Conséquences économiques de la résistance aux médicaments

Lundi 22 Décembre 2014

LONDRES – Quand le Premier ministre britannique David Cameron m'a demandé en juillet dernier de diriger une initiative pour trouver des solutions au problème mondial croissant de la résistance antimicrobienne, ma première question fut : « Qu'est-ce que c'est ? » J'ai vite appris que, de même que les bactéries et les parasites développent une résistance aux médicaments existants, comme par exemple les antibiotiques et les médicaments antipaludéens, le monde risque de perdre sa bataille contre les maladies infectieuses. Donc ma question suivante a été : « Pourquoi moi ? Pourquoi ne demandez-vous pas cela à un scientifique ? »


Il s'avère que le problème de l'augmentation de la résistance aux antimicrobiens concerne autant l'économie que la science ou la médecine. Si rien n'est fait, ce problème va coûter la vie à des millions de personnes chaque année et aura de graves conséquences économiques néfastes à l'échelle planétaire. Pour les pays en développement, dont la plupart des pays des BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine) et des MINT (Mexique, Indonésie, Nigéria et Turquie), le risque est particulièrement grand.
Des recherches récentes, menées par une revue indépendante sur la résistance antimicrobienne  que je dirige, ont modélisé l'impact probable du phénomène sur l'économie mondiale. Elles suggèrent que si nous ne trouvons pas une solution au problème de la résistance aux antimicrobiens, le problème va s'aggraver.
D'ici 2020, si nous laissons la résistance augmenter de 40%, le PIB mondial sera de 0,5% inférieur à ce qu'il aurait été. En 2030, il sera inférieur de 1,4%. En 2050, le déficit économique atteindra 3%. Les pertes cumulées de la production mondiale au cours des 35 prochaines années représenteront 100 milliards de dollars, soit plus d'une et une fois demie le PIB annuel mondial actuel.
Dès à présent 60 000 personnes meurent chaque année de causes liées à la résistance aux antimicrobiens aux États-Unis et en Europe, soit environ dix fois le nombre de décès dans le monde causés par la crise actuelle du virus Ébola. En 2050, si le problème continue à croître, la résistance aux antimicrobiens va tuer plus de dix millions de personnes par an. Ce chiffre est supérieur au nombre total de personnes qui meurent actuellement du cancer, du diabète, du cancer du poumon, des accidents de route, des maladies diarrhéiques et du VIH/SIDA. Le coût économique de la panique qui en résulterait, notamment en termes d'effondrement du secteur des voyages et du commerce, pourrait être dévastateur.
La hausse des taux de la résistance aux antimicrobiens aura un impact particulièrement fort sur l'Inde, l'Indonésie et le Nigéria (ainsi que sur le reste de l'Afrique subsaharienne). Des pays comme la Chine et le Brésil, qui ont réussi à réduire les taux de paludisme, pourraient voir leur travail acharné miné par une augmentation de la résistance aux antipaludiques.
La recherche que nous avons financée s'appuie sur des données disponibles limitées. Elle ne tient pas compte des dommages causés par des maladies résistantes aux médicaments en dehors des hôpitaux, ni de l'impact de la hausse des coûts de services de santé. Elle ne tient pas compte non plus de la baisse du niveau de vie due à la perte de traitements censés augmenter la longévité (par exemple, les arthroplasties du genou ou de la hanche, le traitement du cancer et les césariennes) qui utilisent les antibiotiques pour prévenir les infections. La recherche schématique que nous avons réalisée montre que de tels traitements (dont bon nombre ne seraient pas possibles sans antibiotiques efficaces) ajoutent environ 4% de bénéfice en termes de PIB.
L'un de mes objectifs est de persuader les décideurs de l'ONU d'approuver un ensemble de règles et de mesures en vue d'arrêter la croissance de la résistance antimicrobienne. Non content de mettre en avant l'ampleur du problème, l'examen cherche à trouver des moyens de réduire la résistance aux médicaments et de stimuler la production de nouveaux antibiotiques pour compenser la perte de ceux qui sont dès maintenant inefficaces ou le seront bientôt.
Des solutions pour réduire la résistance auront besoin d'une technologie de pointe. Nous devons encourager les décideurs à encourager le développement de meilleurs diagnostics. Des diagnostics plus rapides et plus précis vont freiner la dépendance excessive actuelle aux antibiotiques : une exigence clé pour lutter contre la résistance. Nous devons également développer des outils pour identifier et arrêter les épidémies de maladies résistantes à un stade précoce. Les données fournies par les dispositifs de diagnostic pourraient être une arme puissante pour contenir ces épidémies.
D'autres solutions impliquent un moindre niveau technologique, en ne demandant en contrepartie que de simples mesures de bon sens. Nous devons commencer par nous laver les mains soigneusement et souvent. Nous devons arrêter de demander des antibiotiques à nos médecins. Et lorsque des antibiotiques nous sont nécessaires, nous devons aller au bout du traitement qui nous est prescrit. De même que nous essayons de prévenir la résistance aux médicaments existants, nous devrons également examiner l'impact des antibiotiques sur l'agriculture.
Développer de nouveaux antibiotiques est un défi, parce que les compagnies pharmaceutiques semblent avoir besoin de mesures incitatives pour mener les recherches nécessaires. Une étude permettra de déterminer si les incitations du marché peuvent être modifiées. Dans la négative, des alternatives plus radicales pour stimuler une innovation précoce par des laboratoires universitaires et par des petites entreprises pourraient être recherchées, éventuellement grâce à un fonds spécialement alloué.
Comme le montre notre étude, les enjeux de l'inaction sur la résistance aux antimicrobiens sont importants. Il est temps de chercher des solutions à long terme, à la fois audacieuses et claires.
Jim O'Neill, ancien président de Goldman Sachs Asset Management, est un chercheur chez Bruegel, un think tank économique basé à Bruxelles.
 
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