de la République SEM Macky Sall, avec la mise en place de structures de financement adaptés aux besoins des entreprises, quelque-soit leur taille, comme la BNDE, la DER, accompagnée d’un fonds de garantie comme le FONGIP. D'autres structures de financement participent également à l’effort de financement des TPME avec l’appel adressé aux banques commerciales de proposer des crédits adaptés aux besoins des PME, des structures comme la CDC et le FONSIS pouvant mettre à la disposition des entreprises des enveloppes conséquentes pour accompagner le développement des secteurs prioritaires.
Le secteur privé national déplore souvent leur manque d’implication dans la mise en œuvre des projets phares du PSE. Quelle réponse vous leur apportez ?
Le dialogue public-privé est une réalité au Sénégal et les relations entre le secteur privé et l’Etat sont dans une trajectoire très dynamique depuis le début de mise en œuvre du PSE.
En effet, le Président de la République, Son Excellence Monsieur Macky SALL, a très tôt compris que le développement du Sénégal passe nécessairement par son secteur privé et sa capacité à attirer des investissements directs étrangers. Dans cette perspective, le Plan Sénégal Emergent prend en charge le développement du secteur privé dans son axe 1 qui est la transformation structurelle de l’économie en mettant en place, d’une part les réformes nécessaires pour cela, d’autre part en appuyant le développement des secteurs prioritaires.
En effet, en vue d’attirer plus d’investisseurs dans notre pays, une des réformes phares du PSE consiste à mettre en place des Zones Economiques Spéciales avec des incitations spécifiques destinées aux entreprises dédiées à l’exportation. De plus, la révision du code des investissements est en cours, en vue de la rendre plus adaptée aux besoins des entreprises. Afin d’appuyer les entreprises privées dans leur développement, l’Etat a mis en place des initiatives importantes et la plus récente est la validation de la politique nationale de développement industrielle. Comme je l’ai dit tantôt, nous avons initié une méthodologie permettant la structuration de projets prioritaires par des ateliers intensifs appelés Lab.
Comme vous le savez, nous l’avons fait pour la structuration des agropoles sud et centre et nous venons de finir celui pour la relance du secteur pharmaceutique. Dans le cadre de ce dernier, nous avons identifié les paquets d’incitations en vue d’attirer les investisseurs. Ces paquets investisseurs seront versés au code des investissements. Et cet exercice d’identifier les paquets investisseurs sera fait pour tous les autres secteurs prioritaires de souveraineté. Pour finir, le Sénégal a mis en place d’autres stratégie visant à appuyer le développement du secteur privé, comme la stratégie nationale de développement du secteur privé et la stratégie nationale de développement des exportations du Sénégal. Ces initiatives, en phase d’études et en cours de finalisation, impliquent naturellement le secteur privé.
Le Plan Sénégal Emergent vise également à asseoir un développement endogène et inclusif. Concrètement, quelles sont les principales actions mises en œuvre dans ce sens ?
Le gouvernement du Sénégal a voulu asseoir un développement endogène et inclusif dans le cadre des actions phares du PSE. C’est notamment le cas dans le secteur pétrolier avec le développement du contenu local visant à promouvoir l’utilisation des biens et services nationaux dans toute la chaîne de valeur pétrolière et gazière. A cet effet, le Sénégal a entamé avec la loi no 2019-04 du 1er février 2019 la mise en place d’un cadre législatif, réglementaire et institutionnel. L’objectif visé est d’atteindre 50% de contenu local dans les contrats du secteur hydrocarbures à l’horizon 2030. Les actions concrètes à ce jour sont la mise en place du Comité National du Contenu Local, organe de pilotage du projet qui a débuté ses activités en avril 2021.
Le Ministère du Pétrole et des énergies a en outre entrepris plusieurs campagnes de sensibilisation à l’endroit des PME/PMI avec notamment des rencontres avec les collectivités territoriales, les professionnels, les chambres de commerce, et les entreprises locales.
Dans les perspectives il est prévu à la fin de l’année 2021, l’élaboration d’un plan stratégique de développement du Contenu Local accompagné d’une feuille de route de 5 ans.
Il convient également de noter l’ambition du gouvernement d’élargir le contenu local au secteur minier au vu des similitudes entre les 2 secteurs.
Le PSE est intervenu dans la structuration des projets à côté du Ministère de la Santé pour la relance de l’industrie pharmaceutique et la construction d’un dispositif médical résilient dans un contexte de COVID. Quels sont les impacts socio-économiques de ces interventions structurelles ?
Dans le cadre du Plan d’action prioritaire ajusté et accéléré (PAP II 2 A), le secteur de l’industrie pharmaceutique a été identifié comme un des secteurs prioritaires à développer en vue de mettre à l’abri le pays face aux risques de pénurie de médicaments de base nécessaires pour préserver la santé des populations.
Pour répondre à cette urgence, et avec l’avènement de la pandémie de la COVID 19, le BOS a initié, en collaboration avec le ministère de la santé et les partenaires techniques et financiers, la structuration du plan de relance de l’industrie pharmaceutique. A cet effet, un atelier intensif de structuration, suivant une approche inclusive qui replace le secteur privé au cœur de la problématique du développement, a été organisé avec succès.
Au sortir de cet exercice les impacts socio-économiques attendus peuvent être résumé comme suit : 25 projets publics et privés ainsi que 9 réformes ont été structurés, avec la participation active de plus d’une centaine d’acteurs représentant le secteur privé pharmaceutique, la profession, l’administration, les institutions financières et les universitaires (entre autres) ; la fourniture de 50% des besoins du pays en médicaments et autres produits de santé sera assurée par la production locale à l’horizon 2035 ; 199 milliards Fcfa d’investissements du secteur privé sont attendus ainsi que la création de 1047 emplois directs permanents.
Dans le domaine énergétique et la valorisation de la production locale (riz, arachide, etc.), il est noté des perspectives optimistes à consolider en termes d’intervention ?
La production de riz a plus que triplé entre 2012 et 2020, passant de 469 649 tonnes de riz paddy en 2012 à 1 451 840 en 2020, soit une augmentation de 209%.
Cette hausse de la production s’est réalisée grâce à une forte augmentation des superficies cultivées et à la mise à disposition de semences certifiées aux producteurs. En plus des facilités de financement accordées aux producteurs, cette performance est aussi due aux dispositions prises par l’Etat, notamment l’augmentation des aménagements hydroagricoles aussi bien dans le système irrigué que dans le système pluvial et à la modernisation de la riziculture avec du matériel et des équipements motorisés de haut de gamme (tracteurs, covercrops, moissonneuses-batteuses, batteuses, décortiqueuses, etc.).
Le secteur privé a aussi répondu à l’appel du Président de la République en acceptant d’investir dans la production (promotion de l’agrobusiness) et dans la transformation, marquée par l’installation de nouvelles rizeries modernes (dans la vallée du fleuve Sénégal et dans le bassin de l’Anambé).
De même, la production d’arachide a plus que doublé entre 2012 et 2020, passant de 692 572 tonnes en 2012 à 1 797 458 tonnes en 2020, soit une augmentation de 107%. Ce bond significatif a été rendu possible grâce aux mesures d’accompagnement engagées par l’Etat, notamment la mise à disposition de semences certifiées issues du programme national de reconstitution du capital semencier, la découverte et l’utilisation de nouvelles variétés performantes, grâce à la recherche (ISRA) et la facilitation de l’accès aux facteurs de production, avec une subvention sur les intrants et le matériel agricole.
L’Etat du Sénégal a décidé, en 2020-2021, de continuer la subvention pour encore faciliter l’accès des producteurs aux différents facteurs de production pour maintenir les conditions de bonne productivité agricole.
Sur le plan de l’énergie, il existe dans le portefeuille du Programme National d’Electrification Rural (PNER) plusieurs projets d’électrification rurale qui prévoient des installations dédiées à l’activité agricole et pastorale. C’est le cas notamment des projets GAUFF avec l’appui de l’état fédéral d’Allemagne ainsi que le projet financé par la BID (133 villages) qui ont un important volet visant la transformation de produits agricoles avec notamment la mise en place de stations de pompage et d’irrigation solaire.
S’agissant du développement du capital humain, notamment sur la question de l’entrepreneuriat de l’employabilité des jeunes, quels sont les acquis et défis prioritaires à relever pour le PSE ?
Le développement du capital humain a pour objectif de fournir à chaque secteur les ressources humaines requises pour leur croissance, en termes quantitatif et qualitatif, et de faire changer d’échelle les formations techniques et professionnelles pour l’atteinte des objectifs du PSE.
Plusieurs réalisations ont été enregistré à savoir : la création de cinq (5) Instituts Supérieurs d’Enseignement Professionnel (ISEP) à Thiès, Diamniadio, Matam, Bignona et Richard-Toll, dans les domaines de l’automobile et de la maintenance, du transport ferroviaire, de l’exploitation agricole, des TIC, des énergies, sous la tutelle du ministère en charge de l’enseignement supérieur ; la mise en place de centre sectoriel dans les métiers du bâtiment, de l’hôtellerie et de l’aviculture à Diamniadio, Saint Louis, Ziguinchor ; la révision et l’alignement de 469 curricula dans le secteur de l’enseignement supérieur entre 2014 et 2019 ; le développement accéléré des formations professionnelles et techniques avec la rétrocession à 100% de la Contribution Forfaitaire à la Charge des Employeurs (CFCE) ; la mise en place de programme de Formation Ecole Entreprise (PF2E) par le ministère de la formation professionnelle et technique ; la mise en place en place du Fonds de Financement de la Formation Professionnelle et Technique (3FPT) avec plus de 38 000 travailleurs formés, 37 000 jeunes formés (en formation initiale et groupée) etc. ; plus de 2 800 étudiants formés dans le secteur agro-alimentaire, du numérique, de l’énergie, des mines et des industries culturelles et créatives, par le PSE-J.
Par ailleurs, la Délégation à l’Entreprenariat rapide a fortement participé à l’essor de l’entreprenariat au Sénégal. En effet, la DER/FJ a octoyé 125 233 crédits à l’échelle de l’ensemble des communes du Sénégal pour un montant de plus de 66 milliards de FCFA. De plus le lancement la DER a lancé un produit innovant, le « nano crédit », avec déjà 2,5 milliards de FCFA de crédits accordés à près de 20 000 bénéficiaires, la formation à l’entrepreneuriat de près de 4 000 jeunes et femmes et la formalisation de plus de 3 000 unités économiques. Pour les perspectives, il est prévu : la construction de quarante-cinq (45) centres de formation professionnelle et technique au niveau des départements du Sénégal ainsi que l'amélioration des pratiques d’accompagnement et la mise à disposition de stratégies efficaces, accessibles et adaptées aux besoins des jeunes, des femmes et des futurs entrepreneurs, pour réaliser leur projet d’entreprise.
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