Mon propos ne reprendra pas les analyses connues sur la mauvaise gouvernance urbaine d’un territoire qui connaît une forte croissance démographique (5% / an) sur un espace de 550 km2, soit une densité de plus de 4.000 habitants au kilomètre carré. Elle ne reprendra pas, non plus d’ailleurs, les lieux communs sur l’apparition des dysfonctionnements structurels et infrastructurels, suite à l’étalement mal contrôlé de la ville vers les zones réputées non aedificandi de la banlieue comme les dépressions et les lacs asséchés. Ou encore, les arguments sur l’urbanisation débridée de Dakar, commandée par le cercle vicieux et infernal des crises économique (ajustement structurel), sociale (exode rural) et environnementale (sécheresse) dont les inondations ont été le révélateur. Cette contribution, au-delà de l’examen de l’impact du cumul des négligences à la fois politique, administrative et technique, s’inscrit dans la perspective de prise en charge immédiate et durable de cette calamité qui se manifeste, pratiquement chaque année, et qui ne saurait être irrémédiable.
Quelles solutions pour l’assainissement des eaux de pluies à Dakar ?
La question des contraintes s’est naturellement imposée lorsque celle des solutions s’est posée. L’incapacité à maîtriser simultanément l’urbanisme et l’urbanisation dans une mégalopole en constante croissance, c’est-à-dire l’affectation du foncier en fonction des aptitudes intrinsèques et de la capacité de charge des milieux naturels, a provoqué les dysfonctionnements du modèle « réseau » (évacuation rapide des écoulements par le biais d’un système de conduites ou de caniveaux en direction d’un exutoire). Cette situation a été exacerbée par l’intensité des averses enregistrées, cette dernière décennie, corrélée aux facteurs multiplicatifs comme l’augmentation des surfaces imperméabilisées à savoir les nombreuses constructions d’immeubles, la densification des réseaux de communication terrestre, le dallage et le pavage, etc.
Au-delà des contraintes liées au régime climatique tropical (voire au changement climatique !), la prise en charge de la calamité « inondation urbaine » à Dakar tient au règlement des préalables qui suivent.
Lever les hypothèques sur l’occupation des sols
Celle-ci passe par l’adoption d’un schéma directeur d’aménagement et de développement territorial. Il s’agit d’un référentiel qui organise l’occupation des sols à tous les niveaux de l’administration du territoire (communauté rurale, commune, ville, Etat) qui distingue :
- Les zones urbaines denses comme le Plateau, la Médina ou les Sicap avec une occupation relativement forte des sols (imperméabilisation supérieure ou égale à 60%) généralement situées près des exutoires ;
- Les zones périurbaines ou banlieues avec un tissu moins dense (imperméabilisation autour de 30%), mais à fort rythme de croissance du bâti et de la démographie. Ces zones sont, dans le grand Dakar plus exactement à Pikine et à Guédiawaye, constituées de quartiers ou de lotissements séparés par des thalwegs, d’anciens ruisseaux ou des marigots.
Le défi réside dans la maîtrise de la conception du réseau d’assainissement dédié aux besoins de drainage des zones périurbaines qui ne doit pas être une « conception linéaire » mais une « conception adaptée » aux modalités d’étalement et de densification, pour le moins imprévisibles, aux débits de ruissellement futurs, etc.
Maîtriser les impacts liés à l’érosion des sols et au transport solide
Malgré l’existence de programmes de « curage pré-hivernal », le dysfonctionnement hydraulique des ouvrages de drainage est un phénomène récurrent. Les raisons sont principalement liées aux dépôts solides dus au rejet d’ordures ménagères ou d’objets encombrants (matelas, carcasses métalliques provenant de garages mécaniques, chiffons, pneus, etc.) dans les collecteurs à ciel ouvert. Les dépôts de particules fines provenant de l’érosion des sols et des débris issus des chantiers de démolition et/ou de construction de bâtiments ont des conséquences non négligeables dans les processus d’obstruction des réseaux de drains et de caniveaux.
Cependant, la problématique de l’érosion hydraulique est moins maîtrisée. Celle-ci se manifeste par l’action directe de la pluie sur le sol (destruction de la structure superficielle par le phénomène de battance) mais aussi, par le ruissellement qui provoque une érosion mécanique par éboulement et solifluxion interne. Partout dans la banlieue de Dakar, les conditions d’une érosion mécanique sont plus que réunies ; elle s’y manifeste d’ailleurs sous plusieurs formes :
- érosion en nappe qui se produit en amont du bassin versant dans lequel est inscrite la mégalopole de Dakar c’est-à-dire au niveau de la zone rurale caractérisée par un tissu « urbain » lâche ;
- érosion en griffe qui caractérise pratiquement tous les secteurs de Grand-Yoff, Patte d’oie et Parcelles assainies, zones où le ruissellement entraîne les particules du sol en formant de petits sillons qui sont perpendiculaires aux courbes de niveau ;
- érosion en ravines visibles dans toutes les zones dunaires urbanisées (la corniche du stade Léopold Sédar Senghor en est une bonne illustration).
Dans toutes ces zones, l’érosion affecte les fossés et les drains ou canaux non revêtus qui se creusent et subissent une déformation des sections et talus créant une menace potentielle pour les constructions riveraines et les ouvrages de franchissement (ponts, ponceaux, etc.).
Optimiser les coûts et le financement des réseaux de drainage
L’Etat du Sénégal semble avoir, aujourd’hui, réglé l’hypothèque du financement. Celle du choix du modèle le plus efficient demeure, cependant. Au-delà des problèmes de dimensionnement des ouvrages qui tiennent compte des coefficients de ruissellement, notamment, ceux des surfaces nues non revêtues (cour des concessions, chemins pédestres et voies de circulation), je voudrais rappeler que l’optimalisation des coûts devra obligatoirement intégrer les ouvrages de protection des milieux naturels (exutoires en cas d’accroissement des débits), les mesures anti-érosives, les réseaux tertiaires (desserte d’îlots) ainsi que le profilage et la stabilisation des voies tertiaires.
Le futur plan d’assainissement du Sénégal devra être bien pensé au regard des coûts élevés de fonctionnement et d’entretien des ouvrages d’où les problèmes d’optimalisation qui conduisent à des choix portant sur le calibrage des ouvrages (sur la base de la connaissance des périodes de retour) et de la qualité différentielle des aménagements destinés à protéger telle ou telle zone en fonction de son importance économique et stratégique.
Promouvoir une nouvelle citoyenneté par l’éducation puis la coercition
En général, les populations ne font pas la différence entre un ouvrage d’évacuation des eaux usées et un ouvrage de drainage des eaux pluviales. En l’absence de réseau d’assainissement des eaux usées, l’expérience a montré que les ouvrages de drainage sont indifféremment utilisés pour les rejets liquides de toute nature, notamment pour l’évacuation des eaux usées ou effluents que l’on peut sans nuisance directe disperser sur le sol (eaux ménagères, eaux de toilette, de lessive, etc.). Tous les Sénégalais sont désormais familiers, en l’absence de dispositifs autonomes dans le sol ou de médiocre perméabilité du sol, du mélange des eaux du trop-plein des fosses septiques et des eaux de pluies stagnantes. L’Etat devra appeler les populations à une prise de conscience des dangers liés à cette pratique peu orthodoxe de vidange des fosses septiques pendant l’hivernage. Le cas échéant, il devra faire prévaloir la force de la loi.
Instituer la concertation et la coordination entre « institutions »
Malgré l’existence de nombreux cadres de concertation et de coordination, les collectivités locales et l’Etat se tournent le dos en matière d’assainissement ! En dehors du « Plan Orsec », aucune synergie n’est développée entre les acteurs de l’assainissement et les compétences se trouvent distribuées au sein des différents ministères et services techniques nationaux sans explicitation claire des prérogatives des uns et des autres. Les conséquences de cette maldonne se manifestent par :
- l’absence de politique cohérente du fait même du partage des « responsabilités » entre services relevant d’administrations qui « se marchent dessus » ;
- le manque de concertation entre l’Etat et les collectivités locales concernant les opérations spécifiques d’aménagement urbain ;
- l’inadaptation de la réglementation et la carence des services chargés de faire fonctionner les réseaux du fait de leur sous-équipement et de la non prise en compte des sujétions d’entretien qu’entrainent les ouvrages ;
- l’absence d’un outil de planification qui contraint tous les acteurs publics comme privés de s’astreindre à un référentiel institutionnel, technique, économique et social afin d’atteindre les trois objectifs de l’assainissement pluvial à savoir : la protection contre les inondations, la préservation de la santé publique et la protection des milieux naturels.
Je n’ai pas évoqué la nature des ouvrages techniques à mettre en œuvre. Déversoirs d’orage, réservoirs enterrés ou citernes, canaux, caniveaux, fossés filtrants, puits perdus, chaussée ou tranchée drainante, … ; le choix d’ouvrages classiques ou alternatifs devra s’effectuer en fonction des caractères physiques de la zone concernée (structure des sols, position de la nappe phréatique, etc.) et de sa location géographique dans le bassin versant qui organise le cycle de l’eau dans la mégalopole (Pluie, infiltration, ruissellement, transfert en réseau, exutoire).
Au demeurant, il est inadmissible qu’un pays sahélien comme le notre ne puisse tirer le meilleur parti des inondations : la gestion en temps réel du phénomène, grâce au développement de modèles de simulation hydrologique et hydraulique, peut permettre le contrôle et la commande à distance de certains ouvrages régulateurs du réseau. De plus, la connaissance a priori des caractères de l’inondation (prévision, distribution spatio-temporelle, etc.) permet d’adapter la structure des ouvrages à mettre en œuvre en contrôlant leur capacité de stockage, les moments d’ouverture des seuils et des vannes et le transfert des eaux des stations de pompage vers les zones « déficitaires ». Aussi, l’utilisation des eaux de pluie en relation avec la nappe de Thiaroye peut être, dans cette mesure, envisagée pour l’irrigation des terres agricoles des Niayes voire celles de la région de Thiès. Non, l’eau des inondations ne doit pas être un problème mais une véritable bénédiction.
Professeur Mouhamadou Mawloud DIAKHATE
Université Gaston BERGER, Saint-Louis
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