La réponse ne peut résider du côté de la représentation politique. Depuis 2013, la proportion de parlementaires italiens âgés de moins de 40 ans est passée de 7 à 13 %, et l'Italie est aujourd'hui dirigée par l'un des plus jeunes gouvernements que connaissent les pays développés (en deuxième position derrière la France). De même, le chef du gouvernement italien Matteo Renzi, âgé de 41 ans, est le plus jeune Premier ministre que l'Italie ait jamais eu à sa tête.
Et pourtant, les jeunes Italiens demeurent profondément insatisfaits de la situation de leur pays, et des opportunités économiques qu'offre l'Italie. En effet, malgré la promesse de Renzi consistant à appliquer des réformes destinées à rajeunir l'économie et les institutions nationales – promesse qui lui a permis d'accéder au pouvoir en 2014 – quelque 90 000 Italiens de moins de 40 ans ont depuis quitté le pays.
Aussi intelligemment élaboré et aussi optimiste soit-il, le message de Renzi ne peut masquer la dure réalité économique de l'Italie d'aujourd'hui. Constat particulièrement alarmant, le taux de chômage des jeunes atteint à ce jour 39 % – l'un des plus forts taux de l'UE, bien au-dessus de la moyenne de l'Union, qui s'élève à 20 %. À l'heure où 26 % des Italiens de moins de 30 ans ne sont ni étudiants, ni travailleurs, ni en formation – deuxième plus fort pourcentage, puisque seule la Grèce fait pire – le chômage structurel des jeunes constitue une problématique qu'il sera difficile de résoudre.
Même chez ceux qui ont la chance d'occuper un emploi, le mécontentement règne. D'après Eurostat, les jeunes Italiens comptent parmi ceux qui se disent les plus insatisfaits de leur poste, nombre d'entre eux étant convaincus que les meilleurs emplois seraient réservés aux prétendants qui bénéficient du meilleur réseau. Il faut reconnaître que la corruption constitue encore aujourd'hui un problème majeur en Italie, les deux derniers maires de la ville de Rome ayant notamment été contraints de quitter leurs fonctions après s'être rendus coupables de malversations. L'an dernier, dans le classement de l'indice de perception de la corruption publié par l'ONG Transparency International, l'Italie apparaissait en 61e position, en situation défavorable par rapport à tous les autres pays développés.
La situation est d'autant plus critique que l'économie italienne stagne depuis plusieurs années. Certes, le pays demeure la huitième puissance économique mondiale, avec un revenu par habitant d'environ 26 000 €, et un solide taux d'épargne brute de 18 % du PIB. Néanmoins, entre 2000 et 2015, le PIB réel a légèrement diminué, et le revenu réel par habitant a enregistré une baisse de 0,5 %. La période 2012-2014 s'est révélée particulièrement difficile, une récession profonde et prolongée entraînant une baisse de 2,1 % du PIB réel, et une diminution de 4,3 % du revenu réel par habitant.
Pas étonnant que le départ à l'étranger apparaisse aux yeux de nombreux jeunes comme une option plus tentante que le chômage ou le sous-emploi dans leur pays natal, où il leur faut bien souvent solliciter l'aide de leurs proches. Bien entendu, certains de ceux qui partent ne parviennent à décrocher qu'un emploi précaire ou peu épanouissant à l'étranger. Mais pour les plus qualifiés et les plus talentueux, les chances de bâtir là-bas une carrière, dans leur domaine de spécialisation, sont beaucoup plus solides qu'en Italie.
Pas surprenant non plus que les Italiens les plus qualifiés soient les plus susceptibles de partir. Cette tendance a débuté à la fin des années 1980, lorsque les titulaires de doctorat et les chercheurs ne parvenaient plus à obtenir une place dans les universités locales, établissements régis par la lourdeur hiérarchique, en proie à la corruption, et dépourvus de financements. Depuis, de nombreuses autres professions les ont rejoints, allant des médecins aux praticiens de la santé en passant par les libraires ou encore les spécialistes en logiciels.
Cette tendance se trouve dans une certaine mesure compensée par l'immigration, via laquelle trois nouveaux arrivants viennent remplacer chaque Italien sur le départ (selon les chiffres officiels). Sur le plan de l'équilibre démographique de l'Italie, cet afflux d'étrangers – le pays comptant un peu plus de cinq millions d'immigrants, soit 8,3 % de la population – constitue une évolution positive. Car non seulement l'Italie abrite la population la plus âgée de l'UE juste après l'Allemagne (1,5 habitant de plus de 65 ans pour chaque habitant de moins de 15 ans), mais son taux de fertilité compte également parmi les plus faibles de la planète (1,35 enfant par femme), à peu près au même niveau que celui du Japon.
La pénurie des emplois qualifiés qu'offre l'Italie, par rapport aux autres pays développés de l'UE, influence également les flux de migration. À l'heure où 30 % des travailleurs étrangers jugent être trop qualifiés pour le métier qu'ils exercent, l'Italie ne cesse de perdre en pouvoir d'attraction, notamment auprès des professionnels les plus formés. Ainsi, depuis 2007, le nombre d'immigrants arrivant chaque année a diminué de moitié, tandis que le nombre d'émigrants a triplé.
Ceux qui demeurent sur le territoire de l'Italie – nationaux ou étrangers – sont par conséquent bien souvent les moins qualifiés. Pas moins de 41 % de la population italienne ne bénéficie que d'une instruction basique, soit un pourcentage considérable par rapport à la plupart des autres pays européens (à l'exception du Portugal, de Malte, et de l'Espagne). Par ailleurs, 17 % des Italiens quittent prématurément l'école, et seulement 22 % suivent des études supérieures.
La bonne nouvelle, c'est que l'Italie, aux côtés de ses partenaires de l'UE, travaille d'ores et déjà à l'amélioration de ces chiffres en matière d'éducation. La stratégie de croissance Europe 2020 –destinée à bâtir une « croissance intelligente, durable et inclusive » – exige que chaque État concerné réduise à moins de 10 % d'ici 2020 le pourcentage de jeunes qui quittent prématurément l'école, et veille à ce qu'au moins 40 % des individus âgés de 30 à 40 ans aient achevé des études supérieures sous une forme ou une autre.
Mais ces objectifs ne constituent que l'une des multiples composantes d'une nécessaire stratégie visant à redynamiser l'économie de l'Italie, et à rétablir sa capacité à attirer les meilleurs talents. Il incombe également au gouvernement italien d'honorer sa promesse d'amélioration de la flexibilité du marché du travail, ainsi que de lutte contre la corruption et contre toute forme de favoritisme. Face aux vents contraires d'une économie mondiale fébrile, et sous le poids hérité d'une récession prolongée, ces réformes seront difficiles à mettre en œuvre. À tout le moins, elles nécessiteront du temps.
En attendant ces réformes, les jeunes d'Italie continueront de se bâtir un avenir ailleurs. Aucun Premier ministre, pas même le plus enthousiaste, ne pourra les persuader de rester.
Traduit de l’anglais par Martin Morel
Paola Subacchi est directrice de recherche en économie internationale au sein de la Chatham House, et intervient en tant que professeur d'économie à l’Université de Bologne.
Et pourtant, les jeunes Italiens demeurent profondément insatisfaits de la situation de leur pays, et des opportunités économiques qu'offre l'Italie. En effet, malgré la promesse de Renzi consistant à appliquer des réformes destinées à rajeunir l'économie et les institutions nationales – promesse qui lui a permis d'accéder au pouvoir en 2014 – quelque 90 000 Italiens de moins de 40 ans ont depuis quitté le pays.
Aussi intelligemment élaboré et aussi optimiste soit-il, le message de Renzi ne peut masquer la dure réalité économique de l'Italie d'aujourd'hui. Constat particulièrement alarmant, le taux de chômage des jeunes atteint à ce jour 39 % – l'un des plus forts taux de l'UE, bien au-dessus de la moyenne de l'Union, qui s'élève à 20 %. À l'heure où 26 % des Italiens de moins de 30 ans ne sont ni étudiants, ni travailleurs, ni en formation – deuxième plus fort pourcentage, puisque seule la Grèce fait pire – le chômage structurel des jeunes constitue une problématique qu'il sera difficile de résoudre.
Même chez ceux qui ont la chance d'occuper un emploi, le mécontentement règne. D'après Eurostat, les jeunes Italiens comptent parmi ceux qui se disent les plus insatisfaits de leur poste, nombre d'entre eux étant convaincus que les meilleurs emplois seraient réservés aux prétendants qui bénéficient du meilleur réseau. Il faut reconnaître que la corruption constitue encore aujourd'hui un problème majeur en Italie, les deux derniers maires de la ville de Rome ayant notamment été contraints de quitter leurs fonctions après s'être rendus coupables de malversations. L'an dernier, dans le classement de l'indice de perception de la corruption publié par l'ONG Transparency International, l'Italie apparaissait en 61e position, en situation défavorable par rapport à tous les autres pays développés.
La situation est d'autant plus critique que l'économie italienne stagne depuis plusieurs années. Certes, le pays demeure la huitième puissance économique mondiale, avec un revenu par habitant d'environ 26 000 €, et un solide taux d'épargne brute de 18 % du PIB. Néanmoins, entre 2000 et 2015, le PIB réel a légèrement diminué, et le revenu réel par habitant a enregistré une baisse de 0,5 %. La période 2012-2014 s'est révélée particulièrement difficile, une récession profonde et prolongée entraînant une baisse de 2,1 % du PIB réel, et une diminution de 4,3 % du revenu réel par habitant.
Pas étonnant que le départ à l'étranger apparaisse aux yeux de nombreux jeunes comme une option plus tentante que le chômage ou le sous-emploi dans leur pays natal, où il leur faut bien souvent solliciter l'aide de leurs proches. Bien entendu, certains de ceux qui partent ne parviennent à décrocher qu'un emploi précaire ou peu épanouissant à l'étranger. Mais pour les plus qualifiés et les plus talentueux, les chances de bâtir là-bas une carrière, dans leur domaine de spécialisation, sont beaucoup plus solides qu'en Italie.
Pas surprenant non plus que les Italiens les plus qualifiés soient les plus susceptibles de partir. Cette tendance a débuté à la fin des années 1980, lorsque les titulaires de doctorat et les chercheurs ne parvenaient plus à obtenir une place dans les universités locales, établissements régis par la lourdeur hiérarchique, en proie à la corruption, et dépourvus de financements. Depuis, de nombreuses autres professions les ont rejoints, allant des médecins aux praticiens de la santé en passant par les libraires ou encore les spécialistes en logiciels.
Cette tendance se trouve dans une certaine mesure compensée par l'immigration, via laquelle trois nouveaux arrivants viennent remplacer chaque Italien sur le départ (selon les chiffres officiels). Sur le plan de l'équilibre démographique de l'Italie, cet afflux d'étrangers – le pays comptant un peu plus de cinq millions d'immigrants, soit 8,3 % de la population – constitue une évolution positive. Car non seulement l'Italie abrite la population la plus âgée de l'UE juste après l'Allemagne (1,5 habitant de plus de 65 ans pour chaque habitant de moins de 15 ans), mais son taux de fertilité compte également parmi les plus faibles de la planète (1,35 enfant par femme), à peu près au même niveau que celui du Japon.
La pénurie des emplois qualifiés qu'offre l'Italie, par rapport aux autres pays développés de l'UE, influence également les flux de migration. À l'heure où 30 % des travailleurs étrangers jugent être trop qualifiés pour le métier qu'ils exercent, l'Italie ne cesse de perdre en pouvoir d'attraction, notamment auprès des professionnels les plus formés. Ainsi, depuis 2007, le nombre d'immigrants arrivant chaque année a diminué de moitié, tandis que le nombre d'émigrants a triplé.
Ceux qui demeurent sur le territoire de l'Italie – nationaux ou étrangers – sont par conséquent bien souvent les moins qualifiés. Pas moins de 41 % de la population italienne ne bénéficie que d'une instruction basique, soit un pourcentage considérable par rapport à la plupart des autres pays européens (à l'exception du Portugal, de Malte, et de l'Espagne). Par ailleurs, 17 % des Italiens quittent prématurément l'école, et seulement 22 % suivent des études supérieures.
La bonne nouvelle, c'est que l'Italie, aux côtés de ses partenaires de l'UE, travaille d'ores et déjà à l'amélioration de ces chiffres en matière d'éducation. La stratégie de croissance Europe 2020 –destinée à bâtir une « croissance intelligente, durable et inclusive » – exige que chaque État concerné réduise à moins de 10 % d'ici 2020 le pourcentage de jeunes qui quittent prématurément l'école, et veille à ce qu'au moins 40 % des individus âgés de 30 à 40 ans aient achevé des études supérieures sous une forme ou une autre.
Mais ces objectifs ne constituent que l'une des multiples composantes d'une nécessaire stratégie visant à redynamiser l'économie de l'Italie, et à rétablir sa capacité à attirer les meilleurs talents. Il incombe également au gouvernement italien d'honorer sa promesse d'amélioration de la flexibilité du marché du travail, ainsi que de lutte contre la corruption et contre toute forme de favoritisme. Face aux vents contraires d'une économie mondiale fébrile, et sous le poids hérité d'une récession prolongée, ces réformes seront difficiles à mettre en œuvre. À tout le moins, elles nécessiteront du temps.
En attendant ces réformes, les jeunes d'Italie continueront de se bâtir un avenir ailleurs. Aucun Premier ministre, pas même le plus enthousiaste, ne pourra les persuader de rester.
Traduit de l’anglais par Martin Morel
Paola Subacchi est directrice de recherche en économie internationale au sein de la Chatham House, et intervient en tant que professeur d'économie à l’Université de Bologne.