Traduit de l’anglais par Martin Morel Rod Hunter, ancien directeur principal en économie internationale au sein du Conseil de sécurité nationale du président George W. Bush
Bien que les démarches consistant à atténuer les lourdeurs administratives et bureaucratiques d’un pays aient tendance à favoriser une culture de l’entrepreneuriat et du dynamisme, la mise en place d’une infrastructure légale et réglementaire efficace peut se révéler tout aussi déterminante, notamment pour les régions dans lesquelles les consommateurs éprouvent des difficultés à évaluer la valeur des produits et les risques que ceux-ci présentent.
Dans l’ensemble des États – et particulièrement au sein des économies en voie de développement – l’existence d’une réglementation fiable est essentielle pour bâtir la confiance sur le marché. Les consommateurs ont besoin de savoir de quoi ils se nourrissent, quelles sont les automobiles qu’ils conduisent, et quels médicaments sont les plus sûrs. La confiance autour des produits locaux permet de dynamiser la croissance domestique, et de rendre les exportations plus attractives sur les marchés étrangers.
Par opposition, les États en proie aux défaillances réglementaire voient souvent leurs artères commerciales obstruées, tandis que l’imprévisibilité de la qualité et la déloyauté concurrentielle dont font preuve certains producteurs peu scrupuleux viennent effaroucher les investisseurs étrangers. Au sein des pays en voie de développement, « la faible qualité des réglementations et de leur application constituent des barrières majeures à l’entrepreneuriat et à l’investissement, » a fait valoir un rapport de la Banque mondiale. « Les défaillances en matière de réglementation exposent les individus et l’environnement à des risques considérables. »
À l’heure où les pays en voie de développement procèdent à la mise à niveau de leur système de réglementation, il s’agirait pour eux de se concentrer sur le comblement des écarts juridiques qui exposent les consommateurs à un certain nombre de risques, et mettent à mal la crédibilité du marché. En Chine, par exemple, les fabricants d’ingrédients pharmaceutiques ont la possibilité de contourner la réglementation médicamenteuse en faisant valoir que leurs produits se destineront à un usage non médical. Malgré la présence de sociétés pharmaceutiques reconnues comme veillant à la qualité systématique de leur production, cette défaillance permet à un certain nombre de produits dangereux de pénétrer le marché. C’est ce qu’il s’est produit en 2008, lorsque que pas moins de 81 Américains sont décédés après s’être vu administrer un anticoagulant héparine contenant des composés chinois frelatés.
De même, il s’agirait de fonder les réglementations sur les normes internationales, lorsque celles-ci existent. En matière de médicaments, un certain nombre de régulateurs d’Amérique, d’Europe, du Japon et d’ailleurs, ont par exemple élaboré des directives au travers de laConférence internationale sur l'harmonisation des exigences techniques pour l'enregistrement des médicaments à usage humain, qui mobilise l’expertise collective de ces États. Plusieurs pays tels que la Corée du Sud et Singapour exploitent ces directives afin d’enrichir leur propre système de réglementation. Ainsi les citoyens de ces pays pourront-ils bénéficier d’un accès rapide aux médicaments, tandis que leurs chercheurs seront plus à même de prendre part aux recherches cliniques mondiales, ce qui représente une aubaine pour les industries nationales.
L’efficacité d’une institution réglementaire se mesurant par la compétence des individus qu’elle emploie, un autre domaine d’action nécessaire de la part des pays en voie de développement réside dans la formation d’un personnel qualifié. En Chine, le Centre d’évaluation des médicaments, agence chargée d’examiner les demandes de commercialisation de produits médicaux, emploie à peine 200 salariés. Par opposition, la Food and Drug Administration américaine compte quelque 4 000 professionnels, l’Agence européenne des médicaments en employant 3 000. Sans surprise, le processus chinois d’approbation de nouveaux médicaments est ainsi le plus lent de la planète – nécessitant en moyenne huit années – les patients étant par conséquent privés d’accès aux médicaments dont ils auraient besoin.
Bien que la démarche consistant à bâtir les compétences intellectuelles et institutionnelles nécessaires puisse exiger plusieurs années, elle n’en demeure pas moins réalisable. Il y a dix ans, la procédure japonaise d’approbation des médicaments se révélait absolument léthargique en comparaison à d’autres pays développés. Ainsi le Japon a-t-il fait de l’accélération de ce processus une véritable priorité, réalisant par la suite des progrès considérables. Le délai médian d’approbation des nouveaux médicaments est ainsi tombé de 833 jours en 2006 à 306 jours en 2012, selon le Centre londonien d’innovation en matière de science réglementaire.
Pour être véritablement efficace, les réglementations doivent être appuyées par de solides mécanismes de mise en œuvre – avec application de sanctions en cas de non-conformité. Ceci exige alors la présence d’une justice permettant de trancher les litiges, ainsi que d’appliquer un traitement juste et équitable, dans les délais convenus. Pour l’Inde, qui ne dispose que de 1,2 juges pour 100 000 justiciables (contre 10,8 aux États-Unis), il y a là un défi considérable. Selon la Cour suprême indienne, le pays présentait en mars 2012 quelque 31,2 millions d’affaires en cours de traitement, pour plus de 80 % au sein de tribunaux inférieurs. Ce retard considérable ne cesse de s’accumuler – susceptible de mettre à mal la primauté du droit.
Les États les plus riches de la planète ont eu la possibilité de bâtir leur infrastructure réglementaire sur plusieurs générations, à une époque de faible concurrence mondiale directe. Les marchés émergents sont aujourd’hui contraints de façonner la leur dans des délais bien moindres.
Ce chantier ne sera facile nulle part. Il exigera d’importantes ressources, risquant par ailleurs de contrarier un certain nombre d’entreprises nationales habituées à une faible supervision réglementaire. Pour autant, à condition d’une mise en œuvre appropriée, les réglementations les plus saines permettront de renforcer la capacité de croissance des États, tout en protégeant les citoyens et en élevant leur niveau de vie à long terme.
Traduit de l’anglais par Martin Morel
Rod Hunter, ancien directeur principal en économie internationale au sein du Conseil de sécurité nationale du président George W. Bush, est aujourd’hui vice-président principal de l’association Pharmaceutical Research and Manufacturers of America.
© Project Syndicate 1995–2014
Dans l’ensemble des États – et particulièrement au sein des économies en voie de développement – l’existence d’une réglementation fiable est essentielle pour bâtir la confiance sur le marché. Les consommateurs ont besoin de savoir de quoi ils se nourrissent, quelles sont les automobiles qu’ils conduisent, et quels médicaments sont les plus sûrs. La confiance autour des produits locaux permet de dynamiser la croissance domestique, et de rendre les exportations plus attractives sur les marchés étrangers.
Par opposition, les États en proie aux défaillances réglementaire voient souvent leurs artères commerciales obstruées, tandis que l’imprévisibilité de la qualité et la déloyauté concurrentielle dont font preuve certains producteurs peu scrupuleux viennent effaroucher les investisseurs étrangers. Au sein des pays en voie de développement, « la faible qualité des réglementations et de leur application constituent des barrières majeures à l’entrepreneuriat et à l’investissement, » a fait valoir un rapport de la Banque mondiale. « Les défaillances en matière de réglementation exposent les individus et l’environnement à des risques considérables. »
À l’heure où les pays en voie de développement procèdent à la mise à niveau de leur système de réglementation, il s’agirait pour eux de se concentrer sur le comblement des écarts juridiques qui exposent les consommateurs à un certain nombre de risques, et mettent à mal la crédibilité du marché. En Chine, par exemple, les fabricants d’ingrédients pharmaceutiques ont la possibilité de contourner la réglementation médicamenteuse en faisant valoir que leurs produits se destineront à un usage non médical. Malgré la présence de sociétés pharmaceutiques reconnues comme veillant à la qualité systématique de leur production, cette défaillance permet à un certain nombre de produits dangereux de pénétrer le marché. C’est ce qu’il s’est produit en 2008, lorsque que pas moins de 81 Américains sont décédés après s’être vu administrer un anticoagulant héparine contenant des composés chinois frelatés.
De même, il s’agirait de fonder les réglementations sur les normes internationales, lorsque celles-ci existent. En matière de médicaments, un certain nombre de régulateurs d’Amérique, d’Europe, du Japon et d’ailleurs, ont par exemple élaboré des directives au travers de laConférence internationale sur l'harmonisation des exigences techniques pour l'enregistrement des médicaments à usage humain, qui mobilise l’expertise collective de ces États. Plusieurs pays tels que la Corée du Sud et Singapour exploitent ces directives afin d’enrichir leur propre système de réglementation. Ainsi les citoyens de ces pays pourront-ils bénéficier d’un accès rapide aux médicaments, tandis que leurs chercheurs seront plus à même de prendre part aux recherches cliniques mondiales, ce qui représente une aubaine pour les industries nationales.
L’efficacité d’une institution réglementaire se mesurant par la compétence des individus qu’elle emploie, un autre domaine d’action nécessaire de la part des pays en voie de développement réside dans la formation d’un personnel qualifié. En Chine, le Centre d’évaluation des médicaments, agence chargée d’examiner les demandes de commercialisation de produits médicaux, emploie à peine 200 salariés. Par opposition, la Food and Drug Administration américaine compte quelque 4 000 professionnels, l’Agence européenne des médicaments en employant 3 000. Sans surprise, le processus chinois d’approbation de nouveaux médicaments est ainsi le plus lent de la planète – nécessitant en moyenne huit années – les patients étant par conséquent privés d’accès aux médicaments dont ils auraient besoin.
Bien que la démarche consistant à bâtir les compétences intellectuelles et institutionnelles nécessaires puisse exiger plusieurs années, elle n’en demeure pas moins réalisable. Il y a dix ans, la procédure japonaise d’approbation des médicaments se révélait absolument léthargique en comparaison à d’autres pays développés. Ainsi le Japon a-t-il fait de l’accélération de ce processus une véritable priorité, réalisant par la suite des progrès considérables. Le délai médian d’approbation des nouveaux médicaments est ainsi tombé de 833 jours en 2006 à 306 jours en 2012, selon le Centre londonien d’innovation en matière de science réglementaire.
Pour être véritablement efficace, les réglementations doivent être appuyées par de solides mécanismes de mise en œuvre – avec application de sanctions en cas de non-conformité. Ceci exige alors la présence d’une justice permettant de trancher les litiges, ainsi que d’appliquer un traitement juste et équitable, dans les délais convenus. Pour l’Inde, qui ne dispose que de 1,2 juges pour 100 000 justiciables (contre 10,8 aux États-Unis), il y a là un défi considérable. Selon la Cour suprême indienne, le pays présentait en mars 2012 quelque 31,2 millions d’affaires en cours de traitement, pour plus de 80 % au sein de tribunaux inférieurs. Ce retard considérable ne cesse de s’accumuler – susceptible de mettre à mal la primauté du droit.
Les États les plus riches de la planète ont eu la possibilité de bâtir leur infrastructure réglementaire sur plusieurs générations, à une époque de faible concurrence mondiale directe. Les marchés émergents sont aujourd’hui contraints de façonner la leur dans des délais bien moindres.
Ce chantier ne sera facile nulle part. Il exigera d’importantes ressources, risquant par ailleurs de contrarier un certain nombre d’entreprises nationales habituées à une faible supervision réglementaire. Pour autant, à condition d’une mise en œuvre appropriée, les réglementations les plus saines permettront de renforcer la capacité de croissance des États, tout en protégeant les citoyens et en élevant leur niveau de vie à long terme.
Traduit de l’anglais par Martin Morel
Rod Hunter, ancien directeur principal en économie internationale au sein du Conseil de sécurité nationale du président George W. Bush, est aujourd’hui vice-président principal de l’association Pharmaceutical Research and Manufacturers of America.
© Project Syndicate 1995–2014