L’économie de l’Iran après les élections

Vendredi 11 Mars 2016

Les victoires récentes des candidats réformistes pro-gouvernementaux lors des élections législatives en Iran ont donné au président Hassan Rouhani un coup de pouce bienvenu au milieu de son mandat. Cependant, d'énormes défis économiques demeurent. Au cours des prochains mois, ce sont ces défis qui détermineront les lignes de front entre le président et ses adversaires intransigeants à l'intérieur et à l'extérieur du parlement.


Les élections sont normalement gagnées et perdues en fonction des rapports de force politiques, et le vote récent en Iran ne fait pas exception. Mais, le cas présent, il y a des raisons de croire que les préoccupations économiques ont été un facteur majeur du changement politique, comme en témoigne la participation massive sur les stands électoraux. Depuis juillet, lorsque l'Iran a signé un accord nucléaire historique avec les cinq membres permanents du Conseil de sécurité des Nations Unies et l'Union européenne, les attentes populaires pour une amélioration de l'état de l'économie ont atteint un paroxysme.
Rouhani est bien conscient de l'importance des attentes économiques ; en effet, c’étaient ces attentes  qui l’ont porté à la présidence en 2013. La campagne électorale récente a, une fois de plus, puisé des forces dans la promesse de réparer une économie meurtrie par des années de sanctions économiques sévères et de mauvaise gestion domestique. Voilà pourquoi il a accordé une grande priorité à parvenir à un accord avec le monde extérieur qui conclurait le dossier nucléaire et ouvrirait la voie à la reprise économique.
L'économie que Rouhani a hérité de son prédécesseur, Mahmoud Ahmadinejad, avait été déformée par des années de généreuse redistribution des revenus pétroliers aux partisans du président, puis frappée par la stagflation, lorsque sont entrées en vigueur ce le vice-président américain Joe Biden a appelé les « sanctions économiques les plus sévères de l'histoire ». En 2013, l'année de prise de fonction de Rouhani, l'inflation a dépassé les 40% et le PIB a diminué de 6%.
Les malheurs de Rouhani ont été exacerbés par la déstabilisation économique qui a suivi l'introduction de larges sanctions financières qui ont coupé l'Iran du système bancaire international. Incapable de vendre du pétrole et confronté à un blocus de la banque centrale par les États-Unis et l'UE, Rouhani a relevé le défi immense d'essayer de relancer la croissance et de contrôler la spirale inflationniste.
Rouhani a eu un certain succès dans la réduction de l'inflation, qui est maintenant à 13%. Par contre, raviver la croissance s’est avéré être un défi plus difficile. Le Fonds monétaire international prédit que le PIB stagnera ou se contractera cette année ; l'économie iranienne pourrait bien se diriger vers une récession à double creux.
Grâce à la levée des sanctions, cependant, le FMI prévoit  à présent que la croissance du PIB pourrait atteindre environ 5% l' an prochain – un taux qui ferait de l’Iran l'économie la plus performante du Moyen-Orient. Atteindre ce niveau de croissance sera essentiel pour la création d’emplois ; l'Iran souffre depuis de nombreuses années d'un taux de chômage à deux chiffres, le taux de chômage officiel des jeunes dépassant les 25%.
Or, plusieurs obstacles se dressent sur la route. Le premier est l'effondrement des prix du pétrole, qui ont dégringolé de 70% depuis la mi-2014. Un malheur similaire a eu lieu en 1999, lorsque le président Mohammad Khatami a tenté de mener sa propre expérience réformiste, et les prix ont chuté en dessous de 10 $ par baril. A l’époque, comme aujourd'hui, les deux premières années d'une administration réformiste ont été contrecarrées par des événements extérieurs défavorables sur les marchés internationaux du pétrole.
 La dernière crise avait été alimentée par des facteurs de demande liés à la crise financière asiatique. Cette fois, des facteurs d’offre créent une surabondance mondiale de pétrole, avec des résultats similaires. Ne comprenant pas cela, les théoriciens du complot peuvent être pardonnés pour remarquer que les présidences réformistes semblent présenter une corrélation négative avec les prix internationaux du pétrole.
Les principaux défis de Rouhani, cependant, sont internes. Ils viennent de l’architecture institutionnelle complexe de l'Iran post-révolution, qui est en proie à un labyrinthe d'entités décisionnelles entrelacées avec encore plus de corps et d’organismes créés pour assurer le respect des principes de l'islam et des normes révolutionnaires. Au cours des dernières décennies, ce système a produit une fragmentation politique énorme, voire carrément des conflits ouverts entre les différentes factions et à tous les niveaux. C’est dans ce labyrinthe de puissance qui Rouhani mène une bataille intense contre ses adversaires conservateurs – une bataille qui pourrait se prolonger encore longtemps.
En fait, les remèdes économiques de Rouhani – tenter d'ouvrir l'économie au commerce extérieur et aux flux d'investissement, introduire des réformes économiques visant à encourager le secteur privé après la levée des sanctions – sont en contradiction avec la vision des conservateurs purs et durs de l'Iran. Pour ces derniers, appelés Principlists – qui prônent une « économie de résistance » basée sur des années d'austérité caractérisées par l'autonomie et la dépendance au ressources nationales – le désir de Rouhani de déclarer l'Iran « ouvert aux entreprises » et d'encourager les étrangers à jouer un rôle actif dans l'économie de l'Iran soulève tout autant un sentiment d’alarme que l'accord nucléaire.
Le déclin de la puissance du bloc des Principlists dans le prochain parlement est sans aucun doute un puissant message de l'électorat jeune de l'Iran. Cela fait écho à ce que l'ancien président américain Bill Clinton a dit à Charlie Rose en 2005: l'Iran est le seul pays avec des élections « où les libéraux, ou les progressistes, ont remporté entre deux tiers et 70% des voix lors de six élections… Il n'y a aucun autre pays dans le monde dont je peux dire la même chose, certainement pas le mien. "
Une décennie plus tard, il n’y a pas de doute que Clinton trouvera réconfortant de voir cette tendance se poursuivre. Mais, même si les Principlists semblent être en perte de vitesse, ils restent bel et bien présents sur la scène politique, comme en atteste la bataille à propos de l'avenir de l'économie.
C’est ici que que réside le principal défi pour Rouhani. Sa victoire électorale pourrait faire monter les enjeux pour lui, faisant monter la pression à répondre aux attentes populaires. Or, comme Khatami en a fait l’expérience quand il a perdu face à Ahmadinejad en 2005, la croissance et la reprise économique ne peuvent pas se faire au détriment des aspirations de l'électorat pour une plus grande égalité et justice sociale.
Traduit de l’anglais par Timothée Demont
Hassan Hakimian, Directeur du London Middle East Institute et Reader en économie au SOAS de la University of London, est le co-éditeurde Iran and the Global Economy: Petro Populism, Islam and Economic Sanctions .
 
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