Afrique : Conflits, crise climatique et COVID-19 - Le monde a besoin de paix pour la santé et de santé pour la paix

Jeudi 7 Avril 2022

À l'occasion de la Journée mondiale de la santé, le 7 avril, le Directeur général de l'Organisation mondiale de la Santé, le Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus, présente une nouvelle initiative ambitieuse qui souligne la nécessité de promouvoir la paix et la santé si l'on veut protéger la planète et ses habitants.


La semaine dernière, alors qu'il recevait de nouvelles fournitures sanitaires dans un entrepôt de Lviv et m'expliquait à quel point l'invasion russe coûtait cher à la population ukrainienne, Jarno Habicht, le représentant de l'OMS en Ukraine, m'a parlé des dégâts infligés aux hôpitaux et des conséquences mentales et physiques de la guerre sur les agents de santé et les civils.
Malheureusement, l'Ukraine n'est pas la seule situation d'urgence à laquelle le monde est actuellement confronté. En Afghanistan, certains habitants en sont réduits à vendre leurs reins et leurs enfants pour survivre

Dans le Tigré, l'un des plus longs et des pires blocus de l'histoire moderne empêche l'acheminement de nourriture, de carburant et de médicaments, et la région est confrontée à une catastrophe humanitaire, et à une famine généralisée. Avec l'aggravation de la crise climatique, certains pays sont frappés simultanément par plusieurs catastrophes.

Ainsi, en Australie, au cours d'une même semaine le mois dernier, des récifs coralliens ont subi un vaste blanchissement, tandis que des « inondations cataclysmiques » frappaient d'autres parties du pays. Et la pandémie persiste avec son cortège de cas et de décès dans quelques pays asiatiques ainsi qu'une transmission soutenue, à travers le monde, de Omicron (variant BA.1 suivi du variant BA.2) continuant ainsi d’exercer une pression importante sur les systèmes de santé.

La montée des conflits, l'aggravation de la situation climatique et la persistance de la pandémie ont conduit à avancer l'horloge de l'Apocalypse à minuit moins 100 secondes, c'est-à-dire que, depuis que cette horloge a été imaginée en 1947, le monde n'a jamais été aussi proche d'une apocalypse qui mettrait fin à toute civilisation.

Il est facile de céder au désespoir, mais il est aussi possible d'agir aux niveaux micro et macro pour changer les choses

Pour éviter que les crises multidimensionnelles actuelles ne se transforment en une spirale fatale pour l'humanité, il faut déployer des efforts concertés et innovants afin d'infléchir le cours de l'histoire pour que le monde s'oriente vers des solutions et devienne plus sain et plus durable.

La grande majorité des habitants de la planète veulent vivre dans un monde sans guerre, qui leur permette, ainsi qu'à leur famille, d'accéder à un emploi décent, d'avoir de quoi manger, et de bénéficier de services de santé essentiels et d'une éducation de qualité.
S'il est relativement facile de déclencher un conflit, la recherche de la paix se révèle bien souvent difficile, car les guerres ont tendance à dégénérer et à entraîner une escalade imprévue et des conséquences néfastes.

La paix est à la base de tout ce qui est bon dans nos sociétés

Nous avons besoin de paix pour la santé et de santé pour la paix. Pour les soignants, le personnel de l'OMS et nos partenaires humanitaires sur le terrain, la guerre rend tout extrêmement plus difficile, voire impossible.

Sachant que la paix est au cœur de toutes nos actions en matière de santé, de développement et de lutte contre les conflits, la crise climatique et la pandémie de COVID-19, j'annonce aujourd'hui une nouvelle initiative mondiale baptisée « La paix pour la santé et la santé pour la paix ». Elle vise avant tout à favoriser un nouveau dialogue axé sur la santé et la paix.

Par exemple, la création de couloirs humanitaires pour que les populations puissent avoir accès aux produits de première nécessité, comme des aliments nutritifs, du carburant et des services de santé, et pour qu'aucun établissement de soins de santé ne soit pris pour cible par l'armée, nouvelle tendance inquiétante observée dans les conflits.

Je demanderai à d'autres agences des Nations Unies, à la société civile, aux organisations sportives, aux universités et aux entreprises de soutenir cette initiative, qui, à terme, s'inscrira dans le cadre d'un effort global de consolidation de la paix visant à aider les personnes les plus exposées aux maladies et aux décès.

La très ambitieuse Déclaration du Millénaire , adoptée au début de ce siècle, insistait sur le lien entre la paix, la sécurité, le développement et la santé. La guerre a relégué au second plan notre combat contre le réchauffement de la planète et notre lutte contre la pandémie de COVID-19, or ils ont tous deux besoin de la coopération internationale pour progresser.
 
Et même dans un monde très divisé, le progrès reste possible. Par exemple, au plus fort de la guerre froide, les États-Unis et l'URSS ont collaboré pour éradiquer la variole, ce qui demeure l'un des grands progrès scientifiques de notre époque et procure des enseignements pour les autres défis existentiels de notre temps.

Si la guerre focalise actuellement toute l'attention des décideurs et des médias, la pandémie est loin d'être terminée. L'OMS est consciente de la menace permanente que représente la COVID-19 et collabore avec les pays à la fois pour suivre le virus et pour veiller à ce que toutes les occasions de renforcer l'immunité des populations soient saisies.

L'objectif ultime qui consiste à vacciner 70 % de la population est parfaitement réalisable et je suis heureux de voir que des pays comme le Viet Nam, le Pakistan et le Nigéria montrent qu'à condition que les ressources et les efforts soient bien ciblés, des progrès sont possibles.

Dans le même temps, il est important de renforcer les systèmes de santé, afin que les pays puissent rattraper leur retard sur les nombreuses thématiques sanitaires qui ont régressé, tout en les préparant à faire face de nouveaux variants préoccupants et à de nouvelles pandémies potentielles.

Alors que les pays riches déploient la « deuxième dose de rappel », c'est-à-dire la quatrième dose, certains groupes dans ces mêmes pays font preuve d'incompétence, voire de négligence, en laissant entendre qu'appliquer des critères semblables n'en vaut pas la peine. Au bout du compte, la pandémie et les défis qui en découlent du fait de la désorganisation de la chaîne d'approvisionnement restent une menace non seulement pour la santé, mais aussi pour la paix et la sécurité.

De même, la crise climatique demeure probablement pour notre époque le défi existentiel le plus important et le plus complexe à relever, et qui appelle à une action sans précédent. Le réchauffement de la planète en général est mauvais pour la santé : la pollution atmosphérique provoque à elle seule quelque sept millions de décès par an. Selon les orientations actualisées sur la pollution atmosphérique, publiées cette semaine par l'OMS, plus de 110 pays surveillent désormais l'air que respire leur population.
C'est un signe encourageant que de voir les pays investir dans ce domaine, mais la quantité de polluants présents dans l'air montre qu'il est urgent de renoncer aux combustibles fossiles : ils doivent rester dans le sol pour la survie de l'humanité. Avec l'augmentation exponentielle du prix des carburants, les dirigeants ont l'occasion rêvée d'opérer une transition rapide vers les énergies renouvelables.

La pandémie a permis de tirer des enseignements sur la manière dont l'innovation scientifique peut sauver des vies et protéger les systèmes de santé, mais à la seule condition que tout le monde puisse y accéder. Il en va de même pour le climat : il est important de concevoir des plans dès maintenant afin que les technologies et le savoir-faire susceptibles de changer la donne soient partagés efficacement et permettent d'éviter une catastrophe mondiale.

Les conflits, la crise climatique et la COVID-19 sont autant de facteurs qui contribuent à la flambée des prix des denrées alimentaires et du carburant, ainsi qu'à l'inflation, ce qui, pour beaucoup, rend l'accès aux services de santé hors de portée. Dans la Corne de l'Afrique et dans certaines parties du Sahel, la famine pourrait même se profiler à l'horizon.

Dans le cadre de toute initiative pour la paix, il est essentiel de garantir l'accès à une alimentation de qualité et nutritive, ainsi qu'à d'autres services de base comme la santé et l'éducation. Quelle que soit la crise dont il s'agit, je suis fier que l'OMS soit toujours en première ligne dans le combat pour sauver des vies et œuvrer à la santé pour tous, pour chacun et partout.
Par Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus, Directeur général de l'Organisation mondiale de la Santé
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