Une explication évidente est que malgré des progrès significatifs en vue d'établir des gouvernements stables, ces pays restent soumis à des risques politiques qui font peur aux investisseurs privés. Mais les investissements privés étaient modestes avant les soulèvements de 2011, alors que ces risques étaient déjà élevés. Ce n'est donc pas une explication suffisante.
Un examen de l'histoire économique récente de ces pays fournit un aperçu du problème. Les économies de marché sont relativement nouvelles pour le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord. Elles sont arrivées seulement après les années 1980, lorsque le modèle de croissance économique axée sur l'État s'est effondré sous le poids de son inefficacité (et de la dette qui en a résulté). Cependant contrairement à l'Amérique latine ou à l'Europe de l'Est, les pays arabes ont libéralisé leur économie, mais sans toutefois libéraliser pour autant leur politique. Les autocrates soutenus par les puissances occidentales sont restés bien en place.
Ainsi alors même que les réformes des années 1990 ont redonné un rôle économique à l'ةtat (en ةgypte, les dépenses publiques sont passées de 60% du PIB en 1980 à 30% du PIB dans les années 1990), la politique a continué de dicter son bon vouloir aux marchés. Avec des privilèges économiques alloués d'une manière qui a bloqué l'émergence d'entrepreneurs indépendants qui auraient pu en fin de compte contester la mainmise des autocrates, les entreprises favorisées étaient en mesure d'acquérir des monopoles virtuels sur des secteurs complets de l'économie libéralisée.
En ةgypte, par exemple, les entreprises de 32 hommes d'affaires étroitement liés au Président Hosni Moubarak, ont reçu en 2010 plus de 80% des crédits alloués au secteur privé structuré et ont obtenu 60% du bénéfice total du secteur, tout en employant seulement 11% de la main-d'œuvre du pays. En Tunisie les amis de l'ancien Président Zine El Abidine Ben Ali ont reçu 21% de tous les bénéfices du secteur privé en 2010, bien que leurs entreprises n'aient occupé que 1% de la population active de la Tunisie.
De toute évidence, ce système n'a généré qu'une croissance modeste. La loyauté politique ne se traduit pas en efficacité économique et loyalistes des dirigeants autocratiques ont constamment échoué à construire des sociétés compétitives de rang mondial. Avec des concurrents potentiels talentueux tel un désavantage net, personne n'était motivé pour innover ni pour investir convenablement.
Les secteurs rentiers traditionnels, comme l'immobilier ou les ressources naturelles, n'ont pas été les seuls à ne pas réaliser leur potentiel de croissance. Dans les secteurs des biens échangeables comme l'industrie et les services publics, des rentes ont été créées par le biais de protections non tarifaires et de subventions, ce qui a conduit à une croissance anémique des exportations.
Le résultat a consisté en une pénurie d'emplois dans le secteur formel, qui a rarement employé plus de 20% de la population active. Avec les quelques bons emplois réservés aux groupes favorisés, un bassin grandissant de jeunes travailleurs scolarisés a été confronté à des emplois de moindre qualité dans le secteur informel. Ajoutez à cela des services de mauvaise qualité et la mobilité sociale a été bloquée.
Une intensification du mécontentement social a été accueillie par une augmentation des niveaux de répression. Avec l'augmentation des risques politiques, les amis des autocrates ont exigé des bénéfices supérieurs. En fin de compte, l'incapacité des régimes à contrôler la rue et le secteur privé a abouti à des protestations populaires et à des révolutions politiques.
Les gouvernements qui ont émergé des décombres du Printemps arabe ont hérité d'un système peu propice aux affaires. Une protection insuffisante des droits de propriété met un frein aux investissements, mais le passage à des réglementations justes et bien appliquées n'est pas une perspective réaliste dans le contexte actuel, compte tenu de la corruption mineure d'une bureaucratie sous-payée et de l'environnement politique polarisé.
Ces pays pourraient tenter de reproduire le succès économique de la Turquie en 2000-2010, où une alliance politique entre le parti au pouvoir et un large groupe de petites et moyennes entreprises (PME) dynamiques ont a contribué à un triplement des exportations. Le défi pourrait consister dans le cas présent à trouver le bon investisseur, capable de stimuler la croissance et de créer des emplois et non plus seulement à fournir une aide politique.
Ici le Maroc et la Jordanie ont eu un certain succès, avec leurs monarchies qui se sont montrées à même de gérer des élites qui proposaient à la fois leur assentiment politique et une subsistance économique. Mais tandis que les gouvernements de ces pays remportent un certain succès en élargissant leurs coalitions d'entreprises, les amis rentiers traditionnels ralentissent les avancées. En minant les investissements dans les secteurs des biens échangeables, les apaiser implique de faire considérablement obstacle à la croissance des exportations.
La Tunisie pourrait s'inspirer du modèle du Maroc, étendre son secteur des exportations en attirant des investissements étrangers directs, tout en ouvrant son secteur national des services à des PME locales. Mais elle devra encore faire face au défi de la libéralisation de son économie, face à une pression croissante de la part des syndicats en vue de protéger les entreprises inefficaces en place contre une concurrence accrue.
Pour sa part, l'Égypte s'appuie sur les entreprises publiques et privées proches de son armée, ainsi que sur le financement du Conseil de Coopération du Golfe pour soutenir son économie. Mais compte tenu de la chute des revenus du pétrole du CCG (sans parler de la déception quant à l'inefficacité de l'arrangement), cette voie semble de plus en plus condamnée.
Dans les quatre pays, la croissance de l'emploi va rester limitée pendant un certain temps. Améliorer l'inclusion économique sans menacer les dirigeants politiques ne sera pas chose aisée, car elle nécessite la création de dispositifs de gouvernance plus inclusifs. Pour le Maroc et la Tunisie, la convergence d'intérêts entre les islamistes et les libéraux modérés offre une lueur d'espoir. Mais cet espoir semble faire défaut pour le moment en Égypte et ailleurs dans la région.
Ishac Diwan, affilié au Belfer Center’s Middle East Initiative de l'Université de Harvard et à la Chaire d'Excellence Monde Arabe à Paris Sciences et Lettres
Un examen de l'histoire économique récente de ces pays fournit un aperçu du problème. Les économies de marché sont relativement nouvelles pour le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord. Elles sont arrivées seulement après les années 1980, lorsque le modèle de croissance économique axée sur l'État s'est effondré sous le poids de son inefficacité (et de la dette qui en a résulté). Cependant contrairement à l'Amérique latine ou à l'Europe de l'Est, les pays arabes ont libéralisé leur économie, mais sans toutefois libéraliser pour autant leur politique. Les autocrates soutenus par les puissances occidentales sont restés bien en place.
Ainsi alors même que les réformes des années 1990 ont redonné un rôle économique à l'ةtat (en ةgypte, les dépenses publiques sont passées de 60% du PIB en 1980 à 30% du PIB dans les années 1990), la politique a continué de dicter son bon vouloir aux marchés. Avec des privilèges économiques alloués d'une manière qui a bloqué l'émergence d'entrepreneurs indépendants qui auraient pu en fin de compte contester la mainmise des autocrates, les entreprises favorisées étaient en mesure d'acquérir des monopoles virtuels sur des secteurs complets de l'économie libéralisée.
En ةgypte, par exemple, les entreprises de 32 hommes d'affaires étroitement liés au Président Hosni Moubarak, ont reçu en 2010 plus de 80% des crédits alloués au secteur privé structuré et ont obtenu 60% du bénéfice total du secteur, tout en employant seulement 11% de la main-d'œuvre du pays. En Tunisie les amis de l'ancien Président Zine El Abidine Ben Ali ont reçu 21% de tous les bénéfices du secteur privé en 2010, bien que leurs entreprises n'aient occupé que 1% de la population active de la Tunisie.
De toute évidence, ce système n'a généré qu'une croissance modeste. La loyauté politique ne se traduit pas en efficacité économique et loyalistes des dirigeants autocratiques ont constamment échoué à construire des sociétés compétitives de rang mondial. Avec des concurrents potentiels talentueux tel un désavantage net, personne n'était motivé pour innover ni pour investir convenablement.
Les secteurs rentiers traditionnels, comme l'immobilier ou les ressources naturelles, n'ont pas été les seuls à ne pas réaliser leur potentiel de croissance. Dans les secteurs des biens échangeables comme l'industrie et les services publics, des rentes ont été créées par le biais de protections non tarifaires et de subventions, ce qui a conduit à une croissance anémique des exportations.
Le résultat a consisté en une pénurie d'emplois dans le secteur formel, qui a rarement employé plus de 20% de la population active. Avec les quelques bons emplois réservés aux groupes favorisés, un bassin grandissant de jeunes travailleurs scolarisés a été confronté à des emplois de moindre qualité dans le secteur informel. Ajoutez à cela des services de mauvaise qualité et la mobilité sociale a été bloquée.
Une intensification du mécontentement social a été accueillie par une augmentation des niveaux de répression. Avec l'augmentation des risques politiques, les amis des autocrates ont exigé des bénéfices supérieurs. En fin de compte, l'incapacité des régimes à contrôler la rue et le secteur privé a abouti à des protestations populaires et à des révolutions politiques.
Les gouvernements qui ont émergé des décombres du Printemps arabe ont hérité d'un système peu propice aux affaires. Une protection insuffisante des droits de propriété met un frein aux investissements, mais le passage à des réglementations justes et bien appliquées n'est pas une perspective réaliste dans le contexte actuel, compte tenu de la corruption mineure d'une bureaucratie sous-payée et de l'environnement politique polarisé.
Ces pays pourraient tenter de reproduire le succès économique de la Turquie en 2000-2010, où une alliance politique entre le parti au pouvoir et un large groupe de petites et moyennes entreprises (PME) dynamiques ont a contribué à un triplement des exportations. Le défi pourrait consister dans le cas présent à trouver le bon investisseur, capable de stimuler la croissance et de créer des emplois et non plus seulement à fournir une aide politique.
Ici le Maroc et la Jordanie ont eu un certain succès, avec leurs monarchies qui se sont montrées à même de gérer des élites qui proposaient à la fois leur assentiment politique et une subsistance économique. Mais tandis que les gouvernements de ces pays remportent un certain succès en élargissant leurs coalitions d'entreprises, les amis rentiers traditionnels ralentissent les avancées. En minant les investissements dans les secteurs des biens échangeables, les apaiser implique de faire considérablement obstacle à la croissance des exportations.
La Tunisie pourrait s'inspirer du modèle du Maroc, étendre son secteur des exportations en attirant des investissements étrangers directs, tout en ouvrant son secteur national des services à des PME locales. Mais elle devra encore faire face au défi de la libéralisation de son économie, face à une pression croissante de la part des syndicats en vue de protéger les entreprises inefficaces en place contre une concurrence accrue.
Pour sa part, l'Égypte s'appuie sur les entreprises publiques et privées proches de son armée, ainsi que sur le financement du Conseil de Coopération du Golfe pour soutenir son économie. Mais compte tenu de la chute des revenus du pétrole du CCG (sans parler de la déception quant à l'inefficacité de l'arrangement), cette voie semble de plus en plus condamnée.
Dans les quatre pays, la croissance de l'emploi va rester limitée pendant un certain temps. Améliorer l'inclusion économique sans menacer les dirigeants politiques ne sera pas chose aisée, car elle nécessite la création de dispositifs de gouvernance plus inclusifs. Pour le Maroc et la Tunisie, la convergence d'intérêts entre les islamistes et les libéraux modérés offre une lueur d'espoir. Mais cet espoir semble faire défaut pour le moment en Égypte et ailleurs dans la région.
Ishac Diwan, affilié au Belfer Center’s Middle East Initiative de l'Université de Harvard et à la Chaire d'Excellence Monde Arabe à Paris Sciences et Lettres