L’étonnante résilience de l’économie mondiale

Lundi 13 Février 2017

La survenance d’événements politiques déconcertants aux États-Unis et au Royaume-Uni pourrait nous amener à conclure que l’économie mondiale, d’ores et déjà éprouvée, est vouée à peiner encore davantage à moyen terme. Or, à mesure que se poursuit l’année 2017, les indicateurs cycliques semblent contredire cette hypothèse.


Depuis mes premières heures au poste d’économiste en chef de Goldman Sachs, j’ai pour habitude de garder un œil sur six indicateurs mondiaux qui, considérés ensemble, fournissent une photographie fiable de ce à quoi ressemblera l’économie globale pour les six mois suivants. Or, chacun de ces six indicateurs se révèlent plus prometteurs qu’ils ne l’ont été depuis un certain temps, un seul de ces indicateurs ayant enregistré une légère baisse par rapport à un niveau récemment élevé.
Le premier de ces indicateurs réside dans le nombre de demandes d’assurance-chômage enregistrées chaque semaine aux États-Unis, qui permet de jauger la solidité globale de l’économie américaine. Bien que les économistes soient à juste titre formés pour considérer le chômage comme un indicateur retardé, les données en la matière peuvent se révéler utiles pour prévoir l’avenir proche. Aux États-Unis, le nombre de revendications au chômage est systématiquement à jour, dans la mesure où il est estimé chaque semaine, plusieurs données statistiques suggérant également que ce chiffre constitue un indicateur majeur du cours des actions dans le pays. La semaine dernière, les demandes liées au chômage se sont maintenues  à un niveau relativement faible, comme c’est le cas depuis un certain temps, ce qui est de bonne augure pour les marchés boursiers aux États-Unis.
De même, l’indice manufacturier de l’Institute for Supply Management  fournit un bon aperçu de ce que sera l’économie américaine pour les trois à six prochains mois, bien que le secteur manufacturier ne contribue au PIB que pour une part relativement faible. Tout comme les derniers chiffres relatifs aux demandes liées au chômage, les chiffres de l’ISM incitent actuellement à l’optimisme.
Un troisième indicateur réside dans une sous-composante de ce même sondage publié par l’ISM, à savoir le nombre de nouvelles commandes et l’état des stocks des fabricants. À l’heure actuelle, les nouvelles commandes sont en hausse et les niveaux de stock relativement faibles, ce qui suggère que les entreprises devront produire davantage au cours des prochains mois pour honorer ces commandes.
Au-delà des États-Unis, un quatrième indicateur réside dans le ratio des dépenses de consommation en Chine par rapport à la production industrielle (ajustée à l’inflation). Ces chiffres nous fournissent en effet un aperçu à la fois des tendances cycliques et du rééquilibrage structurel de la Chine consistant à passer d’une économie fondée sur les exportations à une économie reposant sur la consommation domestique. Il s’agira sans doute de l’un des indicateurs les plus importants dans les prochaines années, qu’il soit question de la Chine ou du reste de l’économie mondiale.
Bien qu’inconstant, le ratio des ventes au détail mensuelles chinoises par rapport à la production industrielle enregistre une lente tendance à la hausse depuis 2008, et il semble qu’une nouvelle progression s’opère dernièrement du côté de la consommation. C’est la raison pour laquelle je suis moins inquiet que d’autres observateurs quant aux risques fréquemment cités auxquels pourrait faire face l’économie de la Chine. Les dépenses des consommateurs chinois conservent un niveau solide malgré le ralentissement de la production industrielle, de l’investissement, et en dépit des efforts du gouvernement visant à restreindre les dépenses en produits de luxe.
Certains affirment qu’il ne faut pas se fier aux données chinoises. Personnellement, je ne vois pas pourquoi les données du numérateur seraient plus ou moins fiables que celles du dénominateur. Pourquoi les dirigeants chinois manipuleraient-ils les chiffres de la consommation tout en permettant aux chiffres de la production industrielle d’enregistrer un déclin ? Il nous faut quoi qu’il en soit travailler avec les données dont nous disposons.
Un cinquième indicateur réside dans les données liées aux échanges commerciaux en Corée du Sud, qui sont systématiquement publiées le premier jour de chaque mois ultérieur à ces échanges, soit plus rapidement que dans n’importe quel autre pays. La Corée du Sud dispose d’une économie ouverte et de partenaires commerciaux aux quatre coins du monde, parmi lesquels les États-Unis, la Chine, le Japon et l’Union européenne, de sorte qu’il est possible d’extrapoler sur la base de ces données commerciales pour en tirer des conclusions sur la situation du commerce à travers le monde.
Après avoir enregistré une tendance à la baisse ces dernières années, les échanges commerciaux sud-coréens présentent depuis le mois de novembre dernier plusieurs signes de reprise, notamment en termes de croissance des exportations, et ont significativement rebondi au mois de janvier. De toute évidence, ces données s’inscrivent en contradiction avec les prévisions de tous ceux qui annoncent actuellement le trépas de la mondialisation, d’autant plus que l’administration américaine résolument protectionniste de Donald Trump pourrait bien faire reculer pour longtemps le commerce mondial. Pour autant, les récentes données en provenance de Corée du Sud laissent à penser que la mondialisation n’est pas encore à l’agonie, et que l’année 2017 débute sur des bases satisfaisantes.
En réalité, si l’on exclut le scénario du pire sous la conduite de Trump, il est possible que le phénomène de ralentissement du commerce mondial observé ces dernières années se révèle en fin de compte temporaire. Il n’est pas impossible qu’il se soit agi d’un épisode singulier s’expliquant par une multitude de facteurs parmi lesquels la crise de l’euro, la persistance d’une fragilité économique dans de nombreux pays européens, l’importante baisse des prix des matières premières, les ralentissement dramatiques observés au Brésil, en Russie et dans d’autres économies émergentes, ainsi que la mise en œuvre de réglementations plus strictes pour les banques internationales, qui ont sans doute mis à mal les financements commerciaux.
Le dernier indicateur majeur réside dans l’indice mensuel Ifo sur le climat des affaires en Allemagne, qui rassemble des données cycliques utiles pour l’ensemble de l’Europe, eu égard à la position centrale de l’Allemagne dans l’économie du continent. L’indice Ifo présente depuis quelques mois des résultats positifs, même si les données étaient plus prometteuses en décembre qu’au mois de janvier.
Considérés ensemble, ces six indicateurs me conduisent à estimer actuellement à plus de 4 % le taux de croissance probable de l’économie mondiale. Or, il s’agit de la plus forte croissance observée depuis plusieurs années – bien que le taux de croissance moyen de la dernière décennie, à savoir 3,3 %, n’ait été que légèrement inférieur à celui de la décennie précédente – et d’un chiffre proche du rythme observé avant cela pendant une vingtaine d’années. D’un autre côté, ces six indicateurs ne nous éclairent absolument pas sur ce qu’il adviendra au-delà de seulement quelques mois. La question reste ainsi ouverte quant à savoir si la croissance économique mondiale demeurera solide, se renforcera encore davantage, ou commencera à s’affaiblir.
Il est pour le moins intéressant d’observer une accélération de la croissance alors même qu’interviennent des chocs tels que le référendum sur le Brexit  au Royaume-Uni ou encore l’élection de Trump. Les raisons de ce paradoxe demeurent incertaines. Certains affirmeront sans doute que cette tendance est le fruit des décisions politiques de l’Amérique et du Royaume-Uni, bien que les observateurs soient sans doute beaucoup plus nombreux à considérer que cette tendance s’observe en dépit de ces décisions. Malheureusement, il n’existe pas d’indicateur qui permette de répondre à cette question – seul l’avenir nous le dira.
Traduit de l'anglais par Martin Morel
Jim O’Neill, ancien président de Goldman Sachs Asset Management, et ancien Secrétaire commercial auprès du Trésor du Royaume-Uni, est professeur honoraire d’économie à l’Université de Manchester, et a dirigé l’étude du gouvernement britannique sur la résistance aux antimicrobiens.
 
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