Les sondages laissent entendre que Clinton, ancienne sénatrice et ancienne secrétaire d’État, fera mordre la poussière au controversé Donald Trump. Mais les sondages ne doivent pas être confondus avec la réalité. Après tout, si l’on remonte au référendum de juin sur le Brexit, la plupart des observateurs penchaient pour une victoire du « Remain », tenue pour à peu près certaine. Plus récemment, les électeurs colombiens ont rejeté un accord de paix dont on pensait qu’il recevrait un large soutien populaire.
Tout cela pour dire que si la victoire de Clinton est probable, elle n’est pas acquise. Le seul sondage qui vaille, c’est celui du 8 novembre. Jusqu’à ce jour, nous sommes réduits aux spéculations.
En revanche, certaines prévisions sont possibles, et plausibles. Il ne fait guère de doute que les États-Unis sortiront de cette élection plus divisés que jamais, et avec un État divisé, quel que soit le président ou le parti qui aura la majorité dans chaque chambre du Congrès. Ni les démocrates ni les républicains ne pourront atteindre leurs objectifs sans au moins un peu de soutien de leurs adversaires.
Mais on aurait tort de croire que la seule division dans la politique américaine est entre démocrates et républicains. Car les fractures au sein de chaque parti sont tout aussi profondes, avec des factions importantes et motivées qui tirent le parti vers ses extrêmes, à droite pour les républicains, à gauche pour les démocrates. Ce qui rend le compromis sur des positions centristes d’autant plus difficile.
La reprise rapide de la lutte politique en vue la prochaine échéance présidentielle achèvera de saper toute possibilité ultérieure de compromis. Si Clinton remporte l’élection, de nombreux républicains penseront qu’elle ne le doit qu’aux défauts qui accablent Trump et en concluront qu’elle ne fera probablement qu’un seul mandat. Un pays adepte du changement, poursuivront-ils leur raisonnement, a peu de chance de reconduire un démocrate dans le bureau ovale pour la quatrième fois. Nombre d’entre eux (et plus encore ceux qui dénieront à Clinton la légitimité de sa victoire) chercheront donc à entraver par tous les moyens l’action de son administration, de crainte qu’elle ne se représente en 2020 avec un bilan trop positif.
De même, si Trump parvient à remporter l’élection, la plupart des démocrates (et même quelques républicains) auront pour priorité absolue – après s’être remis de leur surprise et de leur désarroi – de s’assurer qu’il n’ait aucune chance de faire un second mandat. Étant donné tout ce qui, dans le programme de Trump, susciterait vraisemblablement les objections du reste de la classe politique, son administration aurait les plus grandes difficultés à gouverner.
Mais chaque scénario réserve encore quelques zones de progrès possibles. Le prochain gouvernement des États-Unis pourrait parvenir à faire passer une législation pour financer la modernisation des infrastructures en désuétude du pays, une politique qui a les faveurs des deux candidats et saurait trouver une majorité au Congrès. La nouvelle administration pourrait aussi rassembler suffisamment de voix dans les deux chambres pour réformer le code des impôts – notamment pour abaisser le taux supérieur de l’impôt sur les sociétés et relever les contributions des plus riches. Une réforme de la prise en charge des soins de santé – qui est la marque et l’héritage du président Barack Obama – serait peut-être elle-même possible, tant la mise en œuvre du système actuel pose de sérieux problèmes.
Les autres questions requérant la collaboration du Congrès et de la présidence ne seront probablement pas réglées dans un avenir proche. Parmi celles-ci, la réforme de l’immigration, aussi sujette à controverse aux États-Unis qu’en Europe. Autre question épineuse, le commerce : la conjoncture intérieure n’incite pas les responsables politiques à défendre des mesures qui susciteraient une opposition trop marquée. Trump comme Clinton sont opposés au Partenariat trans-Pacifique, même si sa ratification profiterait à l’économie américaine et renforcerait sa position stratégique. Dans l’intervalle, la dette et le déficit de l’Amérique auront certainement augmenté, car la volonté de réduire les dépenses obligatoires semble faible, sinon nulle.
Les conséquences de l’élection sur la politique étrangère sont quelque peu différentes : la Constitution des États-Unis offre au président une marge de manœuvre considérable. Si seul le Congrès peut officiellement déclarer la guerre ou ratifier les traités, les présidents peuvent recourir à la force armée (ou refuser son usage) sans l’aval explicite des Chambres. Ils peuvent aussi engager des négociations internationales autres que les traités, nommer les membres de la puissante équipe de la Maison-Blanche et imprimer leur marque, par l’action de l’exécutif, à la diplomatie, comme l’a fait récemment le président Obama concernant Cuba.
Sous une présidence Clinton, cette latitude pourrait se traduire par la création d’une ou plusieurs zones de sécurité en Syrie, par la fourniture d’armes défensives à l’Ukraine, et par l’adoption d’une ligne plus dure à l’égard de la Corée du Nord, dès lors qu’elle persiste à vouloir se doter de l’arme nucléaire et des vecteurs qui l’accompagnent. Il est plus difficile de prévoir ce que ferait son adversaire. Trump est après tout un nouveau venu en politique et personne ne sait dans quelle mesure sa rhétorique de campagne trouverait une traduction dans son action. On peut néanmoins conjecturer qu’une administration Trump se distancierait de ses alliés traditionnels en Europe et en Asie et qu’elle se tiendrait pour l’essentiel à l’écart du Moyen-Orient.
Qu’adviendra-t-il exactement de l’Amérique après l’élection présidentielle ? Si l’on peut raisonnablement en attendre certains résultats, la question reste ouverte. Une seule chose est certaine : les 96% de la population mondiale qui ne votent pas aux élections américaines n’en ressentiront pas moins les effets que les Américains eux-mêmes.
Traduction François Boisivon
Richard N. Haass, ancien directeur de la planification politique au département d’État, est président du Conseil des relations étrangères et l’auteur de l’ouvrage à paraître A World in Disarray .
Tout cela pour dire que si la victoire de Clinton est probable, elle n’est pas acquise. Le seul sondage qui vaille, c’est celui du 8 novembre. Jusqu’à ce jour, nous sommes réduits aux spéculations.
En revanche, certaines prévisions sont possibles, et plausibles. Il ne fait guère de doute que les États-Unis sortiront de cette élection plus divisés que jamais, et avec un État divisé, quel que soit le président ou le parti qui aura la majorité dans chaque chambre du Congrès. Ni les démocrates ni les républicains ne pourront atteindre leurs objectifs sans au moins un peu de soutien de leurs adversaires.
Mais on aurait tort de croire que la seule division dans la politique américaine est entre démocrates et républicains. Car les fractures au sein de chaque parti sont tout aussi profondes, avec des factions importantes et motivées qui tirent le parti vers ses extrêmes, à droite pour les républicains, à gauche pour les démocrates. Ce qui rend le compromis sur des positions centristes d’autant plus difficile.
La reprise rapide de la lutte politique en vue la prochaine échéance présidentielle achèvera de saper toute possibilité ultérieure de compromis. Si Clinton remporte l’élection, de nombreux républicains penseront qu’elle ne le doit qu’aux défauts qui accablent Trump et en concluront qu’elle ne fera probablement qu’un seul mandat. Un pays adepte du changement, poursuivront-ils leur raisonnement, a peu de chance de reconduire un démocrate dans le bureau ovale pour la quatrième fois. Nombre d’entre eux (et plus encore ceux qui dénieront à Clinton la légitimité de sa victoire) chercheront donc à entraver par tous les moyens l’action de son administration, de crainte qu’elle ne se représente en 2020 avec un bilan trop positif.
De même, si Trump parvient à remporter l’élection, la plupart des démocrates (et même quelques républicains) auront pour priorité absolue – après s’être remis de leur surprise et de leur désarroi – de s’assurer qu’il n’ait aucune chance de faire un second mandat. Étant donné tout ce qui, dans le programme de Trump, susciterait vraisemblablement les objections du reste de la classe politique, son administration aurait les plus grandes difficultés à gouverner.
Mais chaque scénario réserve encore quelques zones de progrès possibles. Le prochain gouvernement des États-Unis pourrait parvenir à faire passer une législation pour financer la modernisation des infrastructures en désuétude du pays, une politique qui a les faveurs des deux candidats et saurait trouver une majorité au Congrès. La nouvelle administration pourrait aussi rassembler suffisamment de voix dans les deux chambres pour réformer le code des impôts – notamment pour abaisser le taux supérieur de l’impôt sur les sociétés et relever les contributions des plus riches. Une réforme de la prise en charge des soins de santé – qui est la marque et l’héritage du président Barack Obama – serait peut-être elle-même possible, tant la mise en œuvre du système actuel pose de sérieux problèmes.
Les autres questions requérant la collaboration du Congrès et de la présidence ne seront probablement pas réglées dans un avenir proche. Parmi celles-ci, la réforme de l’immigration, aussi sujette à controverse aux États-Unis qu’en Europe. Autre question épineuse, le commerce : la conjoncture intérieure n’incite pas les responsables politiques à défendre des mesures qui susciteraient une opposition trop marquée. Trump comme Clinton sont opposés au Partenariat trans-Pacifique, même si sa ratification profiterait à l’économie américaine et renforcerait sa position stratégique. Dans l’intervalle, la dette et le déficit de l’Amérique auront certainement augmenté, car la volonté de réduire les dépenses obligatoires semble faible, sinon nulle.
Les conséquences de l’élection sur la politique étrangère sont quelque peu différentes : la Constitution des États-Unis offre au président une marge de manœuvre considérable. Si seul le Congrès peut officiellement déclarer la guerre ou ratifier les traités, les présidents peuvent recourir à la force armée (ou refuser son usage) sans l’aval explicite des Chambres. Ils peuvent aussi engager des négociations internationales autres que les traités, nommer les membres de la puissante équipe de la Maison-Blanche et imprimer leur marque, par l’action de l’exécutif, à la diplomatie, comme l’a fait récemment le président Obama concernant Cuba.
Sous une présidence Clinton, cette latitude pourrait se traduire par la création d’une ou plusieurs zones de sécurité en Syrie, par la fourniture d’armes défensives à l’Ukraine, et par l’adoption d’une ligne plus dure à l’égard de la Corée du Nord, dès lors qu’elle persiste à vouloir se doter de l’arme nucléaire et des vecteurs qui l’accompagnent. Il est plus difficile de prévoir ce que ferait son adversaire. Trump est après tout un nouveau venu en politique et personne ne sait dans quelle mesure sa rhétorique de campagne trouverait une traduction dans son action. On peut néanmoins conjecturer qu’une administration Trump se distancierait de ses alliés traditionnels en Europe et en Asie et qu’elle se tiendrait pour l’essentiel à l’écart du Moyen-Orient.
Qu’adviendra-t-il exactement de l’Amérique après l’élection présidentielle ? Si l’on peut raisonnablement en attendre certains résultats, la question reste ouverte. Une seule chose est certaine : les 96% de la population mondiale qui ne votent pas aux élections américaines n’en ressentiront pas moins les effets que les Américains eux-mêmes.
Traduction François Boisivon
Richard N. Haass, ancien directeur de la planification politique au département d’État, est président du Conseil des relations étrangères et l’auteur de l’ouvrage à paraître A World in Disarray .