EXPLOITATION GAZIERE AU SENEGAL : Contre vents et marées ?

Mercredi 24 Janvier 2024

Les enjeux du gaz pour le Sénégal vont en fait bien au-delà de la production d’électricité, qui est un pan important de la politique énergétique basée sur le mix et la stratégie «Gas to power». Dans sa dynamique de transformation structurelle de l’économie, en dépit de la pression exercée par les pays occidentaux, l’Etat est déterminé à profiter de son gaz pour servir de moteur au développement de l'industrie chimique et pétrochimique ; ce faisant, maximiser par ce biais les synergies avec les atouts du Sénégal (phosphates, agriculture, besoins en plastiques et produits manufacturés du marché local et régional etc.).


Le combat mené par le Président Macky Sall pour faire accepter le gaz naturel comme énergie de transition est-il alors perdu d’avance ?
En tout cas, les pays du monde entier viennent   d’approuver un compromis qualifié d’«historique»  autour d’un appel inédit à abandonner progressivement les énergies fossiles (gaz, pétrole, charbon), principales responsables du réchauffement climatique. Cependant, les pays potentiellement producteurs comme le Sénégal peuvent voir venir puisque le terme de cet « abandon» du gaz est fixé à 2050 ultime étape pour atteindre la neutralité carbone.

Récemment, l’Etat sénégalais a dit «niet» à British Petroleum (BP), son partenaire   dans l’exploitation  des champs gaziers Yaakaar et Teranga, découverts entre 2016 et 2017 sur le bloc Cayar Offshore Profond (COP), situé à environ 60 km au Nord-Ouest de Dakar avec des premières estimations se chiffrant à 15 TCF (1 TCF vaut 28 Gm3) pour Yakaar et 5 TCF pour Teranga. Le partenaire britannique avait la volonté de vendre et d’exporter le gaz qui sera issu de ces deux gisements majeurs, alors que l’Etat a d’autres desseins pour ces ressources. Ces deux visions antagonistes   ont fini de consommer la rupture avec BP sur ce périmètre. Dès lors, la date de démarrage de l’exploitation et de la production initialement prévue pour 2023 sera repoussée. L’Etat, en dépit de la pression sans cesse exercée par les pays occidentaux notamment à la COP28 de Dubaï sur le climat, négocie avec un autre partenaire pour exploiter ces deux gisements qui, mis côte à côte, symbolise l’espérance de la prospérité (Yaakaar-Teranga).

Déjà dans la dernière Lettre de politique de développement du secteur de l’Energie (LPDSE) 2019, les autorités sénégalaises avaient marqué leur intention de saisir les découvertes gazières pour changer la donne qui jusqu’ici consiste, pour les africains   à exporter tout bonnement leurs ressources hydrocarbures. La majorité des projets d’hydrocarbures (pétrole et gaz) en Afrique sont en effet orientés vers l’export et ces ressources se retrouvent en grande partie sur le marché occidental, au détriment des 600 millions d’africains qui ont un grand besoin en électricité que devrait générer ces ressources.  

Au Sénégal, ce besoin crucial s’exprime à travers les 40% de sénégalais soit plus de 2 millions d’habitants (sur 18 millions) qui vivent encore dans le noir, en milieu rural. Pire, les 80% de taux d’électrification national sont produits à des coûts exorbitants, avec un parc de production à 70% thermique et un coût du kilowattheure qui ressort à 80 FCfa, malgré plus de 33% de renouvelable dans le système de production.

La mise en œuvre de la stratégie « Gaz to power » se traduira par un parc de production d’électricité relooké, car majoritairement bâti sur l’utilisation du gaz naturel à la place du fioul. Déjà, un projet gazier d’envergure (300 MW) est en cours à Rufisque avec le consortium (100% sénégalais) West African Energy (WAE), qui a , à  sa tête, l’ancien ministre Samuel Sarr, et  un autre à Saint Louis, avec un autre promoteur issu du patronat sénégalais, Baidy Agne, qui installe une centrale à gaz de 250 MW, Ndar Energy.

Le Sénégal dispose déjà d'une source locale, de gaz naturel quoique marginale. Celle-ci est en production commerciale depuis 2002 par la société Fortesa sur le champ onshore de Gadiaga (région de Thiès). Ce gaz est aujourd'hui principalement absorbé par les besoins de grands clients comme la SOCOCIM (Société commerciale du ciment). Ce qui, par conséquent, rend les nouvelles découvertes de gaz davantage importantes pour l’ensemble de l’industrie sénégalaise.

La stratégie «Gas to power» repose d’une part sur un cadre légal et institutionnel favorable à son développement et, d’autre part, sur l’optimisation de l’ensemble de la chaîne de valeur gazière. En réalité, les enjeux du gaz pour le Sénégal vont bien au-delà de l’énergie électrique.
 

C’est quoi le gaz ?

Troisième source d’énergie la plus utilisée dans le monde (après le pétrole et le charbon), principalement dans la production de chaleur ; le secteur industriel ; la production d’électricité ; les transports ; etc... Il est composé à 90 % de méthane, qui est le plus simple et le plus léger des hydrocarbures. C’est un matériau si léger qu’il sort du puits sans qu’il soit nécessaire de le pomper.
Moins nocif pour le climat que le charbon qui émet plus du double de gaz à effet de serre, encore moins que son cousin de «schiste» dont l’extraction par fracturation hydraulique entraîne d’importantes fuites de méthane, le gaz fossile «conventionnel» comme celui découvert au Sénégal est la plus propre des énergies fossiles. Comme le pétrole brut, il s’est formé dans le sous-sol à partir des restes de micro-organismes marins. Il est souvent extrait des mêmes puits que ce dernier. On le trouve également associé à du condensat, ou bien seul dans la roche réservoir.

Jusqu’à une date récente, il était peu utilisé, pour preuve au début du XXe siècle, on le brûlait comme déchet de captage des puits de pétrole. Aujourd’hui, c’est un combustible de valeur qui fournit plus d’un quart de l’énergie mondiale, environ 20 % de l’électricité mondiale. Aujourd’hui, l’utilisation du gaz naturel se développe plus rapidement dans d’autres domaines, comme les centrales électriques, l’industrie (dont la pétrochimie) ou le transport (GNC et GNL carburant), en raison de son efficacité énergétique et de ses qualités environnementales.

Par ailleurs, les centrales électriques au gaz nécessitent des investissements et des coûts opératoires plus faibles. En outre, elles ont des rendements qui peuvent être supérieurs à 55 %, ce qui diminue considérablement la consommation énergétique et donc les émissions globales dans l'atmosphère.

Une stratégie à quatre temps

L’objectif principal de la stratégie «Gas to power» vise la refondation du schéma de production d’électricité dans le pays, avec un basculement de la production électrique nationale du fioul lourd vers le gaz naturel. Cette transition au gaz permettra d’abord la réduction durable des coûts de production d’électricité ; ensuite la réduction des paiements compensatoires au secteur électrique, et in fine, la réduction des tarifs d’électricité.
Outre le cadre légal et institutionnel mis en place, la stratégie s’articule autour de quatre points majeurs que sont :
  • l’optimisation de la chaîne de valeur gazière, depuis l’approvisionnement en énergie primaire jusqu’à la distribution de l’électricité chez le consommateur final ;
  •  l’identification des besoins en infrastructures de réception et d’infrastructures gazières modernes et optimisées ;
  •  la mise à niveau des infrastructures de production électrique, à travers la conversion des centrales thermiques actuelles en dual fioul tandis que les futures centrales thermiques seront au gaz naturel ;
  • et enfin l’amélioration de la distribution électrique à travers l’amélioration du réseau national. 
 
Un cadre approprié

La Loi n°98-31 du 14 avril 1998 intégrait bien le gaz naturel dans le champ des hydrocarbures, en son article premier. Cependant, elle    se concentrait quasi exclusivement sur le pétrole brut et les produits pétroliers, qui étaient les véritables objets de ladite Loi et de son décret d’application. Les spécificités du secteur gazier y étaient très peu prises en compte. A l’époque, point de gaz découvert comme l’indique Mme Oumy Khaïry Diop Diaw, Directrice de la Stratégie et de la règlementation (DSR) au Ministère du Pétrole et des énergies. « Les découvertes de gaz en 2014 ont ainsi nécessité la mise en place d’un cadre juridique et institutionnel adapté pour faciliter le développement avec une énergie compétitive pour les entreprises, abordable pour les populations, y compris les plus vulnérables et peu polluante »,

Le cadre légal et institutionnel suppose : l’élaboration et l’adoption d’une loi gazière et d’un code réseau régissant l’ensemble des segments midstream (transport) / downstream (raffinage et distribution). A terme, il induit la mise en place d’un régime de licences pour toutes les activités de ces segments. A l’instar du Code pétrolier de 1998 qui a subi une réforme en 2019, l’Assemblée nationale a voté, le 7 février 2020, la Loi n°2020-06 du 7 février 2020 portant Code gazier.

Dans la même veine, la Commission de régulation du secteur de l’électricité (CRSE) a vu ses compétences élargies au sous-secteur des hydrocarbures. C’est ainsi qu’elle est devenue Commission de régulation du secteur de l’Energie aux termes de la Loi n°2021-32 du 9 juillet 2021. Dans la même dynamique, un Code de l’électricité consacré par la Loi n 2021-31 du 9 juillet 2021 a été mis en place.
En perspective, la filialisation de Sénélec est en cours. Ces filiales seront dédiées respectivement à l’achat en gros et au transport de gaz naturel. Elles constitueront éventuellement à travers des partenariats public-privés, les bras opérationnels de l’Etat dans la mise en œuvre de la stratégie «Gas to power» respectivement en tant qu’agrégateur et co-gestionnaire de réseau. Ces réformes vont bouleverser considérablement l’organisation du secteur de l’électricité.

Pour parachever l’optimisation de la chaîne de valeur gazière, l’identification des besoins en infrastructures de réception et d’infrastructures gazières modernes a conduit à la création du Réseau gazier du Sénégal (RGS). La société a été créée le 18 novembre 2019 en SA, avec un capital initial de 100 millions de FCfa, capital réparti entre Senelec (10%), Petrosen (39%), Fonsis (5% + 46% en portage). L’objectif est de mettre en place un réseau de gazoducs intégré pour le transport du gaz naturel, des zones de production vers les clients potentiels. 

En définitive, les autorités sénégalaises optent pour trois types d’instruments juridiques régissant les secteurs gaziers midstream (  ) et downstream (  ).
- Une législation primaire: elle définit un cadre général pour le secteur . Celui -ci détermine le régime d’octroi de licences, les obligations des différents organismes et confère aux organismes les pouvoirs nécessaires pour élaborer des règles plus détaillées.
- Un régime de licences
- Un corpus de codes régissant ces secteurs, dont le principal est le Code réseau qui constitue le fondement des accords commerciaux et opérationnels, entre le transporteur et tous les utilisateurs du réseau. En somme, l’objectif principal du Code est l’exploitation efficace du réseau gazier et la sécurité de l’approvisionnement.

Au final, le cadre légal et institutionnel définit des bases favorables et saines pour l'éclosion d'un secteur gazier local fort et dynamique sur toute la chaîne de valeur. En particulier, il donnera plus de visibilité et de confiance aux opérateurs pétroliers pour alimenter le marché local. 

Toutes ces actions s'intègrent dans le grand projet de développement pétrolier et gazier du Sénégal, dont le volet électrique restera sans nul doute le socle, notamment dans la perspective de la constitution d'une ville énergétique et industrielle entre Dakar et Saint-Louis. 
 
Lejecos Magazine
Energie


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