Entre l’Europe et la Chine: un bond en avant de fin d’année

Jeudi 7 Janvier 2021

Félicitations à la Commission européenne pour avoir finalisé le nouvel accord d’investissements avec la Chine. L’active diplomatie européenne avait déjà contribué à l’engagement récemment pris par la Chine d’atteindre en 2060 la neutralité carbone – décision rapidement suivie par le Japon assurant sa décarbonation pour 2050. Aujourd’hui, elle enregistre un nouveau succès, et non des moindres.


Le nouvel accord d’investissements entre l’Union européenne et la Chine bénéficiera à l’Europe, à la Chine, au monde, et même aux États-Unis, malgré leurs mises en garde à son égard. Pour résumer, l’accord affiche l’intention de l’UE et de la Chine d’approfondir leurs relations économiques, en garantissant à chacune des parties un meilleur accès de ses investissements à l’économie de l’autre. L’industrie européenne pénétrera plus aisément l’immense marché chinois, alors même que la Chine inaugure une restructuration économique verte et numérique pour la décennie qui vient, tandis que l’Europe s’applique quant à elle à se maintenir aux premiers rangs de la technologie dans ces domaines.

L’accord survient malgré les efforts malencontreux – et même dangereux – de l’administration du président des États-Unis Donald Trump destinés non seulement à couper les liens économiques avec les entreprises chinoises de technologie, mais aussi à faire pièce à la croissance chinoise en créant une alliance sous direction américaine soutenue par les pays de l’UE et de la région Asie-Pacifique, dont l’Australie, l’Inde, le Japon et la Corée du Sud. Il semble que la prochaine administration Biden puisse pencher dans la même direction, quoiqu’avec certainement plus de finesse et moins d’emphase.

Le but avéré de la politique des États-Unis à l’égard de la Chine est, si l’on en croit Washington, de mettre un frein aux velléités de belligérance de Pékin et à ses violations des droits humains. Il n’est pas inutile de rappeler que cette politique a les faveurs des milieux dirigeants de la politique étrangère aux États-Unis, dans un parti comme dans l’autre, qui s’emploient à maintenir quelque 800 bases militaires hors des frontières et ont lancé maintes guerres illégales, imposé des sanctions unilatérales, et sinon refusé de se plier à la Charte des Nations Unies, aux traités signés par celles-ci et aux décisions du Conseil de sécurité. Il est à l’évidence difficile d’affirmer qu’en ces matières, c’est la Chine qui adopte une attitude belliqueuse.

La Chine doit sans aucun doute améliorer son bilan en matière de droits humains – notamment répondre aux questions soulevées par la Haute Commissaire de l’ONU aux droits de l’homme  concernant la situation au Xinjiang, la région autonome ouïgoure. Mais soyons clairs : les États-Unis, l’Europe, l’Inde et nombre de pays occidentaux devraient eux aussi faire des progrès dans leur respect des droits humains. Au cours des vingt dernières années, notamment, les populations musulmanes du Moyen-Orient ainsi que d’Asie méridionale et centrale ont régulièrement souffert de guerres cruelles déclenchées par les puissances occidentales, de répressions dans certains pays, de sanctions décidées unilatéralement par les États-Unis et de nombreux actes de violence. 

Le fait est que peu de pays respectent comme ils le devraient pourtant la Déclaration universelle des droits de l’homme ; et les États-Unis, pour leur grande honte, n’ont toujours pas ratifié le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels [1966], ce qu’ont pourtant fait depuis longtemps la Chine et les vingt-sept États membres de l’UE. La question réellement préoccupante des droits humains doit d’abord être soulevée de façon constructive et sérieuse, sans stigmatisation hypocrite, ni exagération, ni déstabilisation du dialogue, de la diplomatie ou des relations économiques. Que le pays qui n’a pas péché jette la première pierre.

Mais les intentions réelles de l’Amérique dans son opposition à la Chine n’ont rien à voir avec les droits humains. Plus particulièrement sous une administration Trump dénuée de tout scrupule, la politique des États-Unis est dictée par une soif de domination pure et simple. Les États-Unis tentent de stopper l’essor technologique et économique de la Chine afin de préserver leur propre suprématie. Le système économique mondial, ne peut ni ne doit fonctionner au bénéfice de l’hégémonie des États-Unis, encore moins si l’on considère que ces derniers ne représentent que 4 % de la population de la planète.

Après les tragédies de l’année 2020, le monde a besoin d’une coopération accrue, non d’une nouvelle guerre froide attisée par les États-Unis. Il est temps que nous parvenions à contrôler la pandémie et que nous définissions un nouveau cap vers le redressement de nos économies et vers un développement durable. La Chine peut et doit être impliquée comme partenaire à part entière afin de relever ces gageures.

Après tout, à la différence des États-Unis et de l’Europe, la Chine est parvenue à éliminer en 2020 l’épidémie de Covid-19 sur son territoire (à l’instar de presque tous les pays de la région Asie-Pacifique). Aujourd’hui, la Chine et ses voisins devraient aider le reste du monde à mettre en place des procédures non pharmaceutiques (dépistage, traçage des cas contact, placement en quarantaine) comme ils l’ont eux-mêmes fait avec succès alors que ni les Américains ni les Européens n’y sont parvenus. Et dès lors que l’innocuité et l’efficacité des nouveaux vaccins Sinovac et Sinopharm aura été démontrée, avec des publications dans des revues à comité de lecture, la Chine devra commencer à les produire massivement et à les distribuer dans le monde.

L’UE, la Chine et l’administration du président élu Joe Biden devraient aussi joindre leurs forces pour définir un projet de relance verte et numérique. Nous en avons désormais les moyens, avec les principaux pays émetteurs de gaz à effet de serre s’efforçant de parvenir à la neutralité carbone et Biden prévoyant de réintégrer l’accord de Paris sur le climat et d’engager les États-Unis sur la voie d’une économie décarbonée à l’horizon 2050.

En outre, la mise au point et en œuvre de nouvelles technologies vertes – énergies renouvelables, véhicules électriques et stockage en batteries de l’électricité – sera pour la coopération mondiale un avantage immense. Ainsi cette semaine, un important producteur d’hydroxyde de lithium, le groupe chinois Yahua, a-t-il signé un contrat d’approvisionnement sur cinq ans pour les batteries du fabricant américain de véhicules électriques Tesla.

Les technologies numériques offrent de semblables possibilités. Dans un monde où l’accès au numérique devient la base de la participation à l’économie, les technologies s’appuyant sur la 5G laissent espérer des solutions innovantes à toutes sortes d’enjeux cruciaux, qui vont de l’amélioration de l’efficacité énergétique au développement du commerce et des soins de santé en ligne. Très opportunément, l’accord d’investissements conclu entre l’UE et la Chine contribuera au dynamisme de la coopération numérique, qui pourrait donner au développement durable un immense élan.

Il importera pourtant que l’Europe continue de résister aux pressions des États-Unis à l’encontre de la Chine. L’arme principale de Trump a été l’interruption des exportations de technologies avancées, dans l’espoir de mettre Huawei et d’autres entreprises technologiques à genoux. Cette initiative sort directement du manuel stratégique de défense de l’hégémonie américaine, tel qu’il fut appliqué contre l’Union soviétique durant la guerre froide.

L’administration Trump justifie cette attitude envers Huawei en affirmant que Pékin pourrait espionner les pays utilisant les équipements du géant chinois. Elle s’explique de façon plus plausible par les difficultés que rencontrera le gouvernement des États-Unis dans l’espionnage de ces mêmes pays – ou de ses propres concitoyens – si de tels équipements sont effectivement utilisés. Mais il est plus probable encore que les États-Unis croient naïvement pouvoir maintenir indéfiniment leur supériorité technologique sur la Chine en bloquant son accès à des intrants avancés. La Chine sera vraisemblablement capable, malgré cela, de combler elle-même rapidement les écarts technologiques subsistant dans la production des semi-conducteurs.

L’Europe a raison de dialoguer activement, en profondeur et de façon constructive avec la Chine, sans trahir ses convictions fermes et dignes d’admiration pour ce qui concerne le respect des droits humains dans le monde. L’administration Biden devrait résister à la pulsion hégémonique et relancer des relations constructives avec la Chine.

Pour l’heure, l’accord d’investissements conclu entre l’Union européenne et la Chine est une heureuse manière de conclure une année particulièrement difficile. L’UE affirme ses propres priorités en matière de politique étrangère et s’émancipe des États-Unis. Mais d’autres défis nous attendent en 2021, car il est urgent que le monde change de cap afin de mettre un terme à la pandémie et de s’avancer sur la route du développement durable.
Traduit de l’anglais par François Boisivon
Jeffrey D. Sachs, professeur de développement durable et de politiques de santé publique à l’université Columbia, est directeur du Centre pour le développement durable de Columbia et du Réseau des solutions pour le développement durable des Nations Unies.
© Project Syndicate 1995–2021
 
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