Il y a à peine plus d'un mois, après douze jours et quelques nuits de négociations, d'un coup de son minuscule marteau vert, made in France, le ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, président de la COP21, déclarait adopté l'accord de Paris sur le climat . Ces deux semaines de décembre ont marqué l'apogée de l'effervescence qui avait gagné les acteurs aussi bien publics que privés depuis plusieurs mois. Tout au long de l'année 2015, États, institutions financières, villes et entreprises de tous les secteurs et de tous pays ont rivalisé d'engagements tous azimuts pour enrayer la flambée des émissions de gaz à effet de serre et celle des températures. Des ambitions affichées en matière d'investissement dans la recherche et le déploiement des renouvelables aux promesses record de désinvestissement du charbon, le secteur de l'énergie s'est particulièrement fait remarquer. En toute logique : outre que l'énergie irrigue la société et l'économie tout entières, la combustion d'énergies fossiles (82% du bouquet énergétique mondial en 2012) représente 80% des émissions mondiales de gaz à effet de serre.
Respecter l'accord de Paris passe donc nécessairement par une modification en profondeur des modes de production et de consommation d'énergie. Selon certains scientifiques, rester sous la barre des +2°C de hausse des températures implique notamment de laisser sous terre un tiers des réserves de pétrole, la moitié de celles de gaz et plus de 80 % des réserves connues de charbon. Ce dernier, qui représente la deuxième source d'énergie utilisée dans le monde (29%) mais le premier émetteur de gaz à effet de serre (44%), apparaît comme l'ennemi numéro un.
Pourtant, pendant la COP même, les renouvelables ont été au centre de la plupart des annonces : la Mission innovation, soutenue par 20 pays engagés à doubler leurs investissements et 28 milliardaires réunis autour de Bill Gates pour financer la recherche et développement dans le secteur ; l'Alliance solaire internationale présentée par l'Inde et son pendant privé, Térawatt, emmené par Engie ; l'Initiative africaine pour l'énergie renouvelable (AREI) de la Banque africaine de développement visant 10 GW de nouvelles capacités de production en 2020 et 300 GW en 2030, et les 2 milliards d'euros promis par la France pour contribuer à ces ambitions... Comme le montrent les chiffres de l'année 2015, publiés la semaine dernière par Bloomberg New Energy Finance, ces annonces s'inscrivent dans une dynamique entamée depuis une décennie et qui semble désormais irréversible. Les investissements dans le secteur ont continué de croître plus rapidement que l'année précédente (+3% par rapport à 2014) à 329 milliards de dollars et, surtout, les volumes des nouvelles capacités installées ont atteint de nouveaux records, avec 64 gigawatts (GW) d'éolien et 57 GW de solaire, soit 30% de plus que ce qui avait été installé en 2014.
Cette différence entre la hausse des investissements et celle des capacités installées met en relief l'un des principaux leviers de ce développement : la baisse des coûts, qui se poursuit depuis une dizaine d'années (de 10 % par an en moyenne) et connaît même une accélération. Dans ce contexte, le secteur a créé plus d'emplois aux États-Unis en 2015 que ne l'a fait celui des énergies fossiles, et les États rivalisent d'objectifs plus ambitieux les uns que les autres : 150 GW en 2020 pour la Chine, 175 GW en 2022 pour l'Inde... Selon l'Agence internationale des énergies renouvelables (Irena), en portant la part des énergies renouvelables dans le bouquet mondial à 36 % en 2030, on obtiendrait la moitié de la baisse des émissions nécessaire, le solde provenant d'efforts d'efficacité énergétique. Dans une étude publiée le 16 janvier en marge du forum des énergies nouvelles à Abou Dhabi, l'Irena estime l'effet économique d'un tel scénario, complété par un effort accru d'électrification dans les secteurs du chauffage et des transports, à 24 millions d'emplois dans le secteur et 1,1 point de croissance, soit 1.300 milliards de dollars de valeur ajoutée supplémentaire chaque année.
Et le prix du pétrole, passé ces derniers jours sous la barre des 30 dollars le baril, ne devrait pas remettre en cause cette dynamique. À partir d'un parallèle entre l'évolution des prix et du taux de pénétration du marché dans le solaire, les véhicules électriques ou le stockage de l'énergie, et d'autres ruptures technologiques antérieures telles que la photographie numérique ou la téléphonie mobile, un chercheur de l'université californienne de Stanford affirme qu'à partir d'une baisse des coûts d'une certaine ampleur, la croissance devient exponentielle et irréversible.
Ce que confirme Tom Sanzillo, directeur financier de l'Institut de l'économie et de l'analyse financière dans le secteur de l'énergie (IEEFA) : « L'évolution du solaire et de l'éolien sur le plan de la technologie et des coûts garantit leur compétitivité sur le long terme face aux autres énergies, y compris dans un contexte de prix bas du pétrole, du charbon et même du gaz. »Le cas du Texas illustre particulièrement bien ses propos. Malgré des prix du charbon au plus bas, les centrales thermiques de cet État tournent au ralenti en raison de l'extrême compétitivité de l'éolien.
L'ONG 350.org, à l'origine d'un mouvement de désinvestissement du secteur, a profité de la COP pour annoncer un nouveau record. Avec plus de 500 institutions gérant un portefeuille d'actifs de 3,4 milliards de dollars, le périmètre de cette initiative a été multiplié par 50 en un an. Au cours de la COP, les fonds de pension ont engrangé 600 milliards de dollars dans leurs portefeuilles de « décarbonation », trois fois plus que prévu.
Et depuis la COP21, les annonces se poursuivent. De Pékin à l'État de New York, de plus en plus de pouvoirs locaux entendent se débarrasser du charbon d'ici à 2020. Barack Obama veut durcir les conditions d'octroi de nouvelles autorisations d'exploitation sur les terrains appartenant à l'État fédéral... Face au gaz très bon marché, la production américaine de charbon a atteint son plus bas niveau depuis trente ans malgré la croissance honorable de l'économie, et les exportations ont chuté de 21% en 2015. La Chine, premier marché mondial, dont le ralentissement de la consommation a joué un rôle essentiel dans la chute du secteur, vient de décréter un moratoire de trois ans sur les nouvelles mines.
Selon des médias locaux, les importations indiennes elles-mêmes ont chuté de 34% en décembre, comparées à décembre 2014, et pour l'IEEFA, les renouvelables pourraient rapidement faire concurrence au charbon en termes de compétitivité.
Dans son rapport annuel sur le marché du charbon publié moins d'une semaine après la conclusion de la COP21, l'Agence internationale de l'énergie (AIE) voit sa part tomber de 41 à 37% de la production mondiale d'électricité, entre 2015 et 2020.
Sur le plan économique, ces évolutions se traduisent par un effondrement des cours de Bourse (à l'instar de l'action du géant américain Peabody, qui a perdu 93% sur l'année 2015 et 13% dans les quarante-huit heures suivant la COP), et une litanie de plans de licenciements et même de faillites. Arch Coal, l'un des plus importants producteurs de charbon du pays, est la dernière entreprise à s'être placée sous le chapitre 11, et le quatrième en un an...
L'IEEFA estime que dans un monde à +2°C, la demande en charbon peut être satisfaite avec les mines actuelles et qu'aucune nouvelle structure n'est nécessaire. Au-delà du seul charbon, une étude récente de Barclay's indique que l'Accord de Paris entraînera une baisse de 25 % des revenus liés aux énergies fossiles dans les trente prochaines années et réorientera quelque 40.000 milliards de dollars vers l'efficacité énergétique et les renouvelables sur la même période.
Selon une étude du think tank britannique Carbon Tracker, rester sous la barre des +2°C de hausse des températures implique d'annuler 2.200 milliards de dollars d'investissements dans les capacités de production d'énergies fossiles pour la seule prochaine décennie 2015-2025.
« Les "utilities" sont contraintes de revoir leur portefeuille d'activités, affirme Sébastien Léger, responsable du pôle énergie et développement durable de McKinsey en France. Il leur faut décider quels actifs actuels conserver et lesquels céder, à qui, à quel prix... »
Dans ce contexte troublé, même les centrales à charbon peuvent intéresser des financiers (fonds spéculatifs ou de capital-investissement) pariant sur une évolution (y compris de courte durée) des prix leur permettant de rentabiliser des actifs acquis à bas coût, ou encore des acteurs des énergies conventionnelles de pays émergents ou d'Europe de l'Est, prêts à venir les exploiter dans les économies matures où des opérateurs souhaitent s'en défaire.
Plus complexe encore : une fois libérée une marge de manoeuvre grâce à des cessions d'actifs, les énergéticiens doivent décider dans quoi réinvestir. Choisir dans quels secteurs et quelles régions du monde se positionner passe par l'identification de leurs facteurs de compétitivité, qu'il s'agisse de compétences en opération et maintenance d'installations de production d'énergies renouvelables, d'un accès à un financement à bas coût, d'une technologie différenciante ou d'une connaissance forte de certains pays. Or, si la COP, accélérateur de mutations entamées depuis des années, contribue à donner un peu plus de visibilité aux acteurs de l'énergie pour leurs décisions stratégiques, il demeure délicat de parier sur des investissements de long terme dans les infrastructures.
« Les barrières à l'entrée sont plus faibles sur les installations d'énergies nouvelles, plus simples à opérer que les centrales thermiques, ce qui rend le segment très concurrentiel », observe Sébastien Léger.
Et les choix à opérer pour reconfigurer leur portefeuille ne sont qu'une des questions auxquelles doivent faire face les grandes utilities.
« Les cartes sont largement rebattues, et les "utilities"doivent se doter de nouvelles compétences pour faire face à de nouveaux acteurs, issus des énergies renouvelables, du stockage électrique, de l'efficacité énergétique, du numérique... confirme Sébastien Léger.
Ce peut être des startups ou des grands groupes et, de plus en plus, des acteurs de pays émergents. » Une concurrence qui concerne aussi le nucléaire, où l'évolution des savoir-faire russe et chinois complique la donne pour les Occidentaux, d'autant plus que le prix devient un facteur déterminant face à des énergies renouvelables de plus en plus compétitives.
Les « utilities » ne sont pas condamnées pour autant. Selon l'étude « Low-Carbon, High Stakes » publiée début janvier par Accenture et le centre de recherches sur le climat CDP, les opérateurs d'électricité pourraient générer entre 245 et 380 milliards d'euros par an de valeur nouvelle d'ici à 2030. À condition de faire évoluer leurs modèles économiques autour d'activités plus en ligne avec l'objectif des 2°C : plus d'efficacité énergétique dans leur production d'électricité pour réduire leurs coûts et leurs émissions de CO2 ; la fourniture de services de gestion de l'énergie à leurs clients ; un repositionnement sur l'électricité décarbonée ; l'accès pour tous à une énergie propre et locale via des partenariats avec des collectivités et des particuliers ; l'optimisation du système électrique grâce aux réseaux électriques intelligents (smart grids) ; ou encore la capture du carbone et sa valorisation, plutôt que son stockage... Ces évolutions ne pourront sans doute pas se faire sans casse, comme l'illustrent les 4000 suppressions d'emplois qui se dessinent chez EDF... Mais elles n'en sont pas moins incontournables au vu de la menace que représente le changement climatique pour l'économie mondiale. Pour la première fois, celui-ci apparaît en tête de l'étude présentée chaque année au World Economic Forum de Davos, devant la prolifération des armes de destruction massive, une crise de l'eau, des migrations massives ou encore... un choc sur les prix de l'énergie.
Près de 11.000 engagements figurent actuellement sur la plateforme Internet dédiée, baptisée Nazca (Zone des acteurs non étatiques pour l'action pour le climat).
Latribune.fr
Respecter l'accord de Paris passe donc nécessairement par une modification en profondeur des modes de production et de consommation d'énergie. Selon certains scientifiques, rester sous la barre des +2°C de hausse des températures implique notamment de laisser sous terre un tiers des réserves de pétrole, la moitié de celles de gaz et plus de 80 % des réserves connues de charbon. Ce dernier, qui représente la deuxième source d'énergie utilisée dans le monde (29%) mais le premier émetteur de gaz à effet de serre (44%), apparaît comme l'ennemi numéro un.
Les renouvelables en croissance rapide
À l'autre extrémité du spectre, les énergies renouvelables sont plus plébiscitées que jamais. Au grand dam des ONG, qui auraient souhaité que l'objectif de long terme mentionne un avenir « 100% renouvelable », le terme « énergie » ne figure pas dans le texte de l'accord.Pourtant, pendant la COP même, les renouvelables ont été au centre de la plupart des annonces : la Mission innovation, soutenue par 20 pays engagés à doubler leurs investissements et 28 milliardaires réunis autour de Bill Gates pour financer la recherche et développement dans le secteur ; l'Alliance solaire internationale présentée par l'Inde et son pendant privé, Térawatt, emmené par Engie ; l'Initiative africaine pour l'énergie renouvelable (AREI) de la Banque africaine de développement visant 10 GW de nouvelles capacités de production en 2020 et 300 GW en 2030, et les 2 milliards d'euros promis par la France pour contribuer à ces ambitions... Comme le montrent les chiffres de l'année 2015, publiés la semaine dernière par Bloomberg New Energy Finance, ces annonces s'inscrivent dans une dynamique entamée depuis une décennie et qui semble désormais irréversible. Les investissements dans le secteur ont continué de croître plus rapidement que l'année précédente (+3% par rapport à 2014) à 329 milliards de dollars et, surtout, les volumes des nouvelles capacités installées ont atteint de nouveaux records, avec 64 gigawatts (GW) d'éolien et 57 GW de solaire, soit 30% de plus que ce qui avait été installé en 2014.
Cette différence entre la hausse des investissements et celle des capacités installées met en relief l'un des principaux leviers de ce développement : la baisse des coûts, qui se poursuit depuis une dizaine d'années (de 10 % par an en moyenne) et connaît même une accélération. Dans ce contexte, le secteur a créé plus d'emplois aux États-Unis en 2015 que ne l'a fait celui des énergies fossiles, et les États rivalisent d'objectifs plus ambitieux les uns que les autres : 150 GW en 2020 pour la Chine, 175 GW en 2022 pour l'Inde... Selon l'Agence internationale des énergies renouvelables (Irena), en portant la part des énergies renouvelables dans le bouquet mondial à 36 % en 2030, on obtiendrait la moitié de la baisse des émissions nécessaire, le solde provenant d'efforts d'efficacité énergétique. Dans une étude publiée le 16 janvier en marge du forum des énergies nouvelles à Abou Dhabi, l'Irena estime l'effet économique d'un tel scénario, complété par un effort accru d'électrification dans les secteurs du chauffage et des transports, à 24 millions d'emplois dans le secteur et 1,1 point de croissance, soit 1.300 milliards de dollars de valeur ajoutée supplémentaire chaque année.
Et le prix du pétrole, passé ces derniers jours sous la barre des 30 dollars le baril, ne devrait pas remettre en cause cette dynamique. À partir d'un parallèle entre l'évolution des prix et du taux de pénétration du marché dans le solaire, les véhicules électriques ou le stockage de l'énergie, et d'autres ruptures technologiques antérieures telles que la photographie numérique ou la téléphonie mobile, un chercheur de l'université californienne de Stanford affirme qu'à partir d'une baisse des coûts d'une certaine ampleur, la croissance devient exponentielle et irréversible.
Ce que confirme Tom Sanzillo, directeur financier de l'Institut de l'économie et de l'analyse financière dans le secteur de l'énergie (IEEFA) : « L'évolution du solaire et de l'éolien sur le plan de la technologie et des coûts garantit leur compétitivité sur le long terme face aux autres énergies, y compris dans un contexte de prix bas du pétrole, du charbon et même du gaz. »Le cas du Texas illustre particulièrement bien ses propos. Malgré des prix du charbon au plus bas, les centrales thermiques de cet État tournent au ralenti en raison de l'extrême compétitivité de l'éolien.
Le déclin du charbon s'accélère partout
Cette dégringolade du charbon s'observe dans le monde entier, de l'Australie aux États-Unis en passant par la Chine. Les mauvaises nouvelles se succèdent depuis des mois et semblent s'accélérer ces dernières semaines.L'ONG 350.org, à l'origine d'un mouvement de désinvestissement du secteur, a profité de la COP pour annoncer un nouveau record. Avec plus de 500 institutions gérant un portefeuille d'actifs de 3,4 milliards de dollars, le périmètre de cette initiative a été multiplié par 50 en un an. Au cours de la COP, les fonds de pension ont engrangé 600 milliards de dollars dans leurs portefeuilles de « décarbonation », trois fois plus que prévu.
Et depuis la COP21, les annonces se poursuivent. De Pékin à l'État de New York, de plus en plus de pouvoirs locaux entendent se débarrasser du charbon d'ici à 2020. Barack Obama veut durcir les conditions d'octroi de nouvelles autorisations d'exploitation sur les terrains appartenant à l'État fédéral... Face au gaz très bon marché, la production américaine de charbon a atteint son plus bas niveau depuis trente ans malgré la croissance honorable de l'économie, et les exportations ont chuté de 21% en 2015. La Chine, premier marché mondial, dont le ralentissement de la consommation a joué un rôle essentiel dans la chute du secteur, vient de décréter un moratoire de trois ans sur les nouvelles mines.
Selon des médias locaux, les importations indiennes elles-mêmes ont chuté de 34% en décembre, comparées à décembre 2014, et pour l'IEEFA, les renouvelables pourraient rapidement faire concurrence au charbon en termes de compétitivité.
Dans son rapport annuel sur le marché du charbon publié moins d'une semaine après la conclusion de la COP21, l'Agence internationale de l'énergie (AIE) voit sa part tomber de 41 à 37% de la production mondiale d'électricité, entre 2015 et 2020.
Sur le plan économique, ces évolutions se traduisent par un effondrement des cours de Bourse (à l'instar de l'action du géant américain Peabody, qui a perdu 93% sur l'année 2015 et 13% dans les quarante-huit heures suivant la COP), et une litanie de plans de licenciements et même de faillites. Arch Coal, l'un des plus importants producteurs de charbon du pays, est la dernière entreprise à s'être placée sous le chapitre 11, et le quatrième en un an...
L'IEEFA estime que dans un monde à +2°C, la demande en charbon peut être satisfaite avec les mines actuelles et qu'aucune nouvelle structure n'est nécessaire. Au-delà du seul charbon, une étude récente de Barclay's indique que l'Accord de Paris entraînera une baisse de 25 % des revenus liés aux énergies fossiles dans les trente prochaines années et réorientera quelque 40.000 milliards de dollars vers l'efficacité énergétique et les renouvelables sur la même période.
Selon une étude du think tank britannique Carbon Tracker, rester sous la barre des +2°C de hausse des températures implique d'annuler 2.200 milliards de dollars d'investissements dans les capacités de production d'énergies fossiles pour la seule prochaine décennie 2015-2025.
La chambardement du modèle des énergéticiens
Conséquence, le sujet des « actifs échoués », ces installations qui pourraient ne jamais atteindre la rentabilité faute de prix de vente suffisamment élevés pour amortir les investissements, prend de plus en plus d'ampleur.« Les "utilities" sont contraintes de revoir leur portefeuille d'activités, affirme Sébastien Léger, responsable du pôle énergie et développement durable de McKinsey en France. Il leur faut décider quels actifs actuels conserver et lesquels céder, à qui, à quel prix... »
Dans ce contexte troublé, même les centrales à charbon peuvent intéresser des financiers (fonds spéculatifs ou de capital-investissement) pariant sur une évolution (y compris de courte durée) des prix leur permettant de rentabiliser des actifs acquis à bas coût, ou encore des acteurs des énergies conventionnelles de pays émergents ou d'Europe de l'Est, prêts à venir les exploiter dans les économies matures où des opérateurs souhaitent s'en défaire.
Plus complexe encore : une fois libérée une marge de manoeuvre grâce à des cessions d'actifs, les énergéticiens doivent décider dans quoi réinvestir. Choisir dans quels secteurs et quelles régions du monde se positionner passe par l'identification de leurs facteurs de compétitivité, qu'il s'agisse de compétences en opération et maintenance d'installations de production d'énergies renouvelables, d'un accès à un financement à bas coût, d'une technologie différenciante ou d'une connaissance forte de certains pays. Or, si la COP, accélérateur de mutations entamées depuis des années, contribue à donner un peu plus de visibilité aux acteurs de l'énergie pour leurs décisions stratégiques, il demeure délicat de parier sur des investissements de long terme dans les infrastructures.
« Les barrières à l'entrée sont plus faibles sur les installations d'énergies nouvelles, plus simples à opérer que les centrales thermiques, ce qui rend le segment très concurrentiel », observe Sébastien Léger.
Et les choix à opérer pour reconfigurer leur portefeuille ne sont qu'une des questions auxquelles doivent faire face les grandes utilities.
« Les cartes sont largement rebattues, et les "utilities"doivent se doter de nouvelles compétences pour faire face à de nouveaux acteurs, issus des énergies renouvelables, du stockage électrique, de l'efficacité énergétique, du numérique... confirme Sébastien Léger.
Ce peut être des startups ou des grands groupes et, de plus en plus, des acteurs de pays émergents. » Une concurrence qui concerne aussi le nucléaire, où l'évolution des savoir-faire russe et chinois complique la donne pour les Occidentaux, d'autant plus que le prix devient un facteur déterminant face à des énergies renouvelables de plus en plus compétitives.
Les « utilities » ne sont pas condamnées pour autant. Selon l'étude « Low-Carbon, High Stakes » publiée début janvier par Accenture et le centre de recherches sur le climat CDP, les opérateurs d'électricité pourraient générer entre 245 et 380 milliards d'euros par an de valeur nouvelle d'ici à 2030. À condition de faire évoluer leurs modèles économiques autour d'activités plus en ligne avec l'objectif des 2°C : plus d'efficacité énergétique dans leur production d'électricité pour réduire leurs coûts et leurs émissions de CO2 ; la fourniture de services de gestion de l'énergie à leurs clients ; un repositionnement sur l'électricité décarbonée ; l'accès pour tous à une énergie propre et locale via des partenariats avec des collectivités et des particuliers ; l'optimisation du système électrique grâce aux réseaux électriques intelligents (smart grids) ; ou encore la capture du carbone et sa valorisation, plutôt que son stockage... Ces évolutions ne pourront sans doute pas se faire sans casse, comme l'illustrent les 4000 suppressions d'emplois qui se dessinent chez EDF... Mais elles n'en sont pas moins incontournables au vu de la menace que représente le changement climatique pour l'économie mondiale. Pour la première fois, celui-ci apparaît en tête de l'étude présentée chaque année au World Economic Forum de Davos, devant la prolifération des armes de destruction massive, une crise de l'eau, des migrations massives ou encore... un choc sur les prix de l'énergie.
Ce que dit l'accord de Paris
- Pour la première fois de l'Histoire, le 12 décembre 2015 à Paris, 195 pays se sont engagés à réduire collectivement leurs émissions de gaz à effet de serre pour que le réchauffement de la planète reste « bien en deçà de 2 C »et à « poursuivre leurs efforts en direction de +1,5 C ».
- Pour y parvenir, un « équilibre entre les émissions anthropiques et les capacités d'absorption naturelles de la planète » doit être atteint dans la seconde partie du siècle, notamment grâce à des puits de carbone, comme les forêts.
- Après un premier bilan en 2023, les États devront se retrouver tous les cinq ans pour évaluer l'effort global, revoir leurs objectifs nationaux (INDC) à la hausse et soumettre des engagements détaillés et vérifiables de réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre. Cette date semble bien tardive alors que les contributions nationales soumises avant la COP ne sont pas cohérentes avec les 2 C, et que le Giec préconise le pic des émissions mondiales à 2020 au plus tard.
- Une nouvelle version des mécanismes de révision et de transparence pour les contributions climatiques nationales est instaurée.
- Les pays riches doivent montrer la voie et soutenir les pays en développement dans leurs efforts d'atténuation, notamment via des transferts de technologies.
- Sur le plan financier, ils doivent fournir au moins 100 milliards de dollars par an à partir de 2020, pour financer à parts égales le développement durable et l'adaptation aux conséquences du changement climatique des pays en développement ; ce montant sera révisé en 2025. D'autres pays en ayant les capacités (pays émergents ou pétroliers) peuvent contribuer également de façon volontaire.
- Le nouveau mécanisme « des pertes et dommages »prévoit des mesures pour éviter, minimiser et prendre en compte les effets du changement climatique déjà subis par les pays les plus vulnérables.
- L'obligation de transparence et la soumission régulière de nouveaux engagements de réduction et de nouveaux engagements financiers sont contraignantes.
Ce que ne dit pas l'accord de Paris
- Ni la tarification du carbone, ni l'énergie, ni même une réduction chiffrée des émissions ne figurent dans le texte. Mais les scientifiques ont montré qu'un objectif de 1,5 C correspond à une réduction des émissions de GES de 70 % à 80 % d'ici à 2050, et zéro émission en 2100, au plus tard.
- L'accord ne renforce pas les financements destinés à l'adaptation avant 2020.
- Le respect des engagements de réduction n'a pas de caractère contraignant.
L'« Agenda des solutions », pendant privé de l'accord de Paris
À côté de l'accord lui-même destiné aux États, un « Agenda des solutions » met en avant les engagements des acteurs non étatiques, entreprises, investisseurs, collectivités locales, ONG, etc.Près de 11.000 engagements figurent actuellement sur la plateforme Internet dédiée, baptisée Nazca (Zone des acteurs non étatiques pour l'action pour le climat).
Latribune.fr