Cet excès de zèle a été particulièrement frappant aux Etats-Unis, où la réaction initiale a inclus des contrôles des voyageurs en provenance de la Guinée, du Liberia et de la Sierra Leone. Plus problématique encore, certains États ont imposé une quarantaine de 21 jours aux soignants bénévoles en provenance des pays touchés par l’épidémie. Heureusement, les vives protestations politiques contre ces mesures de quarantaine ont conduit certains gouverneurs à les lever rapidement.
Il est temps pour les pays développés de comprendre que la meilleure manière de protéger leurs citoyens du virus Ebola est d’agir pour enrayer la progression de l’épidémie en Afrique de l’Ouest même. Il est avant tout nécessaire à cette fin de disposer d’une capacité de déploiement rapide face au virus Ebola dans les trois pays les plus touchés. Cette capacité doit comprendre des fonds adéquats (et importants) ; des médecins, des infirmiers, en sus des soignants locaux, bien formés ; et une meilleure formation locale au plan du diagnostic, du traitement, de la recherche des contacts et de l’isolement des individus infectés.
Il n’y a pas de temps à perdre. En fait, l’absence d’un leadership déterminé a déjà retardé, sur une trop longue période, une riposte internationale efficace à la flambée actuelle du virus Ebola, augmentant d’autant le coût de cette crise.
Si la communauté internationale doit dans un premier temps enrayer la propagation du virus, elle doit surtout tirer les enseignements de la crise actuelle pour pouvoir faire face à une urgence sanitaire potentielle future, en développant un réponse crédible qui mette l’accent sur une action rapide, décisive et fondée sur les faits. Pour ce faire, trois initiatives clés doivent être lancées.
Premièrement, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) doit constituer un fonds d’intervention d’urgence qui pourrait être rapidement mobilisé une fois déclarée une « urgence de santé publique de portée internationale ». Si un fonds de ce genre avait existé pour opposer une vigoureuse réponse initiale aux premières manifestations du virus Ebola, l’OMS aurait eu de bonnes raisons de déclarer une urgence internationale en temps voulu.
En fait, le Comité d’examen du Règlement sanitaire international de l’OMS avait recommandé la création d’un tels fonds en 2011, à hauteur de 100 millions de dollars. Alors que ce montant, équivalent à 0,5 pour cent seulement de l’ensemble de l’aide internationale à la santé, aurait été aisé à réunir, l’OMS a échoué à constituer ce fonds. La folie de cette décision n’est que trop évidente aujourd’hui, tout comme le fait que ce fonds d’intervention d’urgence devrait être nettement plus important et s’élever à 500 millions de dollars au moins.
Le second pilier d’une stratégie efficace de riposte à une crise sanitaire est la constitution d’un personnel de réserve d’urgence – choisi par l’OMS, en coopération avec les gouvernements nationaux – et comprenant des professionnels de la santé bien formés et prêts à être déployés rapidement dans des pays à faible revenu. Cela permettrait à des pays dont les systèmes de santé sont défaillants – et qui sont particulièrement vulnérables à des flambées de maladies infectieuses – de disposer des ressources humaines nécessaires pour contrôler rapidement des crises sanitaires.
De telles mesures ne diminuent bien sûr en rien la responsabilité qu’ont ces pays dans l’amélioration de leur système de santé et envers leurs populations. Pour cette raison, le troisième pilier, et le plus important, pour éviter des crises sanitaires mondiales futures, est la création d’un Fonds mondial pour la santé destiné à aider les pays qui en ont besoin à acquérir les capacités leur permettant de riposter efficacement dans des situations d’urgence et à fournir des soins de santé complets en temps normal. Un tel fonds pourrait entrer dans le cadre du Règlement sanitaire international adopté en 2005, et faire progresser la cause de l’accès universel aux soins sur la base du principe que tout le monde a un droit à la santé.
Il convient également que les gouvernements consacrent les ressources nationales adéquates pour atteindre ces objectifs. Les gouvernements africains pourraient par exemple concrétiser l’engagement contenu dans la déclaration d’Abuja qui prévoyait que 15 pour cent au moins des budgets nationaux seraient consacrés au secteur de la santé. Mais pour les pays aux revenus les plus bas, réaliser des progrès sérieux dans l’établissement de systèmes de santé solides est pratiquement impossible sans l’aide d’un fonds international.
Étant donné que la création d’un tel fonds implique des investissements de plusieurs milliards de dollars dans les pays aux revenus les plus bas, la mobilisation sociale est la clé permettant de générer le soutien politique nécessaire. A cet égard, la riposte mondiale à la pandémie du Sida – stimulée par le Plan d’urgence du Président pour la Lutte contre le Sida (PEPFAR) et le Fonds mondial de lutte contre la sida, la tuberculose et le paludisme – pourrait servir de modèle.
Au-delà de l’établissement d’infrastructures de santé solides, les gouvernements nationaux devront établir des procédures de reddition de comptes dans le cadre des services de santé fournis à leurs populations, comprenant notamment une gestion équitable et transparente des ressources, des mesures de protection contre la corruption, des outils pour mesurer les progrès, un engagement de la société civile et l’obligation de rendre compte des échecs.
De manière à faire progresser ces objectifs, une coalition internationale demande aujourd’hui l’adoption d’une Convention cadre sur la santé mondiale, de façon à encourager une bonne gouvernance de la santé aux plans local, national et international. Ce traité, basé sur le principe du droit à la santé, fournirait des lignes directrices claires pour l’allocation des ressources et l’attribution des autres responsabilités.
L’épidémie d’Ebola en Afrique de l’Ouest doit inciter à un changement de cap de la politique internationale dans le domaine de la santé, et souligner la nécessité de moyens de réponse rapide et d’infrastructures de santé solides. Établir des cadres définissant un financement modulable et viable de façon à parvenir à ces objectifs est un investissement sage et abordable – dans l’intérêt de tous. Cette réponse humanitaire globale sera source d’avantages importants dans le monde, aujourd’hui et à l’avenir.
Traduit de l’anglais par Julia Gallin
Lawrence O. Gostin est professeur de droit international de la santé et directeur de faculté du O’Neill Institute for National and Global Health Law. Il est également directeur du Collaborating Center on Public Health Law de l’OMS à l’université de Georgetown.
Il est temps pour les pays développés de comprendre que la meilleure manière de protéger leurs citoyens du virus Ebola est d’agir pour enrayer la progression de l’épidémie en Afrique de l’Ouest même. Il est avant tout nécessaire à cette fin de disposer d’une capacité de déploiement rapide face au virus Ebola dans les trois pays les plus touchés. Cette capacité doit comprendre des fonds adéquats (et importants) ; des médecins, des infirmiers, en sus des soignants locaux, bien formés ; et une meilleure formation locale au plan du diagnostic, du traitement, de la recherche des contacts et de l’isolement des individus infectés.
Il n’y a pas de temps à perdre. En fait, l’absence d’un leadership déterminé a déjà retardé, sur une trop longue période, une riposte internationale efficace à la flambée actuelle du virus Ebola, augmentant d’autant le coût de cette crise.
Si la communauté internationale doit dans un premier temps enrayer la propagation du virus, elle doit surtout tirer les enseignements de la crise actuelle pour pouvoir faire face à une urgence sanitaire potentielle future, en développant un réponse crédible qui mette l’accent sur une action rapide, décisive et fondée sur les faits. Pour ce faire, trois initiatives clés doivent être lancées.
Premièrement, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) doit constituer un fonds d’intervention d’urgence qui pourrait être rapidement mobilisé une fois déclarée une « urgence de santé publique de portée internationale ». Si un fonds de ce genre avait existé pour opposer une vigoureuse réponse initiale aux premières manifestations du virus Ebola, l’OMS aurait eu de bonnes raisons de déclarer une urgence internationale en temps voulu.
En fait, le Comité d’examen du Règlement sanitaire international de l’OMS avait recommandé la création d’un tels fonds en 2011, à hauteur de 100 millions de dollars. Alors que ce montant, équivalent à 0,5 pour cent seulement de l’ensemble de l’aide internationale à la santé, aurait été aisé à réunir, l’OMS a échoué à constituer ce fonds. La folie de cette décision n’est que trop évidente aujourd’hui, tout comme le fait que ce fonds d’intervention d’urgence devrait être nettement plus important et s’élever à 500 millions de dollars au moins.
Le second pilier d’une stratégie efficace de riposte à une crise sanitaire est la constitution d’un personnel de réserve d’urgence – choisi par l’OMS, en coopération avec les gouvernements nationaux – et comprenant des professionnels de la santé bien formés et prêts à être déployés rapidement dans des pays à faible revenu. Cela permettrait à des pays dont les systèmes de santé sont défaillants – et qui sont particulièrement vulnérables à des flambées de maladies infectieuses – de disposer des ressources humaines nécessaires pour contrôler rapidement des crises sanitaires.
De telles mesures ne diminuent bien sûr en rien la responsabilité qu’ont ces pays dans l’amélioration de leur système de santé et envers leurs populations. Pour cette raison, le troisième pilier, et le plus important, pour éviter des crises sanitaires mondiales futures, est la création d’un Fonds mondial pour la santé destiné à aider les pays qui en ont besoin à acquérir les capacités leur permettant de riposter efficacement dans des situations d’urgence et à fournir des soins de santé complets en temps normal. Un tel fonds pourrait entrer dans le cadre du Règlement sanitaire international adopté en 2005, et faire progresser la cause de l’accès universel aux soins sur la base du principe que tout le monde a un droit à la santé.
Il convient également que les gouvernements consacrent les ressources nationales adéquates pour atteindre ces objectifs. Les gouvernements africains pourraient par exemple concrétiser l’engagement contenu dans la déclaration d’Abuja qui prévoyait que 15 pour cent au moins des budgets nationaux seraient consacrés au secteur de la santé. Mais pour les pays aux revenus les plus bas, réaliser des progrès sérieux dans l’établissement de systèmes de santé solides est pratiquement impossible sans l’aide d’un fonds international.
Étant donné que la création d’un tel fonds implique des investissements de plusieurs milliards de dollars dans les pays aux revenus les plus bas, la mobilisation sociale est la clé permettant de générer le soutien politique nécessaire. A cet égard, la riposte mondiale à la pandémie du Sida – stimulée par le Plan d’urgence du Président pour la Lutte contre le Sida (PEPFAR) et le Fonds mondial de lutte contre la sida, la tuberculose et le paludisme – pourrait servir de modèle.
Au-delà de l’établissement d’infrastructures de santé solides, les gouvernements nationaux devront établir des procédures de reddition de comptes dans le cadre des services de santé fournis à leurs populations, comprenant notamment une gestion équitable et transparente des ressources, des mesures de protection contre la corruption, des outils pour mesurer les progrès, un engagement de la société civile et l’obligation de rendre compte des échecs.
De manière à faire progresser ces objectifs, une coalition internationale demande aujourd’hui l’adoption d’une Convention cadre sur la santé mondiale, de façon à encourager une bonne gouvernance de la santé aux plans local, national et international. Ce traité, basé sur le principe du droit à la santé, fournirait des lignes directrices claires pour l’allocation des ressources et l’attribution des autres responsabilités.
L’épidémie d’Ebola en Afrique de l’Ouest doit inciter à un changement de cap de la politique internationale dans le domaine de la santé, et souligner la nécessité de moyens de réponse rapide et d’infrastructures de santé solides. Établir des cadres définissant un financement modulable et viable de façon à parvenir à ces objectifs est un investissement sage et abordable – dans l’intérêt de tous. Cette réponse humanitaire globale sera source d’avantages importants dans le monde, aujourd’hui et à l’avenir.
Traduit de l’anglais par Julia Gallin
Lawrence O. Gostin est professeur de droit international de la santé et directeur de faculté du O’Neill Institute for National and Global Health Law. Il est également directeur du Collaborating Center on Public Health Law de l’OMS à l’université de Georgetown.