Climat: Le véritable accord de Lima

Lundi 29 Décembre 2014

LIMA – Ce fut l’accord souhaité par tout le monde, mais mal aimé de tous. La Conférence sur les changements climatiques, qui s’est tenue cette année à Lima au Pérou, s’est conclue dimanche, aux petites heures de l’aube, plus de 24 heures en retard sur l’heure de clôture prévue, à la suite des pourparlers agités des derniers jours. Des négociateurs de 196 pays ont rapiécé un compromis qui dirige la planète vers un nouvel accord de lutte aux changements climatiques à Paris, l’an prochain ; mais qui a fini par déplaire à presque tout le monde en raison de telle ou telle clause.


Peu de critiques de l’accord en ont saisi toute l’importance. Sur plusieurs aspects, l’accord de Lima présente des faiblesses. Mais il représente aussi une percée fondamentale pour établir un régime international cohérent de lutte contre les changements climatiques.
La Conférence de Lima visait deux objectifs. Le premier était d’adopter une ébauche du texte de l’accord de Paris en 2015. Cet objectif a été atteint – mais uniquement en pondant un imposant rapport de 37 pages décrivant l’éventail des possibilités que les pays pourraient vouloir intégrer à l’accord de l’an prochain. Les délégués n’ont pas tenté de négocier les différentes options, suivant religieusement le vieil adage « Pourquoi faire aujourd’hui, ce que l’on peut remettre à demain ? »
Cette négociation a été reportée aux cinq séances de pourparlers prévues pour 2015, qui débutent en février. Vu les divergences des positions mentionnées dans le libellé de l’accord de Lima, il ne sera pas de tout repos de rédiger un document de travail susceptible d’être entériné à Paris en décembre de l’an prochain.
Le second objectif était de s’entendre sur les modalités sous lesquelles les pays concevront leurs engagements nationaux – officiellement, leurs « contributions prévues déterminées au niveau national » (les CPDN) – en 2015. C’est ici que l’on a pu vivement pressentir toute la portée des compromis.
Les pays en développement désiraient que les CPDN comportent des programmes d’adaptation aux changements climatiques parallèlement aux réductions des émissions. Ces pays voulaient également que les pays développés y intègrent une aide financière aux pays les moins en moyens. Au lieu de cela, aucun engagement de fonds additionnels n’a été pris et l’inclusion de programmes sera volontaire et non obligatoire.
Par ailleurs, les pays développés souhaitaient que tous les pays quantifient leurs objectifs et plans d’émissions de façon transparente et comparable. Un terrain d’entente a été trouvé sur les principaux éléments, mais uniquement sous forme d’assistance, et non de mesures obligatoires. Le document final n’a pas non plus retenu la proposition de l’Union européenne et des États-Unis voulant que le financement des programmes des pays dépende du type d’évaluation.
Mais le cumul des effets de tous les programmes des pays fera partie du calcul, permettant l’évaluation, dès l’an prochain, des efforts internationaux pour contenir la hausse des températures moyennes du globe à moins de 2 °C, car il est presque certain que ce plafond ne sera pas respecté.
Pour bien des critiques de l’accord, surtout du côté des mouvements environnementalistes, ces compromis ont fait de l’accord de Lima un accord beaucoup trop fondé sur les besoins individuels des pays. Les pays ont trop de latitude pour prendre les engagements qui leur conviennent, sans véritable obligation de respecter des règles communes imposées par une autorité « supérieure » prévue à l’accord. De telles critiques sont fondées sur des inquiétudes légitimes qu’il sera plus ardu de convaincre les pays de réduire davantage les émissions lorsqu’il deviendra évident que leurs initiatives collectives ne suffisent pas. Elles portent également sur le fait que l’accord pourrait même permettre à certains pays de se servir de méthodes comptables non conformes.
Mais les détracteurs de l’entente ne tiennent pas compte de la plus grande réalisation de l’accord de Lima : qui est d’avoir dissous l’éternelle scission du monde en deux blocs, celui des pays développés et celui des pays en développement. Depuis la ratification de la première Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques en 1992, les obligations des pays ont été définies selon leur niveau annuel de développement. Les pays riches dits de « l’annexe 1 » étaient tenus de respecter leurs engagements, tandis que les pays plus démunis qui n’y figuraient pas n’avaient qu’à présenter des efforts volontaires.
Au cours des 22 dernières années, cette dualité est apparue de plus en plus éloignée de la réalité, à mesure que les plus importants pays en développement, comme la Chine et le Brésil, sont devenus de grandes puissances économiques et des émetteurs majeurs de gaz à effet de serre. Pour cette raison, le monde développé a longtemps demandé que soit remplacé le « pare-feu » entre les deux blocs historiques par un critère de différenciation qui reflète davantage le monde contemporain. Mais les pays en développement – y compris les grandes puissances comme la Chine – insistaient pour le maintien de ce partage du monde en deux catégories.
Ce n’est plus le cas. L’accord de Lima donne des obligations aux pays sans tenir compte de la distinction entre les pays figurant ou non à l’annexe 1. Elle utilise plutôt un nouvel énoncé tiré de l’accord récent  entre les États-Unis et la Chine : les responsabilités des pays seront fondées sur « des responsabilités communes, mais différenciées ainsi que sur les capacités respectives en fonction des circonstances nationales différentes ». Le pare-feu est percé.
En théorie, l’accord de Lima sur les CPDN ne détermine pas la forme que prendra l’accord à long terme de Paris. On peut donc s’attendre à une bataille rangée sur ce point l’année prochaine. Mais la grande majorité des pays en développement – notamment la Chine et le Brésil – sont à l’aise avec le nouveau régime. Il est donc impossible d’envisager le retour du modèle binaire – et les pays qui se sont opposés au changement le savent, d’où l’âpreté des pourparlers dans les deux derniers jours de la conférence de Lima.
La conférence de Lima a démontré à quel point les négociations de Paris seront mouvementées l’an prochain, malgré l’optimisme récent issu des progrès mondiaux. Mais une décision très importante a été prise pour de bon. L’abandon de la catégorisation rigide entre pays développés et en voie de développement pave la voie vers un accord auquel souscriront tous les pays, même les États-Unis et la Chine.
Traduit de l’anglais par Pierre Castegnier
Michael Jacobs est professeur invité à l’Institut de recherche Grantham sur les changements climatiques et l’environnement à la London School of Economics.
 
chroniques


Dans la même rubrique :
< >

Lundi 21 Octobre 2024 - 00:26 Débloquer l'apprentissage par l'IA

chroniques | Editos | Analyses




En kiosque.














Inscription à la newsletter