Faut-il l’encourager ou restreindre ce business model ? Si la question est des plus simples, la réponse en revanche requiert plusieurs considérations, tant les enjeux de la bancassurance sont problématiques. Le modèle est devenu une réalité notamment dans l’espace UMOA (Union monétaire ouest africaine). Ce n’est pas un hasard si le passage d’un capital social minimum de 3 à 5 milliards de Fcfa pour les compagnies d’assurance dans la zone CIMA (Conférence interafricaine des marchés d’assurance), a coïncidé avec le dynamisme de la bancassurance dans l’espace UEMOA. Cette réforme a beaucoup encouragé le partenariat avec les banques qui y ont perçu une opportunité d’augmenter leur prise de participation dans le capital des compagnies d’Assurance.
Dynamisme ? C’est plutôt relatif, même si au Sénégal, on peut dénombrer sept compagnies d’Assurance qui comptent des établissements financiers parmi leurs actionnaires. En revanche, quatre banques ont été identifiées comme détentrices d’une participation dans une compagnie d’Assurance Vie. La zone est marquée aujourd’hui par des groupes comme Sunu-Bicis, Nsia dans l’Assurbanque et Attijariwafa Bank dans la Bancassurance.
Ces partenariats se sont d’autant plus emballés que, des produits d’assurance liés aux opérations de banque conclues aux guichets de celles-ci, on est passé à des prestations offertes par les institutions bancaires et qui n’ont pas de relations avec le service accordé.
C’est le cas pour les risques de masse tels que les assurances-auto ; multirisques habitation ; assurances voyage et individuelles diverses, entre autres, au niveau des banques. La banque est ainsi devenue une sorte de supermarché « one stop shop », où le client peut trouver chaussure à son pied financier ou assuranciel.
Au croisement de la réglementation des deux secteurs de la banque et des assurances, les frontières sont devenues théoriques. Raison pour laquelle le régulateur, la Commission Bancaire de l’Union Monétaire Ouest Africaine (UMOA), a jugé nécessaire de faire un rappel.
En date du 23 octobre 2023, elle a rappelé aux établissements de crédit, le cadre réglementaire relatif à la commercialisation des produits et services d’assurances à leurs guichets. A travers une circulaire adressée aux Directeurs généraux des établissements de crédit de l’UMOA, la commission précise que « les banques ne devront commercialiser que des produits d’assurance liés aux opérations de banque ». En outre, le texte ajoute que ladite commercialisation « se fait sur la base d’un contrat de partenariat conclu à cet effet avec une société d’assurance ».
La Commission bancaire de l’UMOA rappelle également l’obligation de la détention de la carte professionnelle pour les agents commis à la commercialisation. À cet égard, les établissements de crédit sont invités au strict respect des dispositions légales et réglementaires susvisées, « sous peine de sanctions prévues par la réglementation bancaire ».
Seulement sur le terrain, les acteurs apprécient diversement ces mesures. Certains d’entre eux estiment que la bancassurance est devenue au fur et à mesure, un actif stratégique du secteur bancaire. D’autres évoquent clairement une tentative de « freiner » le développement des assurances qui, au demeurant, risque de s’emballer.
Bâle, le catalyseur
La convergence de leurs activités a permis aux banquiers et aux assureurs de travailler à moindres coûts et d’accéder à de nouveaux marchés. Née dans les années 1970, la bancassurance s'est propagée dans les années 1980 et 1990 à travers toute l'Europe et le reste du monde. Si elle connait aujourd’hui une évolution rapide, la Bancassurance a été à l’initiative des banques, confrontées à une pression des compagnies d’assurance.
Au Sénégal et dans l’espace UEMOA, on enregistre une certaine dynamique de la bancassurance encouragée au Sénégal par un faible taux de pénétration de l’assurance qui ne dépasse guère 1,49% (2022) sur une population de 18 millions d’habitants, tandis qu’il est de 1% dans la zone CIMA contre une moyenne mondiale de près de 7,4%. Dans un contexte sénégalais caractérisé par une « acculturation assurancielle », il n’est pas étonnant que l’industrie des assurances s’appuie sur la béquille bancaire qui dispose d’un accès privilégié à une clientèle active et représente un formidable canal de transmission.
En réalité, Bâle 3 a été ainsi un catalyseur de la bancassurance, notamment dans les zones CIMA et UEMOA. En réaction à chaque crise financière internationale, la norme Bâle émise par le Comité éponyme et qui en est à sa troisième déclinaison (Bâle 3), est un ensemble de contraintes de solvabilité quantitatives (fonds propres) et qualitatives (procédures) pour les banques.
Après Bâle I (1988) puis Bâle II (2004), les accords de Bâle III (2010) visaient à apporter une réponse à la faillite de Lehman Brothers consécutive à la crise financière de 2008. Les trois normes ont été progressivement transposés dans les réglementations nationales ou régionales : la BCEAO a notamment organisé leur transposition dans l’espace UEMOA. Mais c’est véritablement Bâle III qui a imposé une révolution stratégique de l’activité bancaire en touchant (positivement pour l’essentiel), par certains aspects, le secteur connexe des assurances.
Celui-ci a été boosté par la bancassurance grâce à l’implication plus forte des banques, poussées à développer leurs activités « non-consommatrices de fonds propres », c’est-à-dire qui ne sont pas concernées par le ratio de solvabilité. Percevoir des commissions liées à la distribution de produits d’assurance n’a aucune incidence sur l’exigence de fonds propres. Cette large convergence des deux activités permettra aux banquiers, ainsi qu’aux assureurs de pénétrer chacun de nouveaux marchés, de travailler à moindre coût et d’améliorer significativement leurs rentabilités.
En employant et en incitant le réseau actuel des banques de la Zone (près de 3.000 agences, bureaux, points de vente) à distribuer les produits d’assurances de façon plus énergique, Bâle a donné une nouvelle dimension d’envergure à la commercialisation d’assurances auprès des populations.
Si pour les banques, ajouter une activité d’assurance repose sur la nécessité de constituer des économies d’échelle, rationaliser les coûts et générer des revenus non-consommateurs de fonds propres, pour les compagnies d’assurance, la bancassurance constitue une opportunité de développement et de réduction des coûts de distribution.
A travers une étude sur la question, le groupe de conseil Finactu, leader du conseil aux compagnies d'assurance en Afrique, a tenté de démontrer que l’impact des commissions générées pour les banques par la bancassurance est non négligeable. Ladite étude estime que, si avant l’entrée de Bâle III une banque dégageait un ROE (Return on Equity) de 15%, après durcissement, toutes choses étant égales par ailleurs, son ROE chuterait mécaniquement à 10,5%. Dans ce scénario, une hausse du résultat net de +5% généré par la mise en place de la bancassurance – sans mobilisation de fonds propres additionnels – permettrait un gain de ROE de 0,5 point (11% vs 10,5%) et donc de compenser plus de 10% de la perte de rentabilité découlant de la mise en place de Bâle III.
L’assureur, la banque, l’assuré
A défaut de disposer de statistiques officielles récentes mesurant la part de la production générée par la Bancassurance, on peut au moins noter que le « Décès emprunteur » vendu à travers les guichets des banques correspond à la garantie « Décès collectif » apparaissant dans les états C1 des compagnies d’Assurance. Il ressort de ceux-ci un taux de contribution de 32%, soit 10,8 milliards FCFA en valeur absolue, à l’actif de la Bancassurance, au titre de la commercialisation du produit « Décès emprunteur » dans la formation du chiffre d’affaires des sociétés Vie, en 2015 (cf. rapport d’activité de la Direction des Assurances sur l’exercice 2015).
Parmi les Banques implantées au Sénégal, sept compagnies d’Assurance comptent parmi leurs actionnaires, des établissements financiers. Par ailleurs, quatre banques ont été identifiées comme détentrices d’une participation dans une compagnie d’Assurance Vie. Chacun des acteurs de la bancassurance semble tirer son épingle du jeu.
Pour l’assureur
En se lançant dans la course aux fonds propres, les banques de la Zone franc ont ouvert de nombreuses opportunités aux assureurs, qui peuvent ainsi les saisir dans le cadre de leur gestion d’actifs, qui constitue un élément clé de la rentabilité des activités d’assurance, notamment :
- Opportunités d’investissements stratégiques : la bancassurance prend systématiquement appui sur des liens capitalistiques forts entre la banque et l’assurance, qui garantissent une exploitation optimale du réseau bancaire pour la commercialisation des produits d’assurance. Dès lors, les assureurs peuvent participer à la reconfiguration de la structure capitalistique des banques.
- Opportunités d’investissements financiers : dans la Zone FANAF, en 2016, des placements effectués par les membres, pour l’année, concernaient en majorité des dépôts bancaires (35%), immeubles (16%), obligations (23%), actions (18%) et autres placements (8%). Compte tenu de leur horizon d’investissement de 4 à 12 ans, et considérant la rareté des maturités supérieures à 7 ans, investir dans le capital des banques de la Zone franc représente une alternative crédible pour les compagnies d’assurance. Celles-ci bénéficient ainsi mécaniquement d’un « boulevard » vers des populations qui n’ont jamais été assurées. Ainsi que le constate l’étude Finactu, le captage de cette clientèle jusqu’alors exclue du système classique « est de nature à favoriser l’inclusion financière dans la Zone franc et ainsi faire évoluer les habitudes et comportements des clients et faire émerger une classe moyenne qui a de l’appétit pour les produits assurantiels ».
Pour la banque
Pour sa part, la Banque se procure des revenus supplémentaires, les commissions versées par les assureurs constituant des fonds pour les alimenter. Au départ, lorsque le banquier octroie des crédits, il exige souvent de ses clients la souscription d’une police d’assurance garantissant le remboursement des prêts. Il était donc d’usage de recourir aux services d’un intermédiaire d’Assurance. Conscientes des avantages relatifs aux commissions perçues par ces intermédiaires, certaines banques ont décidé de se passer de leurs services et de gérer elles-mêmes ces contrats afin d’encaisser les commissions substantielles y afférentes.
Pour l’assuré
Quant au consommateur, en plus de se procurer des produits simples avec un paiement des primes « adaptés » à ses besoins, il y a accès plus facilement avec possibilité d’acheter de multiples produits d’assurance auprès du même fournisseur.
Les acteurs se lâchent et donnent des pistes
Si les acteurs reconnaissent à la Commission bancaire son rôle de protecteur des usagers de banques, ils expriment cependant leur désaccord, arguant que le rappel à l’ordre de la commission représente un « frein » à la dynamique d’opportunités communes et de développement de l’activité.
Abdou Cissé, PDG de Cisco Consulting, lui, n’y va pas par quatre chemins : « Les craintes du régulateur face à d’éventuels risques sont fictives et cette mesure peut être perçue comme restrictive voire contreproductive », martèle-t-il en suggérant plutôt « la fusion des deux régulateurs même s’ils travaillent sur deux régimes juridiques distincts. L’idée est de donner à chaque partie les compétences de l’autre. » Pour M. Cissé, « On ne peut plus séparer les deux activités de banque et d’assurance », conclut-il .
Un point de vue partagé par Chimère Ndiaye, Consultant, Cadre des assurances, spécialiste en stratégie et développement d’affaires, qui lui estime que « la bancassurance est un moyen de collecte sûr. Économiquement, si l’assurance se bancarise c’est tant mieux », déclare-t-il, avant de poursuivre « il ne faut pas remettre en cause ces canaux de distribution notamment avec la percée du digital, qui permettent à deux secteurs névralgiques de se développer, or, la fintech est tout de même moins fiable que la banque pure », ajoute M. Ndiaye.
Il est vrai qu’un retour en arrière n’est plus possible, tant l’activité de bancassurance a trouvé ses marques dans le secteur financier. Mieux, la bancassurance est devenue le premier canal de distribution des risques du particulier. A moins, comme le suggère Abdou Cissé, de « Travailler vers la couverture des activités économiques par des assurances obligatoires ». En guise d’exemple, il donne le cas des banques qui sont obligées d’avoir des sûretés réelles sous réserve de provisionner leurs engagements sur les crédits qu’elles octroient.
Dans le même ordre d‘ idée et dans la dynamique de décloisonnement des métiers d’assurance et de finance, le Pdg de Cisco suggère la « mutualisation » du risque de défaut pour entreprises et particuliers, face à la « frilosité » des banques (exigence de garanties). A ce sujet, il semble que la demande de services de bancassurance émanant des PME est en hausse sur les marchés africains, car les entreprises recherchent des solutions pour se prémunir contre des évènements similaires à la pandémie de COVID 19 à l’avenir.
Une histoire de commissions
La bancassurance n’est tout de même pas un long fleuve tranquille. Les acteurs expriment leurs préoccupations et dénoncent le fait que, malgré la rémunération sur la commercialisation des produits, qualifiée au plan commercial de commission (intermédiaire), les banques sont également bénéficiaires des contrats d’assurances.
Pour rappel, la rémunération en question se fait sous forme de commissions comprises entre 3 et 5% des primes nettes de frais de gestion pour la Vie ; entre 18 et 25% des primes nettes de frais de gestion pour l’IARD. Concernant ces dernières, il semble que c’est le courtage qui a mis du « sable » dans les rouages, en exigeant ce niveau de commission, qui est de nature à grever les capacités de l’assureur à honorer ses engagements envers les assurés. « Avec ces niveaux de commissions, assureurs et courtiers se partageaient 40% de la prime et les 60% restants étaient insuffisants pour payer les dommages. », renseigne Abdou Cissé. Le régulateur a dû taper sur la table pour ramener la commission à un maximum de 10% pour l’IARD.
Somme toute, la fameuse commission qui est supportée par les compagnies d’assurances Vie, impacte leur marge et in fine, leur rentabilité à travers le renchérissement des coûts de distribution des produits d’assurances VIE sur le réseau bancaire.
Lejecos Magazine
Dynamisme ? C’est plutôt relatif, même si au Sénégal, on peut dénombrer sept compagnies d’Assurance qui comptent des établissements financiers parmi leurs actionnaires. En revanche, quatre banques ont été identifiées comme détentrices d’une participation dans une compagnie d’Assurance Vie. La zone est marquée aujourd’hui par des groupes comme Sunu-Bicis, Nsia dans l’Assurbanque et Attijariwafa Bank dans la Bancassurance.
Ces partenariats se sont d’autant plus emballés que, des produits d’assurance liés aux opérations de banque conclues aux guichets de celles-ci, on est passé à des prestations offertes par les institutions bancaires et qui n’ont pas de relations avec le service accordé.
C’est le cas pour les risques de masse tels que les assurances-auto ; multirisques habitation ; assurances voyage et individuelles diverses, entre autres, au niveau des banques. La banque est ainsi devenue une sorte de supermarché « one stop shop », où le client peut trouver chaussure à son pied financier ou assuranciel.
Au croisement de la réglementation des deux secteurs de la banque et des assurances, les frontières sont devenues théoriques. Raison pour laquelle le régulateur, la Commission Bancaire de l’Union Monétaire Ouest Africaine (UMOA), a jugé nécessaire de faire un rappel.
En date du 23 octobre 2023, elle a rappelé aux établissements de crédit, le cadre réglementaire relatif à la commercialisation des produits et services d’assurances à leurs guichets. A travers une circulaire adressée aux Directeurs généraux des établissements de crédit de l’UMOA, la commission précise que « les banques ne devront commercialiser que des produits d’assurance liés aux opérations de banque ». En outre, le texte ajoute que ladite commercialisation « se fait sur la base d’un contrat de partenariat conclu à cet effet avec une société d’assurance ».
La Commission bancaire de l’UMOA rappelle également l’obligation de la détention de la carte professionnelle pour les agents commis à la commercialisation. À cet égard, les établissements de crédit sont invités au strict respect des dispositions légales et réglementaires susvisées, « sous peine de sanctions prévues par la réglementation bancaire ».
Seulement sur le terrain, les acteurs apprécient diversement ces mesures. Certains d’entre eux estiment que la bancassurance est devenue au fur et à mesure, un actif stratégique du secteur bancaire. D’autres évoquent clairement une tentative de « freiner » le développement des assurances qui, au demeurant, risque de s’emballer.
Bâle, le catalyseur
La convergence de leurs activités a permis aux banquiers et aux assureurs de travailler à moindres coûts et d’accéder à de nouveaux marchés. Née dans les années 1970, la bancassurance s'est propagée dans les années 1980 et 1990 à travers toute l'Europe et le reste du monde. Si elle connait aujourd’hui une évolution rapide, la Bancassurance a été à l’initiative des banques, confrontées à une pression des compagnies d’assurance.
Au Sénégal et dans l’espace UEMOA, on enregistre une certaine dynamique de la bancassurance encouragée au Sénégal par un faible taux de pénétration de l’assurance qui ne dépasse guère 1,49% (2022) sur une population de 18 millions d’habitants, tandis qu’il est de 1% dans la zone CIMA contre une moyenne mondiale de près de 7,4%. Dans un contexte sénégalais caractérisé par une « acculturation assurancielle », il n’est pas étonnant que l’industrie des assurances s’appuie sur la béquille bancaire qui dispose d’un accès privilégié à une clientèle active et représente un formidable canal de transmission.
En réalité, Bâle 3 a été ainsi un catalyseur de la bancassurance, notamment dans les zones CIMA et UEMOA. En réaction à chaque crise financière internationale, la norme Bâle émise par le Comité éponyme et qui en est à sa troisième déclinaison (Bâle 3), est un ensemble de contraintes de solvabilité quantitatives (fonds propres) et qualitatives (procédures) pour les banques.
Après Bâle I (1988) puis Bâle II (2004), les accords de Bâle III (2010) visaient à apporter une réponse à la faillite de Lehman Brothers consécutive à la crise financière de 2008. Les trois normes ont été progressivement transposés dans les réglementations nationales ou régionales : la BCEAO a notamment organisé leur transposition dans l’espace UEMOA. Mais c’est véritablement Bâle III qui a imposé une révolution stratégique de l’activité bancaire en touchant (positivement pour l’essentiel), par certains aspects, le secteur connexe des assurances.
Celui-ci a été boosté par la bancassurance grâce à l’implication plus forte des banques, poussées à développer leurs activités « non-consommatrices de fonds propres », c’est-à-dire qui ne sont pas concernées par le ratio de solvabilité. Percevoir des commissions liées à la distribution de produits d’assurance n’a aucune incidence sur l’exigence de fonds propres. Cette large convergence des deux activités permettra aux banquiers, ainsi qu’aux assureurs de pénétrer chacun de nouveaux marchés, de travailler à moindre coût et d’améliorer significativement leurs rentabilités.
En employant et en incitant le réseau actuel des banques de la Zone (près de 3.000 agences, bureaux, points de vente) à distribuer les produits d’assurances de façon plus énergique, Bâle a donné une nouvelle dimension d’envergure à la commercialisation d’assurances auprès des populations.
Si pour les banques, ajouter une activité d’assurance repose sur la nécessité de constituer des économies d’échelle, rationaliser les coûts et générer des revenus non-consommateurs de fonds propres, pour les compagnies d’assurance, la bancassurance constitue une opportunité de développement et de réduction des coûts de distribution.
A travers une étude sur la question, le groupe de conseil Finactu, leader du conseil aux compagnies d'assurance en Afrique, a tenté de démontrer que l’impact des commissions générées pour les banques par la bancassurance est non négligeable. Ladite étude estime que, si avant l’entrée de Bâle III une banque dégageait un ROE (Return on Equity) de 15%, après durcissement, toutes choses étant égales par ailleurs, son ROE chuterait mécaniquement à 10,5%. Dans ce scénario, une hausse du résultat net de +5% généré par la mise en place de la bancassurance – sans mobilisation de fonds propres additionnels – permettrait un gain de ROE de 0,5 point (11% vs 10,5%) et donc de compenser plus de 10% de la perte de rentabilité découlant de la mise en place de Bâle III.
L’assureur, la banque, l’assuré
A défaut de disposer de statistiques officielles récentes mesurant la part de la production générée par la Bancassurance, on peut au moins noter que le « Décès emprunteur » vendu à travers les guichets des banques correspond à la garantie « Décès collectif » apparaissant dans les états C1 des compagnies d’Assurance. Il ressort de ceux-ci un taux de contribution de 32%, soit 10,8 milliards FCFA en valeur absolue, à l’actif de la Bancassurance, au titre de la commercialisation du produit « Décès emprunteur » dans la formation du chiffre d’affaires des sociétés Vie, en 2015 (cf. rapport d’activité de la Direction des Assurances sur l’exercice 2015).
Parmi les Banques implantées au Sénégal, sept compagnies d’Assurance comptent parmi leurs actionnaires, des établissements financiers. Par ailleurs, quatre banques ont été identifiées comme détentrices d’une participation dans une compagnie d’Assurance Vie. Chacun des acteurs de la bancassurance semble tirer son épingle du jeu.
Pour l’assureur
En se lançant dans la course aux fonds propres, les banques de la Zone franc ont ouvert de nombreuses opportunités aux assureurs, qui peuvent ainsi les saisir dans le cadre de leur gestion d’actifs, qui constitue un élément clé de la rentabilité des activités d’assurance, notamment :
- Opportunités d’investissements stratégiques : la bancassurance prend systématiquement appui sur des liens capitalistiques forts entre la banque et l’assurance, qui garantissent une exploitation optimale du réseau bancaire pour la commercialisation des produits d’assurance. Dès lors, les assureurs peuvent participer à la reconfiguration de la structure capitalistique des banques.
- Opportunités d’investissements financiers : dans la Zone FANAF, en 2016, des placements effectués par les membres, pour l’année, concernaient en majorité des dépôts bancaires (35%), immeubles (16%), obligations (23%), actions (18%) et autres placements (8%). Compte tenu de leur horizon d’investissement de 4 à 12 ans, et considérant la rareté des maturités supérieures à 7 ans, investir dans le capital des banques de la Zone franc représente une alternative crédible pour les compagnies d’assurance. Celles-ci bénéficient ainsi mécaniquement d’un « boulevard » vers des populations qui n’ont jamais été assurées. Ainsi que le constate l’étude Finactu, le captage de cette clientèle jusqu’alors exclue du système classique « est de nature à favoriser l’inclusion financière dans la Zone franc et ainsi faire évoluer les habitudes et comportements des clients et faire émerger une classe moyenne qui a de l’appétit pour les produits assurantiels ».
Pour la banque
Pour sa part, la Banque se procure des revenus supplémentaires, les commissions versées par les assureurs constituant des fonds pour les alimenter. Au départ, lorsque le banquier octroie des crédits, il exige souvent de ses clients la souscription d’une police d’assurance garantissant le remboursement des prêts. Il était donc d’usage de recourir aux services d’un intermédiaire d’Assurance. Conscientes des avantages relatifs aux commissions perçues par ces intermédiaires, certaines banques ont décidé de se passer de leurs services et de gérer elles-mêmes ces contrats afin d’encaisser les commissions substantielles y afférentes.
Pour l’assuré
Quant au consommateur, en plus de se procurer des produits simples avec un paiement des primes « adaptés » à ses besoins, il y a accès plus facilement avec possibilité d’acheter de multiples produits d’assurance auprès du même fournisseur.
Les acteurs se lâchent et donnent des pistes
Si les acteurs reconnaissent à la Commission bancaire son rôle de protecteur des usagers de banques, ils expriment cependant leur désaccord, arguant que le rappel à l’ordre de la commission représente un « frein » à la dynamique d’opportunités communes et de développement de l’activité.
Abdou Cissé, PDG de Cisco Consulting, lui, n’y va pas par quatre chemins : « Les craintes du régulateur face à d’éventuels risques sont fictives et cette mesure peut être perçue comme restrictive voire contreproductive », martèle-t-il en suggérant plutôt « la fusion des deux régulateurs même s’ils travaillent sur deux régimes juridiques distincts. L’idée est de donner à chaque partie les compétences de l’autre. » Pour M. Cissé, « On ne peut plus séparer les deux activités de banque et d’assurance », conclut-il .
Un point de vue partagé par Chimère Ndiaye, Consultant, Cadre des assurances, spécialiste en stratégie et développement d’affaires, qui lui estime que « la bancassurance est un moyen de collecte sûr. Économiquement, si l’assurance se bancarise c’est tant mieux », déclare-t-il, avant de poursuivre « il ne faut pas remettre en cause ces canaux de distribution notamment avec la percée du digital, qui permettent à deux secteurs névralgiques de se développer, or, la fintech est tout de même moins fiable que la banque pure », ajoute M. Ndiaye.
Il est vrai qu’un retour en arrière n’est plus possible, tant l’activité de bancassurance a trouvé ses marques dans le secteur financier. Mieux, la bancassurance est devenue le premier canal de distribution des risques du particulier. A moins, comme le suggère Abdou Cissé, de « Travailler vers la couverture des activités économiques par des assurances obligatoires ». En guise d’exemple, il donne le cas des banques qui sont obligées d’avoir des sûretés réelles sous réserve de provisionner leurs engagements sur les crédits qu’elles octroient.
Dans le même ordre d‘ idée et dans la dynamique de décloisonnement des métiers d’assurance et de finance, le Pdg de Cisco suggère la « mutualisation » du risque de défaut pour entreprises et particuliers, face à la « frilosité » des banques (exigence de garanties). A ce sujet, il semble que la demande de services de bancassurance émanant des PME est en hausse sur les marchés africains, car les entreprises recherchent des solutions pour se prémunir contre des évènements similaires à la pandémie de COVID 19 à l’avenir.
Une histoire de commissions
La bancassurance n’est tout de même pas un long fleuve tranquille. Les acteurs expriment leurs préoccupations et dénoncent le fait que, malgré la rémunération sur la commercialisation des produits, qualifiée au plan commercial de commission (intermédiaire), les banques sont également bénéficiaires des contrats d’assurances.
Pour rappel, la rémunération en question se fait sous forme de commissions comprises entre 3 et 5% des primes nettes de frais de gestion pour la Vie ; entre 18 et 25% des primes nettes de frais de gestion pour l’IARD. Concernant ces dernières, il semble que c’est le courtage qui a mis du « sable » dans les rouages, en exigeant ce niveau de commission, qui est de nature à grever les capacités de l’assureur à honorer ses engagements envers les assurés. « Avec ces niveaux de commissions, assureurs et courtiers se partageaient 40% de la prime et les 60% restants étaient insuffisants pour payer les dommages. », renseigne Abdou Cissé. Le régulateur a dû taper sur la table pour ramener la commission à un maximum de 10% pour l’IARD.
Somme toute, la fameuse commission qui est supportée par les compagnies d’assurances Vie, impacte leur marge et in fine, leur rentabilité à travers le renchérissement des coûts de distribution des produits d’assurances VIE sur le réseau bancaire.
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