L'électrification et la cuisson propre vont de pair

Lundi 7 Novembre 2022

Près d’un tiers de la population mondiale, soit 2,4 milliards de personnes, dépendent de la biomasse (bois de feu, charbon de bois ou fumier) pour la cuisson des aliments, avec des conséquences dévastatrices pour leur santé et l’environnement.


Il est estimé qu’à l’échelle mondiale, l’utilisation de combustibles de cuisson traditionnels impute 2400 milliards de dollars par an à la richesse mondiale en raison des coûts associés que sont les problèmes de santé, les pertes de productivité et les dégâts engendrés par le changement climatique. Mais étant donné que 733 millions de personnes n’ont toujours pas accès à l’électricité, les combustibles issus de la biomasse sont souvent la seule option.

Cette situation n’a rien d’inéluctable. Promouvoir la cuisson propre et améliorer l’accès à l’électricité sont deux des cibles clés de l’Objectif n°7  de l’Agenda de développement durable des Nations unies, qui appelle à « garantir l’accès de tous à des services énergétiques fiables, durables et modernes, à un coût abordable » d’ici 2030. Toutefois, ces deux piliers de l’accès à l’énergie tendent à être traités de manière distincte, comme le prouvent les différents niveaux d’investissement dont ils bénéficient. Les questions de l’électrification et de la cuisson propre attirent chacune un ensemble différent de parties prenantes, qui à leur tour élaborent des stratégies qui leur sont propres pour remédier aux carences.

Pourtant, ce ne sont pas du tout des questions distinctes. Lorsque les gens ont un accès suffisant à l’électricité (de préférence issue des énergies renouvelables), ils peuvent faire usage du genre d’appareils de cuisson électriques qui sont déjà largement utilisés dans les pays de l’hémisphère nord. Garantir l’accès concomitant à l’électricité et à des solutions de cuisson propre contribuerait ainsi largement à aider les pays du Sud à relever leurs défis énergétique, climatique et de développement.

À l’heure actuelle, les fours  et cuisinières électriques n’ont fait qu’une percée modeste dans les pays en développement, essentiellement en raison de l’absence d’infrastructures énergétiques (à la fois en réseau et hors réseau). Mais dans un contexte où les pays en développement et leurs partenaires cherchent à étendre et améliorer l’efficacité de leurs réseaux électriques nationaux, ils ont aussi l’opportunité d’encourager une adoption plus large de la cuisine à l’électricité. Ils peuvent ainsi stimuler la demande d’électricité et renforcer l’argumentation économique en faveur de nouveaux raccordements au réseau et hors réseau et d’autres modernisations des infrastructures.

Pour exploiter au mieux cette opportunité, les gouvernements doivent toutefois mettre au point une planification énergétique intégrée  (PEI) qui établit des objectifs clairs pour l’électrification comme pour l’accès à la cuisson propre, et qui prévoit un financement permettant de réaliser efficacement ces objectifs. Les décideurs politiques doivent avoir une vision holistique du système énergétique lorsqu'ils déterminent comment améliorer l’accès des ménages et des organismes privés et publics à l’électricité et à la cuisson propre (y compris la cuisson électrique).

Les gouvernements du Nigeria et du Malawi ont déjà reconnu l’utilité de la PEI. En coopération avec l’initiative Énergie durable pour tous, la nouvelle Alliance mondiale pour l’énergie au service des populations et de la planète et la Fondation Rockefeller, le Nigeria a élaboré un outil de planification énergétique intégrée  qui jouera un rôle fondamental dans la réalisation de ses objectifs d’accès à l’énergie d’ici 2030, et de l’objectif zéro émissions nettes d’ici 2060. Le Malawi a lancé un outil similaire à la mi-octobre.

Reposant sur une modélisation et des données géospatiales approfondies, ces plateformes interactives fournissent des renseignements exploitables aux parties prenantes des secteurs public et privé, afin qu'elles puissent formuler des solutions à moindre coût en matière d’accès à l’électricité et à la cuisson propre. Par exemple, la PEI du Nigeria estime que 3,5 millions de ménages peuvent se permettre et sont susceptibles d'adopter des solutions de cuisson électrique, ce qui entraînerait une demande supplémentaire annuelle d'électricité de 1100 mégawatt-heures. Saisir cette opportunité nécessiterait un investissement de seulement 83 millions de dollars, principalement pour les appareils de cuisson électriques.

Pour sa part, la PEI du Malawi montre que la cuisine électrique peut potentiellement concerner 4,1 millions de foyers lorsque le pays sera parvenu à l'électrification universelle – et ce chiffre ne comprend que les foyers raccordés au réseau. Outre l'amélioration des conditions de santé, ce niveau d'adoption permettrait également d'améliorer la rentabilité des projets d'extension du réseau électrique menés par la société publique de transport et de distribution d’électricité du Malawi (ESCOM).

La planification énergétique intégrée est indispensable pour discerner le marché potentiel d’un pays en matière de cuisine électrique. Elle permet d’identifier l'emplacement des consommateurs en fonction de leur statut d'électrification actuel et prévu, ce qui constitue une information commerciale essentielle pour les entreprises de cuisine électrique. Étant donné que les efforts d'électrification mettent du temps à porter leurs fruits, la PEI fournit également une indication des endroits où les solutions de cuisson électrique ne sont peut-être pas encore réalisables pour les populations locales. Dans ces cas, l'accent peut être mis sur des solutions provisoires de cuisson propre, telles que les fourneaux améliorés ou au gaz de pétrole liquéfié (GPL).

En tout état de cause, les maigres progrès enregistrés dans l’amélioration de l'accès à la cuisson propre soulignent la nécessité de nouvelles stratégies mieux informées. Le lancement de la PEI du Malawi cette semaine marque le début d'un nouveau chapitre de la prise de décision fondée sur des preuves dans ce pays. La PEI est facilement accessible en ligne et peut être utilisée par les institutions gouvernementales, le secteur privé, les partenaires du développement et le grand public.

Lors de la COP27 de cette année, de nombreux pays africains insisteront sur la nécessité d'un financement et d'investissements internationaux plus importants pour soutenir leur développement en matière d'énergie propre. Le récent engagement financier de 1,5 milliard de dollars  de la Banque mondiale pour l'électricité et la cuisson propre au Nigeria montre qu'une PEI peut servir de catalyseur pour mobiliser un tel soutien.

Tous les pays en développement devraient suivre l’exemple du Malawi et du Nigeria et adopter la planification énergétique intégrée. Ils pourront ainsi saisir la double opportunité qu’offre la cuisson propre : l’électrification et l’amélioration de la santé des populations et de l’environnement.
Ibrahim Matola est ministre de l’Énergie du Malawi. Damilola Ogunbiyi est présidente-directrice générale de l'initiative Énergie durable pour tous, Représentante spéciale du secrétaire général des Nations unies pour l'énergie durable pour tous et coprésidente d'ONU-Énergie.
© Project Syndicate 1995–2022
 
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