Il y a manifestement beaucoup de raisons de s'inquiéter. La croissance du PIB a chuté, le taux d'endettement des entreprises n'a jamais été aussi élevé, la devise baisse, les marchés financiers sont d'une volatilité exceptionnelle et le capital fuit le pays à un rythme alarmant. La question est de savoir pourquoi, et si les autorités chinoises pourront redresser la situation avant qu'il ne soit trop tard.
Le point de vue populaire - et officiel - consiste à dire que l'empire du Milieu est en transition vers une "nouvelle normalité" caractérisée par une moindre croissance du PIB - croissance soutenue par la consommation domestique plutôt que par les exportations. Et comme d'habitude, on a trouvé une poignée d'études économiques pour justifier le concept. Mais cette interprétation, aussi habile soit-elle, n'est pas satisfaisante.
Le problème de la Chine ne tient pas à ce qu'elle est "en transition", mais au fait que le secteur public étouffe le secteur privé. Un foncier et un capital bon marché, ainsi que le traitement préférentiel dont bénéficient les entreprises nationalisées affaiblissent la compétitivité des entreprises privées confrontées à un crédit cher. Leurs dirigeants doivent souvent faire appel à leur famille et à leurs amis pour le financement. C'est ce qui explique que beaucoup d'entre elles se détournent de leur cœur de métier pour spéculer à la Bourse et sur le marché immobilier.
De même, le sort fait aux ménages chinois n'est pas équitable. En tout juste 15 ans, la part de leur revenu dans le PIB a diminué de 70% à 60%. Dans ces conditions, comment pourra-t-il y avoir un boom de la consommation ? Il est évident que la Chine doit prendre des mesures radicales pour libérer le dynamisme du secteur privé et doper la consommation des ménages. Elle a démontré sa capacité à appliquer des réformes audacieuses pour mettre fin aux principales iniquités économiques, stimulant ainsi la croissance et mettant fin au surendettement.
A la fin des années 1980, du fait de la baisse de la croissance (le taux de croissance du PIB par habitant est tombé à 2% en 1989) et du volume croissant des prêts à risque, on s'attendait à une implosion de l'économie. Mais elle n'a pas eu lieu, car le gouvernement a lancé un ensemble de réformes radicales, notamment la privatisation à grande échelle de l'industrie, la fin du contrôle des prix et des mesures protectionnistes.
Alors que la part de l'Etat dans les emplois hors secteur agricole est passée de 30% au milieu des années 1990 à 13% en 2007, la productivité du secteur privé a progressé au taux annuel moyen de 3,7% entre 1998 et 2007. La productivité du secteur public a augmenté encore plus rapidement, au taux annuel de 5,5%. La croissance de la productivité comptait alors pour 1/3 de la croissance du PIB (qui a atteint un taux à deux chiffres durant cette période). L'entrée de la Chine dans l'Organisation mondiale du commerce en 2001 - un autre élément capital - a joué un rôle majeur dans ce succès.
Cette fois-ci, la tâche du gouvernement est compliquée par des contraintes politiques et sociales. Le volet économique des réformes suppose au préalable des réformes politiques difficiles, car leurs conséquences sociales suscitent des inquiétudes. Pour éviter le déclin économique, la Chine devra réviser son système de gouvernance - et les principes qui le sous-tendent - sans déclencher une trop grande vague d'instabilité sociale.
Il existe un élément favorable qui est prometteur de ce point de vue, c'est le passé de la Chine. C'est effectivement un revirement idéologique qui a permis le boom économique de 35 ans de la Chine, avec la priorité donnée au développement économique, les champions de la croissance étant protégés, promus et si nécessaire pardonnés.
Un revirement idéologique analogue est nécessaire aujourd'hui, mais en donnant cette fois-ci la priorité aux réformes institutionnelles. Une croissance durable à long terme - basée sur une meilleure efficacité, des grains de productivité et l'innovation - n'est envisageable que dans un cadre institutionnel adéquat, ce qui suppose de réformer fondamentalement le systéme politique et la réglementation. Ce n'est qu'en faisant fi des intérêts particuliers et avec une bureaucratie plus efficace, reposant sur l'état de droit, que les réformes indispensables pourront être menées à bien.
Les conflits sociaux qui couvent (par exemple entre les populations urbaines et rurales, entre les industries et entre le secteur public et le secteur privé) compliquent encore la situation. Le risque de manifestations de masse et de troubles ébranlent la volonté du gouvernement d'engager les réformes. Il lui faudrait renforcer sa légitimité et sa crédibilité, et par conséquent sa capacité à garantir la stabilité. Il devrait pour cela permettre à une plus grande partie de la population de bénéficier d'une plus grande partie des gains économiques, améliorer la protection sociale et établir une gouvernance plus transparente.
L'expérience chinoise au cours des années 1990 montre que le pays peut rebondir. Les principales réformes n'étant pas achevées, le gouvernement a encore des occasions à saisir pour parvenir à une croissance stable basée sur l'efficacité et les gains de productivité, plutôt que simplement sur la consommation. Une fois que les principales iniquités seront éliminées et les ressources mieux réparties (notamment le capital, la main d'œuvre et le talent), elle pourra continuer sa progression vers le statut de pays à revenu élevé.
Le gouvernement chinois pourrait avoir quelques difficultés au début : il est difficile d'amorcer un changement en profondeur, et il est encore plus difficile de le faire à bon escient. Mais si la situation économique s'aggrave, ce qui est tout à fait plausible, il sera contraint d'agir. En Occident une période faste prépare souvent une crise ; par contre en Chine une crise prépare souvent une période faste.
Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz
Keyu Jin est professeur d'économie à la London School of Economics, jeune leader mondial du Forum économique mondial et membre du groupe des conseillers du Groupe Richemont.
Le point de vue populaire - et officiel - consiste à dire que l'empire du Milieu est en transition vers une "nouvelle normalité" caractérisée par une moindre croissance du PIB - croissance soutenue par la consommation domestique plutôt que par les exportations. Et comme d'habitude, on a trouvé une poignée d'études économiques pour justifier le concept. Mais cette interprétation, aussi habile soit-elle, n'est pas satisfaisante.
Le problème de la Chine ne tient pas à ce qu'elle est "en transition", mais au fait que le secteur public étouffe le secteur privé. Un foncier et un capital bon marché, ainsi que le traitement préférentiel dont bénéficient les entreprises nationalisées affaiblissent la compétitivité des entreprises privées confrontées à un crédit cher. Leurs dirigeants doivent souvent faire appel à leur famille et à leurs amis pour le financement. C'est ce qui explique que beaucoup d'entre elles se détournent de leur cœur de métier pour spéculer à la Bourse et sur le marché immobilier.
De même, le sort fait aux ménages chinois n'est pas équitable. En tout juste 15 ans, la part de leur revenu dans le PIB a diminué de 70% à 60%. Dans ces conditions, comment pourra-t-il y avoir un boom de la consommation ? Il est évident que la Chine doit prendre des mesures radicales pour libérer le dynamisme du secteur privé et doper la consommation des ménages. Elle a démontré sa capacité à appliquer des réformes audacieuses pour mettre fin aux principales iniquités économiques, stimulant ainsi la croissance et mettant fin au surendettement.
A la fin des années 1980, du fait de la baisse de la croissance (le taux de croissance du PIB par habitant est tombé à 2% en 1989) et du volume croissant des prêts à risque, on s'attendait à une implosion de l'économie. Mais elle n'a pas eu lieu, car le gouvernement a lancé un ensemble de réformes radicales, notamment la privatisation à grande échelle de l'industrie, la fin du contrôle des prix et des mesures protectionnistes.
Alors que la part de l'Etat dans les emplois hors secteur agricole est passée de 30% au milieu des années 1990 à 13% en 2007, la productivité du secteur privé a progressé au taux annuel moyen de 3,7% entre 1998 et 2007. La productivité du secteur public a augmenté encore plus rapidement, au taux annuel de 5,5%. La croissance de la productivité comptait alors pour 1/3 de la croissance du PIB (qui a atteint un taux à deux chiffres durant cette période). L'entrée de la Chine dans l'Organisation mondiale du commerce en 2001 - un autre élément capital - a joué un rôle majeur dans ce succès.
Cette fois-ci, la tâche du gouvernement est compliquée par des contraintes politiques et sociales. Le volet économique des réformes suppose au préalable des réformes politiques difficiles, car leurs conséquences sociales suscitent des inquiétudes. Pour éviter le déclin économique, la Chine devra réviser son système de gouvernance - et les principes qui le sous-tendent - sans déclencher une trop grande vague d'instabilité sociale.
Il existe un élément favorable qui est prometteur de ce point de vue, c'est le passé de la Chine. C'est effectivement un revirement idéologique qui a permis le boom économique de 35 ans de la Chine, avec la priorité donnée au développement économique, les champions de la croissance étant protégés, promus et si nécessaire pardonnés.
Un revirement idéologique analogue est nécessaire aujourd'hui, mais en donnant cette fois-ci la priorité aux réformes institutionnelles. Une croissance durable à long terme - basée sur une meilleure efficacité, des grains de productivité et l'innovation - n'est envisageable que dans un cadre institutionnel adéquat, ce qui suppose de réformer fondamentalement le systéme politique et la réglementation. Ce n'est qu'en faisant fi des intérêts particuliers et avec une bureaucratie plus efficace, reposant sur l'état de droit, que les réformes indispensables pourront être menées à bien.
Les conflits sociaux qui couvent (par exemple entre les populations urbaines et rurales, entre les industries et entre le secteur public et le secteur privé) compliquent encore la situation. Le risque de manifestations de masse et de troubles ébranlent la volonté du gouvernement d'engager les réformes. Il lui faudrait renforcer sa légitimité et sa crédibilité, et par conséquent sa capacité à garantir la stabilité. Il devrait pour cela permettre à une plus grande partie de la population de bénéficier d'une plus grande partie des gains économiques, améliorer la protection sociale et établir une gouvernance plus transparente.
L'expérience chinoise au cours des années 1990 montre que le pays peut rebondir. Les principales réformes n'étant pas achevées, le gouvernement a encore des occasions à saisir pour parvenir à une croissance stable basée sur l'efficacité et les gains de productivité, plutôt que simplement sur la consommation. Une fois que les principales iniquités seront éliminées et les ressources mieux réparties (notamment le capital, la main d'œuvre et le talent), elle pourra continuer sa progression vers le statut de pays à revenu élevé.
Le gouvernement chinois pourrait avoir quelques difficultés au début : il est difficile d'amorcer un changement en profondeur, et il est encore plus difficile de le faire à bon escient. Mais si la situation économique s'aggrave, ce qui est tout à fait plausible, il sera contraint d'agir. En Occident une période faste prépare souvent une crise ; par contre en Chine une crise prépare souvent une période faste.
Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz
Keyu Jin est professeur d'économie à la London School of Economics, jeune leader mondial du Forum économique mondial et membre du groupe des conseillers du Groupe Richemont.