De la porte Sud-Est du centre ville de Kolda, aux limites de la communauté rurale, en passant par la zone industrielle, les terres du domaine national font l'objet de bradage, d'accaparement et de juxtaposition maladroite de la coutume sur le droit positif sénégalais. Les jeunes et les femmes peinent à accéder aux périmètres de culture. Sud Quotidien, en partenariat avec l'Institut Panos, vous fait voyager dans cet univers où les prédateurs dictent leur loi, plombant les projets d'investissement agro-sylvo-pastoraux en imposant une pauvreté à grande échelle.
DIOULACOLON, UNE COMMUNAUTE RURALE GATEE PAR LA NATURE La communauté rurale de Dioulacolon, récemment devenue commune intégrale, s’étend sur une superficie de 179,57Km?. Elle compte 56 villages dont quelques hameaux rattachés pour une population estimée à 16.322 habitants en 2009 avec une croissance annuelle de 2,22% entre 2008 et l’année d’après.
Une récente analyse de la structure de la population faite par une organisation d’appui à l’assainissement dénommée PEPAM, laisse apparaître une légère prédominance des femmes, soit 51,15% contre 48,85% pour les hommes. Et globalement, la population est marquée par la prédominance des jeunes qui représentent 56,8% selon la même source.
Dioulacolon fait partie de l’arrondissement du même nom, du département et de la région de Kolda.
Ici, la principale activité des populations demeure l’agriculture avec près de 90% de la couche active. L’immensité des terres de culture, les cours d’eau et les vallées inondables et le voisinage avec le centre ville de Kolda ouvrent des perspectives souriantes à ce secteur agricole.
Toutefois, l’indisponibilité à temps et en quantité suffisante des semences et des engrais, ainsi que la vétusté des équipements manuels associée à la variation en baisse des saisons pluvieuses, constituent des contraintes majeures à l’épanouissement de l’agriculture.
Aussi, et dans un tout autre secteur, la disponibilité des espaces verts encourage la pratique de l’élevage en ce milieu d’ethnie peulh traditionnellement élite en bergerie nomade.
LES JEUNES DENONCENT LES MODES D'ATTRIBUTION ET ENGAGENT LA REFLEXION
Les jeunesses de la collectivité locale de Dioulacolon sont presque unanimes à dénoncer, avec fermeté, les modes d'attribution des terres au sein de leur terroir, soit de façon individuelle ou au nom des mouvements qui les fédèrent autour des activités sportives et culturelles hivernales.
Mamadou Samba Baldé, le président de l'association sportive et culturelle (ASC) de Dioulacolon n'a pas fait dans la dentelle pour clouer au pilori les tenants du pouvoir local de la dernière décennie. «Je suis président de l'ASC de Dioulacolon depuis dix ans, mais, jamais nous n'avons bénéficié du soutien des autorités locales. Pas d'attribution de fonds de dotation et encore moins de mise à disposition de créneaux porteurs de revenus nous permettant de trimer pour gagner à la sueur de nos fronts, car tout le monde n'a pas accès à un emploi salarial», se désole-t-il.
Et de poursuivre sur les peines éprouvées à accéder à la terre : «A plusieurs reprises, nous jeunes, avons formulé des demandes d'affectation de terres aux fins d'une exploitation agricole mais jamais nous n'avons reçu une suite du président du Conseil rural. Certes, nous pouvons nous lancer de façon informelle dans l'agriculture mais comme notre objectif est de solliciter des subventions auprès d'organismes d'appui, ils n'accéderont pas à notre requête sans un document administratif d'affectation légale ; par conséquent, nous ne faisons que dans les sports».
Comme pour attester les observations de son homonyme et homologue président d'ASC, Mamadou Baldé qui dirige les mouvements de jeunesse de Saré Oumar, situé à 4 kilomètres de Dioulacolon, confie : de «2012 et 2013, j'ai personnellement formulé deux demandes qui sont restées lettres mortes. Des terres sont également détenues par des anciens du village au nom du droit coutumier qui les gardent jalousement». Ce jeune leader de Saré Ouamar ajoute que « les organisations de la bonne gouvernance doivent aider les jeunes à la formation et à la sensibilisation sur les droits à disposer des terres».
Plus amer que ses précédents collègues, Amadou Baldé, président de l'Union des jeunes de la communauté rurale de Dioulacolon pour le développement des activités génératrices de revenus, des sports et de la culture, par ailleurs, président du club communautaire de football de la localité relève que «notre structure a demandé 2 hectares de terres en 2012 mais comme une grenouille plongée dans un puits, elle n'est plus revenue. L'affaire est restée sans suite, alors que nous sommes la couche la plus active de la population. Nous sommes d'avis que c'est notre droit qui est torpillé et nous sommes engagés à le défendre. Raison pour laquelle nous interpelons l'Etat à sensibiliser les élus locaux à accéder à la demande des jeunes avides de s'investir dans le développement».
D'autres jeunes rencontrés dans les rues de Dioulacolon parlent d'un «mépris injustifié». Peut être que les élus ont peur de l'émergence éventuelle de jeunes talents susceptibles de les inhiber, se sont-ils demandé.
CONFLIT ENTRE DROIT COUTUMIER ET DROIT MODERNE Aussi bien à Dioulacolon que partout dans les régions de Kolda, Sédhiou et Ziguinchor ainsi que beaucoup d'autres contrées du Sénégal, la juxtaposition du droit coutumier au droit moderne est à l'origine d'une grande confusion.
Dans cette partie du «Fouladou», les principes de l'héritage éludent les femmes au motif qu' «elles sont appelées à se marier le plus souvent hors de leur lieu de naissance et une parcelle de terre qui leur est rétribuée, est sujette à discorde acerbe», fait-on comprendre en milieu rural.
Ce que réfute le droit moderne à la lecture des textes en vigueur. Aussi, traditionnellement, l'exercice de délimitation n'est-il pas périlleux et n'est-il pas source de conflit du fait d'un «bornage» évasif et matérialisé par des arbres ou rochers assez fugaces, proposés à la disparition devant l'usure du temps et à la tyrannie des intempéries. Cette confusion est également perceptible lors du décès du chef de carré, polygame et muet de son vivant, sur la clé de répartition de ses biens, notamment la propriété domaniale qu'il a, à son tour héritée de son père presque dans les mêmes conditions.
LES FEMMES AUX AVANT-POSTES DU COMBAT
Sans pour autant qu’elles ne soient prévenues de notre mission d’investigation sur place, les femmes de Dioulacolon regroupées au sein du groupement «Himmé» en langue nationale Pulaar «Les Braves», ont tenu, le jeudi 10 juillet 2014, une assemblée générale d’information sur le foncier et sur laquelle nous sommes tombés.
L’objectif pour ces femmes était de mieux s’organiser pour réclamer leur droit d’accès à la terre. La présidente de ce groupement de promotion féminine, Aïssatou d’indiquer : «l’organisation est forte de 70 membres, toutes des femmes engagées mais nous faisons face à une fin de non recevoir des hommes en général et le pouvoir local en particulier, à nous octroyer des terres». N’gundo Sabaly la secrétaire générale du bureau, ainsi que Mariama Bobo Baldé, ont attesté de cette forme d’injustice sociale érigée en règle à l’origine hélas de conséquences multiples dont la paupérisation au féminin.. Au nom du DIRFEL (Directoire régional des femmes éleveuses de Kolda), Halimatou Baldé recommande l’encadrement et le suivi de proximité de l’Etat pour redonner à la femme du «Fouladou» la place qui est la sienne. Et de renchérir sur le manque à gagner économique, «l’inaccessibilité aux titres de propriété de terre qui limite nos prétentions à disposer des financements pour promouvoir l’agriculture et l’élevage qui nous occupent dans la zone”. Il poursuit en indiquant que : “Des organismes telle que la fondation New Fields Foundation sont entrain de nous accompagner mais sans acte de délibération, nous affectant des parcelles à usage d’exploitation agricole et d’élevage. Il est quasi impossible de convaincre des bailleurs de nous financer».
«LES FEMMES N’HERITENT PAS LA TERRE DE LEURS ANCETRES»
«De tout temps, on fait prévaloir la croyance selon laquelle nous, femmes, n’avons pas droit à disposer des terres et cela apparait clairement lors des rencontres d’héritage qui ne prévoient aucune parcelle pour la femme plutôt appelée à se marier ailleurs. Cet argument est fallacieux d’autant que le développement ne peut se faire sans la participation active des femmes. Pour qui connait les femmes de la Casamance et le poids de leur revenu agricole, je suis d’avis que la valorisation de leur savoir faire va booster l’émergence économique d’une localité», a encore fait observer Aïssatou M’ballo, laprésidente de «Himmé».
Prenant de plus en plus conscience de leurs droits à disposer des terres au même titre que les hommes tel que stipulé par les dispositions réglementaires de la loi N°64-46 du 17 juin 1964 sur la base de l’équité récemment appuyée par les textes fondamentaux (la constitution sénégalaise) par l’application de la parité entre hommes et femmes, le 13 novembre 2007, à l’occasion du vote, à l’assemblée nationale, de la loi constitutionnelle N° 40/2007, modifiant les articles 7, 63, 68, 71 et 82 de la Constitution, avant de le voter (sur la base de l’article 7 modifié). Le document final rappelle le préambule de la constitution en ces termes : « Le préambule de la Constitution du Sénégal consacre le droit à l’égal accès de tous les citoyens, sans discrimination à l’exercice du pouvoir à tous les niveaux. Il consacre également l’attachement du Sénégal aux principes proclamés dans la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes du 8 décembre 1979».
LE CHEMIN DE L'AVENTURE : L'EXODE RURAL ET LA MIGRATION
Ils sont à ce jour nombreux, les jeunes de Dioulacolon, filles comme garçons, à prendre le chemin de l’aventure à la recherche du mieux-être. «Faute d’avoir accès à la terre à titre individuel ou collectif pour formuler des requêtes de projet à vocation agricole, certains jeunes ont préféré aller à l’aventure. C’est ainsi que d’autres ont embarqué à bord de pirogues de fortune pour l’Espagne ou l’Italie», a déclaré Mamadou Baldé, le président de l’association des jeunes de Saré Oumar.
Le regard empreint d’émotion, il ajoute : «mon propre frère Ibrahima Baldé est miraculeusement entré en Espagne en juin 2014. Il aide un campagnard espagnol dans la récolte des vignes alors qu’il avait demandé à disposer des périmètres, ici, en vain. Des organismes d’appui sont là, mais, l’obtention du titre de propriété sur la parcelle est obligatoire», lâche ce leader du mouvement de jeunesse.
Comme pour attester de la véracité de ce triste constat, Amadou Baldé, le président de l’union des jeunes de Dioulacolon pour le développement et du club communautaire de football, souligne à son tour avoir perdu un frère sur le chemin de la Libye alors qu’il tentait de se libérer des entrailles de l’oisiveté en partage à Dioulacolon.
Si ailleurs les groupements de femmes ont bénéficié de subvention pour travailler la terre, ceux de Dioulacolon meurent d’envie. «Notre groupement Himmé de Dioulacolon a adressé deux demandes formelles en mars 2013 et en février 2014 au conseil rural de Dioulacolon mais, qui sont, hélas, restées sans suite. Nous sommes ici sans vraiment d’arguments administratifs à travers un acte de délibération portant sur une parcelle pour aller vers les bailleurs afin d’obtenir des subventions”. Même son de cloche du côté de DIRFEL appuyé par New Found Foundation (NFF). «Certes, nous avons le soutien de NFF dans la production de lait et autres mais, il nous faut des terres disponibles pour étendre notre champ d’activités pastorales afin de générer des revenus substantiels et assurer de fait notre autonomie financière», a dit Halimatou Baldé, la représentante de DIRFEL.
Par ailleurs et dans ce même registre, certaines jeunes filles et des dames à revenu trop faible, des veuves, des épouses d’expatriés à longue durée de séjour, optent pour domisticité dans les grandes capitales régionales, à Dakar notamment. Et là, les risques sont incommensurables : harcèlements, viols, grossesses non désirées, maladies.
En revanche, les petites économies permettent de subvenir aux besoins de la famille de départ.
BRADAGE ET SURENCHERE DES ZONES PERI-URBAINES : KOLDA ET DIOULACOLON TOUJOURS EN GUERRE
Les limites territoriales entre Dioulacolon et la ville de Kolda sont très mal connues ou pas assez définies. Du quartier Saré Moussa de Kolda à l'entrée de Dioulacolon, le long de la route nationale N°6 qui mène à Vélingara, les infrastructures à enjeux de taille qui poussent comme des champignons, suscitent un conflit ouvert entre ces deux collectivités. L'usine de traitement de coton (la SODEFITEX), la centrale électrique et le centre de recherche zootechnique (CRZ) entre autres infrastructures socio-économiques ont fini de transformer la zone en un domaine industriel polyvalent.
Le conseil régional, le nouveau lycée polytechnique, le centre hospitalier régional, la direction du PADEC, le centre de ressources multimédias entre autres établissements sont également implantés dans les quartiers périphériques comme Usine Coton. Il s'y ajoute des particuliers qui construisent, comme s'ils s'adonnaient à une compétition au bout de laquelle se trouverait une prime pour la plus belle bâtisse.
Depuis plus de deux décennies, renseigne-t-on, des particuliers ont obtenu des titres d'affectation sur des parcelles, à vils prix, pour les revendre chers à la faveur de la poussée démographique et de l'industrialisation en puissance. Le sous préfet de Dioulacolon, Ibrahima Gano, déclare que «la délimitation entre Kolda et Dioulacolon reste toujours floue et aucun acte administratif ne vient l'élucider. L'ancien président du conseil rural Mamadou Kandé, décédé en 2013, avait procédé à des lotissements de 1.400 hectares de parcelles sans documents de base légale. L'autorité administrative d'alors avait rejeté le dossier et s'en est suivi une contestation générale».
Samba Gano, le dernier président du conseil rural de Dioulacolon, avant la réforme instituant la communalisation intégrale ajoute que «ceux qui m'ont précédé ont bradé les terres jusqu'à la porte de Kolda. Nous avons hérité des dossiers explosifs tellement c'est confus».
En 2005 une opération de lotissement avait déclenché un litige foncier entre l'ancien maire libéral de Kolda, Bécaye Diop et l'ex-président du conseil rural de Dioulacolon, Mamadou Kandé. Ce dernier était même embastillé pour quelques jours à la maison d'arrêt et de correction de Kolda pour son implication présumée dans une nébuleuse transaction de parcelles.
Six ans plus tard et en avril 2011 exactement, la tension augmente de plusieurs crans à Kolda où des terres du Centre de recherches zootechniques (CRZ) étaient morcelées et «vendues» par des spéculateurs à des populations qui y tenaient comme à la prunelle de leurs yeux. L'enseignant du nom de Mballo était ciblé comme principal acteur puis déféré au parquet de Kolda.
ADMINISTRATIFS, ELUS ET TECHNICIENS ATTESTENT LE FLOU JURIDIQUE
L'ancien président du conseil rural de Dioulacolon, Abdou Samba Gano, confirme la véracité d'une nébuleuse autour de la gestion des terres depuis des décennies. «Mes prédécesseurs ont bradé les terres depuis le quartier Saré Moussa de Kolda jusqu'à Dioulacolon. La zone industrielle est charcutée comme du petit pain. Durant notre exercice, nous avons tenté de résoudre ce problème, en vain».
Et Samba Gano de répondre ensuite aux jeunes et aux femmes en ces termes: «aucune demande formelle d'un groupement des jeunes ne nous est parvenue dans la perspective d'une mise en valeur collective. Cependant et à l'issue des lotissements dans les 56 villages, nous avons octroyé 80 parcelles à des jeunes". Ce que confirme son assistant communautaire, Arona Sarr. S'agissant des femmes, seul le groupement «Sibérékoyo» nous a adressé une demande de 2 hectares.
Pour sa part, Mamadou Lamine Diallo, le chef du centre régional des services fiscaux (impôts et domaines) de Sédhiou et de Kolda indique que «les terres du domaine national sont des terres non immatriculées sans valeur juridique ni force probante et qui relèvent de la gestion des collectivités locales conformément aux compétences qui leur sont transférées. La mise en valeur de ces terres impacte sur les ressources de l'Etat en vue d'un développement multisectoriel».
Et de faire observer que la collectivité locale peut désaffecter en faveur des citoyens plus engagés à les valoriser suivant les exigences de la loi sur le domaine national.
Le sous préfet de l'arrondissement de Dioulacolon, Ibrahima Gano, ancien chef de la brigade des eaux et forêts, cumulativement chef du centre d'expansion rurale (CER) de Dioulacolon entre 1984 et 1989, souligne avec force l'existence d'un bradage et un accaparement des terres dans les zones péri urbaines. «La ville de Kolda empiète sur la collectivité locale de Dioulacolon. D'ailleurs, le quartier Saré Moussa de Kolda est créé par Moussa Camara après son séjour à Tamiguèle. La délimitation avec Kolda reste floue car il n'existe aucun arrêté administratif qui délimite ces deux collectivités locales voisines. Ce flou est à l'origine de beaucoup de problème à rebondissement politico-juridiques», a déclaré le sous préfet Ibrahima Gano.
http://www.sudonline.sn
DIOULACOLON, UNE COMMUNAUTE RURALE GATEE PAR LA NATURE La communauté rurale de Dioulacolon, récemment devenue commune intégrale, s’étend sur une superficie de 179,57Km?. Elle compte 56 villages dont quelques hameaux rattachés pour une population estimée à 16.322 habitants en 2009 avec une croissance annuelle de 2,22% entre 2008 et l’année d’après.
Une récente analyse de la structure de la population faite par une organisation d’appui à l’assainissement dénommée PEPAM, laisse apparaître une légère prédominance des femmes, soit 51,15% contre 48,85% pour les hommes. Et globalement, la population est marquée par la prédominance des jeunes qui représentent 56,8% selon la même source.
Dioulacolon fait partie de l’arrondissement du même nom, du département et de la région de Kolda.
Ici, la principale activité des populations demeure l’agriculture avec près de 90% de la couche active. L’immensité des terres de culture, les cours d’eau et les vallées inondables et le voisinage avec le centre ville de Kolda ouvrent des perspectives souriantes à ce secteur agricole.
Toutefois, l’indisponibilité à temps et en quantité suffisante des semences et des engrais, ainsi que la vétusté des équipements manuels associée à la variation en baisse des saisons pluvieuses, constituent des contraintes majeures à l’épanouissement de l’agriculture.
Aussi, et dans un tout autre secteur, la disponibilité des espaces verts encourage la pratique de l’élevage en ce milieu d’ethnie peulh traditionnellement élite en bergerie nomade.
LES JEUNES DENONCENT LES MODES D'ATTRIBUTION ET ENGAGENT LA REFLEXION
Les jeunesses de la collectivité locale de Dioulacolon sont presque unanimes à dénoncer, avec fermeté, les modes d'attribution des terres au sein de leur terroir, soit de façon individuelle ou au nom des mouvements qui les fédèrent autour des activités sportives et culturelles hivernales.
Mamadou Samba Baldé, le président de l'association sportive et culturelle (ASC) de Dioulacolon n'a pas fait dans la dentelle pour clouer au pilori les tenants du pouvoir local de la dernière décennie. «Je suis président de l'ASC de Dioulacolon depuis dix ans, mais, jamais nous n'avons bénéficié du soutien des autorités locales. Pas d'attribution de fonds de dotation et encore moins de mise à disposition de créneaux porteurs de revenus nous permettant de trimer pour gagner à la sueur de nos fronts, car tout le monde n'a pas accès à un emploi salarial», se désole-t-il.
Et de poursuivre sur les peines éprouvées à accéder à la terre : «A plusieurs reprises, nous jeunes, avons formulé des demandes d'affectation de terres aux fins d'une exploitation agricole mais jamais nous n'avons reçu une suite du président du Conseil rural. Certes, nous pouvons nous lancer de façon informelle dans l'agriculture mais comme notre objectif est de solliciter des subventions auprès d'organismes d'appui, ils n'accéderont pas à notre requête sans un document administratif d'affectation légale ; par conséquent, nous ne faisons que dans les sports».
Comme pour attester les observations de son homonyme et homologue président d'ASC, Mamadou Baldé qui dirige les mouvements de jeunesse de Saré Oumar, situé à 4 kilomètres de Dioulacolon, confie : de «2012 et 2013, j'ai personnellement formulé deux demandes qui sont restées lettres mortes. Des terres sont également détenues par des anciens du village au nom du droit coutumier qui les gardent jalousement». Ce jeune leader de Saré Ouamar ajoute que « les organisations de la bonne gouvernance doivent aider les jeunes à la formation et à la sensibilisation sur les droits à disposer des terres».
Plus amer que ses précédents collègues, Amadou Baldé, président de l'Union des jeunes de la communauté rurale de Dioulacolon pour le développement des activités génératrices de revenus, des sports et de la culture, par ailleurs, président du club communautaire de football de la localité relève que «notre structure a demandé 2 hectares de terres en 2012 mais comme une grenouille plongée dans un puits, elle n'est plus revenue. L'affaire est restée sans suite, alors que nous sommes la couche la plus active de la population. Nous sommes d'avis que c'est notre droit qui est torpillé et nous sommes engagés à le défendre. Raison pour laquelle nous interpelons l'Etat à sensibiliser les élus locaux à accéder à la demande des jeunes avides de s'investir dans le développement».
D'autres jeunes rencontrés dans les rues de Dioulacolon parlent d'un «mépris injustifié». Peut être que les élus ont peur de l'émergence éventuelle de jeunes talents susceptibles de les inhiber, se sont-ils demandé.
CONFLIT ENTRE DROIT COUTUMIER ET DROIT MODERNE Aussi bien à Dioulacolon que partout dans les régions de Kolda, Sédhiou et Ziguinchor ainsi que beaucoup d'autres contrées du Sénégal, la juxtaposition du droit coutumier au droit moderne est à l'origine d'une grande confusion.
Dans cette partie du «Fouladou», les principes de l'héritage éludent les femmes au motif qu' «elles sont appelées à se marier le plus souvent hors de leur lieu de naissance et une parcelle de terre qui leur est rétribuée, est sujette à discorde acerbe», fait-on comprendre en milieu rural.
Ce que réfute le droit moderne à la lecture des textes en vigueur. Aussi, traditionnellement, l'exercice de délimitation n'est-il pas périlleux et n'est-il pas source de conflit du fait d'un «bornage» évasif et matérialisé par des arbres ou rochers assez fugaces, proposés à la disparition devant l'usure du temps et à la tyrannie des intempéries. Cette confusion est également perceptible lors du décès du chef de carré, polygame et muet de son vivant, sur la clé de répartition de ses biens, notamment la propriété domaniale qu'il a, à son tour héritée de son père presque dans les mêmes conditions.
LES FEMMES AUX AVANT-POSTES DU COMBAT
Sans pour autant qu’elles ne soient prévenues de notre mission d’investigation sur place, les femmes de Dioulacolon regroupées au sein du groupement «Himmé» en langue nationale Pulaar «Les Braves», ont tenu, le jeudi 10 juillet 2014, une assemblée générale d’information sur le foncier et sur laquelle nous sommes tombés.
L’objectif pour ces femmes était de mieux s’organiser pour réclamer leur droit d’accès à la terre. La présidente de ce groupement de promotion féminine, Aïssatou d’indiquer : «l’organisation est forte de 70 membres, toutes des femmes engagées mais nous faisons face à une fin de non recevoir des hommes en général et le pouvoir local en particulier, à nous octroyer des terres». N’gundo Sabaly la secrétaire générale du bureau, ainsi que Mariama Bobo Baldé, ont attesté de cette forme d’injustice sociale érigée en règle à l’origine hélas de conséquences multiples dont la paupérisation au féminin.. Au nom du DIRFEL (Directoire régional des femmes éleveuses de Kolda), Halimatou Baldé recommande l’encadrement et le suivi de proximité de l’Etat pour redonner à la femme du «Fouladou» la place qui est la sienne. Et de renchérir sur le manque à gagner économique, «l’inaccessibilité aux titres de propriété de terre qui limite nos prétentions à disposer des financements pour promouvoir l’agriculture et l’élevage qui nous occupent dans la zone”. Il poursuit en indiquant que : “Des organismes telle que la fondation New Fields Foundation sont entrain de nous accompagner mais sans acte de délibération, nous affectant des parcelles à usage d’exploitation agricole et d’élevage. Il est quasi impossible de convaincre des bailleurs de nous financer».
«LES FEMMES N’HERITENT PAS LA TERRE DE LEURS ANCETRES»
«De tout temps, on fait prévaloir la croyance selon laquelle nous, femmes, n’avons pas droit à disposer des terres et cela apparait clairement lors des rencontres d’héritage qui ne prévoient aucune parcelle pour la femme plutôt appelée à se marier ailleurs. Cet argument est fallacieux d’autant que le développement ne peut se faire sans la participation active des femmes. Pour qui connait les femmes de la Casamance et le poids de leur revenu agricole, je suis d’avis que la valorisation de leur savoir faire va booster l’émergence économique d’une localité», a encore fait observer Aïssatou M’ballo, laprésidente de «Himmé».
Prenant de plus en plus conscience de leurs droits à disposer des terres au même titre que les hommes tel que stipulé par les dispositions réglementaires de la loi N°64-46 du 17 juin 1964 sur la base de l’équité récemment appuyée par les textes fondamentaux (la constitution sénégalaise) par l’application de la parité entre hommes et femmes, le 13 novembre 2007, à l’occasion du vote, à l’assemblée nationale, de la loi constitutionnelle N° 40/2007, modifiant les articles 7, 63, 68, 71 et 82 de la Constitution, avant de le voter (sur la base de l’article 7 modifié). Le document final rappelle le préambule de la constitution en ces termes : « Le préambule de la Constitution du Sénégal consacre le droit à l’égal accès de tous les citoyens, sans discrimination à l’exercice du pouvoir à tous les niveaux. Il consacre également l’attachement du Sénégal aux principes proclamés dans la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes du 8 décembre 1979».
LE CHEMIN DE L'AVENTURE : L'EXODE RURAL ET LA MIGRATION
Ils sont à ce jour nombreux, les jeunes de Dioulacolon, filles comme garçons, à prendre le chemin de l’aventure à la recherche du mieux-être. «Faute d’avoir accès à la terre à titre individuel ou collectif pour formuler des requêtes de projet à vocation agricole, certains jeunes ont préféré aller à l’aventure. C’est ainsi que d’autres ont embarqué à bord de pirogues de fortune pour l’Espagne ou l’Italie», a déclaré Mamadou Baldé, le président de l’association des jeunes de Saré Oumar.
Le regard empreint d’émotion, il ajoute : «mon propre frère Ibrahima Baldé est miraculeusement entré en Espagne en juin 2014. Il aide un campagnard espagnol dans la récolte des vignes alors qu’il avait demandé à disposer des périmètres, ici, en vain. Des organismes d’appui sont là, mais, l’obtention du titre de propriété sur la parcelle est obligatoire», lâche ce leader du mouvement de jeunesse.
Comme pour attester de la véracité de ce triste constat, Amadou Baldé, le président de l’union des jeunes de Dioulacolon pour le développement et du club communautaire de football, souligne à son tour avoir perdu un frère sur le chemin de la Libye alors qu’il tentait de se libérer des entrailles de l’oisiveté en partage à Dioulacolon.
Si ailleurs les groupements de femmes ont bénéficié de subvention pour travailler la terre, ceux de Dioulacolon meurent d’envie. «Notre groupement Himmé de Dioulacolon a adressé deux demandes formelles en mars 2013 et en février 2014 au conseil rural de Dioulacolon mais, qui sont, hélas, restées sans suite. Nous sommes ici sans vraiment d’arguments administratifs à travers un acte de délibération portant sur une parcelle pour aller vers les bailleurs afin d’obtenir des subventions”. Même son de cloche du côté de DIRFEL appuyé par New Found Foundation (NFF). «Certes, nous avons le soutien de NFF dans la production de lait et autres mais, il nous faut des terres disponibles pour étendre notre champ d’activités pastorales afin de générer des revenus substantiels et assurer de fait notre autonomie financière», a dit Halimatou Baldé, la représentante de DIRFEL.
Par ailleurs et dans ce même registre, certaines jeunes filles et des dames à revenu trop faible, des veuves, des épouses d’expatriés à longue durée de séjour, optent pour domisticité dans les grandes capitales régionales, à Dakar notamment. Et là, les risques sont incommensurables : harcèlements, viols, grossesses non désirées, maladies.
En revanche, les petites économies permettent de subvenir aux besoins de la famille de départ.
BRADAGE ET SURENCHERE DES ZONES PERI-URBAINES : KOLDA ET DIOULACOLON TOUJOURS EN GUERRE
Les limites territoriales entre Dioulacolon et la ville de Kolda sont très mal connues ou pas assez définies. Du quartier Saré Moussa de Kolda à l'entrée de Dioulacolon, le long de la route nationale N°6 qui mène à Vélingara, les infrastructures à enjeux de taille qui poussent comme des champignons, suscitent un conflit ouvert entre ces deux collectivités. L'usine de traitement de coton (la SODEFITEX), la centrale électrique et le centre de recherche zootechnique (CRZ) entre autres infrastructures socio-économiques ont fini de transformer la zone en un domaine industriel polyvalent.
Le conseil régional, le nouveau lycée polytechnique, le centre hospitalier régional, la direction du PADEC, le centre de ressources multimédias entre autres établissements sont également implantés dans les quartiers périphériques comme Usine Coton. Il s'y ajoute des particuliers qui construisent, comme s'ils s'adonnaient à une compétition au bout de laquelle se trouverait une prime pour la plus belle bâtisse.
Depuis plus de deux décennies, renseigne-t-on, des particuliers ont obtenu des titres d'affectation sur des parcelles, à vils prix, pour les revendre chers à la faveur de la poussée démographique et de l'industrialisation en puissance. Le sous préfet de Dioulacolon, Ibrahima Gano, déclare que «la délimitation entre Kolda et Dioulacolon reste toujours floue et aucun acte administratif ne vient l'élucider. L'ancien président du conseil rural Mamadou Kandé, décédé en 2013, avait procédé à des lotissements de 1.400 hectares de parcelles sans documents de base légale. L'autorité administrative d'alors avait rejeté le dossier et s'en est suivi une contestation générale».
Samba Gano, le dernier président du conseil rural de Dioulacolon, avant la réforme instituant la communalisation intégrale ajoute que «ceux qui m'ont précédé ont bradé les terres jusqu'à la porte de Kolda. Nous avons hérité des dossiers explosifs tellement c'est confus».
En 2005 une opération de lotissement avait déclenché un litige foncier entre l'ancien maire libéral de Kolda, Bécaye Diop et l'ex-président du conseil rural de Dioulacolon, Mamadou Kandé. Ce dernier était même embastillé pour quelques jours à la maison d'arrêt et de correction de Kolda pour son implication présumée dans une nébuleuse transaction de parcelles.
Six ans plus tard et en avril 2011 exactement, la tension augmente de plusieurs crans à Kolda où des terres du Centre de recherches zootechniques (CRZ) étaient morcelées et «vendues» par des spéculateurs à des populations qui y tenaient comme à la prunelle de leurs yeux. L'enseignant du nom de Mballo était ciblé comme principal acteur puis déféré au parquet de Kolda.
ADMINISTRATIFS, ELUS ET TECHNICIENS ATTESTENT LE FLOU JURIDIQUE
L'ancien président du conseil rural de Dioulacolon, Abdou Samba Gano, confirme la véracité d'une nébuleuse autour de la gestion des terres depuis des décennies. «Mes prédécesseurs ont bradé les terres depuis le quartier Saré Moussa de Kolda jusqu'à Dioulacolon. La zone industrielle est charcutée comme du petit pain. Durant notre exercice, nous avons tenté de résoudre ce problème, en vain».
Et Samba Gano de répondre ensuite aux jeunes et aux femmes en ces termes: «aucune demande formelle d'un groupement des jeunes ne nous est parvenue dans la perspective d'une mise en valeur collective. Cependant et à l'issue des lotissements dans les 56 villages, nous avons octroyé 80 parcelles à des jeunes". Ce que confirme son assistant communautaire, Arona Sarr. S'agissant des femmes, seul le groupement «Sibérékoyo» nous a adressé une demande de 2 hectares.
Pour sa part, Mamadou Lamine Diallo, le chef du centre régional des services fiscaux (impôts et domaines) de Sédhiou et de Kolda indique que «les terres du domaine national sont des terres non immatriculées sans valeur juridique ni force probante et qui relèvent de la gestion des collectivités locales conformément aux compétences qui leur sont transférées. La mise en valeur de ces terres impacte sur les ressources de l'Etat en vue d'un développement multisectoriel».
Et de faire observer que la collectivité locale peut désaffecter en faveur des citoyens plus engagés à les valoriser suivant les exigences de la loi sur le domaine national.
Le sous préfet de l'arrondissement de Dioulacolon, Ibrahima Gano, ancien chef de la brigade des eaux et forêts, cumulativement chef du centre d'expansion rurale (CER) de Dioulacolon entre 1984 et 1989, souligne avec force l'existence d'un bradage et un accaparement des terres dans les zones péri urbaines. «La ville de Kolda empiète sur la collectivité locale de Dioulacolon. D'ailleurs, le quartier Saré Moussa de Kolda est créé par Moussa Camara après son séjour à Tamiguèle. La délimitation avec Kolda reste floue car il n'existe aucun arrêté administratif qui délimite ces deux collectivités locales voisines. Ce flou est à l'origine de beaucoup de problème à rebondissement politico-juridiques», a déclaré le sous préfet Ibrahima Gano.
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