Le système éducatif sénégalais est mal en point. Ce constat, largement partagé par des acteurs du milieu se traduit aujourd’hui par la faiblesse du niveau de la langue française de ses pensionnaires et la faiblesse des résultats au niveau des différents examens. Depuis plus d’une décennie, la courbe des résultats est en baisse en fonction de chaque cycle scolaire. Et on n’est plus loin de l’abîme avec des taux de réussite moyenne aux différents examens qui sont en deçà des 30%. De l’élémentaire au secondaire, en passant par le moyen, les résultats sont d’une faiblesse criarde. Et, tous les acteurs en conviennent, chefs d’établissements, professeurs, instituteurs et même au niveau central, dans les différentes inspections et autres directions du ministère de l’éducation.
Les résultats de l’enquête «Jangandoo 2014» du Laboratoire de Recherche sur les Transformations Economiques et Sociales (Lartes) confirme cette thèse.
Avec des chiffres à l’appui, cette évaluation indépendante sur la qualité des apprentissages au Sénégal, révèle l’ampleur du mal. Plusieurs facteurs sont convoqués pour expliquer cette baisse de niveau et de performance des élèves. Selon certains acteurs interrogés, le fait que les élèves peinent à manier correctement la langue française est l’une des premières causes de cette baisse de niveau des élèves.
La lecture ne fait plus partie de leurs hobbies.
Brigitte Aho, professeur de français au Cours Sainte Bernadette, en 6ème et 4ème reconnait que les élèves ne lisent plus et l’internet est venu aggraver les choses.
«Le français n’a pas de secret. Il faut beaucoup lire et faire beaucoup de dictées pour s’en sortir. C’est dans la lecture et la recherche qu’on se familiarise avec le Français et c’est valable pour toutes les matières», a-t-elle fait remarquer. Et le comble du malheur, estime l’enseignante, est l’open source que constitue l’internet qui est un couteau à double tranchant, car les élèves y vont sans avoir les outils critiques nécessaires pour valider un savoir ou une information. «Pour tout travail qu’on leur demande de faire, ils vont directement sur l’internet sans faire un travail de sélection. Ils copient tout ce qu’ils trouvent alors que ce n’est pas vérifié», se désole-t-elle.
Ce faible niveau de la langue d’apprentissage influe beaucoup sur les performances des élèves dans les autres disciplines. S’y ajoute un manque d’intérêt pour les études.
Le professeur de Mathématiques et de Physique-Chimie au Cours Sainte Bernadette, Philibert Djibane Ngom donne deux raisons pour expliquer le constat en ces termes : «en mathématiques, les sujets sont libellés en français et quand l’élève ne comprend pas, ça peut jouer dans le traitement». A cela vient se greffer un second facteur non moins important et imputable aux apprenants. «Les élèves n’apprennent pas le cours de Maths, ni les règles, ni les théorèmes, ni les définitions. Or, pour travailler, pour pouvoir faire ses exercices, il faut connaitre ses théorèmes, surtout en géométrie. Il faut aussi connaître les formules en activité numérique. Mais en géométrie pour démontrer, il faut que les élèves se servent d’outils et les outils mathématiques sont les théorèmes, les propriétés et les définitions. Or, ils ne les apprennent pas. Donc, ils n’arrivent pas à démontrer, ils n’arrivent pas à travailler».
La qualité de la ressource humaine et des séances d’enseignement-apprentissage est un autre élément d’explication de cette baisse. Certains se demandent si ceux qui sont chargés de dispenser les cours sont suffisamment outillés pour la tâche. De l’avis de Mme Cissé Adama Diba, directrice de l’école Amadou Diagne Woré, si le niveau des enfants est trop bas, c’est parce que les enseignements-apprentissages ne se déroulent pas comme il le faut. «Si l’enseignant n’est pas bien formé, il transmet une connaissance qui laisse à désirer. Et il y’a d’autres qui n’ont même pas été formés, surtout ceux du quota sécuritaire. Et ce sont ces éléments qui sont dans les écoles. En général, ils occupent les grandes classes». Pour elle, c’est le cycle fondamental ou la formation initiale des enfants est importante. Or, cette étape est souvent escamotée. «Un enfant, avant d’aller en cour élémentaire première année (CE1), doit savoir lire et écrire correctement, sinon il ne pourra pas apprendre et écrire ses leçons.»
Elle relève également un certain nombre de qualités qui font aujourd’hui défaut aux enseignants. «Il faut l’assiduité, la ponctualité. L’enseignant doit faire des recherches, lire son guide sans pour autant être esclave du guide, avoir beaucoup de bagages intellectuels pour pouvoir piloter le programme», laisse-t-elle entendre.
Un autre goulot d’étranglement dans le cycle fondamental, c’est le refus pour la plupart des enseignants à s’adapter au nouveau curriculum des apprentissages, qui du reste n’a pas été pris en compte dans leur formation initiale. Malgré quelques séminaires d’imprégnation sur le curriculum, la plupart des instituteurs ont encore du mal à faire les ruptures nécessaires pour introduire cette nouvelle démarche dans leurs pratiques de classe. «Il y a des anciens enseignants qui ont leurs anciennes fiches et ne suivent pas le programme. Or, avec le curriculum il y a un grand changement. On évalue un cycle. Raison pour laquelle, nos enseignants ont des problèmes et nos enfants aussi», explique-t-elle. Dans la même vaine, la directrice d’école élémentaire explique que tout le problème est lié au français. «Le français est mal enseigné. Les enfants ne fouillent plus, ne se documentent plus, ne cherchent plus des outils. C’est l’enseignant qui doit aller vers la recherche et la collecte des outils. Parce que sans les outils, ils ne peuvent pas avancer», a- t-elle-conseillé.
Ibrahima Barry Gassama, instituteur dans cet établissement, indexe pour sa part le principe de la scolarisation universelle et la notion de « Zéro redoublement » qui n’incitent plus au surpassement des maitres dans leur classe.
«Avant au Cm2, le maître faisait tout pour avoir un bon pourcentage. Actuellement, avec le système «Goana», tous les élèves de Cm2 passent au collège. Les maîtres peuvent, s’ils le souhaitent, ne pas fournir d’efforts par rapport à cela», dit-il.
Des enseignants par effraction et non par vocation
Certains «doyens» indexent également le système de recrutement initié à partir de 1995 et qui a fait entrer dans le système des gens qui n’avaient pas l’amour du métier, mais voulaient juste en faire un tremplin pour aller vers d’autres carrières.
«Les enseignants sont entrés dans l’enseignement pour un gagne-pain, mais non par passion», relève Mme Cissé. La directrice d’école révèle que l’école sénégalaise a perdu tout ce qui faisait son charme et son essence. «A notre époque, enseigner était un honneur, une course vers le transfert du savoir. Moi mon honneur, c’était d’avoir plus d’admis dans la circonscription», a-t-elle expliqué. Avant d’ajouter : «si vraiment c’étaient encore les enseignants d’antan, le niveau n’allait pas baisser. Une bonne formation, les intrants dans les écoles, et aussi le dévouement de l’enseignant, l’esprit de recherche, la volonté, l’assiduité et l’amour du métier sont des qualités qui manquent à cette génération d’enseignants», a-t-elle fustigé.
Classes pléthoriques et déficit de matériels didactiques indexes Un autre facteur conduisant à la mauvaise performance des élèves est lié aux effectifs pléthoriques dans les salles de classes. Ce qui influe négativement sur les résultats d’une classe.
Dans les établissements publics, on se retrouve dans certaines classes avec des effectifs qui dépassent 120 élèves. Dans ces conditions, les enseignants avouent leur impuissance pour gérer la discipline et l’espace pédagogique. Ils évoquent la difficulté qu’il y a, à contrôler le travail individuel de chaque élève, mais aussi à circuler entre les rangées de table-bancs.
«On a des difficultés pour enseigner correctement. Avec un effectif aussi pléthorique, c’est difficile d’enseigner. Dès fois, quand les élèves terminent, tu es obligé de regarder ce qu’ils ont fait, parce que nous évaluons. Ça nous prend du temps. Et on nous demande d’installer la discipline. Ce n’est pas possible», peste Ibrahima Barry Gassama. Et de poursuivre : «tous les table-bancs sont défectueux. On n’a pas les matériels adéquats. Et les élèves n’ont pas de livres. Sans occulter la caducité du livre de géographie».
Embouchant la même trompette, le professeur de mathématiques au Cours Sainte Bernadette, Philibert Djibane Ngom, a aussi déploré les effectifs pléthoriques. «Pour suivre 50 élèves, ce n’est pas du tout difficile. Or, l’effectif normal serait peut être de 30 à 40 élèves. Là, on a davantage la possibilité de répondre à toutes les questions des élèves», dit-il.
Se basant sur les résultats 2013 et 2014 de l’enquête «Jangandoo», l’inspecteur de l’éducation et de formation(Ief) de Grand Dakar, Mame Sellé Ndiaye affirme que « le ce niveau très faible des élèves se reflète dans la performance des élèves en lecture et en mathématiques. Selon ce rapport «Jangandoo», les résultats de 2014 sur l’ensemble des enfants de 6 à 14 ans testés montrent que la qualité des apprentissages est à améliorer. Selon la comparaison des taux de réussite de 2013 et 2014, on peut noter que «la lecture tourne autour de 22,2% en 2013 et 22,7% en 2014, le calcul était de 16, 1% en 2013 et 22, 2% en 2014».
«Dans l’ensemble, le taux de réussite en lecture est estimé à 27,7%. Les enfants issus de la région de Dakar enregistrent un taux de 44, 5% largement supérieur à la moyenne nationale. Ils sont suivis par les enfants de Diourbel (30,7%) et ceux de Ziguinchor (28,3%). A Kolda, les contreperformances des enfants au test sont encore plus marquées avec un taux de réussite de 11%. Le constat majeur est que la compréhension reste un défi pour les enfants», a notée l’enquête «Jangandoo 2014».
L’équation de l’atteinte du quantum horaire
Les grèves récurrentes des enseignants impactent négativement sur les résultats scolaires des élèves. En effet, elles provoquent des pertes énormes dans le temps normal d’apprentissage, ce qui fait que les programmes ne sont jamais achevés.
Selon l’inspecteur, «quand on considère les guides pédagogiques qui doivent être enseignés au niveau de chaque classe avec ses grèves récurrentes, on n’a pas la possibilité d’achever le programme. Et ça contribue à affaiblir le niveau des élèves».
D’où l’urgence pour «les autorités à travailler pour que les grèves puissent être beaucoup plus réduites ou ne puissent plus exister dans le système éducatif».
L’absentéisme des élèves est également relevé par Mame Sellé Ndiaye qui plaide pour une synergie entre l’école, les familles des enfants et l’environnement scolaire afin de garantir les performances.
«Un élève qui s’absente, perd une bonne partie du quantum horaire et ça pose un problème. Au niveau des foyers et au niveau des écoles, il faut qu’il y ait une synergie pour qu’on puisse accompagner les élèves pour qu’ils aient la possibilité d’être à l’école tout le temps. Il s’y ajoute aussi, un autre élément qui est l’environnement scolaire, la salubrité, l’hygiène, et qui font partie du package de qualité», indispensable à la performance.
Rareté des manuels didactiques
Dans cette enquête approfondie, sur les raisons de cette plongée abyssale du système éducatif sénégalais, les acteurs ont également souligné le manque de matériel didactique. «Dans les écoles, il n’y a rien. Il n’y a pas de livres. On parle de français alors qu’il n’y a pas de livres de français. L’année dernière, on a reçu un seul livre de français au CI. Cette année, on a donné des livres de français à la classe du cours initial (Ci) et du Cours préparatoire (Cp). Mais, pour le Ce1, le Ce2, le Cm1 et le Cm2, cela pose problème. Parce que la base n’a pas été fournie, bien pilotée. Ces enfants qui sont déjà dans la classe de Cours moyen (Cm2) n’avaient pas de livre de lecture et ils sont dans le curriculum», a fustigé la directrice Mme Cissé Adama Diba.
Un fait confirmé par l’enquête «Jangaandoo 2014» et qui touche presque toutes les régions du pays. Au niveau national, la majorité des lieux d’apprentissages visités (59, 9%) ont rarement des manuels disponibles. Au niveau régional, Louga enregistre la plus faible disponibilité de manuels, soit 89, 4% de déficit. A l’opposé, la région de Dakar enregistre la plus forte disponibilité de manuels. Il faut également noter que dans les régions de Kédougou, Matam et Kolda, il n’existe aucun lieu d’apprentissage parmi ceux visités où la disponibilité des manuels est forte».
Inadéquation de la politique d’éducation à la politique de développement
Sortir l’école de l’encyclopédisme pour la mettre sur les rails de l’efficacité. C’est ce que suggèrent beaucoup d’enseignants professeurs et instituteurs qui déplorent la lourdeur des programmes à enseigner et souvent peu conformes aux besoins du pays. C’est l’avis de ce professeur de Physique et chimie au lycée John Fitzgerald Kennedy. Assane Samb, fait comprendre «qu’il y a des parties qu’il faut élaguer. Comme ces chapitres de certaines disciplines qui n’apportent rien. Les enfants sont brouillés de matières inutiles et dépassées». Pour lui, «il faut cibler, car il y a certains pays qui le font. A partir de la seconde, pratiquement, il y a une spécialisation». Il indique par ailleurs que l’enseignement général est dépassé et contribue beaucoup à cette baisse du niveau des élèves. «S’il nous arrive parfois de faire des travaux pratiques, on remarque combien les enfants y sont intéressés. Les enfants, ce qui les intéressent c’est la pratique et la théorie».
M. Samb estime qu’il faut éliminer l’enseignement général qui, comme dans la plupart des pays, n’apporte pas aux élèves des compétences pratiques, au contraire pour lui avec ce système «un élève peut avoir sa maitrise en Sciences Physiques, et parfois, il ne peut même pas réparer une ampoule grillée parce que tout simplement, ils n’ont fait que la théorie». «Nous sommes dans un pays de pratique, il faut pratiquer», lance-t-il avant de préconiser la refondation de notre système éducatif. «Je pense qu’il faut tout refaire parce que c’est le même système depuis les années 1800, depuis que nos pères étaient à l’école rien a changé. Notre politique d’éducation n’est pas tellement adéquate à notre politique de développement. On ne fait que recopier et on recopie mal. On recopie la France et on n’a pas les mêmes réalités», laisse-t-il entendre.
http://www.sudonline.sn
Les résultats de l’enquête «Jangandoo 2014» du Laboratoire de Recherche sur les Transformations Economiques et Sociales (Lartes) confirme cette thèse.
Avec des chiffres à l’appui, cette évaluation indépendante sur la qualité des apprentissages au Sénégal, révèle l’ampleur du mal. Plusieurs facteurs sont convoqués pour expliquer cette baisse de niveau et de performance des élèves. Selon certains acteurs interrogés, le fait que les élèves peinent à manier correctement la langue française est l’une des premières causes de cette baisse de niveau des élèves.
La lecture ne fait plus partie de leurs hobbies.
Brigitte Aho, professeur de français au Cours Sainte Bernadette, en 6ème et 4ème reconnait que les élèves ne lisent plus et l’internet est venu aggraver les choses.
«Le français n’a pas de secret. Il faut beaucoup lire et faire beaucoup de dictées pour s’en sortir. C’est dans la lecture et la recherche qu’on se familiarise avec le Français et c’est valable pour toutes les matières», a-t-elle fait remarquer. Et le comble du malheur, estime l’enseignante, est l’open source que constitue l’internet qui est un couteau à double tranchant, car les élèves y vont sans avoir les outils critiques nécessaires pour valider un savoir ou une information. «Pour tout travail qu’on leur demande de faire, ils vont directement sur l’internet sans faire un travail de sélection. Ils copient tout ce qu’ils trouvent alors que ce n’est pas vérifié», se désole-t-elle.
Ce faible niveau de la langue d’apprentissage influe beaucoup sur les performances des élèves dans les autres disciplines. S’y ajoute un manque d’intérêt pour les études.
Le professeur de Mathématiques et de Physique-Chimie au Cours Sainte Bernadette, Philibert Djibane Ngom donne deux raisons pour expliquer le constat en ces termes : «en mathématiques, les sujets sont libellés en français et quand l’élève ne comprend pas, ça peut jouer dans le traitement». A cela vient se greffer un second facteur non moins important et imputable aux apprenants. «Les élèves n’apprennent pas le cours de Maths, ni les règles, ni les théorèmes, ni les définitions. Or, pour travailler, pour pouvoir faire ses exercices, il faut connaitre ses théorèmes, surtout en géométrie. Il faut aussi connaître les formules en activité numérique. Mais en géométrie pour démontrer, il faut que les élèves se servent d’outils et les outils mathématiques sont les théorèmes, les propriétés et les définitions. Or, ils ne les apprennent pas. Donc, ils n’arrivent pas à démontrer, ils n’arrivent pas à travailler».
La qualité de la ressource humaine et des séances d’enseignement-apprentissage est un autre élément d’explication de cette baisse. Certains se demandent si ceux qui sont chargés de dispenser les cours sont suffisamment outillés pour la tâche. De l’avis de Mme Cissé Adama Diba, directrice de l’école Amadou Diagne Woré, si le niveau des enfants est trop bas, c’est parce que les enseignements-apprentissages ne se déroulent pas comme il le faut. «Si l’enseignant n’est pas bien formé, il transmet une connaissance qui laisse à désirer. Et il y’a d’autres qui n’ont même pas été formés, surtout ceux du quota sécuritaire. Et ce sont ces éléments qui sont dans les écoles. En général, ils occupent les grandes classes». Pour elle, c’est le cycle fondamental ou la formation initiale des enfants est importante. Or, cette étape est souvent escamotée. «Un enfant, avant d’aller en cour élémentaire première année (CE1), doit savoir lire et écrire correctement, sinon il ne pourra pas apprendre et écrire ses leçons.»
Elle relève également un certain nombre de qualités qui font aujourd’hui défaut aux enseignants. «Il faut l’assiduité, la ponctualité. L’enseignant doit faire des recherches, lire son guide sans pour autant être esclave du guide, avoir beaucoup de bagages intellectuels pour pouvoir piloter le programme», laisse-t-elle entendre.
Un autre goulot d’étranglement dans le cycle fondamental, c’est le refus pour la plupart des enseignants à s’adapter au nouveau curriculum des apprentissages, qui du reste n’a pas été pris en compte dans leur formation initiale. Malgré quelques séminaires d’imprégnation sur le curriculum, la plupart des instituteurs ont encore du mal à faire les ruptures nécessaires pour introduire cette nouvelle démarche dans leurs pratiques de classe. «Il y a des anciens enseignants qui ont leurs anciennes fiches et ne suivent pas le programme. Or, avec le curriculum il y a un grand changement. On évalue un cycle. Raison pour laquelle, nos enseignants ont des problèmes et nos enfants aussi», explique-t-elle. Dans la même vaine, la directrice d’école élémentaire explique que tout le problème est lié au français. «Le français est mal enseigné. Les enfants ne fouillent plus, ne se documentent plus, ne cherchent plus des outils. C’est l’enseignant qui doit aller vers la recherche et la collecte des outils. Parce que sans les outils, ils ne peuvent pas avancer», a- t-elle-conseillé.
Ibrahima Barry Gassama, instituteur dans cet établissement, indexe pour sa part le principe de la scolarisation universelle et la notion de « Zéro redoublement » qui n’incitent plus au surpassement des maitres dans leur classe.
«Avant au Cm2, le maître faisait tout pour avoir un bon pourcentage. Actuellement, avec le système «Goana», tous les élèves de Cm2 passent au collège. Les maîtres peuvent, s’ils le souhaitent, ne pas fournir d’efforts par rapport à cela», dit-il.
Des enseignants par effraction et non par vocation
Certains «doyens» indexent également le système de recrutement initié à partir de 1995 et qui a fait entrer dans le système des gens qui n’avaient pas l’amour du métier, mais voulaient juste en faire un tremplin pour aller vers d’autres carrières.
«Les enseignants sont entrés dans l’enseignement pour un gagne-pain, mais non par passion», relève Mme Cissé. La directrice d’école révèle que l’école sénégalaise a perdu tout ce qui faisait son charme et son essence. «A notre époque, enseigner était un honneur, une course vers le transfert du savoir. Moi mon honneur, c’était d’avoir plus d’admis dans la circonscription», a-t-elle expliqué. Avant d’ajouter : «si vraiment c’étaient encore les enseignants d’antan, le niveau n’allait pas baisser. Une bonne formation, les intrants dans les écoles, et aussi le dévouement de l’enseignant, l’esprit de recherche, la volonté, l’assiduité et l’amour du métier sont des qualités qui manquent à cette génération d’enseignants», a-t-elle fustigé.
Classes pléthoriques et déficit de matériels didactiques indexes Un autre facteur conduisant à la mauvaise performance des élèves est lié aux effectifs pléthoriques dans les salles de classes. Ce qui influe négativement sur les résultats d’une classe.
Dans les établissements publics, on se retrouve dans certaines classes avec des effectifs qui dépassent 120 élèves. Dans ces conditions, les enseignants avouent leur impuissance pour gérer la discipline et l’espace pédagogique. Ils évoquent la difficulté qu’il y a, à contrôler le travail individuel de chaque élève, mais aussi à circuler entre les rangées de table-bancs.
«On a des difficultés pour enseigner correctement. Avec un effectif aussi pléthorique, c’est difficile d’enseigner. Dès fois, quand les élèves terminent, tu es obligé de regarder ce qu’ils ont fait, parce que nous évaluons. Ça nous prend du temps. Et on nous demande d’installer la discipline. Ce n’est pas possible», peste Ibrahima Barry Gassama. Et de poursuivre : «tous les table-bancs sont défectueux. On n’a pas les matériels adéquats. Et les élèves n’ont pas de livres. Sans occulter la caducité du livre de géographie».
Embouchant la même trompette, le professeur de mathématiques au Cours Sainte Bernadette, Philibert Djibane Ngom, a aussi déploré les effectifs pléthoriques. «Pour suivre 50 élèves, ce n’est pas du tout difficile. Or, l’effectif normal serait peut être de 30 à 40 élèves. Là, on a davantage la possibilité de répondre à toutes les questions des élèves», dit-il.
Se basant sur les résultats 2013 et 2014 de l’enquête «Jangandoo», l’inspecteur de l’éducation et de formation(Ief) de Grand Dakar, Mame Sellé Ndiaye affirme que « le ce niveau très faible des élèves se reflète dans la performance des élèves en lecture et en mathématiques. Selon ce rapport «Jangandoo», les résultats de 2014 sur l’ensemble des enfants de 6 à 14 ans testés montrent que la qualité des apprentissages est à améliorer. Selon la comparaison des taux de réussite de 2013 et 2014, on peut noter que «la lecture tourne autour de 22,2% en 2013 et 22,7% en 2014, le calcul était de 16, 1% en 2013 et 22, 2% en 2014».
«Dans l’ensemble, le taux de réussite en lecture est estimé à 27,7%. Les enfants issus de la région de Dakar enregistrent un taux de 44, 5% largement supérieur à la moyenne nationale. Ils sont suivis par les enfants de Diourbel (30,7%) et ceux de Ziguinchor (28,3%). A Kolda, les contreperformances des enfants au test sont encore plus marquées avec un taux de réussite de 11%. Le constat majeur est que la compréhension reste un défi pour les enfants», a notée l’enquête «Jangandoo 2014».
L’équation de l’atteinte du quantum horaire
Les grèves récurrentes des enseignants impactent négativement sur les résultats scolaires des élèves. En effet, elles provoquent des pertes énormes dans le temps normal d’apprentissage, ce qui fait que les programmes ne sont jamais achevés.
Selon l’inspecteur, «quand on considère les guides pédagogiques qui doivent être enseignés au niveau de chaque classe avec ses grèves récurrentes, on n’a pas la possibilité d’achever le programme. Et ça contribue à affaiblir le niveau des élèves».
D’où l’urgence pour «les autorités à travailler pour que les grèves puissent être beaucoup plus réduites ou ne puissent plus exister dans le système éducatif».
L’absentéisme des élèves est également relevé par Mame Sellé Ndiaye qui plaide pour une synergie entre l’école, les familles des enfants et l’environnement scolaire afin de garantir les performances.
«Un élève qui s’absente, perd une bonne partie du quantum horaire et ça pose un problème. Au niveau des foyers et au niveau des écoles, il faut qu’il y ait une synergie pour qu’on puisse accompagner les élèves pour qu’ils aient la possibilité d’être à l’école tout le temps. Il s’y ajoute aussi, un autre élément qui est l’environnement scolaire, la salubrité, l’hygiène, et qui font partie du package de qualité», indispensable à la performance.
Rareté des manuels didactiques
Dans cette enquête approfondie, sur les raisons de cette plongée abyssale du système éducatif sénégalais, les acteurs ont également souligné le manque de matériel didactique. «Dans les écoles, il n’y a rien. Il n’y a pas de livres. On parle de français alors qu’il n’y a pas de livres de français. L’année dernière, on a reçu un seul livre de français au CI. Cette année, on a donné des livres de français à la classe du cours initial (Ci) et du Cours préparatoire (Cp). Mais, pour le Ce1, le Ce2, le Cm1 et le Cm2, cela pose problème. Parce que la base n’a pas été fournie, bien pilotée. Ces enfants qui sont déjà dans la classe de Cours moyen (Cm2) n’avaient pas de livre de lecture et ils sont dans le curriculum», a fustigé la directrice Mme Cissé Adama Diba.
Un fait confirmé par l’enquête «Jangaandoo 2014» et qui touche presque toutes les régions du pays. Au niveau national, la majorité des lieux d’apprentissages visités (59, 9%) ont rarement des manuels disponibles. Au niveau régional, Louga enregistre la plus faible disponibilité de manuels, soit 89, 4% de déficit. A l’opposé, la région de Dakar enregistre la plus forte disponibilité de manuels. Il faut également noter que dans les régions de Kédougou, Matam et Kolda, il n’existe aucun lieu d’apprentissage parmi ceux visités où la disponibilité des manuels est forte».
Inadéquation de la politique d’éducation à la politique de développement
Sortir l’école de l’encyclopédisme pour la mettre sur les rails de l’efficacité. C’est ce que suggèrent beaucoup d’enseignants professeurs et instituteurs qui déplorent la lourdeur des programmes à enseigner et souvent peu conformes aux besoins du pays. C’est l’avis de ce professeur de Physique et chimie au lycée John Fitzgerald Kennedy. Assane Samb, fait comprendre «qu’il y a des parties qu’il faut élaguer. Comme ces chapitres de certaines disciplines qui n’apportent rien. Les enfants sont brouillés de matières inutiles et dépassées». Pour lui, «il faut cibler, car il y a certains pays qui le font. A partir de la seconde, pratiquement, il y a une spécialisation». Il indique par ailleurs que l’enseignement général est dépassé et contribue beaucoup à cette baisse du niveau des élèves. «S’il nous arrive parfois de faire des travaux pratiques, on remarque combien les enfants y sont intéressés. Les enfants, ce qui les intéressent c’est la pratique et la théorie».
M. Samb estime qu’il faut éliminer l’enseignement général qui, comme dans la plupart des pays, n’apporte pas aux élèves des compétences pratiques, au contraire pour lui avec ce système «un élève peut avoir sa maitrise en Sciences Physiques, et parfois, il ne peut même pas réparer une ampoule grillée parce que tout simplement, ils n’ont fait que la théorie». «Nous sommes dans un pays de pratique, il faut pratiquer», lance-t-il avant de préconiser la refondation de notre système éducatif. «Je pense qu’il faut tout refaire parce que c’est le même système depuis les années 1800, depuis que nos pères étaient à l’école rien a changé. Notre politique d’éducation n’est pas tellement adéquate à notre politique de développement. On ne fait que recopier et on recopie mal. On recopie la France et on n’a pas les mêmes réalités», laisse-t-il entendre.
http://www.sudonline.sn