Des pans entiers de l’activité sont redéfinis voire créés ex nihilo, grâce aux prodigieux développements qu’ont connu l’intelligence artificielle, la robotique, l’Internet des objets, les véhicules autonomes, l’impression en 3D, les nano- et les bio-technologies, les sciences de la matière, le stockage de l’énergie et l’informatique quantique. Au Forum économique mondial, nous avons donné le nom de « quatrième révolution industrielle » à cette vague d’innovations, car elle changera de fond en comble notre manière de vivre, de travailler et de communiquer avec nos semblables.
La première révolution industrielle est née des machines qui permettaient de d’utiliser la force motrice de la vapeur et d’égrener le coton. Elle s’accompagna de développements socio-politiques historiques comme l’urbanisation, la massification de l’enseignement et la mécanisation de l’agriculture. Avec l’électrification et la production de masse, la deuxième révolution industrielle a engendré des formes de travail et des modèles sociaux entièrement nouveaux. Puis avec l’avènement de l’informatique et des télécommunications instantanées, la troisième révolution industrielle, qui s’est produite au cours des cinq dernières décennies, a relié presque tous les points de la planète et rétréci l’espace et le temps.
Les bouleversements que porte en elle la quatrième révolution industrielle ne sont pas moins importants : chaque technologie nouvelle aura ses effets, mais les changements dans nos systèmes économiques et sociaux contribueront plus encore à orienter le cours de nos vies. Pour le moment, des questions aussi fondamentales que la propriété des données personnelles, la sécurité des infrastructures ou les droits et responsabilités des entreprises « disruptrices » ne font pas consensus. Nous avons besoin de nous doter d’un cadre conceptuel, pour aider les entreprises, les États et les citoyens à anticiper les conséquences radicales de l’évolution technologique – qui touchent aux modèles économiques comme à l’éthique ou aux questions sociales –, telles qu’elles se profilent déjà à l’horizon.
Nous n’obtiendrons les clés de notre prospérité future qu’en nous demandant si ces nouvelles technologies sont conçues et mises en œuvre pour répondre à de réels besoins sociaux, ou bien si elles n’ont d’autres fins que le changement par et pour lui-même. D’une façon générale, nous ne devons pas seulement nous préoccuper de progrès technologique et de productivité économique, mais aussi du rôle que jouent toutes ces forces sur les personnes, les communautés et l’environnement.
Dès lors que cette quatrième révolution industrielle est engagée, quatre principes doivent guider nos choix politiques et leur mise en œuvre. Tout d’abord, ce sont les systèmes, bien plus que telle ou telle technologie, qui doivent retenir notre attention : ce n’est qu’en observant le jeu des forces technologiques, sociales et économiques que dirigeants et citoyens, dans tous les pays, pourront décider et prédire la nature des changements qui affecteront l’entreprise, la société et l’économie.
Deuxième principe : il faut repousser l’idée fataliste d’un progrès prédéterminé. Les communautés comme les individus doivent être éduqués aux technologies, afin d’être capables de les faire servir à des fins productives et non de les servir eux-mêmes pour le bénéfice d’un tiers. Si nous ne parvenons pas à exploiter pour nous-mêmes les nouvelles technologies, nous aurons abdiqué nos propres moyens d’action, ce qui n’incite guère à l’optimisme.
Troisième principe : ce n’est pas l’acceptation du changement comme il vient mais le souci de l’avenir qui doit guider notre conception des nouvelles technologies et des nouveaux systèmes. L’intégration des technologies disruptrices à nos systèmes économiques et sociaux exige l’étroite collaboration de toutes les parties prenantes, dans l’État, dans le secteur privé et dans la société civile. Sans quoi notre avenir risque d’être décidé par défaut et d’échapper à notre volonté collective.
Enfin, les questions sociales et éthiques ne sont pas réductibles à des imperfections du système qu’il faudrait surmonter ou à des aberrations qui ne vaudraient pas d’être prises en compte. Les valeurs que nous partageons doivent être une modalité essentielle pour toutes les nouvelles technologies. Si celles-ci sont utilisées de telle façon qu’elles exacerbent la pauvreté, les discriminations et la dégradation de l’environnement, c’est qu’elles n’ont pas été optimisées pour l’avenir que nous voulons construire. L’investissement dans les nouvelles technologies ne se justifie que s’il contribue à un monde plus sûr et mieux intégré.
Les défis économiques et sociaux de la quatrième révolution industrielle ne peuvent être relevés par aucune des parties prenantes prise isolément. Les milieux entrepreneuriaux doivent pour leur part créer l’environnement propice à un développement et un déploiement sans danger des technologies, qui prenne en compte les considérations sociales.
Les États doivent eux aussi s’engager activement dans le processus d’acclimatation des innovations au sein des sociétés. Les responsables politiques doivent maintenir des contacts étroits avec les ingénieurs et les entrepreneurs qui mènent la révolution, faute d’être eux-mêmes dépassés. Et chacun d’entre nous doit se tenir informé, pour comprendre et résoudre les questions qui surgissent sans cesse des interactions complexes entre technologie et société.
La quatrième révolution industrielle va provoquer des changements systémiques qui requerront la participation de tous, et nous devrons envisager de nouvelles façons de travailler ensemble, tant dans le secteur public que privé. Comme le rythme du changement ne fera qu’accélérer, la transparence deviendra, pour toutes les parties prenante, un enjeu de plus en plus important : elle est indispensable pour que chaque composante de la société puisse peser le pour et le contre des développements à venir.
Nous vivons le temps de la complexité, et toute direction lucide requiert que nous repensions de fond en comble la collaboration de tous à l’avenir commun. Il nous appartient d’éviter les dystopies que la technologie peut facilement engendrer, et c’est ensemble qu’il nous faut concevoir le futur que nous voulons créer.
Traduction François Boisivon
Klaus Schwab est président fondateur du Forum économique mondial.
La première révolution industrielle est née des machines qui permettaient de d’utiliser la force motrice de la vapeur et d’égrener le coton. Elle s’accompagna de développements socio-politiques historiques comme l’urbanisation, la massification de l’enseignement et la mécanisation de l’agriculture. Avec l’électrification et la production de masse, la deuxième révolution industrielle a engendré des formes de travail et des modèles sociaux entièrement nouveaux. Puis avec l’avènement de l’informatique et des télécommunications instantanées, la troisième révolution industrielle, qui s’est produite au cours des cinq dernières décennies, a relié presque tous les points de la planète et rétréci l’espace et le temps.
Les bouleversements que porte en elle la quatrième révolution industrielle ne sont pas moins importants : chaque technologie nouvelle aura ses effets, mais les changements dans nos systèmes économiques et sociaux contribueront plus encore à orienter le cours de nos vies. Pour le moment, des questions aussi fondamentales que la propriété des données personnelles, la sécurité des infrastructures ou les droits et responsabilités des entreprises « disruptrices » ne font pas consensus. Nous avons besoin de nous doter d’un cadre conceptuel, pour aider les entreprises, les États et les citoyens à anticiper les conséquences radicales de l’évolution technologique – qui touchent aux modèles économiques comme à l’éthique ou aux questions sociales –, telles qu’elles se profilent déjà à l’horizon.
Nous n’obtiendrons les clés de notre prospérité future qu’en nous demandant si ces nouvelles technologies sont conçues et mises en œuvre pour répondre à de réels besoins sociaux, ou bien si elles n’ont d’autres fins que le changement par et pour lui-même. D’une façon générale, nous ne devons pas seulement nous préoccuper de progrès technologique et de productivité économique, mais aussi du rôle que jouent toutes ces forces sur les personnes, les communautés et l’environnement.
Dès lors que cette quatrième révolution industrielle est engagée, quatre principes doivent guider nos choix politiques et leur mise en œuvre. Tout d’abord, ce sont les systèmes, bien plus que telle ou telle technologie, qui doivent retenir notre attention : ce n’est qu’en observant le jeu des forces technologiques, sociales et économiques que dirigeants et citoyens, dans tous les pays, pourront décider et prédire la nature des changements qui affecteront l’entreprise, la société et l’économie.
Deuxième principe : il faut repousser l’idée fataliste d’un progrès prédéterminé. Les communautés comme les individus doivent être éduqués aux technologies, afin d’être capables de les faire servir à des fins productives et non de les servir eux-mêmes pour le bénéfice d’un tiers. Si nous ne parvenons pas à exploiter pour nous-mêmes les nouvelles technologies, nous aurons abdiqué nos propres moyens d’action, ce qui n’incite guère à l’optimisme.
Troisième principe : ce n’est pas l’acceptation du changement comme il vient mais le souci de l’avenir qui doit guider notre conception des nouvelles technologies et des nouveaux systèmes. L’intégration des technologies disruptrices à nos systèmes économiques et sociaux exige l’étroite collaboration de toutes les parties prenantes, dans l’État, dans le secteur privé et dans la société civile. Sans quoi notre avenir risque d’être décidé par défaut et d’échapper à notre volonté collective.
Enfin, les questions sociales et éthiques ne sont pas réductibles à des imperfections du système qu’il faudrait surmonter ou à des aberrations qui ne vaudraient pas d’être prises en compte. Les valeurs que nous partageons doivent être une modalité essentielle pour toutes les nouvelles technologies. Si celles-ci sont utilisées de telle façon qu’elles exacerbent la pauvreté, les discriminations et la dégradation de l’environnement, c’est qu’elles n’ont pas été optimisées pour l’avenir que nous voulons construire. L’investissement dans les nouvelles technologies ne se justifie que s’il contribue à un monde plus sûr et mieux intégré.
Les défis économiques et sociaux de la quatrième révolution industrielle ne peuvent être relevés par aucune des parties prenantes prise isolément. Les milieux entrepreneuriaux doivent pour leur part créer l’environnement propice à un développement et un déploiement sans danger des technologies, qui prenne en compte les considérations sociales.
Les États doivent eux aussi s’engager activement dans le processus d’acclimatation des innovations au sein des sociétés. Les responsables politiques doivent maintenir des contacts étroits avec les ingénieurs et les entrepreneurs qui mènent la révolution, faute d’être eux-mêmes dépassés. Et chacun d’entre nous doit se tenir informé, pour comprendre et résoudre les questions qui surgissent sans cesse des interactions complexes entre technologie et société.
La quatrième révolution industrielle va provoquer des changements systémiques qui requerront la participation de tous, et nous devrons envisager de nouvelles façons de travailler ensemble, tant dans le secteur public que privé. Comme le rythme du changement ne fera qu’accélérer, la transparence deviendra, pour toutes les parties prenante, un enjeu de plus en plus important : elle est indispensable pour que chaque composante de la société puisse peser le pour et le contre des développements à venir.
Nous vivons le temps de la complexité, et toute direction lucide requiert que nous repensions de fond en comble la collaboration de tous à l’avenir commun. Il nous appartient d’éviter les dystopies que la technologie peut facilement engendrer, et c’est ensemble qu’il nous faut concevoir le futur que nous voulons créer.
Traduction François Boisivon
Klaus Schwab est président fondateur du Forum économique mondial.