L’effondrement du prix du baril de pétrole est un cadeau empoisonné

Samedi 20 Décembre 2014

« Jusqu’où le prix du pétrole va-t-il baisser ? 75, 70, voire 60 dollars le baril ? Les prévisions les plus pessimistes ne vont pas en dessous. » J’écrivais ces lignes il y a juste un mois. Or, pas plus tard qu’hier, ce même baril (indice West Texas) s’échangeait à 54 dollars dans une atmosphère de panique générale. Principale victime : le rouble, mais aussi la roupie indonésienne, le dollar canadien, la couronne norvégienne et les bourses de valeurs un peu partout dans le monde et particulièrement dans les pays émergents.


Sachant que l’excès de l’offre sur la demande n’atteint pas 2 % (un peu plus d’un million de barils par jour pour une demande estimée à 93 millions), une chute des cours de plus de 40 % va bien au-delà du prix d’équilibre naturel du marché. Nous sommes donc bien en présence d’une action délibérée de l’OPEP qui refuse obstinément de réduire sa production. Dans quel but ? Que ce soit pour mettre Poutine à genoux ou pour éliminer du marché les producteurs nord-américains, peu importe. Cette chute brutale du pétrole présente tous les aspects d’une fausse bonne nouvelle.
 
Si la Russie est la plus exposée, ce n’est pas parce que son pétrole est le plus cher à extraire mais parce que son économie est la plus dépendante aux recettes en devises que cette matière première lui procure. Quant à la chute brutale du rouble, en régime de changes flottants, elle est une conséquence normale et salutaire (elle joue l’effet d’amortisseur) de la baisse anticipée des recettes en devises, même si l’étroitesse du marché l’a certainement amplifiée. Pour la Russie, cela signifie que 2015 sera une année de récession et, pour les Russes, des biens importés (téléphones portables, fruits tropicaux, voyages à l’étranger) inabordables, une crise d’austérité probablement plus sévère que 2009 mais incomparablement moins que 1998. En revanche, à moyen terme, ce rouble très bas est aussi pour la Russie une deuxième chance de bâtir enfin une économie moins dépendante de l’Occident. Medvedev n’a d’ailleurs pas tardé à rencontrer son homologue chinois Li Keqiang (李克强), le 15 décembre, pour explorer les bases d’une vaste coopération économique entre les deux pays. La Chine espère profiter de la situation pour supplanter l’Europe dans le domaine industriel et la Russie devenir le premier fournisseur de la Chine dans les domaines de l’énergie et de l’agriculture, une perspective de bien mauvais augure pour l’Europe et l’Allemagne en particulier, d’autant plus que le Japon, avec un yen lui aussi dévalué de plus de 40 %, se tient en embuscade. La véritable inconnue est politique. L’OTAN va-t-elle pousser son avantage et forcer Poutine à perdre la face sur la question ukrainienne ou bien plus intelligemment saisir cette occasion pour proposer une solution de compromis en échange de la levée des sanctions ?
 
Côté consommateurs, ce serait une énorme erreur de penser que la baisse du prix du pétrole pourrait profiter à l’Europe et aux États-Unis dans les mêmes proportions qu’ils avaient été pénalisés lors des chocs pétroliers du siècle dernier. En 1973 et en 1979, le mouvement des prix à la hausse avait provoqué une récession générale parce que le recyclage des fameux pétrodollars avait pris des années à se mettre en place, et seuls les pays de l’OPEP étaient concernés. Le choc inverse auquel nous assistons aujourd’hui intervient dans un contexte radicalement différent. Le nombre de producteurs s’est élargi, notamment à la Russie, bien sûr, mais aussi la Norvège, le Canada et surtout l’Indonésie et le Nigeria – deux pays qui, ensemble, sont aussi peuplés que l’Union européenne et qui contribuent largement aux exportations de Chine, du Japon et d’Europe. Aux économies sur la facture pétrolière d’un côté correspond donc de l’autre un déficit de recettes qui va revenir frapper comme un boomerang des économies fragiles et menacées par la déflation. Dernière inconnue : la réaction du consommateur à la baisse du prix à la pompe. Au-delà du fait que cette baisse sera très largement amortie par les taxes qui pèsent sur les hydrocarbures, les analystes sont extrêmement prudents sur la perspective d’une hausse concomitante de la consommation en volume.
Boulevard Voltaire
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