Si dans l’absolu cette affirmation n’est pas fausse, quel est le rapport immédiat entre lire un roman, un essai, etc. et l’atteinte d’un taux de croissance annuel de l’ordre de 7%, tel que fixé par le document de référence comme critère d’émergence à l’horizon 2035 ? Il faut arrêter cette surenchère communicationnelle au risque de dénaturer l’idée même d’émergence dans l’esprit des Sénégalais !
Pourtant, depuis le premier Plan Quadriennal de Développement de 1961, en passant, plus récemment, par le DSRP, la SCA, la SNDES,… bien des plans ont été élaborés, sans que cela ne se traduise par une amélioration de notre niveau de vie. Ce qui est frappant, quand on fait une lecture croisée entre le Plan de 1961 de Mamadou Dia et Senghor d’un côté et le PSE de l’autre, c’est que les diagnostics de la situation économique et social du Sénégal sont identiques. L’état des lieux sur une cinquantaine d’années, et les mots pour le décrire d’un plan à l’autre, sont les mêmes : faible productivité, faible production, taux d’investissement faible, vulnérabilité aux chocs externes. C’est donc dire que malgré les années qui sont passées, notre économie présente les mêmes faiblesses structurelles qui empêchent son décollage. Seulement, la situation est devenue plus grave en 2015 car, dans le même temps, nous avons connu un croît démographique important et d’autres problématiques telles que l’exode rural et une urbanisation mal maîtrisée ont surgi.
Le plan de 1961 avait préconisé des réformes structurelles afin de supprimer l’économie de traite et l’entrave fatale que cela représentait pour notre développement. L’axe majeur de ces réformes était la conception d’un système de coopération entre producteurs et acteurs de l’économie nationale, tel que décrit dans l’historique circulaire 32 du 21 Mai 1962. A l’opposé, aucune réforme de cette dimension dans le PSE. A la place, on nous propose les réformes édictées par le classement Doing Business. Cela traduit un manque d’ambition et d’audace notoires ! En effet, ces réformes sont tout au plus administratives, mais que fait t-on après avoir « amélioré l’environnement des affaires » ? Il y a des réformes structurelles dont on ne peut faire l’économie si on veut être un pays émergent. Dans le contexte Sénégalais actuel, les PME sont totalement à l’abandon et ne survivent que grâce aux capacités d’adaptation de leurs promoteurs. Ces entreprises, qui représentent 90% du tissu économique et offrent un revenu à la plupart des Sénégalais, ne bénéficient, dans le cadre du PSE, que d’une baisse fiscale de 5 points (passage de l’Impôt sur les sociétés de 30% à 25%). Pour que l’émergence se traduise en prospérité et plus tard en développement, il faudra nécessairement prendre des mesures beaucoup plus audacieuses pour ces PME. Par exemple, leur consacrer au moins 30% de la commande publique ; obliger les investisseurs étrangers à des joint-ventures avec des entreprises Sénégalaises dans leur domaines de compétence avec une géographie du capital de 60%-40% ; les obliger aussi à investir dans l’industrie locale de sous-traitance lors des travaux d’infrastructures ; organiser les PME et TPE dans des réseaux modernes de coopération appelés Clusters où elles prendront en main elles mêmes les problématiques liées à la formation, au financement, etc., avec bien entendu l’appui de l’Etat à travers une réglementation appropriée. C’est à ce prix et à ce prix là seulement que se feront les transferts technologiques et financiers nécessaires, qui constituent une étape fondamentale de l’émergence, comme l’ont prouvé à satiété les dragons Asiatiques. Ce sera aussi à ce prix seulement qu’une épargne nationale sera constituée. Tout cela suppose légiférer efficacement dans le sens de protéger ses entrepreneurs nationaux, afin de favoriser l’émergence de champions-locomotives.
Le Plan d’Urgence de Développement Communautaire (PUDC) tente, quant à lui, entre autres, de pallier à l’absence de système de coopération entre les producteurs en zone rurale. Mais c’est bien trop timide et bien trop peu, au vu du retard accumulé au cours des années dans ce domaine. Les producteurs dans ces zones doivent être organisés en coopératives de production et d’écoulement solides et dynamiques. Dans une seconde phase, ces coopératives devront intervenir dans l’acquisition et la gestion du matériel agricole et enfin dans le crédit. Pourquoi ne pas envisager qu’un regroupement de producteurs d’arachide entre dans le capital de SUNEOR dans un horizon proche ? Sans cette transformation structurelle, toute la production générée par l’investissement massif escompté sera captée par divers intermédiaires, comme c’est le cas aujourd’hui. Et, pris dans ce cercle vicieux, les paysans Sénégalais continueront à se morfondre dans une pauvreté sans fin, en étant des éternels assistés.
En conclusion, nous devons dire que le PSE, tel que libellé, sans véritables réformes structurelles de l’économie subira le même sort que tous les plans devanciers ; les mêmes causes produisant les mêmes effets. Si le plan de 1961 n’a pas pu être déroulé jusqu’à sa finalité pour des raisons qui appartiennent maintenant à l’histoire (conflit Senghor/Dia en 1962), il ne saurait être question pour le PSE de se prévaloir d’un quelconque biais. En effet, le Sénégal est devenu en 50 ans une démocratie stable reposant sur des institutions qui restent solides, avec une population fortement urbanisée et plus avertie, des acteurs politiques, culturels, sociaux et économiques ayant atteint la maturité. Par conséquent, c’est le moment d’avoir une vraie vision de Progrès et d’Indépendance économique. Que le PSE soit financé à hauteur de 43% par des fonds publics n’est pas une garantie de cette indépendance économique, contrairement à ce que suggère M. Ibrahima Sène du PIT dans une récente contribution. L’autre faiblesse du PSE réside dans la structure bureaucratique qui l’entoure et nulle part il n’est prévu son auto-dépérissement au profit de la base productrice. Un des objectifs majeurs de ce plan étant « l’autonomisation des groupes vulnérables », il est probable que cette bureaucratie sensée encadrer cet effort développe des reflexes de conservation et l’annihile ainsi. De même qu’il est à craindre que les flux de financements prévus dans l’agriculture et l’agro-alimentaire aillent à une clientèle politique et particulière, comme cela a été le cas dans le passé. En vrai, le PSE dans sa formulation, n’est et ne devrait constituer qu’un outil de planification. Il lui manque cependant l’équivalent d’une circulaire 32 qui lui servirait de cadre normatif pour sa légitimité dans le long terme. Aussi, un plan de développement digne de ce nom ne peut excéder une programmation sur 5 années et doit comporter un ou deux objectifs spécifiques au maximum, dans le cas d’espèce : développement de l’agriculture et des PME, avec un focus sur celles transformatrices. Les autres axes tels que la construction d’infrastructures publiques, l’adoption de règles de bonne gouvernance, d’une politique de protection sociale, le renforcement de l’état de droit, etc. sont des lieux communs. C’est le rôle normal d’un Etat qui n’est pas en guerre, qui collecte des impôts et taxes, qui s’endettent en notre nom. Cet Etat a donc l’obligation de minimum de réalisations envers ses citoyens.
*M. Sène a fait une contribution lors du Forum Plan Sénégal indépendant (PSI) initié par le parti Yonou Askan Wi et tenu à Dakar le samedi 15/11/2015.
Oumar GNING
Ogning2002@gmail.com
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